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Des directions (encore) nouvelles pour la géographie moderne

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Des directions (encore) nouvelles pour la géographie moderne

RACINE, Jean-Bernard, RAFFESTIN, Claude

RACINE, Jean-Bernard, RAFFESTIN, Claude. Des directions (encore) nouvelles pour la géographie moderne. Annales de géographie , 1978, vol. 87, no. 480, p. 182-194

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:4305

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Notes

Des directions (encore) nouvelles pour la géographie moderne

Jean-Bernard Racine et Claude Raffestin

Pourquoi ce titre pour une série de comptes rendus ? Tout simplement pour montrer qu'au moment où on la croyait révolue, ses idées étant tom- bées dans le domaine commun (en pays anglo-saxons du moins), la révo- lution quantitative et théorique se découvre de nouveaux projets, en même temps que de nouvelles racines, dans une sorte de stratégie tous azimuts.

Une fois éclaté le carcan de la géographie classique, le champ est libre. La couverture d'un récent ouvrage édité par Richard Chorley1 est, à cet égard, fort explicite : issues d'un tronc relativement étroit, une série de flèches, de largeur croissante, fusent dans toutes les directions pour cou- vrir un « champ », de plus en plus vaste. Dans les pays où le nouveau mode de penser et de travailler ne s'est pas encore totalement imposé, cer- tains géographes intéressés tentent de suivre le mouvement ou du moins d'en rendre compte à leurs pairs et à leurs étudiants. Telle est l'ambition par exemple de l'ouvrage de nos collègues italiens Vagaggini et Dematteis qui tente une gageure : définir et résumer, en six chapitres, la situation actuelle des méthodes modernes mobilisées par la géographie. La tâche n'était pas facile, même s'il ne s'agit que d'un bilan. L'ouvrage de Chor- ley nous offre l'occasion d'une confrontation directe avec la pensée origi- nale de quelques-uns des principaux initiateurs de la « révolution quantita- tive ». Mais il est quant à lui directement prospectif, présentant la « nou- velle géographie de l'avenir ». Déjà deux « nouvelles géographies » ? Poser la question nous oblige, avant d'entreprendre à notre tour l'étude

1. Chorley Richard (edited by), Directions in Geography, London, Methuen, 1973, University Paperbacks, 330 pages.

2. Vagaggini — Dematteis, 1 metodi analitici della geografia. La Nuova ltalia, Firenze, 1976, 148 pages, tabl., fig.

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critique de ces deux ouvrages et plus particulièrement du premier, à quel- ques remarques d'ensemble sur le caractère plus ou moins « révolution- naire » de la new geography.

Sept révolutions en une génération : la géographie, nouvelle Amérique latine ?

Quelque vingt années ont passé depuis ces années cinquante, dans le cours desquelles quelques chercheurs d'abord isolés, puis vite regroupés, se sont mis sans le savoir à orienter leur réflexion dans des directions à peu près parallèles, en pays Scandinaves, en Amérique du Nord, en Angle- terre, en cherchant à appliquer les méthodes de la statistique et de la pro- grammation linéaire aux problèmes géographiques. Pour imposer l'innova- tion dans un milieu marqué par des habitudes déjà séculaires, le combat fut rude, quoique relativement rapide. En même temps que l'innovation, les innovateurs eux-mêmes prenaient le pouvoir, d'une telle manière qu'aujourd'hui c'est tout à la fois en termes de generation gap et en ter- mes de lutte des classes que certains interprètent le « conflit », alors que longtemps les motivations avancées ne croyaient exprimer qu'une « exi- gence intellectuelle authentique », pour la « scientificité », la pureté épisté- mologique, l ' u t i l i t é pratique. Le célèbre ouvrage d'Abler, Adams et Gould 3 est à cet égard d'une touchante limpidité.

Les révolutionnaires au pouvoir, la new geography solidement engagée dans le cours de sa seconde décennie de pratique, le temps n'était-il pas venu d'écrire qu'il n'y avait plus de francs-tireurs de ce côté-là de la bar- ricade ? Or voilà que déjà le « front » se déplace et que la critique des ouvrages récemment offerts sur le marché ne peut plus avoir le même sens, ne peut plus s'inscrire dans la même perspective. La lutte pour la scientificité de notre discipline a pris un nouveau visage et se poursuit de part et d'autre d'une autre coupure, d'ordre idéologique cette fois, comme en témoignent aux Etats-Unis les « nouveaux » travaux d'hommes comme David Harvey ou William Bunge, et plus systématiquement aujourd'hui, la revue Antipode dont notre Hérodote sera peut-être, au moins partielle- ment, le pendant francophone. Mais est-ce vraiment tout ? Avons-nous identifié la véritable coupure, le lieu d'où divergent aujourd'hui les pro- blématiques ? Suffit-il de dire que l'on est passé du dilemme « quantitatif- qualitatif » au dilemme « néopositivisme-matérialisme dialectique », s'exprimant lui-même dans celui qui oppose la « raison instrumentale » à la « raison critique », la « pensée libérale » à la pensée marxiste ou

« marxienne », pour traduire les oppositions qui se font jour ? Nous avons failli y croire.

