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Un réalisme introuvable

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Un réalisme introuvable

ENGEL, Pascal

ENGEL, Pascal. Un réalisme introuvable. In: confrontations philosophiques. Paris : Ed. de Minuit, 1986. p. 150-172

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:5053

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(2)

Berkeley Vol. I, 628 p.

Philosophie et apologktique 7 vol. 2, 23 1

+

63 p.

J O H N FOSTER Londres, Routledge & Kegart Paul:

The Case for Idealism 1982, 309 p.

Le docteur Johnson << rCfuta

>,

Berkeley en envoyant un coup de pied dans un caillou. Peirce Cvoque un idkaliste qui nie le monde exekrieur et descend Regent Street tout en medieant ka sottise de la probatio ambulandi, quand soudain il reqoit en pleine figure le poing d'un ivrogne qui passait par la, Iui rappelant inopinkment cette experience de la dualit6 dans la sensation qui selon Peirce est tout ie contenu de la th&se rka83sre (I). Pourearat Berkeley lui-mCme se dCfendait de Souteniff des thkories coupables

&extravagance ou de scepticisme, et dCclarait cr se ranger en toutes choses du c6tC du peuple D (2). Pour P'immatCrialiste, il ese vrai i2 Ia fois que (( les hommes meurent el: son annibilks plusieurs h i s par jour

),

et que (< le mur est blanc, ie feu est chaud )>. C'est que le conflit entre ses propositions et celles du sens commun n9est qu'apparent, et provient d'une mCsinterprCtation philosophique du langage commun. Une fois qu'on aura analysk ce que ce dernies veut vraiment dire, rien ne nous opposera plus

A

lui. Et Berkeley ne cesse de retourner contre ses adversaires nnatkrialistes les accusa- tions qu'ils lui adressent : c9esr la ehkse de la realit6 de la substance matkrielie qui esc dClirante, ee c'est sa thkorie qui constime le meilleur rempaa conere le scepticisme (3).

G. Brykman montre que Berkeley h t , plus que d'autres, le vrai prkcurseur de cette mkthsde philosophiqiue d'di examen serrk >) du

( I ) Collected Papers, Hamard, 1955, 5.539.

(2) I side in all things with the mob ny Cahier h notes3 A. 405, citC par 6, BIIYMN, p. 109.

( 3 ) B R Y ~ I N , p. 37 1.

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sens des mots qu'on a appelke (( analytique D, et qu'il fut Sun des premiers praticiens de cette analyse (< thkrapeutique D, qui corrige fes maladies de Sentendement philosophique tout en (< laissant les choses en l'Ctat ,b (4). Le problkme est que les philosophes qui grCtendent ainsi retrouver le vrai sens des propositions communes tout en Cmettant des thkories qui sont en dksaccord avec celles-ci h la latre doivent payer le prix du peu de plausibilitk de leur thCories.

C9est vrai de SidCalisme comme du realisme. Un rkaliste qui, par exemple, irait jusqu9h admettre que les trous du gruytre sont des entitks tout aussi skelles que le gruyere lui-m6me, devrait jusdfier ses opinions par des attendus complexes quant h ce qu'il faut entendre par (( trou D ((5). 6. Bnykman analyse chez Berkeley cette coexistence conflictuelle entre la philosophie, qui demande qu90n aille jusqu'au bout des thkories que I'on avance, et l'apologktique, qui temptre et guide A la fois des opinions qu'il ne sied pas

A

un kv@que de dCfendre a tout prix. Son livre, qui est Sun des examens les plus serrCs de la philosophie de l'keque de Cloyine dont nous disposions ce jour, montre que cette cleuvre n9est ni statique ni le produit d'une kvolution constante, mais qn9el!e cornporte des stratifications d'ClCments constants et de ruptures par rappoa .l la these initiale de I'i~matCrialisme, Un CvCque, comme disait Luce, ne change pas d'avis, et doit en tout dkceler la m a r w e de I'agent divin. Pour le philosophe, il n9en est pas de meme. Ses thkories, comme le suggkre David Lewis, sont des opinions, qu'elles soient en accord avec le sens commun ou qu'elles soient sophistiquCes. Sa tsche est de trouver un Cquilibre et d'kaluer le prix pay6 pour telle ou telle d'entre elles (6). Finalement, Berkeley abandonna la these immatkrialiste, et revint 2i son point de dCpart apologktique : <( Tout le monde peut se tromper B, lit-on au terme de la Si&* Ce qui demeure pour nous n'est pas une thkorie qu'on devrait ranger au catalogue des grandes erreurs, mais la recherche conceptzaelle du point d'kquilibre e n r e Cvidence et sophistication. La recherche de cet Cquilibre passe par YClucidation constante du fameux principe qui fait la base de la doctrine immatkrialiste : esse estperdpi En gros la doctrine, telXe qu'elle sera exgosCe dans les P~r'ne$es de Iu connaissunce humaine, consiste en deux plaases, l'une nCgati~re et

(4) BRYKMAN, p. 287-8, donne une serie d'analogies entre les positions de Berkeley et celles de Wingenstein.

(5) D. LEWIS, ct Hoies ,,, in Philosophical papers, t. I., Oxford University Press, 1983, p. 9.

(6) LEWIS, ibidedem, p. 000.

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tene, que personne ne peut observer : <( S i nous nous trouvions placCs dans telles ou telles conditions, en une certaine position, et k certaine distance i la fois de la terre et du soleil, nous percevrions que celle-li se metat dans le cheur des planktes et, i tous Cgards, parait en Ctre une. a (17) Berkeley suggkre dans ces passages que c'est la vCritC des CnoncCs conditionnels contrefacmels portant sur nos perceptions hypothCtiques dans des circonstances diffkrentes de celles qui suniennent acmellement, qui constime l'existence du monde physique. De telles formules feraient de Berkeley un phCnomCniste (( dispositiomel>) ou (( coneefacmel)) au sens contem- porain, dans la mesure ou les dkfenseurs contemporains de ceue position la font dCpendre de la possibilitk 8interprCter les CnoncCs portant sur nos sensations et sense-datas possibles (une fois, bien sir, effecruCe la traduction du langage <( substantialiste >) concernant les choses qili nous apparaissent en un iangage podant uniquement sur des sense-datas (18). Ailleurs, Berkeley ne cherche pas simplement a garantir l'existence de choses anon perpes en termes de dispositions k percevoir, mais plut6t en termes de dispositions agir : (( Pour Ctre stirs et cesains de ce que nous ne percevons pas acmellement (je dis percevoir et non pas imaginer) nous ne devons pas &re complktement passifs, il doit y avoir une disposition

a

agir. >> (I 9) De tels passages ont un Ccho pragmatiste : c'est le fait gue nous agissons qui assure la liaison des apparenices et la continuit6 d'un monde extCrieur i nous. En ce sens, la doctrine de Berkeley serait, comme le suggkre Foster, une forme de rCductivis- me : 3 admecrrait l'existence d'un monde physique, mais le rkduirait une rCalicC ultime de nature eeatikrement mentale. I1 admettrait que les entires physiques et les fairs physiques sont le produit logique de l'ordre sensoriel. I1 ne nierait pas le caractkre ultime du monde physique, mais soutiendrait que l'expkrience humaine se~~sorielle et le systkme de lois naturelles que Dieu nous

(17) Principes de la connaissance humaine $ 3, $58, citC par BRYKMAN, p. 150 (cf. Cgalement Foster, p. 22-23), cf. Cgalement les passages cites par BRYKMAN, p. 349.

