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Les langues contrôlées : une valeur ajoutée pour le traducteur

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Academic year: 2021

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HAL Id: halshs-00598892

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Submitted on 7 Jun 2011

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traducteur

Richard Ryan

To cite this version:

Richard Ryan. Les langues contrôlées : une valeur ajoutée pour le traducteur. Traduire, Société française des traducteurs, 2009, pp.57-67. �halshs-00598892�

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le traducteur

Richard Ryan

Keep it short and simple (anonyme) Elegance is refusal (G. Chanel)

L’industrie, c'est-à-dire l’ensemble des activités de production par la transformation des matières premières, depuis l’extraction de celles-ci jusqu’à la fabrication de produits finis, est génératrice de quantités importantes de documentation liée à la construction, à l’utilisation et à la maintenance des outils de production, au contrôle des procédés de fabrication et de la qualité des produits, à la sécurité du personnel ou à la protection de l’environnement. La gestion de cette information, qui doit être accessible, tenue à jour, facile à utiliser et souvent multilingue, constitue un défi permanent. Les langues contrôlées font partie de la panoplie d’outils documentaires conçus pour faciliter cette gestion.

Un outil devenu indispensable

Aujourd’hui l’industrie utilise massivement, et au quotidien, les sous-ensembles de langues naturelles, dites « langues contrôlées » (LC) pour répondre à ses besoins en communication technique interne et interprofessionnelle

(expert-to-expert). Dans la plupart des cas ces LC ont été développés progressivement en

interne, de manière empirique et sans cadre théorique, en partant de l’existant, par des techniciens et documentalistes industriels et non par des linguistes. Ce sont des « technolectes » (surtout de l’anglais, mais aussi d’autres langues dont le français), régis par des prescriptions (le plus souvent des restrictions) plus ou moins formalisées, qui s’additionnent aux règles de la langue standard, sans toutefois les contredire. Ces contraintes peuvent porter sur le lexique, la syntaxe, ou sur l’agencement du texte. Elles sont souvent assorties d’une norme de présentation (par exemple, la spécification ATA-100/iSpec) ou d’une charte graphique. Les LC font l’objet de programmes de formation. Il existe des outils informatiques d’aide à la rédaction en LC. Enfin, les LC intéressent les spécialistes des sciences du langage et retiennent l’attention des chercheurs dans les universités et dans les centres de recherches privés.

Les conséquences de cet état de fait sont claires : tout traducteur amené à travailler sur une documentation industrielle variée est susceptible d’avoir à traduire en LC des textes sources elles-mêmes rédigées ou non en LC pour

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répondre à des exigences de conformité. Au minimum, il est évident qu’une connaissance même sommaire des LC et des problématiques qui les sous-tendent est nécessaire aujourd’hui à tout traducteur spécialisé en technique industrielle.

Documentation et productivité – un gisement à exploiter

Le développement des LC vise à répondre à une série de besoins documentaires propres à l’industrie, dont la finalité ultime est économique.

Un document technique industriel (manuel, mode opératoire, spécification, rapport technique, bulletin de service...) doit être :

– clair et précis (facile à comprendre, univoque, sans marge d’interprétation) ; – concis (économe en temps et en effort pour l’utilisateur, sans redondance) ; – neutre (exempt de jugement de valeur sur son exactitude ou sur sa

pertinence) ;

– objectif (de validité universelle) ;

– explicite (exempt de raccourcis complices, exhaustif) ;

– apte au traitement informatique (rédaction assistée par ordinateur, indexation automatique, voire TAO ou même TA...) ;

– facile à mettre à jour (par un rechercher-remplacer automatique, par exemple) ;

– conforme (aux lois, normes, spécifications, bonnes pratiques et usages en vigueur) ;

– apte à faire autorité (légitimé, référencé, pertinent, convaincant et non persuasif).

Ces buts sont atteints, du moins en partie, par l’emploi d’un langage simple et standardisé, d’une mise en page « verticale » (paragraphes courts, interparagraphes, rubrication hiérarchique, balisage, listes, tableaux... tout à l’opposé de la typographie grise visée dans un document linéaire, car on consulte un document technique plus qu’on ne le lit) et, bien sûr, de graphiques, selon le principe « a picture tells a thousand words ».