En fait les contradictions sont plus complexes encore, parce que plus riches. Tellement riches que dans son interprétation « sociologique » du débat sur la quantification dans la géographie britannique, Peter Taylor4

3. R. Abler. J. Adams, P. Gould, Spatial Organisation, The Geographer's View of the World, Prentice Hall, Englewood Cliffs, 1971, 585 pages.

4. Taylor Peter J., « An interpretation of the quantification debate in British geo- graphy », Transactions, Institute of British Geographers Vol. 1, N° 2, 1976, pp. 129-142.

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n'a pas compté moins de sept révolutions dans le cours de cette dernière génération. Révolution quantitative, disait lan Burton en 1963 ; révolution méthodologique, précisait Peter Gould en 1969 ; révolution conceptuelle, ajoutait T. Davies en 1972 ; révolution statistique et révolution des

« modèles » insistait, en 1974, A.G. Wilson, le plus ardu de tous les « nou- veaux géographes ». Or depuis, on a encore connu la révolution behavio- rale, telle qu'illustrée par les travaux d'un E. Hurst par exemple ; et bien entendu la révolution « radicale », dont nous pouvons suivre les fulgu- rants progrès dans la revue Antipode. La question se pose : où nous con- duit donc cette fameuse « rupture épistémologique » que l'on avait cru discerner dans le mouvement ayant donné naissance à la new geography ? Sept révolutions en moins d'une génération ! S'il est un nouveau continent- géographie, ses caractéristiques, ses fantasmes aussi, n'appartien-nent pas à la seule civilisation de l'Amérique du Nord ou du « monde » anglo-saxon.

Comme le remarque gentiment P. Taylor dans son surpre-nant essai (op.

cit.) il est aussi devenu « l'Amérique latine de la commu-nauté scientifique ». D'autant qu'une série de travaux nous annoncent déjà, parallèlement à la radicalisation de notre discipline, son « axiomati-sation ».

Ce qui n'empêche pas Peter Gould5, face aux fulgurants progrès de la mathématique en géographie, — qu'il ne faut pas confondre avec les analyses statistiques, même multivariées, qui sont aujourd'hui tombées dans le domaine commun et que l'on tend à considérer comme triviales — de se demander si elles représentent bien, plutôt que « l'apparition d'un nouvel outil », une véritable « révolution théorique ». Quand on sait que, d'après cet auteur, les géographes qui assument cet essor en ayant une formation mathématique tant soit peu solide sont moins d'une douzaine, on comprendra que ce n'est pas le vieux débat qui revient. Il se situe sur un tout autre plan.

La méthode analytique de la géographie

Dans leur petit ouvrage, / metodi analitici della geografia, Vagaggini et Dematteis tentent d'être à la hauteur de l'ambition de leur titre. En 148 pages, c'était difficile. Le premier chapitre est consacré à un pano- rama historique de la géographie, qui s'achève avec la crise de la géogra- phie traditionnelle. Selon les auteurs, celle-ci proviendrait de son incapa- cité à fournir des moyens capables de transformer et planifier l'organisa- tion humaine du territoire. C'est déjà là une affirmation un peu rapide.

C'est surtout trouver à la crise de la géographie des causes externes alors qu'en fait les causes internes sont à l'évidence très nombreuses.

Dans le deuxième chapitre, les auteurs abordent les modelli nomativi sous lesquels ils rangent les modèles de Van Thünen et de Christaller, ainsi que ceux de la théorie des jeux qu'ils expliquent à partir d'exemples agricoles. Les troisième et quatrième chapitres nous permettent de décou- vrir l'approche empirico-analytique, à travers la théorie des graphes, celle

5. Cf. p. 3. Gould Peter « Les mathématiques en géographie : révolution théorique ou apparition d'un nouvel outil ? », Revue internationale des sciences sociales, Vol. XXVII, no 2, 1975, pp. 318-347.

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des systèmes et l'analyse fonctionnelle en composantes principales. Le cin- quième chapitre, enfin, est réservé à l'analyse de la perception et de la décision, les auteurs passant en revue la méthode désormais classique de Lynch et le modèle de Downs. Dans l'ensemble donc, il s'agit d'une cou- verture assez complète des thèmes favoris de la nouvelle géographie, d'une bonne introduction divulgative pouvant fournir au débutant des points de repère dont l'utilité est indéniable. On aurait tort de reprocher aux auteurs d'avoir seulement effleuré les sujets qu'ils traitent : leur intention nous semble à l'évidence se situer au niveau du dévoilement.