(18) B R Y ~ , p. 348-350, qui cite par exernple AYEK, Language, truth and logic, 1935, 1971, London, p. 86-91, et les analyses de 9. BENNETT, Locke, Berkeley, Hume, Central thenzeq Oxford 1371, p. 135-139. On regretters neanmoins que G. BRYKMAN, n'ait pas foumi ici un expos6 plus complet des positions conremporaines.

(19) Cahier de notes, A, 747, citC par BRYKMAN, p. 137 (cf aussi p. 141).

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impose suffit pour Ctablir la vkritk de nos croyances quant au rnonde physiqlue (20).

Ce n'est cependant pas la position qu9adopte Berkeley en dernikre analyse. D'une part, l'admission d9un phCnomCnisme dispositionnel bien compris devrait nous dispenser du recours B la perception divine. Mais Berkeley n'y renonee pas : son phCnomC- nisme, selon I'expression de Brykman, est (< thkocentrique B (21).

D'autre part, iil s'en tient en definitive ic la version dure de sa doctrine, selon laquelle les objets physiques se rkduisent B des collections d'idees qui sont des perceptions actuelle% et non pas possibles. C'est ce qui apparait nebtement dans son traitement du problkme de I'intermibtence :

a On objectera que les principes prkckdents impliquent que les choses sont a tout moment ankanties et recrkkes de nouveau. Les objets des sens existent seulement quand on les per~oir ... Je ferme les yeux : tout le mobilier de la piece est rkduit B nkant ; il me sufit d'ouvrir les yeux pour les ressusciter. B (22)

Berkeley aurait pu repondre ici, comme le note Brykman :

cr Mais en rCalitC? selon mes principes, les choses existent quand personne ne les perqoit.

),

Or au contraire, il nous renvoie h nouveau son principe : on ne peut dkfinir I'edstence des choses en dehors de leur perception actuelle par quelqu9un, et il fait dependre la crsyance inverse Be la doctrine des idkes abscraites (23). I1 y a tic un conflit qui n'est pas simplement un conflit d'interprktation : rr Tout l'immaterialisme est wavaillk par une contradiction entre le monde cornme Ctat de conscience (En the mind) et le rnonde comme entikrement distinct de l'esprit, ce qui n9est autre que le conflit entre la visCe philosophique et la visCe apologktique. )) (24) Les comrnen- tateurs qui parlent en ce sens d'un (( realisme D de Berkeley n'omt donc pas totalement tort, quand ils se rCf5rent B la distinction entre

(20) FOSTER, p. 26. Le pragmatisme (celui de Peirce) n'esr pas un phknomknisme, mais comme ceiui-ci il insiste sur le fait que I'expkrience doit pouvoir s'exprimer sous forme de conditionnels contrefactuels.

(21) BRYKMAN, p. 351.

(22) Pnncipes de la connazssance humain~j $ 45, citk par BRYKNIAN, p. 392.

(23) BRY-WN, p. 392 ; FOSTER, p. 27, remarquent kgalement que Berkeley s'en tient B la version (( dure )) (hard line) de la doctrine du esse eseperctpi Cf. plus bas.

(24) B R Y ~ ~ N , p. 349.

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l'esprit et ses idCes. Mais ce genre de diagnostic est toujours propre

a

susciter des reactions comme celle de Peirce :

(< I1 est clair que lorsque Berkeley dit que la rkalitk consiste dans la

connexion de l'expkrience, il ne fait qu'utiliser le mot rkalite'en un sens si lui. Que I'indkpendance d'un objet par rapport d la pensbe qque nous en avons soit constituke par sa connexion avec l'expkrience en gknkral, c'est quelque chose qu'il n'a jamais congu. Au contraire, il faut y voir, selon lui, I'effet de la prksence de certe connexion dans l'esprit de Dieu. Au sens usuel du mot rbalitt; par conskquent, la doctrine de Berkeley est que la rkalitk des choses sensibles rkside seulement dans leurs archetypes au sein de I'esprit divin. C'est platonicien, mais ce n'est pas rkaliste. B (25)

cc Realisme B et cr idealisme N font partie de ces terrnes vagues que I'sn utilise souvent par paresse pour n'avoir pas a entrer dans les eaux troubles d'une dkfinition. En premier lieu, on n'est gas sealisre cc tout court n, mais relativement

a

un dsmaine donne : relativement aux objets mathematiques en philosophie des math&

matiques, relativement aux universaux en ontologie, relarivemeat au monde extkrieur en philosophie de la connaissance, relative- ment aux valeurs morales en Cthique, etc. I1 n9y a pas de raison de supposer qu'une forme de rkalisme en entraine une autre (que quelqu9un qui croit la realirk d90bjets mathkmatiques croir: i, la rCalitk des valeurs morales par exemple), et on ne voit pas bien en quoi consisterait le fait d ' k e rkalisce dans tous les domaines, bien qu90n puisse montrer que le realisme dans un domaine pa~iculier n'estpas compatible avec le rCalisme dans rm autre domaine, et qu9il soit peut-etre possible de n'Ctse realiste dam tlucun (je nre sais pas si ce qu90n qualifie d'idkalisme << absolu )> entre dans cette catkgorie) (26). Une dkfinition gCnCraPe semble impossible, bien que ce dernier point incite a envisager les interdependances. Aprks tout, comme le remarque Vuillemin, l'intelligence philosophique com- mence I;i oia la synthkse met des dkterminations inrrinskwes en relation avec un principe et <( assigne ce qu90n pourrait appeler les

(25) PEIRCE, (( Review of Fraser's The Works of George Berkeley >>, 187 1, Collected Papers, 8.7.38 et Writings of C.S. Peirce, a chronological edition, vol. II, p.

480, Bloomingon, Indiana, 1984. Pour une cornparaison systkmadque des thkses de Peirce et de Berkeley> cf. C. ENGEL-TIERCELIN, (< Peirce lecteur de Berkeley * (si paraitre), a qui je dois la rkfkrence ci-dessus.

(26) La substance de ces remarques esc ernpruntke si Dumanett, B e int~@rpfation of -Erege3 ppk?ii'.scphy3 Ducb.iefih, Londcs 1981, p. 432 (cL a s s i

<(The reality of the past n, in Tmth and other enignzq Duckworth, 1978).

