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La seconde entrevue de Pélias et Jason dans la 4e Pythique de Pindare: essai d’interprétation

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La seconde entrevue de Pélias et Jason dans la 4e Pythique de Pindare: essai d'interprétation

SCHUBERT, Paul

Abstract

L'enjeu de l'entrevue entre Pélias et Jason réside dans le partage exclusif du pouvoir.

SCHUBERT, Paul. La seconde entrevue de Pélias et Jason dans la 4e Pythique de Pindare:

essai d'interprétation. Antiquité classique, 2004, vol. 73, p. 15-24

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:80721

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La seconde entrevue de Pélias et Jason

dans la 4c Pythique de Pindare: essai d'interprétation

Introduction

Les aventures de Jason, depuis son arnvee à lolcos chez son oncle Pélias jusqu 'au retour des Argonautes, constituent le motif central de la 4c Pythique, le poème le plus long que nous possédions de Pindare. On sait que l'ode, célébrant la victoire au quadrige du roi Arcésilas de Cyrène à Delphes en 462, devait servir à faciliter le retour à Cyrène d'un exilé, Damophile; pour atteindre ce but, le poète a d'abord exposé le récit mythique relatif aux Argonautes, puis, à la fin de l'ode, intercédé plus directement auprès d'Arcésilas.

L'étude du texte a été considérablement stimulée par la parution récente de plusieurs ouvrages. S'écartant d'une lecture linéaire du texte, Charles Segal a cherché à établir des liens entre les différentes parties de l'ode, selon une approche qui trouve son inspiration dans le structuralisme1Cette étude a été suivie de près par deux commentaires volumineux, relevant d'une démarche interprétative plus convention- nelle, sous la plume de Bruce Braswell et celle de Pietro Giannini : ces deux auteurs combinent les parallèles intettextuels, la critique textuelle et le cadre historique pour expliquer le poème2. Les réflexions qui suivent n'apporteront par conséquent pas un éclairage nouveau sur la 4c Pythique dans son ensemble, mais se limiteront à un aspect restreint du poème, la seconde entrevue de Pélias et Jason (vers 132-167), et plus particulièrement aux points suivants :

- les références généalogiques échangées par les deux interlocuteurs sont significatives dans la mesure où elles permettent à Jason de souligner la limite des concessions qu'il est prêt à faire à son oncle dans le cadre de leur négociation.

- la réponse de Pélias à son neveu, même si elle relève de la fourberie, s'appuie en fait sur des rapports d'obligation réciproque au sein de la famille.

- ces deux aspects de la négociation constituent un processus de légitimation dont l'auditeur 1 lecteur peut tirer un parallèle avec la situation du destinataire de l'ode, le roi Arcésilas de Cyrène.

L'étude de Segal, en dépit des réserves qu'elle a pu susciter auprès de certains lecteurs, a le mérite d'ouvrir des voies nouvelles dans notre perception des échos que le poète cherche à créer à l'intérieur de son œuvre3. Le savant fait notamment ressortir

C. SEGAL, Pindar's Mythmaking: The Fourth Pythian Ode, Princeton, 1986.

2 B.K. BRASWELL, A Commentary on the Fourth Pythian Ode of Pindar, Berlin 1 New York, 1988; B. GENTIL! et al., Pindaro, Le Pitiche, Roma 1 Milano, 1995 [le commentaire de la 4e Pythique est de P. Giannini).

3 On trouvera de telles réserves notamment dans la première partie du survol bibliographique consacré à Pindare par D.E. GERBER, "Pindar and Bacchylidcs 1934-1987",

L'Antiquité C/assiq11e 73 (2004), p. 15-24.

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16 P. SCHUBERT

des associations d'idées provoquées par un usage spécifique du lexique dans des contextes en ~rp~rence différents, mais dont on s'aperçoit qu'ils entretiennent des liens à travers l'ensemble du poème. Sans appliquer de manière stricte la même méthode que Segal, on peut néanmoins s'inspirer de son approche pour l'examen des trois points mentionnés précédemment.