Plus original est alors le sixième chapitre qui se présente comme un essai synthétique sur la théorie de l'espace géographique dans lequel est expliqué le passage de l'espace absolu à l'espace relatif, passage ayant per- mis, selon les auteurs, la révolution quantitative des années 50-60. Ils reprennent ainsi, en la poursuivant dans ses conséquences épistémologi- ques, une distinction fondamentale de R. Abler, J. Adams et P. Gould dans leur Spatial Organization. Pour Vagaggini et Dematteis, l'espace absolu serait celui de la géographie idiographique alors que l'espace relatif serait celui de la géographie nomothétique. En fait cette distinction est moins claire qu'on pourrait le penser au premier abord, séduits par son élégance. L'espace relatif, en effet, est un espace construit. Or cette cons- truction s'opérait et s'opère encore dans la géographie traditionnelle. Nous pensons plutôt que la question intéresse la nature des langages utilisés pour rendre intelligible l'espace. Dans la nouvelle géographie, les progrès résultent pour l'essentiel de l'abandon du langage naturel au profit d'un métalangage, logico-tnathématique. Est-il besoin d'insister à nouveau ?

Un problème de langage

Au-delà du monde réel et du monde des sens existe un « monde géo- graphique », créé par le géographe qui est en fait l'image du monde pro- posée par la géographie. Parce que résultat d'une construction, ce monde est modifiable et, partant, perfectible. Cette construction se réalise dans un processus de communication dont le géographe est l'émetteur et aussi, en tant que sujet individuel ou collectif, le récepteur. Que la communica- tion se fasse entre « je » et « je » ou « je » et « tu » ou encore entre

« nous » et « vous » ne modifie en rien cette communication. Mais dès l'instant où il y a communication, il faut faire la supposition d'un code pour décoder et naturellement décoder l'information que l'on veut trans- mettre. De là l'importance de la notion de langage en tant qu'espace de médiation. Le langage scientifique constitue ce code qui permet la trans- mission de l'information. Au même titre d'ailleurs que le langage quoti- dien utilisé par la géographie traditionnelle, mais à la différence que celui- ci est perverti par toute la constellation équivoque des relations implicites véhiculées par les termes qui lui sont empruntés. C'est ainsi qu'il nous faut comprendre la cassure, ou si l'on préfère la rupture discernable entre une géographie classique et une géographie nouvelle. Il s'agit d'une rup- ture de communication par changement de langage. Alors que la géogra- phie classique recourt à un espace de médiation dont les relations sont

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implicites parce que déjà contenues dans le langage utilisé, ce qui oblige à demeurer très près des termes-objets dont l'ensemble devient objet géogra- phique* la géographie nouvelle recourt, quant à elle, à un espace de médiation dont les relations sont explicitées parce que résultant d'une construction délaissant le langage quotidien au profit d'un langage plus élaboré qui cherche à établir des correspondances bi-univoques entre les définitions et les concepts. C'est en ce sens d'abord que la nouvelle pro- blématique nous paraît plus scientifique : le monde géographique qu'elle étudie est défini aussi strictement que possible par un système de rela- tions. Est-ce dire pour autant qu'à cet acquis méthodologique capital ait correspondu la définition d'objectifs qui seraient eux aussi et enfin explici- tes ? On verra plus loin qu'il nous faudra répondre par la négative.

Que dire, pour conclure, de ce petit livre ? Il est intéressant, bien fait, même s'il est construit par une série d'éléments juxtaposés. Il nous laisse malgré tout perplexe. Perplexe car il n'est pas destiné à des géographes professionnels, qui connaissent ce dont il traite et il est trop elliptique pour des étudiants qui ne possèdent pas encore une culture géographique suffisante. Or l'un des problèmes pratiques que nous pose l'essor de la nouvelle géographie réside justement dans ce décalage de plus en plus évi- dent entre les recherches de pointe et ce qu'elles impliquent pour ceux qui veulent être capables de les suivre et la lourde machine que sont nos structures de formation, évidemment incapables de suivre le mouvement.

Les géographes qui explorent les nouvelles frontières de la géographie sont-ils condamnés à la solitude, à être coupés de leurs arrières ? C'est bien ce qui transparaît de la lecture de Directions in Geography.

Directions in Geography

La géographie anglo-saxonne a bien senti, dès le début des années 70, le besoin de faire le point, face aux interrogations nouvelles, d'ordre phi- losophique et épistémologique. L'un des auteurs de ces lignes ne s'était-il pas entendu féliciter par l'un de ces (jeunes) maîtres de la new geography du choix qu'il faisait de rentrer en Europe après huit ans de Canada,

« pour être là où les choses essentielles pouvaient maintenant être faites », une fois acquise la révolution quantitative, choses essentielles qui, juste- ment, étaient « d'ordre philosophique et épistémologique » ? Finalement la critique si fréquente, faite par les maîtres français, et qui voulait que les

« quantitatifs » aient d'abord témoigné, dans leur effort, d'un « manque de culture », était ressentie comme vraie, même si elle n'entamait en rien l'assurance que la quantification de la discipline était une étape nécessaire, un acquis historique sur lequel il n'y avait pas à revenir.