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rksonances des notions >) (27). Ainsi le realisme quant au monde materiel semble aller de pair avec le rCalisrne quant aux entitCs thkoriques dans les sciences, le realisme quant aux nombres avec le rkalisme quant aux objets abstraits. Dans chacun de ces secteurs, Berkeley n'est-il pas un idealiste ? Tout critkre qui viendrait unifier ces rCsonances est bienvenu.

On sait que Dummelt en a proposC un. Selon lui le rkalisme ne porte pas sur des classes d'entites B proprement parler, mais sur des classes d'6noncCs. On est rkaliste relativement B une classe donnke d'CnoncCs si Yon accepte Ie principe selon lequel chaque knond de cette classe est vrai ou faux. Conversement Ctre anti-realiste (c9est le terme que Dummect prCfkre h celui d9idCalis- me) c'est admettre la possibilitk que certains CnoncCs ne soient ni vrais ni faux. Le rkalisme est donc une these semantique, qui dkpend de 19adoption ou du rejet du principe de bivalence (28).

Bien que Dummett endosse parfois cette formulation, elle n'est cependant pas suffisante, parce qu'il peut y avoir des raisons varikes, dont on ne voit pas ce qu7elles ont B voir avec le problltme

$U realisme, de rejeter la bivalence (par exemple, si 1'011 soutient, avec Strawson, que les CnoncCs 06 figurens des termes sinpliers sans rCfCrence ne sont ni vrais ni faux). En fait le realisme n'est, sdon Dummen, une these concernant la notion de veritC que si cene notion est rattachCe A celle de signification. Etre realiste, relativement B une classe d9CnoncCs c'est : 1) faire rCsider la signification de ces enonds dans leurs conditions de vCrit4, et 2) miter ces conditions de v6ritC comme indkpendantes de notre pouvoir de reconnaitse ces CnoncCs comme vrais ou faux. L9anti- rbaliste3 au contraire, fait dCpendre la vkrite ou la fausset6 des CnoncCs de la reconnaissance de la vkritk ou de la fausset6, c'est-A-dire de la ~Crification (29). Une telle conception conduit B un rejet de la loi de bivalence, si nous pouvons envisager des circonstances dam lesquelles, pour un CnoncC donnC, ni les

(27) J. VUILLEMIN, Nkcessitd ou contingencq Minuit, 1984, p. 357 (j'adapte quelque peu la citation au prksent contexte).

(28) Cf. les rkfkrences de la note 26, ainsi que ((Realism P, Synth$se, 52, 1982, p. 55-112. Voir j. BOWERESSE, B Frege, Dummea, et la nouvelle querelle du rkalisme N, Critique, oct. 1980.

(29) DUMETT, The interpretation of Frege's philosophy, p. 441 : c( Le realisme proprement dit, concernant une classe donnee d'enonds consiste dans Sacceptation, pour ces knoncks, d'une thkorie de la signification vkricondition- nelle se fondant sur une sCmantiwe c!ass-icpe B deux vale~rs. ,, I)iimmeti crCdite Frege de I'invention de ce critkre.

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conditions de vCritk, ni les conditions de faussetk ne peuvent &re ktablies. Car dans ce cas, on ne pourrait pas comprendre ce que c'est, pour un CnoncC donne, qu'ktre vrai ou faux (30).

Le critkre de Dummelt s'appliqiue en premier lieu aux theories de la signification, et il a pour but de dkpartager deux conceptions rivales de ce que c'est que comprendre un langage : celle, rkaliste, pour Iaquelle (( le sens transcende l'usage D, et celle <( vkrificacionnis- te ),pour laquelle le sens ne peut pas transcender l'usage (3 1). Mais c'est aussi une pierre de touche du rkalisrne en gknkral, s'il esc vrai que l'on est realiste ou anti-rkaliste quant a la sipification avant de SCtre dans d'autres domaines. Or ici les claoses sont rnoins claires, parce que si Son voit bien comment le critere de Dummeet peut s9appliquer h la philosophie des mathkmatiques, par exemple, et h la controverse qui oppose cc platonisme )) et cr constructivisme D dans ce dornaine, il est beaucoup plus difficile de voir en quoi il peut s'appliquer ii I'opposition elassique esltre rkalisme ec nomindis- me dans le problkme des universaux, ou a l'opposition qui nous occupe principalement ici, entre le realisme et l'idkalisme quant I'existence du monde extkrieur ( 3 2 ) Cerres Dummett admet que d'autres considCrations que ces considkrations purement skrnanti- ques peuvent entrer en jeu quand il s'agit $6: dkcider si une thkse est realiste ou non. 11 evoque, en parriculier, des considerations propres ki la theone de la connaissance : (( La sipificadon esr, en dkfinitiv~ une question de connaissance. La signification d'une expression est ee qu'un locueeur doie savoir s'il est $it comprendre CeKe expression. La thkorie de la signification pour un langage skvkle ce que chacun doit savoir, s'il est dit savoir, ou &re capable

(30) a The reality of the past ,, op. cil., p. 329-240.

(3 1) Sur ceue faqon de prksenrer le contraste, cf. C. Mc GINN, <( Tmth and use D, in M. Platts ed., Reference, truth and real& Routledge and Kegan Paul, 1980 p. 000.

(32) Comme on l'a souvent remarquk, 1 n9est pas surprenant que le critgre de Dummetr s'applique principalement a la philosophie des mathCmatiques, puisque sa formulation s'inspire dans une large mesure de l'opposition entre I'inmitionnisme et le platonisme dans ce domaine. Concernant le probikme des universaux, I'opposirio~ proposke par Dummert est de prime abord plus dClicate a appliquer, puisqu'il y a traditionnellement non pas deux mais trois positions en presence : nomina!isme, rkalisme et concepmabisme. Ee nominaliste est certes (( anti-rCaliste ,)quant aux universaux, mais on ne voit pas en quoi il aurait i rejeter la loi de bivalence (les CnoncCs portant sur les particuliers sonr vrais ou fatux). En fait !a positio~. propre de Demrnett se rappmcheraix pigt8t du conceptualisme, qui correspond mieux a I'anti-realisme tel qu'il le definit.

(9)

de parler, ce Iangage.

,>

(33) Mais mCme si Yon admet ce demier point, ce sont 18 des considCrations cc Cpist6mollogiques >> en un sens bien particulier : il s'agit de savoir si le fait de connaitre un langage est une forme de connaissance, et nulle part Dummett ne renonce a la thkse, qu'il attribue a Frege et 6 la philosophie analytique en gknkral, selon laquelle la philosophie du langage doit prendre le pas sur la philosophie de la connaissance (et I'ontologie). C'est la bien sGr la question principale que soulke la manikre dont Dummett pose le problkme du rkaiisme : est-il possible que, d la limit4 l'examen du problcme du rkaiisme er de l'anri-rkalisme en thCorie de la signification puisse se substimer

a

l'examen du problkme du rkalisme et de I'idkalisme en thCorie de Ba connaissance et en mktaphysique ? Une manikre intkressante dyaborder cette question consiste ti se demander si le critkre de Durnrnett peut s'appliquer

a

la philosophie de Berkeley. Autrement dit 19idCalisme berkeleyen est-il une forme d'cr anti-rkalisme )> ?