Texte et traduction du passage (132-167) (texte grec d'après l'édition de Snell-Maehler)

à'A'A' èv ËK't<;X 7tav'ta 'Aéyov eéi-!Evoç cmou- ôaîov è~ àpxâç àvflp

cruyyEvÉcrtv 7tap€Kotvâe'·

oi ô' È1tÉ<J7tov't'. atwa ô' àm) KÀtmâv rop'tû <JÙV KêtVOtcrt· Kat

p'

TlÀ8ov ne/...\.a j.t.Éyapov·

135 È<J<JUj.têVOt ô' dm.o Ka'tÉ<J'tav· 't&v Ô' ÙKOU- cratç aû'tèç Ù7taV'ttacrev

Tupoûç èpacrt7tÀOKaj.tou ycvea· 7tpauv ô' 'Iacrrov

j.taÀ8aK~ <pro v~ 1tO'tl<J'taÇrov ëapov

~aÀÀE'tO Kprptîôa cro<p&v è1térov·

« naî nocretôâvoç ne'tpaiou, Z' ÈV'tt j.tÈV eva't&V <ppÉVêÇ OOK{nepat

140 Képôoç at vflcrat 1tpè ô\.Kaç ô6'Atov 'tpa- xeîav Ép1tOV't(J)V 1tpèç ë1tt~ôav Oj.troç·

à'A'A' Èj.tÈ XPil Kat crè 8Ej.tt<J<Jaj.tévouç 6p- yàç Ù<paivetv ÀOt1tOV o'A~ov.

clôé'tt 'tût Èpéro· j.tta ~oûç Kpn9eî 'tê j.t<l't11P

Kat epa<JUj.tllÔêÏ LaÀj.t(J)VEÎ' 'tpt'tat<JtV ô' Èv yovaîç èij.tj.tEÇ aÙ Kel V(J)V <p'O'tE'08ÉV-

'tEÇ creévoç ÙêÀtO'\) XPU<JêOV

145 'AëucrcroJ!EV. Moîpat ô' à<picr'tatv't',

et

'ttÇ ëxepa 1tÉÀEt ÛJ!oy6votç aiô& Ka'Auwat.

oû 1tpÉ7têt vq)v xa'AKO'tépotç Çi<pecrtv oûô' aKOV'tê<J<Jt v j.tq<l'Aav 7tpoy6vrov 'tt-

j.tàv ôacracreat. llfl'Aa 'tE yap 'tot èyro Kat ~o&v ~aveàç àyé'Aaç à<ptllll' à-

ypouç 'te 1tav'taç, 'toùç &.1toupaç 150 <l!lë'tÉprov 'tOKÉrov VÉj.tEat 1tÀO'Û'tOV mai vrov·

KOÜ Jlê 1tOVêÎ 'têOV oiKOV 'ta'Û'ta 1t0p<JUVOV't' ayav·

à'A'Aà Kat crKâ7t'tov 116vapxov

Kat 9p6voç, Cf> 7tO'tE Kp118e'tôaç ÈyKa8iÇrov l1t1tO'tatÇ eüeuve Àaoîç ôiKaç - 'tà j.tÈV aVEU ~'OVâÇ àv\.aç

Lustrum 31 ( 1989), p. 242 : « Although his approach will appeal to sorne, I fi nd it too fragmented, subjective and at times superficial to be of much value.»

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LA SECONDE ENTREVUE DE PÉLIAS ET JASON DANS LA 4c PYTHIQUE 17

155 Â.Û<JOV, a~~lV ~ft 'tl VêO)'têpOV ÈÇ a:6- 'tOOV <Xvacr'tan KaK6v. » OOÇ ap' Ëêl1tEV, ÛK~ ù' ÙV't-

a:y6pêU<JEV Ka.t TieÂ.iaç· « "Ecro~a.t

'tOîoç· à'A'A' rtô'll ~e Y'llPa.tèv ~époç àÂ.lKia.ç à~-t<pl1tOÂ.êÎ' <JO V 0' av80Ç ll~ŒÇ ap'tt 'KU-