Ce bilan, c'est ce que l'un des deux principaux initiateurs de la nou- velle géographie en Angleterre a demandé à ses pairs révolutionnaires de

6. Comme le montre clairement la définition de P. Gourou (Pour une géographie humaine, Paris, 1973, p. 9) : « Ce qui, dans le paysage, tient à l'intervention de l'homme : tel est le premier objet de la géographie humaine : les champs, les maisons et leur regroupe- ment en villages et en villes, les paysages industriels, les chemins, les voies ferrées, les canaux... »

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bien vouloir tenter avec lui. Pour ces novateurs cependant, la réflexion

« rétrospective » n'avait manifestement que peu d'intérêt. Si bien que le tableau rétrospectif a vite tourné au prospectif, la plupart des quatorze auteurs en ayant profité pour définir les chemins d'une révolution conti- nue dont les aspects sont même pour certains d'entre nous qui avons vécu, ou qui sommes montés dans le train révolutionnaire, assez surpre- nants. En fait le livre est simultanément une remise en cause de l'acquis et une présentation d'attitudes et d'objectifs nouveaux. Ils prolifèrent telle- ment que force est de constater que même au sein de ce petit groupe de

« pères novateurs » les oppositions sont déjà très nettes. A l'évidence, l'historien de la pensée géographique doit convenir que la phase des con- tradictions n'est pas encore dépassée dans ce mouvement révolutionnaire et que la mise au point d'un « nouveau paradigme » acceptable par la majorité des chercheurs n'est pas encore en vue, même si le premier essai présenté dans le volume, que l'on doit à Brian J.L. Berry, se targue de présenter enfin « un paradigme pour la géographie moderne ».

Un paradigme pour la géographie moderne

L'essai de Berry s'inscrit dans la première partie du livre, qui se struc- ture en fonction de six thèmes différents : le théorique, le spatial, l'envi- ronnemental, le chronologique (ou le temporel), l'éducatif (ou didactique) et l'éthique, autant de champs pour lesquels déjà de nouvelles directions se dessinent. La partie théorique regroupe trois textes et l'essai de Brian Berry en est le premier. Le paradigme qu'il tente de formuler mérite toute notre attention (p. 3-22). Il se fonde sur l'appréciation critique de l'emploi de la statistique inférentielle traditionnelle en géographie, dont l'auteur a pourtant été l'un des initiateurs. Berry reconnaît ainsi que les procédures statistiques utilisées — et que nous empruntons pour l'essentiel à la science expérimentale — ont été élaborées pour des problèmes fort diffé- rents de ceux qui confrontent les géographes. Elles supposent en particu- lier l'indépendance des unités d'observation, condition rarement réalisée dans le domaine spatial. Les problèmes liés aux effets de diffusion, eux- mêmes liés au voisinage, l'autocorrélation spatiale, le problème dit « de Galton », obligent à conclure que pour quiconque recherche réellement l'explication, l'analyse quantitative maintenant traditionnelle est tout à la fois sans valeur effective et porte à faux.

De par leur nature spécifique, les problèmes auxquels s'attaque le géo- graphe réclament une problématique spécifique, de type systémiste dérivée, nous dit Berry, d'une métaphysique des « processus » qui conduit à consi- dérer le monde comme un ensemble hiérarchisé de systèmes ouverts, de structures qui se maintiennent et se répètent selon une certaine invariance même si l'énergie, l'information et la matière sont en continuelle mou- vance en leur sein. Ces structures se transforment parfois brusquement, selon un processus que Berry qualifie, dans la perspective de l'image du monde que donne la physique quantique, de « restructuration hiérarchi- que ». Les systèmes humains, qui tombent dans la classe de ceux qui manifestent un comportement intentionnel (purposive behavior), ne sont

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pas fondamentalement différents. Leurs propriétés, au contraire, donnent un sens au changement et permettent la poursuite consciente d'objectifs collectifs jugés désirables.

Il faut prendre acte de cette évolution de la pensée de Brian Berry. Le paradigme qu'il propose après avoir exprimé ses doutes vis-à-vis de ce qu'il appelle la traditional statistical geography se présente comme une extension logique des apports récents de la géographie des comportements en montrant l'importance centrale, dans l'intelligence des faits géographi- ques, des processus individuels de prise de décision en matière de localisa- tion et d'environnement. Il annonce de surcroît, ne serait-ce qu'en fili- grane, une problématique critique. Appuyée sur un discours passant par au moins trois étapes :

a) la classification logique de la variété des modalités de l'action, b) le traitement formel des séquences de décision et d'action,

c) l'analyse des propriétés émergentes et des transformations systémi- ques,

la réflexion du géographe doit se poursuivre pour Berry par la définition des buts désirables que les collectivités peuvent viser dans la mesure où elles sont « conscientes des tendances actuelles et des possibilités actuelles de collectivités imparfaitement organisées et sensibles aux besoins individuels, aux possibilités comme aux limitations » (p. 20, traduction libre). Berry assurerait-il, d'une certaine manière, une transition entre le

« style » positiviste et la problématique critique dont il sentirait confusé- ment l'intérêt ? Peut-être, sans qu'il y ait pourtant chez cet auteur prise de conscience de la nécessité d'une remise en question de la nature pro- fonde de sa problématique, systémique, non plus que du langage scientifi- que logico-mathématique qui continuera à être le sien. Berry ne nous dit rien non plus de la nature profonde du système qu'il étudie et des diffé- rentes déterminations qui s'y contredisent. La problématique des classes, en particulier, est complètement évacuée de son analyse, la nature des dis- tinctions à faire entre individu et société n'étant pas explicitement étudiée.