La simplicité dans la rédaction était longtemps ressentie comme une pure affaire de « style » : elle était transmise surtout par l’exemple, et peu formalisée. Mais l’augmentation du volume de la documentation et l’avènement des démarches d’assurance qualité ont amené une formalisation des pratiques, d’abord par des consignes et des recommandations globales, puis par des règles lexicales, syntaxiques et textuelles de plus en plus spécifiques et contraignantes.

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La standardisation, quand à elle, relevait plutôt d’usages consacrés, parfois arbitraires mais bien connus des pratiquants, les défauts de conformité les plus minimes trahissant le néophyte ou l’imposteur et diminuant l’autorité du document. Les pratiques réellement standardisées, et donc clairement formalisées, ont réduit ces corporatismes, dont la fonction de légitimation des documents n’est toujours pas à négliger, néanmoins.

La simplification et la standardisation des documents ont été grandement facilitées par les LC, associées aux normes de présentation et de chapitrage. L’industrie dans son ensemble utilise actuellement un grand nombre de LC différentes, au moins une trentaine dans différents pays, pour la plupart des variétés d’anglais simplifié ou « constrained English ». Certaines d’elles sont à usage purement interne, d’autres sont devenus des spécifications interprofessionnelles. Les LC, ou du moins leur désignation et la documentation les décrivant, sont souvent protégées par droit d’auteur. Les manuels de rédaction et autres outils sont parfois commercialisés. Cependant la réelle portée de cette protection est difficile à apprécier, puisque bon nombre de règles des LC existantes se trouvaient déjà dans des manuels de style, et on ne voit pas comment l’emploi de la langue naturelle ou d’un quelconque sous-ensemble de celle-ci peut sérieusement faire l’objet d’un titre de propriété intellectuelle.

Une liste représentative des LC « maison » utilisée depuis les années 1970 pourrait inclure :

– Perkins Approved Clear English (PACE) (Perkins Engines) – Multinational Customized English (Xerox)

– EasyEnglish (IBM)

– Controlled Automotive Service Language (CASL) (GM) – Kodak International Service Language.

– Simplified Technical English (ASD-STE100) (AECMA) – Nortel Standard English (NSE)

– Sun Controlled English (Sun)

– International Language of Service and Maintenance (ILSAM) (Caterpillar) – Bull Global English

– Ericsson English

– Français rationalisé (GIFAS) – Scania Swedish

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D’autres LC ont été développées dans les universités, notamment Attempto Controlled English (ACE) à Zurich (1999). Il s’agit d’une LC strictement formalisée pouvant être traduite directement en langage mathématique.

Controlled Language Optimized for Uniform Translation (CLOUT™) présente une série de règles de rédaction conçue par Uwe Muegge pour faciliter la traduction automatique.

Il est généralement admis dans l’industrie que l’emploi des LC produit un gain, en l’absence d’une évaluation comparative stricte, dont on ne voit pas d’ailleurs comment elle pourrait être conduite dans la pratique. Cette démarche simplificatrice a toujours semblé se justifier par son rationalité apparente et par sa place dans une évolution générale largement incontestée. Le retour des utilisateurs est globalement positif au regard des indices de satisfaction.

Force est de constater que les LC ont fait leurs preuves dans l’industrie et qu’elles recueillent la confiance des industriels ; nous pouvons affirmer que l’avenir proche verra très certainement une extension de leur champ d’application.

Diachronie et tendances lourdes

Les LC représentent l’état actuel d’un long processus de normalisation du langage « public » intervenue à mesure de la densification des échanges. Ce processus tend à contrecarrer les tendances naturelles des langues vers la créativité (jeu de langage, néologie, métaphore...) ou vers la fragmentation en une multiplicité de dialectes (« babélisation »), voire d’idiolectes, autant de facteurs de « brouillage » dans une communication pragmatique. Cette normalisation privilégie donc la fonction référentielle de la langue aux dépens de ses fonctions émotives, poétiques et phatiques (selon le modèle de Jakobson).