~-ta.ivEl' ùuva.cra.l ô' à<peÂ.eîv

~-tâVl V X80VtOOV. 'KÉÂ.E'ta.t yàp Éàv 'lfUXàV KO~-ttÇa.l

160 <l>piÇoç È'A86v'ta.ç 1tpüç Ai ft1:a ea.'Aa~-touç oép~-ta 'tE KplOÛ ~a.8U~-t<XÂ.Â.OV ayêl V, 'tql 1tO't' È'K 1t6V'tOU <Ja.008'11

H' Ëte 'tE 1-!Œ'tpUlâç à8érov ~EÂ.érov.

'tCXÛ'ta 1-!0l ea.u~-ta<J'tOÇ OVêlpOÇ irov <pro- VêÎ. ~e~av'têU~-tal ô' È1tt Kacr'taÂ.i~,

et

~E'taÂ.Â.a.'t6v 'tl' Ka.t roç 'taxoç 6'tp'Ü- Vêlllê 'tEUXê\.V va.t 1t0~1tav.

165 'tOÛ'tov &e8Â.ov èterov 'tÉÂ.ecrov· Kai 'tot ~ova.pxet:v

'K<Xt ~CX<JlÂ.EUÉ~-tEV 0~ VU~t 1tpoft<JEtv. 'KCXp'tEp6Ç opKOÇ a~~l V 1-!UP'tUÇ Ëcr'tro

Zeùç 6 yevéehoç à~<po'tépotç. »

Or le sixième jour, ayant exposé avec soin tout le récit depuis le début, l'homme

en fit part aux membres de sa famille ; ces derniers se joignirent à lui. Aussitôt, de sa couche

il bondit, et eux de même. Ils allèrent donc au palais de Pélias.

135 S'étant précipités à l'intérieur, ils se présentèrent. Les entendant, il alla en personne à leur rencontre,

le rejeton de Tyro aux boucles désirables. C'est un discours agréable que Jason,

d'une voix douce, lui distilla, jetant la base de paroles habiles :

«Fils de Poséidon Pétréen, VII l'esprit des mortels est trop rapide

à choisir un profit fondé sur la ruse plutôt que la justice, même s'ils vont ainsi vers un rude lendemain.

Mais il faut que moi et toi, contrôlant notre colère, nous élaborions notre bonheur pour l'avenir.

Tu sais ce que je vais te dire: une seule vache est la mère de Créthée et du téméraire Salmonée ; or voici la troisième génération,

où nous, qui sommes leurs descendants, nous contemplons la force d'or du soleil.

145 Que les Moires se retirent, s'il existe une quelconque discorde propre à cacher la retenue chez des personnes aux ancêtres communs.

Il ne convient pas que nous, avec des épées faites d'airain

ou avec des lances, nous divisions le grand prestige de nos prédécesseurs. Car les moutons,

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18 P. SCHUBERT

et les troupeaux roux de vaches, moi je te les laisse, avec tous les champs, ceux que tu as volés

150 à mes parents et que tu administres, engraissant ta richesse.

En fait, cela ne me peine pas que tu prennes un tel soin de ta propre maison ; mais, tant le sceptre garant du pouvoir sans pmtage que le trône, sur lequel

autrefois le fils de Créthée,

siégeant, rendait la justice pour les peuples cavaliers- cela, sans chagrin réciproque,

155 cède-le, pour éviter que, de ces circonstances, un nouveau malheur ne surgisse pour nous. »

Ainsi parla-t-il, et c'est avec douceur que répliqua également Pélias:« Je serai tel que tu le veux. Mais déjà la part de vieillesse de mon âge me guette. La fleur de ta jeunesse, en revanche, depuis peu bouillonne. Tu peux donc écarter

la colère des habitants du monde souterrain. Car il nous commande de ramener son âme,

160 Phrixos, en allant au palais cl' Aiétès

pour emporter la peau à la toison épaisse du bélier grâce auquel, autrefois, il fut sauvé de la mer

VIII et des traits impies de sa marâtre.