La prise en compte de la nécessaire reproduction du système, de son maintien ou de sa transformation, comme facteurs inhérents à tout essai d'explication des processus spatiaux rapproche en revanche la pensée de Berry de celle des chercheurs se réclamant du marxisme. D'une certaine manière au moins.

Autres contributions à la définition de nouvelles directions pour la théorie géographique, celles de l'allemand Dietrich Bartels (qui se situe

« entre la théorie et la métathéorie ») et celle du russe V.A. Anuchin, trai- tant plus simplement de la « théorie de la géographie ». Le second n'apporte rien de bien nouveau en dehors de faire le point des préoccupa- tions des géographes russes et de suggérer un cadre de travail pour la recherche en soulignant l'importance de l'unité et de la spécificité de la géographie dont l'identité dépend tout à la fois de sa théorie, de sa méthodologie, de son objet d'étude et de son importance pratique.

La contribution de Dietrich Bartels, habile défenseur et illustrateur de la géographie moderne en Allemagne, nous paraît plus importante : souli- gnant la trop fréquente stérilité de nos analyses statistiques, il réclame, pour la construction théorique, un effort plus conscient, fondé sur des

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valeurs sociales créatives. Encore une fois une problématique critique fon- dée sur une certaine conception de l'homme semble émerger de ses réflexions. La créativité selon Bartels suppose en effet (bien au-delà des procédures statistiques) de l'imagination, de l'intuition, voire même de la métaphysique (de nouveau) dont on ne saurait se passer non plus dans l'interprétation des résultats. Identifiant tour à tour les différents points de vue de la géographie actuelle en les reliant les uns aux autres en une séquence qui tendrait vers une rationalité croissante selon (encore une fois) un processus de restructuration hiérarchique (niveau de la rationalité instrumentale, niveau du nominalisme métathéorique, niveau de l'attitude critique, niveau de la critique du processus même d'acquisition de la con- naissance géographique), Bartels appelle de ses vœux une géographie qui réponde enfin, et simultanément, aux critères de pertinence sociale, de per- tinence didactique et de fécondité scientifique. Son texte est bien trop riche, au plan philosophique comme au plan idéologique pour qu'on le présente en quelques phrases. Tout comme celui de Berry, il doit mainte- nant faire l'objet de séminaires et donner lieu à des prolongements criti- ques importants qui, heureusement ne manqueront sans doute pas de venir. L'auteur a lu Wittgenstein et Habermas aussi bien que le David Harvey d'avant et d'après la conversion marxiste. Il conviendra de suivre ses travaux avec soin. On en tirera le plus grand profit.

Du spatial au temporel en passant par l'écologique

Le deuxième volet de Directions in Geography est consacré à l'espace grâce à trois essais se complétant les uns les autres, le premier s'attachant à l'échelle individuelle, ou microscopique (Torsten Hägerstrand définissant le « domaine de la géographie humaine »), le second à l'échelle macrosco- pique (William Warntz inscrivant la nouvelle géographie, en tant que théorie générale des systèmes spatiaux, dans le prolongement naturel, dans le domaine plutôt, de la physique sociale), le troisième s'attachant aux propriétés abstraites des distributions spatiales (Michel F. Dacey posant

« quelques questions à propos des distributions spatiales »). Chacun de ces trois essais mériterait une longue analyse critique, du fait de leur con- tenu mais aussi en tant qu'expression du devenir actuel de la pensée d'auteurs ayant profondément marqué l'évolution de la discipline géogra- phique.

Michel Dacey par exemple est bien le géographe qui a le plus formalisé l'étude des distributions spatiales ponctuelles, celui dont on disait que les travaux représentaient l'expression la plus avancée de la recherche à tel point qu'il n'était plus lisible que par une poignée de spécialistes. Or que découvre-t-on à le lire aujourd'hui ? Un homme en pleine autocritique, se Posant des questions tout à la fois simples, voire traditionnellement posées en France par exemple, et pourtant fondamentales : « toute distribution spatiale a-t-elle forcément une représentation cartographique ? » ou encore : « cette étude pose-t-elle des questions qui contribuent réellement à une meilleure intelligence du concept de distribution spatiale ? » II faut bien reconnaître avec lui que la description formelle, même savante, des

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distributions spatiales en termes de processus stochastiques n'éliminera jamais ce problème fondamental pour l'intelligence même de ces processus et qui tient au fait qu'un même processus peut produire des distributions différentes et qu'inversement des distributions identiques peuvent provenir de processus différents. Dans ces conditions quel était alors l'intérêt de descriptions aussi sophistiquées ?