À contre-courant des LC nous observons un phénomène parallèle : la diffusion de parlers de communication internationale, généralement basées sur l’anglais, utilisés par exemple dans le tourisme ou dans le commerce international (ou par les étudiants Erasmus...). Il s’agit ici d’une langue souvent approximative, souvent non conforme à l’anglais standard, voire créolisée, et relevant plus d’un processus de babélisme que de langue contrôlée, où simplification est tout sauf approximation (on pourrait parler de « langue incontrôlée »…).

Les « langues de service » occupent une position médiane. Souvent rudimentaires dans leur structure et étroitement spécialisées (Airspeak, la langue de communication radiotéléphonique des pilotes d’avion, par exemple, ou

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simplement les annonces dans les aéroports, gares, hôtels, etc.), ces petits sous-ensembles sont néanmoins figés et formalisés.

Les débuts de ce processus de normalisation langagière datent de l’émergence des langues standards ou officielles et, corrélativement, par la disparition des patois et la marginalisation des « parlers régionaux ». Cette évolution, conduite d’abord par l’école, ensuite par les médias, nous a habitué à la prescription langagière, à l’existence d’une norme, ou langue standard, dont les règles devaient être apprises, et dont le maniement correct légitimait le discours. Le terrain était préparé pour l’étape suivante, où l’expression de la « pensée claire » céderait le pas à un nouvel impératif : la « communication efficace ».

L’ergonomie documentaire au service du destinataire

La deuxième moitié du XXe siècle voit apparaître dans la sphère anglophone une nouvelle évolution tendant à privilégier le destinataire de la communication écrite. En un premier temps cette nouvelle orientation s’est focalisée sur les manuels scolaires et militaires (USA) et sur les documents administratifs (GB), jugés peu efficaces à cause d’une insuffisante prise en compte des capacités de compréhension des usagers. La pensée claire était devenue langue de bois. Des efforts institutionnels et le militantisme des pédagogues ont abouti aux bonnes pratiques de rédaction du « Plain English » dont les grandes règles sont désormais classiques :

Prefer the shorter word to the longer.

Prefer verbs to nouns and adjectives.

Use no more than 20 words per sentence.

Use the active voice rather than the passive.

Write with your ear – write nothing you cannot comfortably say.

Write for the eye as well as the mind – use layout for emphasis and visual

comfort.

En France, un souci analogue inspirerait la création en 2001 du Conseil pour la simplification du langage administratif (COSLA). Cette initiative, que certains ont jugée tardive, a abouti à un manuel de bonnes pratiques en matière de rédaction de

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courrier et de formulaires administratifs, venant en complément à l’ouvrage de référence de Philippe Catherine, Le Style administratif.

Cette nouvelle « rédaction contrôlée » en anglais fait appel à la notion de

readability, paramètre grossièrement quantifié à l’aide de différents readability indices principalement en fonction de la longueur moyenne des mots et des

phrases. Le calcul automatique de ces indices est encore assuré aujourd’hui, 60 ans après leur introduction, par les logiciels de traitement de texte. Toutefois il n’est pas certain que cette métrique soit applicable à d’autres langues.

Actuellement les recommandations de bon sens du Plain English sont largement diffusées dans les manuels de style, au point de provoquer des réflexes conditionnés parmi les rédacteurs professionnels anglophones. Elles ont servi de tremplin pour l’étape suivante, qui est le développement des LC proprement dites. Les règles de Plain English sont incorporées telles quelles dans un grand nombre de LC au départ.

De la langue de spécialité à la langue contrôlée

À partir de 1970 certaines grandes entreprises industrielles, notamment Caterpillar, commencent à développer des LC à usage interne, de façon empirique. Une étape décisive est franchie lorsque l’Association of European Airlines lance une enquête sur la lisibilité de la documentation de maintenance aéronautique en anglais. Cette initiative relève un certain nombre de problèmes à résoudre, dont :

– foisonnement excessif de la documentation (redondance, documents inutiles) ; – hétérogénéité terminologique selon l’équipementier ou l’usine ;

– besoin d’être compris des non-anglophones (le « tout-anglais ») ; – nécessité de pouvoir confier la rédaction à des non-anglophones ; – besoin d’une documentation unique et incontestable en cas de litige.

L’extrême importance attachée à la fiabilité des systèmes aéronautiques, dont le dysfonctionnement peut avoir des conséquences dramatiques, incite également à développer une documentation de qualité.