La rCponse est, de prime abord, positive : non seulement Berkeley tient l'analyse de la signification comme la source premi&re des conclusions metaphysiques, mais encore il dkfend une thkorie de la signification explicitement ~Crificationniste. Tout YimmatCridisme repose sur la thkorie du sens des mots. Ceue thCorie a d'abord une fonceion critique : notre croyance en I'existen- ce d'un rnonde matCriel indCpendant de la perception que nous en avons << dkpend de la doctrine des id6es abstraites

>,

: nous croyons (influencks en cela par nos croyances philosophiqzkes, et non pas, seion Berkeley, par nos croyances communes, qui s'accordenr, comme on l'a vu, avec l'immatkrialisme) que les objets sensibles ont une existence distinae de la perception, et nous croyons qu'il existe une substance matkrielle, ktendue, porteuse de tr qualitCs premikres >> abstraite des collections de sensazions. Cet usage du mot ct existence >) et du mot t< matikre N est cc dkpourvu de sens n et

ct contradictoire )> non seulement parce qu'il n'y a pas d'idCes abstraites de ce genre, mais aussi et sustour parce qu'aucun mot n'a

(33) (( Realism )), op. cit., p. 106. Cette formulation elle-m&me n'est pas neutre par rapport a I'opposition entre rkalisrne er anti-rkalisrne en thkorie de la signification, car tout depend jusqu'g quel point on est prkt i aadmettre que comprendre un langage demnnde de la part des locuteurs une connaissance des conditions de vkritk des phrases du langage en question. Selon le modkle rkaliste rival de la comrktence lmrmistisue ces conditions de vCri-ia-&

-

- . sont independantes de la canr?~i~sance q ~ e nous m zvi-na, et en ce sens les

(< considkrations kpisrkmologqes n n'entrent pas directernat en cause.

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le pouvoir de dksigner de telles idkes. Le sens &un mot ne peut Ctre qu'une idke, c'est-A-dire une expkrience meneale particulikre. En ce sens la skmantique de Berkeley est explicitement mentaliste en mCme temps qu'elle est vkrificationniste : c( les mots doivent toujoun pouvoir Ctre mis en correspondance avec une expkrience particulikre et les expkriences c( Be mCme sorte N que ces mots peuvent suggkrer A l'esprit. )> (34) cc Chasser la matikre de la nature

),

c'est avant tout chasser le sens erron6 du mot << matikre w.

Le vkrificationnisme en thCorie de la signification est donc le corrklat du phCnomknisme en thCorie de la connaissance : de la mCme facon qu'un objet se rkduit

A

Ia collection des percepfions actuelles que l'on en a, les rCfkrents des mots se rCduisent A la collection des idCes acmelles qui constituent leur sens. Comme le note 6. Brykman, l'interdependance entre ghCnomCnisme et

~Crificationnisme est si Ctroite que c'est prCcis6ment parce qu'il soutient que les mots n'ont de sens que s9ils peuvent &re mis en corrClation avec une expkrience mentale particulikre que Berkeley refuse le phknomknisme dispositiomel ou con~efactuel des contem- porains : un mot ne peut dksigner un ensemble de perceptions futures ou possibles. En se sens, la matihe ne peut pas Ctre, comme le soutiendra Mill, < < m e possibilitk oermaneste de sensations D

(3 51

Ce vkrificationanisme suffit-il B faire de Berkeley un anti- rkalisme au sens de Dummeu ? Non, et ceci pour deux raisons. En premier lieu, si Berkeley soutient que tousles CnoncCs portant sur des objets peuvent Ctre rCduits

A

des CnoncCs portant sur des perceptions acnrelles, il est bien vrai qu'il est anti-rkaliste relative- ment A la classe de Cnoncks (< rkduits >), puisque celae rkduction lui permet de dknier l'existence des objecs sur lesquels ils portent (l'existence se'pare'e de ces objets), mais il n'est pas anti-rCaliste au sens de Dummet2; puisqu'il declare que 1) Ies Cnoneks assertant l'existence d90bjets matkriels sont fau% et 2) que les knonces phCnomCnistes (( traduisant B ces derniers Cnoncks sont vrais. En d'autres terrnes, de deux choses 15une : ou Berkeley affirme la faussetk de rous les CnoncCs portant sur des objets physiques pour

(34) BRYKNLAN, p. 294. On a 18 un Cquivalent du principe de vCrifiabilic6 empirique des positivistes lo@ques, cornrne le souligne 6. BRYKMAN, en renvoyant a AYER.

Elle analyse avec une gande minutie tout ce que cette critique de i'absrracrion doit ?L o c k i Cf cli. Vl.

(35) BRYKMAN, p. 352 ; fa refkrence B Mill est p. 352, note 83.

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affirmer la vCritC de tous les CnoncCs portant sur des objets mentaux (des idCes), et dans ce cas il affirme que la rCalitC uleime est purement mentale (n'existe que <<in the mind B), ou il est pr6t i admettre qu'il y a une rCalit6 physique, mais que les CnoncCs qui la dCcrivent sont rkductibles B des CnoncCs portant sur une rCalitC mentale. Dans chacun des cas, Berkeley est un rCaliste, parce qu9il admet le principe de bivalence qui selon Dummett en est la pierre de touche. I1 faut distinguer deux formes de realisme : le rCalisme mentaliste selon lequel il n9y a pas d'objets matbiels, mais seulement des objets (( rnentaux )>, et le realisme rtfducliviste selon lequel il y a des objets matkriels, mais qui se reduisent B des objets perqus. Chacune de ces thkses passe le test de Dummett : qu'on rCduise ou non les CnoncCs (( objectuels )>, ces CnoncCs sont vrais ou faux (3 6).

On aboutirait donc au rCsulrat paradoxal que Berkeley est un rkaliste. Geci n'est en fait pas aussi surprenant que cela pourrait le paraitre au premier abord, si 190n garde en mCmoire le conflit produit au sein de sa philosophie entre ce que nous avons appelC avec G. Brykman le phCnornCnisme et le thi.ocentrisme : d'un c6tC les choses sont dans notre esprit, de l'autre elles sont dans l'esprit divin. Cette dualid ou cette coexistence des deux thkses ne font que se reproduire au plan skmantique. Tout se passe en fait comme si la fonction de l'esprir divin Ctait de relayer le vkrificationniste qui vaut au plan de I'esprit humain : m6me le i( realisme

,)

des archCypes dans l'esprit de Dieu est une forme de vkrificationniste ideal, Dieu seul pouvant verifier les secteurs de la rCalitC inaccessibles B l'esprit humain (37).