Nous conviendrons avec lui que contrairement à ce qu'annonçaient des prises de position trop rapides, l'utilisation d'une terminologie formelle et d'une notation symbolique n'impliquait pas à elle seule, nécessairement, rigueur scientifique et précision. Cette utilisation n'impliquait surtout pas que l'on ait atteint le niveau de l'explication. Le problème des rapports entre langage et causalité reste entier. Pour le résoudre, comment faire autrement que de réclamer des recherches supplémentaires qui poseront à l'évidence de nouvelles questions ?

Et c'est ainsi que l'on en reste toujours aux questions de méthode, sans, encore une fois, qu'un objectif ait réellement été défini. C'est d'ail- leurs le principal reproche que l'on peut faire à l'ensemble de cet ouvrage.

Un objectif ? Des hommes comme Hägerstrand et Warntz le choisissent à des échelles totalement différentes, et s'en remettent à des référentiels apparemment contradictoires. Le premier, tout en se référant principale- ment à la géométrie et au concept de distribution définit l'espace qu'étu- die le géographe comme un ensemble de lieux à occuper (the notion of space as a provider of room), ce qui lui permet de définir une problémati- que à double composante : composante behaviorale liant l'analyse spatiale maintenant traditionnelle à l'analyse behaviorale à travers le concept de budgétisation des espaces-temps que sont les lieux. Les perspectives ouver- tes par Warntz sont différentes : plutôt que de consommation d'espaces

« cheminements spatio-temporels des individus », il propose, au sein du référentiel systémiste, et en suivant une démarche essentiellement déduc- tive, la dérivation d'une typologie de l'espace humain à partir du jeu de quatre variables dites primitives et fondamentales : la population, la dis- tance, le revenu et le temps. Il ne manque pas, et c'est une particularité de ce difficile article, de présenter de nouveaux résultats de recherche, assez convaincants pour que l'on s'interroge plus avant sur la proposition qu'il fait d'insérer ses concepts dans le cadre de la TGS, la géographie devenant pour lui la théorie générale des systèmes spatiaux. A ce niveau d'ambition, évidemment, la rupture épistémologique avec notre passé est cette fois réelle, la séduction immense. La voie mérite d'être suivie... par ceux qui en seront capables.

Une troisième section pose les problèmes du devenir de l'analyse écologique, cet autre volet de toute recherche géographique. Dans une perspective résolument a-régionale, les auteurs s'ouvrent aux problèmes de l'environnement. Richard Chorley lui-même traite des relations de l'humain au physique en utilisant la formulation systémique, qui doit selon lui « devenir la méthodologie géographique dominante des années à venir ». On retiendra sa distinction entre « les processus de rétroaction négative (qui) tendent à dominer les « systèmes physiques » alors que « les processus de rétroaction positive dominent les systèmes humains ». Ken- neth Hare (climatologue) et Gilbert White, le premier par l'étude de

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l'apport de l'approche des bilans énergétiques en climatologie et en bio- géographie, le second par une présentation de l'état des recherches sur les contingences humaines des cataclysmes naturels, apportent des contribu- tions qui, pour les non-spécialistes que nous sommes, semblent d'un niveau exceptionnellement élevé. Débouchant sur des conclusions extrême- ment prudentes quant à la place de l'homme au sein de son environne- ment, ces deux authentiques savants semblent apporter dans cet ouvrage les contributions les plus solides.

Viennent ensuite deux curieux articles sur le temporel, rédigés par deux maîtres incontestés de l'analyse quantitative et qui pourtant manifestent des attitudes totalement différentes face aux problèmes de notre temps.

Peter Haggett, traitant de la prévision, fait le point sur les outils, tant conceptuels que méthodologiques, de l'analyse prévisionnelle. On lira cet article comme une mini-encyclopédie et comme illustration parfaite de l'esprit néo-positiviste : exceptionnellement utile, mais sans ouvrir d'hori- zons vraiment nouveaux, contrairement à celui de William F. Garrison.

Préoccupé de prospective plutôt que de prévision, ce dernier essaie de phi- losopher sur les futurs possibles et les conditions que doit remplir le géo- graphe pour contribuer de manière significative à leur création. En fait l'un des initiateurs de la révolution quantitative (il dirigea les travaux de Brian Berry), Garrison reconnaît que ce type d'analyse semble avoir épuisé les ressources de l'empirie et réclame des nouveaux géographes qu'ils refassent une place à l'imagination créatrice. On découvre alors que presque tout ses collègues co-auteurs de Directions in Geography en ont fait autant, de façon plus ou moins explicite.