Voilà ce que dit un songe étonnant qui m'est parvenu. J'ai consulté l'oracle à Castalie,

pour savoir s'il fallait lancer une expédition; or il me pousse à faire le voyage au plus vite sur un navire.

165 Cette mission, accomplis-la de bon cœur; en contrepartie, le commandement sans partage

et la royauté, je jure de te les céder. Qu'un puissant

serment existe entre nous, garanti par Zeus, à la famille duquel nous appartenons tous deux. »

Quelques considérations préliminaires

Cinq jours séparent les deux entrevues de Pélias et Jason. Dans la première, Jason apparaît comme un jeune homme: il n'a pas encore coupé ses boucles de cheveux (82-83). Il est descendu de la montagne à la ville, et ce passage d'un lieu à l'autre est souligné par le double vêtement qu'il porte lorsqu'il se présente à Pélias (79-81 ). Ainsi se vérifient les deux possibilités évoquées par la prophétie faite à Pélias, lui enjoignant de se méfier de l'homme à la sandale unique, qu'il soit

« étranger ou citoyen » (78) : Jason possède simultanément les deux qualités. Dans la première entrevue, Pélias s'adresse à Jason en insistant sur son statut d'étranger (97- 98) ; mais ce dernier revendique au contraire son appartenance au pays, par sa filiation ( 118). Entre les deux entrevues, Jason réunit son entourage familial dans un long banquet qui lui permet de formaliser les liens dont il se réclame (124-130).

Accompagné de ce que l'on poutTait désigner comme son clan, le jeune héros se rend auprès du roi pour exiger la restitution du pouvoir royal usurpé une génération plus tôt (133). Les deux entrevues successives permettent ainsi de marquer la transformation de Jason, qui passe du statut de jeune homme étranger à celui d'homme fait et de membre de la communauté, prêt à assumer la royauté. L'intégration de Jason parmi les habitants d'Iolcos est aussi soulignée par un glissement dans son discours :

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LA SECONDE ENTREVUE DE PÉLIAS ET JASON DANS LA 4e PYTHIQUE 19

lorsqu'il commence sa réplique (102)) il semble s'adresser tout naturellement à Pélias ; mais, sans marquer explicitement la transition, il dirige ensuite ses paroles vers ses concitoyens (117 : Kcùvol. 7WÀÎ'tat).

Les références généalogiques

Alors que la première entrevue représente une simple prise de contact, au cours de laquelle Pélias s'enquiert de l'identité du nouveau venu, la seconde prend un tour potentiellement plus dramatique, puisque Jason réclame désonnais sans ambiguïté le pouvoir, et qu'il attend une prise de position claire de la part du roi Pélias (152-155).

On peut d'emblée constater que les discours de Jason et de Pélias suivent une dyna- mique différente. Jason commence par une entrée en matière conciliante, puis fait des concessions sur des points qui ne sont pas essentiels à ses yeux, pour aboutir à sa revendication. On pourrait parler d'une démarche linéaire. Pélias) quant à lui, cède immédiatement, pour introduire ensuite des conditions. Il termine son discours en réitérant son acceptation. Ce passage présente donc une structure annulaire.

Sur le plan structurel, il faut aussi relever le parallèle entre le début du discours de Jason (138), où ce dernier s'adresse à Pélias en l'appelant 1taî rrocretôâvoç fiE'tpaiou ( « fils de Poséidon Pétréen » ), et la fin du discours de Pélias) où le roi affirme qu'il descend de Zeus, comme son neveu (167 : ZEÙÇ 6 yEvÉ9ÂtOÇ àll<pO'tépütç). Le dieu est évoqué ici comme garant du serment de Pélias ; avec cette fonction patticulière, il porte dans d'autres textes 1' épiclèse "ûpKtüÇ 1À cette pre- mière constatation formelle s'ajoute une seconde: l'exclamation naî ITocrEtôâvoç fiE'tpal.ou se trouve au dernier vers de la 6c triade, dans une position d'enjambement strophique rare au vocatif, ce qui la met fortement en évidencé. Or l'examen de la forme du poème auquel nous procédons trouve un prolongement puisqu'il permet de mieux cerner certains aspects du contenu. Nous verrons dans ce qui suit immédia- tement quelle importance il faut accorder à l'ouverture du discours de Jason, avec la mention de Poséidon; plus loin) l'analyse de la réplique de Pélias fera ressortir les raisons qui ont poussé le poète à clore le discours par la référence à Zeus. Mais il convient de rappeler au préalable quelques éléments relatifs à la généalogie des deux héros.