Tout ce qui prCskde suppose que Berkeley affirne effective- ment que les CnoncCs portant sur les objets markriels sont faux, ou qu'ils peuvent Ctre traduits de faqon phCnomCniste. Mais pour

(36) S'il est rkductiviste, Berkeley serait ce que Dummett appelle un

(( rkaliste sophistiqui: ,, (a Realism ,), p. 76), c'est-&-dire que s'il n'est pas rkaliste quant a la classe d'knoncks reduits par la t h b e phenomeniste, il I'est neanmoins quant a la classe des 6noncCs rkducteurs, qui sont nkcessairement vrais. Sur la dualitk du realisme et du reductivisme chez Berkeley, cf plus bas.

(37) Je dois ceue formulation de la thkse du (< vkrificationnisme idkal), i la discussion de Gareth Evans, The varieties of reference, Oxford 1982, p. 94 :

<( Dummett pense que le rkaliste est oblige de baser sa thCorie de la penske sur

des fondations vkrificationnistes, en adaptant les envolkes les plus lointaines de la penske (ou de l'imagination) humaine en nous permettant de former la conception de prockdures de vi:rification approprikes a nos penskes effectua- bies par des Ctres dont ies pouvoirs exckdent les nbtres. x

(12)

dCveloppk3 eomme I'one fait les phknomknistes contemporains, une thCorie du sens des phrases, et une thCorie de l'analyticite' et de 1'identite' de signification qui permette d9envisager Bes rkductions en question (on sait que c'est prCcisCment sur cette question de la synonymic des CnorncCs ~Cducceulrs par rapport aux Cnoncks rkduits que les traductions phCnomCnistes contemporaines onr achoppC).

11 est vrai, comme le rnontre 6. Bryham, que sa thCorie de la signification n'est pas homogkne, et que de nombreux passages Iaissent encendre que les mots n'ont pas de sens en dehors de phrases dans iesquelles ils figurent. 6. B r y h a n souligne avec raison tous les textes, trks explicites, clans lesquels Berkeley lnsiste sur le fair que le but du langage n'est pas la simple communication des idkes, mais aussi la production d'une action sur l'auditeur, par le biais des intentions exprirnkes. %l y a 'li l'kbauche d'une thkorie des actes de langage au sens rnoderne, mais elle n'est pas suffisante ni suffisarnment dCveloppCe pour permeetre de dire que Berkeley serait a116 au-$el& d'une conception purement mentaliste du sens cornme sens des ?no&* Dans ce domaine, il est rest&, comme le $it G. B r y h a n , enrCmement classique (38).

I1 reste une dernihre possibilitk qui permerrrait de faire de Berkeley un anti-rCaliste au sens de Dmmmett. II suffirair, pour cela, qu'il air ripudiC le principe de bivalence relativement aux Cnoneks

(38) Par exemple : (( La communication des idkes exprimkes par les mots n'est ni 12 seule, ni la principale fin du langage, comrne on le pense ccuramment. I1 y a d'autres fins, cornrne d'kveiller nne passion, d'engager I'action ou d'en dktourner, de placer 19esprit dans une disposition particulikre ; dans de nombreux cas, la premikre fin indiquCe est entikrement subordonnee a celle-ci et parfois, on la nkglige complktement quand on peut l'obtenir sans son aide. P (P~ncipeq Introduction 520, cite par B R Y ~ ~ A N , , p. 309). BRYKMAN compare Cgalement la cheorie du sens des mots comme communicarion d'intentions qui se trouve explicitement chez Berkeley, avec la thkorie contemporaine de Grice. Cf p. 299. Sa difinition de l'esprit comme essentiek- ment actif predisposait certes Berkeley a de telles analyses, qui ont une tonaliti.

moderne evidente, et qui font qu'il n'est pas absurde de voir en lui le prkcurseur de la thCorie des actes de iangage. Je ne vois cependant aucune raison d'assimiler, c o m e tend B le faire B v h a n , sene thiorie berkeleyenne du sens comme usage, avec une adoption du principe fregCen de contextualit&, selon lequel un mot n9a pas de sens en dehors d'une phrase (BRYW, p. 255, vol. I, et p. 93 vol. TI). Comme elle le note elle-mCme, le sens demeure chez Berlceley la manifestation d'une occurence mentale privke, et non pas d'un processus objectif public.

(13)

portant sur les objets matkriels, et dCclarC cgue de tels CnoncCs ne sont ni vsais ni faux, mais vagzles. Or dans certains textes il s'approche beaucoup &une relle formulation, quand il entend dire que la notion de matitre est d k p o u m e de sens au point que l'on me sait pas de quoi on parle :

Maintenant, dit l'hilonous, dans ce que vous appelez le sens obscur et indefmi du mot matiire, il est clair, de votre propre aveu, qu'il ne se trouve aucune idCe du tout, aucun sens except4 un sens inconnu, ce qui est la mkme chose que l'absence de sens. N'anendez donc pas que je prouve qu'il y a contradiction entre des idCes 19 oh il n'y en a aucune ; ou que je prouve I'impossibilitt de la matiere prise dans un sens kconnu, c'est-&-dire dans un sens qui n'en est pas un. Mon affaire ttait seulement de rnontrer que vous ne signifiez

en,

et cela, vous avez CtC conduit & le recomaitre. En sorte que, dans toutes vos significations varikes, il vous a CtC montrk: soit que vous ne signifiez rien du tout, soit que, si vous signifiez quelque chose, cYCtait une absurdit& N (39)

En d'autres termes, les CnoncCs qui portent sur la substance matdrielle seraient invkrifiables, el: leurs conditions de v&ritk exckderaient nos pouvoirs de recognition. Mais dans d'autres textes, Berkeley arprnente autrement, et tient la notion de matikre pour contradictoire : les Cnoncks po~aral sur une substance matk~et- le n90nt pas seulement des conditions de vCrit6 inconcevables, mais ils somt nkcessairement faux (40).

Pour nous rksurner, le critkre de bum me^ est i la fois un bon et un mauvais rCvClateur de la nature des theses cr anti-rkalistes B.

C9est un bon r6v61ateur3 parce qu'il permet de vbifier, cornrne dans le cas Qe Berkeley, que ce que nous avons l'laabic-ude d'appeler

cc idkalisme * n'est pas une thkse homogkne, qui entrainerait I'adoption par un philosophe d9une ou de plusieurs thkses qui decouleraient comrne analytiquement d'un principe primitif. Mais c'est un mauvais rkvklateur parce qu'il brouille, comme le remarque Foster (41), les distinaiolns traditionnelles. Mous avons l'habitude

(39) Dialogues entre Hylas et Philonous, 11, (11) p. 225-226 (ed. Luce &

Jessop) cite par BRYKMAN,, p. 344.