Du didactique à l'éthique

On ne s'étonnera donc plus, en abordant le chapitre consacré à la didactique, de voir l'un des deux auteurs de Spatial Organization, The Geographer's View of the World, ouvrage « néo-positiviste » entre tous, réclamer à son tour l'imagination au pouvoir, comme fondement — nous n'exagérons qu'à peine — de la problématique géographique. Dans un texte fort symphatique, Peter Gould demande aux professeurs doués de curiosité intellectuelle et d'une part suffisante de modestie, d'imaginer qu'ils puissent apprendre quelque chose de leurs étudiants. Si ce point capital était acquis, on pourrait peut-être chercher à réinventer avec eux des programmes de géographie bien plus féconds. Il faudrait avant tout Qu'ils apportent aux étudiants les fondements théoriques (malheureuse- ment Gould en reste, pour l'essentiel, aux seuls modèles de l'analyse spa- tiale, simplifiée de surcroît : Von Thunen, Weber, Christaller, etc.) et méthodologiques (épistémologie, mathématiques et statistiques, cartogra- phie et informatique... en bref le contenu de Spatial Organization) néces- saire à l'étude scientifique des distributions spatiales. Cet acquis théorique et méthodologique leur permettrait alors, à l'occasion des cours et des séminaires, de se « faire la main géographique » sur des thèmes de leur choix. On abandonnerait donc les cours maintenant traditionnels de la géographie systématique, qualifiés de « désinspirants » (géographie des

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transports, géographie urbaine, etc.) au profit de thèmes générés non plus par l'idéologie de la discipline mais plutôt par l'imagination disciplinée des professeurs et des étudiants. Ensemble, armés de modèles généraux et d'outils de travail sophistiqués (calcul différentiel et intégral, algèbre linéaire, ordinateurs) ils perpétueraient (sans fin ?) la révolution.

Celle-ci serait sans doute préparée dès le niveau du collège, si l'on en croit le bilan que Robert Mc Nee nous fait du renouveau géographique anglo-saxon au niveau secondaire. Le High School Geography Project de l'Association des Géographes américains est à cet égard significatif : grâce à l'application du principe de « l'apprentissage par la découverte », qui traduit en fait la fusion de la recherche à l'enseignement aux niveaux pré- universitaires. Faute d'avoir directement accès au High School Project lui- même, étudiants et professeurs francophones devraient prendre con- naissance de ce texte.

En attendant, ils s'interrogeront sans doute sur la validité de la propo- sition de Peter Gould. Si elle était acceptée, elle entraînerait — et cette fois pour de bon — une révolution authentique. C'est bien pourquoi elle risque de faire hurler tous ceux qui croient encore que la géographie « a » un objet spécifique, qu'elle « e s t » plus qu'un, point de vue. L'on doit pourtant convenir, au fil des rencontres, des discussions et des lectures, qu'une question mérite au moins d'être posée quant à la validité de notre idéologie disciplinaire. Car il existe sans aucun doute dans chacune des disciplines du savoir une sorte d'idéologie, analogue aux autres formes d'idéologies déjà recensées et qui est liée aux rapports de travail et de pouvoir qui se sont noués depuis un siècle au sein de chacun des volets de l'industrie du savoir. C'est ce que montrerait sans doute non plus une

« archéologie du savoir », mais sa sociologie. L'essai que Peter J. Taylor (op. cit. supra) a récemment consacré à une interprétation sociologique du débat sur la quantification dans la géographie britannique est à cet égard fort convaincant. La révolution réclamerait que l'on commence par dénoncer la forme de domination qui s'appuie sur cette remarque facile, de nature hautement idéologique, et que l'on entend encore partout : « ce n'est pas de la géographie ».

Reste enfin le dernier chapitre, qui a déjà fait couler beaucoup d'encre. A son propos bien des nouveaux et anciens maîtres américains se sont « fâchés ». Il s'agit d'un article de William Bunge, le père de la géo- graphie théorique, converti au marxisme. Il traite des rapports entre Ethique et Logique. Découvrant qu'à l'heure où la survie de l'humanité est en jeu, il est « illogique d'être immoral », Bunge fait des enfants les membres les plus faibles de l'humanité, le référentiel des géographes, le fondement de leur choix politique. La géographie doit aider l'homme à se retrouver dans l'espace. Science menant à la découverte de vérités qui doi- vent être dites, — quel qu'en soit le prix à payer par celui qui les dit — elle est un véritable humanisme, qui pour être efficace doit s'armer de tous les outils appropriés, d'ordre théorique ou/et technique. Parmi eux, évidemment, la mathématique et l'informatique. Mais alors que Peter Gould disait que les cours régionaux étaient les plus difficiles à faire, Bunge nous appelle, quant à lui, non plus à faire des cours, ou des dis- cours, mais à construire les régions du futur. A côté de ce plaidoyer, on

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retiendra le double engagement, politique et scientifique, d'une géographie récusant comme extrêmement nuisible et théoriquement inadéquate la dichotomie entre géographie physique et géographie humaine, la volonté de travailler à ce « que la terre soit peuplée de régions heureuses ». Con- fus, irritant, contradictoire parfois, passionnant, le réquisitoire de Bill Bunge est généreux. C'est aussi, à lui tout seul, une caricature des contra- dictions d'un ouvrage qu'il faut lire, pour en débattre entre nous, avec nos étudiants, pour vite le dépasser, et ce à différents niveaux et pour dif- férentes raisons dont nous voudrions souligner en conclusion la portée générale.