Commençons par le début du discours de Jason, où le héros s'adresse au roi en le défmissant comme fils de Poséidon Petraios (138). Bien que Jason et Pélias descendent de Tyro, le premier a un grand-père mortel, Créthée, tandis que le second est issu de l'union de Tyro avec le dieu Poséidon. Autrement dit, Jason ouvre son discours sur une note ambiguë : d'une part, il exprime en apparence un certain respect pour son oncle, dont il reconnaît la filiation divine; d'autre patt, il insiste d'entrée de jeu sur le point fondamental qui les sépare. Ce qui ressemblait de prime abord à une concession prend donc un tour plus revendicateur. Nous verrons que Jason suivra la même démarche dans la suite de son discours.

2

Cf. SOPH., Phil., 1324; EUR., Hipp., 1025; PAUS., V, 24, 9.

Cf. BRASWELL, o.c. (n. 2), p. 223.

(7)

20 P. SCHUBERT

Généalogie de Jason et de Pélias

Deucalion

Zeus 1 Pyrr~

Hellen T Orséis

1

Doros Xouthos Créuse Eolos

Ath amas

1

Phrixos

P enee

l 1

1

Enaréa 1 Iphis S~onée 1 Alcidicé Achaios ,..-1-on _ _ _ _ _ _ c_r_ét_h_é_e _T~ T n s é i d a n

Aeson T Alcimédé

Jason

Pélias Nélée

Avec la mention de Poséidon Petréen, le jeune héros souligne aussi l'ancrage de son oncle et rival dans la terre même sur laquelle il règne : 1 'épithète Iletpaîoç rappelle en effet la légende selon laquelle le dieu aurait fendu les montagnes qui forment la vallée de Tempé, en Thessalie, par laquelle passe le fleuve Pénéé. Mais cette référence, qui peut être interprétée comme une concession de Jason face à la légitimité de Pélias à régner sur ce sol ancestral, suggère une seconde interprétation, puisque le fleuve Pénée passe pour être le grand-père de Salmonée, autrement dit l'aïeul de Pélias à la quatrième génération, et de Jason à la cinquième génération7Si Jason admet effectivement dès le début de son discours la place de Pélias, il ne renonce pas pour autant à sa propre position dans la généalogie régionale.

Dans ce premier mouvement, la concession de Jason et l'élargissement qu'elle suggère ne sont qu'implicites; on pouiTait aisément rétorquer qu'elles relèvent de la subjectivité de l'interprète moderne. Mais ce premier mouvement implicite trouve une confirmation dans la suite du passage, où Jason souligne, cette fois-ci explicitement, qu'il ne le cède en rien à son oncle sur le plan de la généalogie. En effet, si la double union de Tyro permet de séparer les deux héros, en revanche ces derniers se

6 Cf. HDT., VII, 129, 4; PIND., Pyth. 4, 246a. Poséidon et le fleuve Pénée sont tous deux des fils de Titans : Poséidon naît des amours de Cronos et Rhéa, tandis que Pénée est le fils d'Océan et Téthys. Il s'agit donc de cousins germains.

7 Cf. PLAT., Symp., 208d: Ai6Â.ou oè K<XL "lqnooç 'tfjÇ ll'llVÛOU L<XÂ.JlroVêUÇ, L<XÂ.JlroVÉroç oè K<Xt 'Ahtoi.K'llÇ Tupoo, 1lç K<Xt llocretooovoç ll'llÂ.êUÇ.