(40) BRYKMAN, p. 341-45. Selon elle, le passage d'une argume~ltation & une autre indique, de 1713 9 1734, un abandon de la doctrine vkificationniste du sens des mots (p. 606). Berkeley Cvoque alors la distinction entre (( depourvu de sens B et (( contradictoire )) pour distinguer ce qui est au-dessus de la raison et ce qui lui est contraire, accentuant ainsi le tour essentiellement apologetique de sa doctrine.

(4i j FOSTER, p. 43.

(14)

de traiter la question du rkalisme et de l'idkalisme quant au monde p h y s i q e comme une question poaant sur Ie caractkre ultime, non rkductible, de la rCalitC physique par rapport a la rkalitk mentale. En bref, le rCalisme est, comme on l'a dit, une dbclaration H'inde'pendan-

ce, et Berkeley n'est certainement pas rCaliste en ce sens la. G'est pourquoi il est paradoxal de Ie tenir pour un rCaEiste soit parce qu'il veut rkduire la matikre des sensations actuelles, soit parce qu'il tient la <( rCalitC )) ultime cornme un archetype contenu dans l'esprit divin. Dans l'une ou l'autre hypothkse, que Berkeley soit, selon la terminologie de Fosten; un (( realiste mentaliste )) ou <( un phknomb niste rkductiviste )), il tient la rCalitC ultime comme dbpendante de l'esprit, et on voit difficilement comment on pourrait qualifier une telle position autrement que comme un idkalisme.

I1 n'est pas facile, cependant, de dttterminer la position finale de Berkeley. 6. Brykman montre de facon trks convaincante que l'oeuvre subit a la fois des k~olutions internes et des Cvolutions provoquCes par les critiques des contemporains. La traduction la plus Cvidente de ces Cvolution~s est ie silence que s9impose l'CvCque entre Les DiaEopes (1713) et I'Alcipbzron (1132). Ee Pivre de Brykman explore pas pas ceue pkriode (et apporte qumtitk d'informations neuves) q 9 e ? l e rCsume ainsi :

En 1732, le point qui est devenu le plus important,.. est de montrer que rien n'existe que Dieu - cause premikre - et des esprits de diffttrents ordres. En 1710, le plus urgent avair CtC de montrer que la matikre n'existait pas. Berkeley avait cru pouvoir le fake en cornbattant l'adversai- re avec ses propres armes et en utilisant la doctrine de la signification des mots la plus repandue. Cependant, I'immacerialisrne qui en resultair etait une arme i double tranchant : il menapit aussi bien la cc substance spirituelle a que c< la substance matkrielle )). Si donc la sagesse consistait i adapter les moyens aux fins poursuivies ... I'immaterialisme devait &re considerablement modifik, voire pass6 sous silence. Les intkrits de YEglise du Christ n'exigeaient certainement pas qu'on dispute B perte de vue sur le sens d'un mot. )) (42)

Comment Berkeley a-t-il pu en arriver l i (c'est-A-dire, comme le dit Brykman, revenir son point de dCpart) ? D'abord, comme on l'a vu, en raison du conflit interne la doctrine immatkrialiste, concernant le monde physique comme possCdant un double aspect, l'un << archksypal et &ternel >) (le rnonde tel qu'il est en soi,

(15)

comme objet interne de la perception de Dieu), l'autre (( ectypal ou nature1 >) (le monde tel que Dieu le crCe pour nous, par le contrdle qu'imposent ses volitions sur notre expkrience humaine) (43).

Cornme le $it tr6s bien Foster (qui rejoint en cela les analyses de Brykman), cc ce n'est pas que Berkeley accepte deux mondes physiques, I'un (Ie monde divin) devant $tre trait6 de rnaniere rtfalisrne (comme une entit6 ontologiquement primitive dans l'esprit de Dieu), et l'autre devant @tre constmit rkductivement (ou phCnom6- nistiquement, cornme quelque chose qui serait logiquement crCC par les conditions de l'expkrience humaine). Mais plutbt, il pense qu'il n'y a qu'un monde physique qui d la fois est, en tant qu'il est dans l'esprit divin, un constituant de la rCalitt5 ultime, et qui acquiert le statut d'un monde physique, c'est-&-dire d'un monde pour nous, en Ctant empiriquement exprim6 par les conditions de notre experience. >) (44)

Mais il Ctait trks difficile de concilier ces deux courants, ou ce double aspect du monde physique, h partir du moment oh il retenait les caractiristiques h la fois de la substance matkrielle et celles de la substance spirituelle. D6s le Cahier de notes, Berkeley Ctait aux prises avec cette difficult& quand il dkclarait que N Si les hommes mkprisent Setendue, le mouvement, et Ies sCparent de I'essence de S h e , c'est parce qu'ils s'imaginent que SCtendue et le mouvement sont distincts de la pensCe et peuvent exister dans uae substance non pensante. D (45) Comme le note Brykman, il est difficile dans ces conditions, de distinper le matkrialisme (par exemple de type spinoziste) de l'immatkrialisme. Si la substance pensante doit pouvoir elle aussi retenir les propriCtCs qu90n zrrribuaie i la rr,ati&re, et si les critiques qu'on adresse i la seeonde peuvent aussi @tre appliquees a la premiere, que devient la distinction matierelesprit? On ne serait plus tres loin de la doctrine dite du << monisme neutre )>> selon laquelle un seul type d'entitk constitue la rCalitC ultime, ir, la fois mentale et physique (46).

I1 fallait i Berkeley mainterair la substantialit4 de rime, et la

(43) Dialogues, ed. Luce & Jessop, p. 250-6, citi: pas Foster, p. 32.

(44) FOSTER, p. 32.

(45) Cahier de notes, $622, cite par BRYKMAN> p. 226, qui r h d e que toute la Siris pourrait &re relue B partir de certe question.

(46) Mach, James et Russell furent successivemene credites ou revenclique- rent une telle doctrine, en se reclamant de Berkeley. Cf. M. LOCKWOOD,

(( What was Russell's neutral monism ? x in Midwest Studies in Philosqphy, XV,

1981, p. 143-158.

(16)

l'esprit comrne pure action, Berkeley ne peut qu'indiquer la nature de la substance spirimelle : c'est gar le sentiment de la subjectivite que nous pouvons nous assures de son existence. k'esprrit devient alors, comme la substance selon Eocke, un (( je ne sais qiuoi B, ou comme le dira Berkeley lui-mCme une mdtaphore : <c Gornpte tenu de ce que vous dites, Philonous, n'Ctes-vous pas vous-meme un systkme d'idkes flottantes sans support ? B (47) On sait tout le parti qu'en tirera Hume.