Des fusils sans gibier ; la recherche d'une théorie dynamique

En fait deux idées générales peuvent être tirées de cet ouvrage où selon le mot de l'éditeur, « prolifèrent les attitudes et les objectifs », et au sein duquel il est difficile de retrouver un semblant de problématique com- mune que l'on pourrait qualifier de problématique de la nouvelle géogra- phie. Celle-ci à l'évidence n'a plus d'unité, ses postulats ont fait long feu et Peter Gould le sent si bien qu'une fois acquis les résultats théoriques fondamentaux de l'analyse spatiale et l'outillage analytique adéquat il accepte de voir les géographes se lancer dans n'importe quoi. A ce compte

— et selon le mot d'un des critiques américains de cet ouvrage — la géo- graphie risque bien de disparaître dans un « collectif d'idées et de techni- ques ». Le risque que la new geography conduise la discipline vers sa pro- pre dissolution ne peut être sous-estimé. Mais on peut se demander en revanche si l'effet est inéluctable.

A condition d'être mieux intégrées, les perspectives présentées par Directions in Geography nous sembleraient au contraire porteuses d'un riche et passionnant avenir. Grâce au noyau forgé autour du paradigme homme-milieu dans le nouveau contexte de l'analyse de système et mainte- nant qu'est acquise, dans l'esprit des géographes, la nécessité d'un traite- ment beaucoup plus rigoureux de l'espace d'une part, de l'information qui s'y rapporte d'autre part, la nouvelle géographie peut assurer un rôle renouvelé et beaucoup moins contestable au sein des sciences sociales et de l'environnement. Encore faudrait-il que les praticiens de cette géogra- phie moderne fassent la preuve qu'ils sont capables de tenir d'autres dis- cours que des discours sur la méthode, qu'ils sont capables de se donner des objectifs créatifs, utiles. A l'évidence et quoiqu'on puisse penser des textes d'un Garrison ou d'un Bunge, cet ouvrage n'en administre pas la preuve. Les problèmes de méthode, discutés indépendamment des objectifs auxquels les méthodes s'appliquent, paraissent bien artificiels. Le simple fait qu'aucune référence ne soit faite au courant que représentent aujourd'hui les géographes qui contribuent à la revue radicale Antipode, non plus qu'aux articles de David Harvey (son livre Social Justice and the City est contemporain de Directions in Geography) est significatif. Le plaidoyer évangélico-marxiste de Bunge ne tient pas lieu de problématique.

Il nous semble bien, quant à nous, que c'est faute d'avoir voulu poser les problèmes en termes réellement épistémologiques et axiomatiques que l'on

ANN. DE GEOG. LXXXVlle ANNEE 13

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194 ANNALES DE GÉOGRAPHIE

en arrive à un tel méli-mélo. On commence à s'en rendre compte. En Amérique, en France, en Suisse, divers travaux en cours essaient heureuse- ment d'en jeter les bases.

Reste l'apport fondamental de l'ouvrage, l'insistance explicite ou impli- cite sur le besoin d'une théorie dynamique, et ceci qu'il s'agisse d'étudier le thème de l'interaction homme-milieu ou les systèmes spatiaux. Les dif- férents auteurs stigmatisent une étude qui se confine trop aux seules configurations — l'essentiel il faut bien le dire, de l'analyse quantitative

— stigmatisent aussi l'emphase portée sur les seuls états d'équilibre.

L'idéologie écologique n'y est sans doute pas étrangère. Notre discipline doit à l'évidence se réorienter sur l'étude des processus, prendre en compte le temps et le changement, devenir en d'autres termes ce que Pierre George réclamait depuis maintenant plus de dix ans, une discipline

« active ». Une fois dépassés ses problèmes ontologiques, une fois retrou- vés des objectifs précis et cohérents, la nouvelle géographie nous paraît mieux armée que la géographie traditionnelle pour y parvenir. Encore faut-il que ses préoccupations de méthode s'inscrivent dans une probléma- tique théorique à la fois pertinente et adéquate. A ce niveau la lecture de Directions in Geography, où chacun des auteurs en arrive à définir sa dis- cipline, en des termes épistémologiquement fort différents, est pour le moins décevante. Notre discipline va-t-elle enfin, conformément à l'évolu- tion normale de toutes les sciences, se chercher une axiomatique qui per- mettrait de l'ordonner ? Les épistémologues considèrent comme normal les quatre phases par lesquelles passent toutes les sciences : la phase empiri- que, inductive, théorico-déductive, axiomatique enfin. Nous voulons croire qu'avec la deuxième moitié des années 70, cette quatrième phase sera sérieusement abordée, parallèlement au renouveau des problématiques cri- tiques. Car il faudra dépasser le stade de la critique implicite. La transpa- rence scientifique réclamera toujours que l'on se donne les moyens de l'explicitation. L'axiomatique en est le moyen par excellence. Mais à cet égard, tout est encore à faire.

Jean-Bernard RACINE et Claude RAFFESTIN

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