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LA SECONDE ENTREVUE DE PÉLIAS ET JASON DANS LA 4e PYTHIQUE 21

rejoignent dans une ascendance commune, qui passe par l'union d'Eolos et d'Enaréa.

De cette union sont issus Créthée et Salmonée, ce qui justifie la métaphore utilisée par Jason: «une seule vache est la mère de Créthée et du téméraire Salmonée » (142-

143l Le décalage de générations entre Pélias et Jason par rapport à Tyro (Jason est le petit-fils de Tyro, tandis que Pélias est son fils) est compensé ici par le fait que Tyro s'est unie à son oncle Créthée. Par conséquent, Jason peut revendiquer ouvertement une égalité de statut face à son oncle, égalité qui atténue le poids de la concession qu'il avait faite au début de son discours.

Dans la perspective qui vient d'être énoncée, les références généalogiques avancées par Jason constituent des arguments que le héros manie pour faire valoir une revendication. Celle-ci porte en fait sur le partage de l'héritage familial, ce que Jason appelle IJ.E"(aÂ.cxv 1tpoy6vrov 'ttiJ.ét.V ( 148). Le jeune héros affirme renoncer aux richesses que Pélias s'est appropriées, ovins, bovins et terres, mais il réclame ferme- ment le pouvoir royal, qu'il désigne par la tournure crKâ1t'tOV IJ.Ûvcxpxov K<Xl 9p6voc;

(152). Le terme IJ.Ovcxpxoc;, utilisé ici comme adjectif, fait ressortir la position de Jason sur un point en particulier: il n'entend pas partager ce pouvoir, et cette insistance n'échappe pas à Pélias, qui reprend le terme sous forme de verbe (165 : IJ.Ovcxpxeîv). Tel qu'il est décrit par Pindare, le roi a compris l'enjeu suggéré par le discours de Jason, et la stratégie qu'il adopte dans sa réplique, comme on le vetTa sous peu, constitue une réponse qui tient compte des mêmes arguments que ceux avancés par son jeune rival.

Revenons-en pour l'instant à la manière dont Jason complète sa description du pouvoir qu'il cherche à reprendre : 9p6voç 1 1tO'te KpTJ9eîôa.ç 1 êy~ecxei.Çrov t1t1tO'ta.tç eüeuve Â.a.oîç ôtK<XÇ (152-153 « .. .le trône sur lequel, siégeant autrefois, le fils de Créthée dispensait la justice à son peuple cavalier»). Jason appuie sa revendication sur le passé, marqué ici fortement par la présence du mot 1tO'tE ; nous trouverons un écho de ce 1tO'tE dans la réplique de Pélias (162). Jason ne désigne pas son père Aeson par son nom, mais par son patronyme. Un coup d'œil à l'arbre généalogi.que figurant plus haut suffit pour constater que Créthée, époux mortel de Tyro, se situe au point précis où les généalogies respectives d' Aeson et de Pélias se séparent. La légitimité du pouvoir d' Aeson (et de Jason par voie de conséquence) se fonde sur la branche mortelle de la famille royale d'Iolcos, et non sur la branche issue de l'union du dieu avec Tyro.

L'argumentation de Jason, tant par le recours à la généalogie que dans les revendications proprement dites, est donc fondée sur des concessions qui lui permettent de rester ferme sur l'essentiel. Il reconnaît la paternité divine de Pélias, mais lui oppose la légitimité du pouvoir royal passant par Créthée, et non par Poséidon; il accorde à Pélias les richesses matérielles, mais demande la royauté sans partage.

8 Les commentateurs récents ne relèvent aucune nuance péjorative à cette métaphore; cf.

BRASWELL, O.C. (n. 2), p. 227-228 et GIANNINI, o.c. (n. 2), p. 467.