Selon Ia caractkrisacion de Foster citCe au paragraphe prkcC- dent, Berkeley est un i( rkaliste men~liste ),: il tient ii la fsis qu9il existe un monde physique et que ce monde physique est d'essence purement mentale. Selon Foster, c'esc bien une forme d'idkalisrne, l'idkalisrne Ctant la these selon laquelle il n'y a pas de rCalitC ultime qui soit d'essence purement physique. G9ese nkanmsins un realis- me gar opposition ii deux autres formes &idealisme : le nihilisme, selon lequel il n'y a pas du tout de monde physique, et le rkductivisme, selon lequel il y a un monde physique, rnais qui se rkduit h des faits concernant 1Sordre sensoriel. Gomme on l'a vu9 la position de Berkeley oscille entre ces trois fomes &idealisme (48).

Dans son Iivre Foster argue que la seule position cohCrente est une forme de rkductivisme phCnomCnaliste. Sa stratkgie d9ensemble est la suivance : il commence par mentrer que le realisme mentalisee est une option beaucoup plus cohererace que le rkalisme physique ordinaire, puis il montre que ceEe option elle-meme est incoheren-

(47) BRYK~W-N> p. 164-165. La doctrine de l'esprit a des resonances de thkologie negative, dont B r y h a n montre qu'on peut aussi les interpreter comme une anticipation de la conception kantienne du (( je pense )) et de la critique de la psychologie rationnelle. Cf. egalement Y. ~ C X A U D , B La formation de la prsblkmatique de la substance spirituelle chez Berkeley B, Revue de mkaphysique et de morale, jaw.-mars 1974, p. 83 : ((La tbkorie berkeleyenne de I'esprie rkussic a maintenir les orientations empiristes et phkaomknalistes de la theorie des idkes tout en laissant i la substance pensante sa dignit6 supreme, mais elle doit pour cela acquitter un prix : son silence. >)

(48) FOSTER, ch. I. Pour comp1Cter les options possibles, il faut bien sfir ajouter i la liste une qatrikme option, qui est le realisme ordinaire (standar4;

selon lequel il y a une realirk physique uitime yui est d'essence purement physique. V o i p. 14 la !isbe des options, et p. 47 une liste plus raffinke encore, dans laquelle nous n'avons pas a entrer. Le nihilisme est ce que Yon appelle quelquefois l'idealisme subjectif Oe monde n'est que ma reprksentation), et le rkalisme mentalisle est quelquefois appelk idkalisme ohject$(!e monde est bans a'esprit divin). Comme on Isa VU, Berkeley est aussi rkductiviste.

(17)

te, et qu'il faut abandonner toute forme de rkalisme, y compris dans Ia version mentaliste. E'argklment du livre est aussi complexe qu'il est original, et il ne saurait Ctre question ici de I'exposer dans son ensemble. Je me contenterai, dans ce qui suit? d9envisager la premikre partie de cet arwment, qui vise B donner raison B Berkeley.

Ce qui rend, remarque Foster, particulikremenf peu plausible le rCaiisme mentaliste est qu'il va B l'encontre de 19une de nos intuitions les mieux enracinkes, que les categories de mental et de physique s'appliquent des types d'entitCs de nature intrinskque- ment diffkrentes. C'est ce que pourrions appeler notre cartksianis- me spontanC qui nous fait concevoir la nature intrinskque d'un objet matkriel comme consistant en sa figure, son extension, et sa composition matkrielle, et la nature intrinshque d'un objet mental comme susceptible d7Crre dtcrit au moyen d'une description uniquement mentale (par le contenu d'une attitude propositionnel- le, ou par le caractkre intrinskque d'une sensation par exemple). On peut cependant vouloir identifier les Ctats mentaux et les etats physiques, comme le font ies phiaosophes matkrialistes partisans de la thkorie dite (c de 19identitC n Pour cela iI faut contourner I'intuition courante selon laquelle les Ctats mentaux ont un caractkre intrinsk- que (ma douleur prCsente est nkcessairement c e ~ e doulerar, et pas une aucre). Pour cela, les matCrialistes cornmencent par soutenir que, contrairement aux apparences, les descriptions mentales sont neutres (topic-neutrad, c9est-i-dire ne spCcifient des entitks mentales (des sensations, des croyances, des dCsirs, etc.) que par Ieurs propriktks fonctionnelles, ou par le r81e causal que ces entitCs jnuent au sein d'un systkme intermkdiaire enere %a rkception d'information par les sens et I'Cmission d'un comportement exterieur. Par exemple (c est une douleur >> doit Ctre analysk comme

(( est un CvCnement propre B causer un comportement agitC et B renforcer nCgativement les types de rCponse qu'il produit B. Si les descriptions mentales son ainsi implicitement fonctionnelles, il devient possible d'envisager des manikres empiriques B'Ctablir que les entites mentales sone des entitCs physiques, puisque la physiolo- gie ou la science du compostement peuvent alors mettre en corrClation des processus cCr6braux qui auraient des propriCtks fonctionnelles ide~~tiques B celles qu90nt les processus mentaux dCcrits de f a p n neutre ou fonctionnelle (49).

(49) FOSTER, p.54-55. On pourrait objecter que cette caractkrisation de la theorie materialisce de Pidentie& rend i la confondre avec la thitse (( fonctionna- iiste ,)qui, au rnoins dans certaines de ses versions, n'est pas une thkorie de

(18)

La suggestion originale de Foster esc alors la suivante : de la mCme manihe que la matkrialisme physicaliste se sert de 19argu- ment de la neutralit6 des descriptions mentales pour rendre possible I'identification du mental au physique, me peut-on pas invoquer la neutralitk des descriptions physiques pour rendre possible I'identification converse du physique au mental ? Un tel argument ne demonuerait pas plus l'identitk du physique et du mental que le pri-ci-dent ne demontrait l'identitk du mental et du physique. Mais il permettrait au moins d'ktablir que la question de savois si la rCalitk uitime est mentale ou physique rest:: ouverte, ce qui est prCcisCment le contenu de la t h k e (( rCaliste mentaliste

,,

(50). Du mCme coup on rkhterait la thkorie matkrialiste de l'identitk, puisque cetle thkorie presuppose que la description physique n9est pas neutre, et rkvkle la nature intrinskque d'entitks physiques.