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22 P. SCHUBERT

La réponse de Pélias à Jas on

Le personnage de Pélias, tel qu'il est rendu par le calame de Pindare, accepte d'emblée de suivre la voie proposée par Jason, excluant toute violence pour régler le différend qui les oppose. L'acquiescement de Pélias est marqué par les deux premiers mots de sa réplique: ËO'OJ.l<:x.t 'toîoç (156-157 «je serai tel que tu le veux») ; le roi appuie encore sa concession à la fin de son discours, en prononçant un serment solen- nel, dans lequel il confirme qu'il cédera le pouvoir à son neveu. Au O'KÛ1t'tOV j.t6vapxov x:at 9p6voç de Jason répond la tournure j.tovapxëlv x:at ~acrtÂE'UéJ.tEV dans la bouche de Pélias (165-167). La promesse est cependant assortie d'une condition non négligeable, que Pélias introduit dès le vers 157 par la patiicule ÙÂÂ'. Il s'agit bien sûr de la quête de la Toison d'Or, dont le but non avoué est de débatTasser le roi de son encombrant neveu. Dans la perspective de la présente discussion, ce sont toutefois seulement les motivations avancées par Pélias qui devraient nous atTêter.

L'intervalle séparant les deux rencontres entre les rivaux a pennis, comme on 1' a vu précédemment, de marquer fotiement le passage de Jason à l'âge adulte. Pélias exploite maintenant cette transition pour se décharger des obligations liées au pou- voir : puisque le roi est vieux, et qu'il annonce son intention de se retirer du trône, il doit pouvoir compter sur la jeunesse du prétendant pour s'acquitter d'une dette envers Phrixos. Ce dernier, rappelons-le, est un descendant direct d'Eclos, et par conséquent cousin éloigné de Pélias et Jason (cf. arbre généalogique) : les trois fils d'Eolos sont Athamas (père de Phrixos), Créthée (grand-père de Jason) et Salmonée (grand-père de Pélias). La mission que le roi impose à son neveu se justifie donc par une obligation de famille; si Jason désire le pouvoir, il devra aussi assumer les devoirs qui y sont liés. Nous pouvons ainsi constater que, au discours de Jason qui exhortait son oncle à régler leur différend sans recourir à la violence, Pélias répond sur le même mode. Il encourage même Jason à partir en expédition volontairement (165 : 'tO'Û'tOV &e8Âov Ê.Krov 'téÂEcrov «cette mission, accomplis-la de bon cœur»).

Jason a fondé une partie de son argumentation sur un état du passé: le pouvoir royal qu'il cherche à reprendre appartenait à Aeson, et le héros souligne le fait par l'usage du mot 1tO'tE (152). Dans sa réplique, Pélias oppose à ce 1tO'tE un autre 1tO'tE (162), qui s'applique cette fois-ci à l'arrivée de Phrixos en Colchide avec le bélier à la Toison d'Or. La légitimation par une référence au passé, telle qu'elle a été avancée par Jason, se retourne maintenant contre notre héros, puisque Pélias justifie l'expé- dition des Argonautes par le même recours au passé de la famille.

Aux exigences de Jason, Pélias a donc répondu par un acquiescement condi- tionnel. La condition une fois posée, il pense pouvoir sans crainte garantir sa pro- messe par un serment où il prend Zeus à témoin, sans se douter que l'exploit impos- sible se réalisera contre toute espérance. Confiant dans sa position, Pélias fait une dernière concession, qui sonne comme un écho au début du discours de Jason: alors que ce dernier s'était adressé à son oncle en l'appelant «fils de Poséidon», le roi conclut son propre discours en invoquant Zeus comme leur ancêtre commun (167 :

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LA SECONDE ENTREVUE DE PÉLIAS ET JASON DANS LA 4c PYTHIQUE 23

Zeùc; 6 yevÉ9Â.tOÇ èq.t.q>o'tÉpotc;)1Pélias reconnaît à Jason également Je statut de des- cendant d'un dieu. La structure annulaire mise en évidence précédemment trouve ainsi un parallèle dans le contenu de l'échange entre Jason et Pélias.

Retour chez Arcésilas de Cyrène

L'auditeur antique, au même titre que le lecteur moderne, se livre à un double exercice au moment où il prend connaissance d'une ode pindarique. D'une part, il apprécie le poème comme w1 plaisir esthétique, lié au charme du récit mythologique, indépendant des implications historiques de l'exécution d'une épinicie. D'autre part, conscient des rappo11s qui unissent le poète au commanditaire de 1' œuvre, il cherche à décrypter le message implicite que transmet l'artiste à un aristocrate. Dans le cas de la 4c Épinicie de Pindare, les interprétations les plus diverses ont été suggérées par les érudits modemes2 La complexité de l'ode n'autorise vraisemblablement pas une explication unique. Les uns soulignent le parallèle entre Damophile et Jason, tous deux en butte à l'hostilité d'un souverain ; il appartient à ce dernier de comprendre qu'il n'a pas intérêt à rejeter celui qui apparaît de prime abord comme un danger. Les autres mettent plus volontiers en évidence les points communs que partagent Jason et Arcésilas, l'un comme l'autre dans une fonction métaphorique de guérisseur3.

Il semble donc illusoire de vouloir réduire le message de l'ode à un parallèle unique entre un personnage du mythe et une figure historique. Dans la perspective de la seconde rencontre entre Pélias et Jason, retenons un aspect particulier de la situa- tion d' Arcésilas au moment de la composition de la 4 e Pythique : c'est un souverain encore jeune qui s'est installé sur le trône de Cyrène4. Les troubles qui secouent alors la cité libyenne amènent Arcésilas à devoir justifier sa position de monarque dans un contexte politique plus large où la démocratie constitue le choix de nombreuses cités grecques5

Dans ces circonstances, il importe de considérer le discours de Jason et de Pélias dans leur complémentarité. Jason réclame un pouvoir qui - à ses yeux- est parfaitement légitime, et il pose clairement les limites des concessions qu'il est prêt à faire à Pélias pour sauvegarder l'essentiel, c'est-à-dire le commandement; Pélias, pour sa part, lui rétorque que, dans la même perspective de règlement à l'amiable que Jason défendait, ce demier doit assumer non seulement les droits mais aussi les devoirs qui se rattachent au pouvoir. La quête de la Toison d'Or est présentée comme l'accomplissement d'une obligation familiale, cautionnée de surcroît par l'oracle de Delphes (163-164). Si l'on accepte le principe d'une identification, même partielle, de

Pindare recourt vraisemblablement à une variante de la généalogie d'Hellen, cf.

BRASWELL, o.c. (n. 2), p. 247. Selon la tradition la plus courante, Hellen est le fils de Deuca- lion; mais d'autres en font le fils de Zeus, cf. Ps.-APOLLOD., 1, 7, 2.

2 Pour un bref survol des principales opinions, cf. P. GIANNINT, "Interpretazione della Pitica 4 di Pindaro", QUCC 31, n.s. 2 (1979), p. 35-63, en patticulier p. 36-37.

3 Cf. GJANNJNI, i.e. (n. 10); E. ROBBfNS, "Jason and Cheiron: The Myth of Pindar's Fomth Pythian", Phoenix 29 (1975), p. 205-213.

4 Cf. F. CHAMOUX, Cyrène sous la monarchie des Battiades, Paris, 1953, p. 173.

5 Cf. BRASWELL, o.c. (n. 2), p. 1.

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24 P. SCHUBERT

Jason avec le jeune Arcésilas, le message du poète à ce point du récit devient alors clair : si le roi de Cyrène entend revendiquer son pouvoir royal, il devra aussi s'acquitter des obligations qui s'y rattachent. Le terrain est ainsi préparé pour l'intervention délicate qui constituera la clé de voûte à la fin de l'ode, la requête en faveur de l'exilé Damophile (263-269).

Faculté des Lettres Université de Genève CH-1211 Genève 4

Paul SCHUBERT

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