Pour 6tablir cette these de la neutralitk du monde physique (the topic neutrali~ thesis), Foster suit une dkmarche qui rappelle fortement celle qu9adoptait Berkeley dans la Nouvelle thkorie de la vision: il ne s'agit pas de montser que le mot cc matikre >> est dkpourvu de sens, mais de montrer que les propriCtks sensibles de 1'ktendue matkrielle ne sont rkaliskes dans aucune n a m e physique intrinskque. Four que %es objets madriels aient une telle namre inuinskque, il faudrait qu'ils aient en eux-men-nes les qualiiiks sensibles qui foment le contenu de I'expQience sensorielle. Mais ni les c( qualitks secoxades

>,,

comrne la ceuleur, fa saveur ou I'odeur, ni des c( qualitb premieres B comme la soliditk ou 19imp6nktrabilit6 (selon Locke) n9apparciennent A la marikre comme constituante ultime de !a rCalitk. De teiles quatitks sensibles intrinskwes ne peuvent jamais &re spkcifikes de manikre directe, ou comrne le dit Foster, c< transparente B , mais seulement de manikre indirecte ou

(( opaque )), via la spkcification d'entitks intermkdiaires. Supposons qu9un savant doive spkcifier la constitution interne d9un objet matksiel. II en donabera Ies ClCments cbimiques, et 4eurs relations causales, eomrne l'hydrogkne s u Ie carbone. Mais supposons qu'on lui demande ce que sont <( en eux-mCmes )) hydrogene et carbone.

I'idenritC du mental et du physique. Ces nuances ne nous concernent pas ici. TI semble que la prbentation de Foster fasse principalement rCfCrence B la version du materialisme de David Lewis (cf. ((An argument for the identity theory,,, in Philosophical papen, op. cit., p. 99-10'7), qui reunit les deux caract6ristiques d'&tre fonctionnaliste et identltaire.

(50) lhzdem, p. 56.

(19)

On spkcifiera alors la taille et le poids de ses atomes, puis les particules ClCmentaires dont ils sont composks. Mais qu'est-ce que la nature intrinskque d'un proton ou d'un Clectron ? Et ainsi de suite. C'est une ligne d'argumentation trks familikre, qui conduit

A

la conclusion que l'analyse scientifique ne spCcifie la nature interne des substances que de manikre opaque, par les pouvoirs causaux et les dispositions de ces substances. Supposons alors que Yon se contente d'attribues

A

la rkalitC ultime de la marikre ces pouvoirs causaux eux-rnCmes (une thkorie qui fut soutenue a des degrCs divers par Kant et Boscovich) ou qu'avec L o c k on definisse la matikre par son impCnCtrabilitC. Un atome sera alors une sorte de spkre d'impCnCtrabilit6. Mais

a

quoi est-elle impCnktrable ? A d'autres spkres d7impCnCtrabilit6, elles-mCmes impCnCtrables 5 d'autres sphkres, etc. Pour Cchapper h cette rCgression, il faudrait revenir A l'attribution des pouvoirs causaux

a

une substance, ce que cette these elle-mtme exclut. Elle est donc incohkrente (51).

I1 reste encore possible d'Cchapper

a

la conclusion que le monde physique est descriptible neutralement si on lui attribue la propriCtC intrinskque d'ttre Ctendu (A la manikre calzksienne).

Mais on ne peut donner de 19espace qu'une spCcification formelle, incapable en elle-mCme de rkvkler ce qui perme~rait de le qualifier d'espace physique (52). Reprenant I'un des arguments berkeleyens de la Nbuvelle thkorie de la visioq Foster soutient que 19espace visuel m9est pas homogkne h l'espace tactile, et done que l'espace physique ne ressemble

A

aucune de ses rkalisations particuli&res dans un dornaine sensoriel donnit (53).

Supposons que tous ces arguments soient corrects, et qu'ils ksablis~ent~ selsn l'expression de Foster, cc :'inscmtabiiitk )> ou

:'<< opacitC r) de la matikre, rendant par lA mCme impossible toute

identification du mental au physique. Comrne on l'a vu, ils n9Ctablissent pas que la nature ulrime de la rCalitC est mentale, mais seulement qu'elle est inconnaissable, et que, comme teIle, rien n9exclut qu'elle soit mentale. I1 resterait nCanmoins possible que les condirions d'une description neutre ne puissent @tre satisfaites que par des entitCs non-mentales, bien que rien ne permettrait d'kcarter la thitse inverse (54). Tout ce que YCvidence empirique nous pemet- trait de dire est que la constitution ultitime de la rCalitk est tneutre par

(51) FOSTER, p. 56 sq. ; p. 68-69.

(52) Ibidem, p. 87.

(53) Ibidem, p. 90.

(54) Cf. p. 108 pour une caracterisation plus prkcise.

(20)

thkorie dans laquelle le monde est une sorte de sensorium Del; un champ sensoriel illimitC et continu dans lequel les relations internes entre sensations ont une structure gkomkurique euclidienne, et tel que les lois physiques qui le regissent se rkhlent Ctre des lois psychiques, et les lois psycho-physiques se rCvklent Ctre des lois physico-psychiques. Malgrk d'importantes differences entre un [el monde et celui de Berkeley (par exemple chez ce dernier le monde physique est causaiement inerte, alors qu'ici il est actif), ce monde satisferait Ies rkquisits du realisme mentaliste tel qu'il a CtC dkfini.

On ne peuc pas nier qu'il soit plus nature], si Yon supose que la rCalitC ulrime est mentale, de supposer aussi qu'elle fonctionne selon ce qui, d nos yeux, est un mode de fonctionnement purement mental. <( De ce point de vue, postuler un agent rationnel extkrieur, qui contrble l'expkrience humaine par volition, en accord avec certaines rCelaritCs destinees h accomplir une certaine fin (par exemple la perfection spirituelle de I'espkce humaine), est, pour spkculatif que cela soir, plus proche de notre conception ordinaire de l'esprit et de sa place dans !a nature que de posmler un flux d'expkrience externe qui opkre sur nous de manikre purement aveugIe et micanique. N (55)

On ne peut qu9admirer la constance et: Ia coherence avec lesquelles Foster defend la position idkaliste (qui retrouve avec iui

!e caractkre provoquant qu'elle avait chez Berkeley) (56). Mais plusieurs points de son argmentation demeurent 9 mon sens obscurs ou peu satisfaisants.

On peut resumer ainsi Sarpment de Foster sur la neutrali- tk B de la snaeikre :

(1) Les phknomknes mentaux ont une nature <( intrinskque )>, i.e.

les propriktks mentales sont nkcessairement rCalisCes dans une nature mentale (57) ;

(55) FOSTER, p. 293-94.

(55) Rappelons que selon Foster Ia bonne version de I'idkalisme est le phknomknisme rkductiviste, et non pas le realisme mentaliste h la Berkeley.

Pour une prksentation complete des arguments de Foster, je renvoie A I'article de H. ROBINSON, (( The myth of matter )), h paraitre dans les actes du colloque

(( Mythes et rkalites de l'activitk scientifique n, Lille, mai 1985, et du mCme auteur, (c The present state of the argument for idealism )>> In Essays on Berkeley, a tercentenary volume, eds. J. Foster et H. Robinson, Oxford 1985, (malheureuse- ment je n'ai pu tenir compte de ce volurne au moment de la rkdaction de cet article.

(57) Un argcment B ce: effet ees: par exernple cehi de F ~ F K E dana Naming and necessity, Oxford, Blacbell, 1980, tr. fr. Minuit, 1982.

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