Pour répondre à ce besoin, une langue contrôlée, initialement appelée

« International Aerospace Maintenance Language » ou plus familièrement « Simplified English » est mise au point par l’Association européenne des

constructeurs de matériel aérospatial (AECMA). En 1989 cet anglais simplifié est incorporé dans la spécification ATA 100, et obligation est faite aux fournisseurs

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des industries aérospatiales civiles de rédiger leur documentation support en cette LC. En 2004, AECMA devient ASD (AeroSpace and Defense Industries Association of Europe) et l’anglais simplifié devient Simplified Technical English sous la spécification ASD-STE 100. Cette LC est utilisée très largement dans le secteur aérospatial et industries connexes (Boeing, EADS, Rolls-Royce, Saab Systems, Flir Systems, Bombardier...).

En 1990 le Groupement des industries françaises aéronautiques et spatiales (GIFAS) diffuse le « Français rationalisé », inspiré du STE-100 et pouvant être facilement traduits vers celui-ci, du moins en principe. Cette LC sera utilisée dans différents secteurs de l’aéronautique militaire en France et notamment par le motoriste Snecma.

A partir de 1980 d’autres LC sont développées par différentes entreprises industrielles. Parmi les buts déclarés de ces LC citons :

– clarté, précision, concision ; – homogénéité ;

– bi-univocité terminologique (ni polysémie ni synonymie) ;

– normalisation textuelle (rubrication, longueur de phrases, de paragraphes, listes...) ;

maintainability ; processability ; translatability.

Servitude du traducteur : l’obligation d’améliorer

La traduction technique étant rigoureusement « cibliste » (le terme est de J.-R. Ladmiral), le traducteur a un devoir d’« améliorer » dès lors que le texte source ne répond pas aux critères de qualité énumérés ci-dessus, ce qui est très souvent le cas. Mieux les critères de qualité rédactionnelle seront remplis, et meilleure sera la qualité ergonomique du texte cible. Le traducteur technique ne saurait rendre une traduction non conforme à ce que l’utilisateur reconnaît comme un document réalisé dans les règles de l’art. C’est pourquoi une connaissance de LC et surtout des principes qui les sous-tendent constituent un outil de travail précieux et un gage de qualité. Il reste, bien sûr, à convaincre le donneur d’œuvre que cette qualité peut avoir une valeur marchande...

Rappelons que les LC sont des sous-ensembles de la langue naturelle ; ils sont par conséquent « solubles » dans celle-ci. Autrement dit, puisque leurs règles restrictives ne heurtent pas les règles constitutives de la langue naturelle, les LC

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peuvent être mélangées entre elles et avec la langue technique générale en toutes proportions et à discrétion. L’ensemble des règles des LC peut être considéré ainsi comme un corpus de recommandations de portée générale.

Règles et restrictions : une boîte à outils

Les règles lexicales, syntaxiques et textuelles des LC peuvent être classées sous quatre rubriques selon leur finalité :

– désambiguïsation – explicitation

– simplification des structures syntaxiques – architecture textuelle

S’il n’y pas d’ensemble de règles communes à toutes les LC, on peut néanmoins relever un certain nombre de règles récurrentes qui peuvent s’inclure dans une liste de bonnes pratiques. Parmi les règles souvent énoncées dans les LC sous-ensembles de l’anglais et susceptibles de s’appliquer facilement à d’autres langues, citons :

bi-univocité du lexique technique (ni polysémie, ni synonymie – no elegant

variation) ;

– lexique général restreint appartenant à un corpus du secteur professionnel – atelier, bureau d’études... ;

– respect de la chronologie dans les instructions – une action par phrase sauf dans le cas d’actions simultanées ;

– dans les instructions, énoncé des moyens (outils, méthodes) avant l’énoncé de l’action ;

– numérotation des instructions, tirets ou puces pour les listes.

– séparation et mise en ordre des fonctions du discours (description et fonctionnement, mise en garde, listes, mode opératoire) ;

– phrases courtes (la règle des 20 mots est très largement préconisée en anglais) ;

– maîtrise de la modalité (probabilité, obligation, adverbes disjoints, verbes intentionnels...) pour éliminer toute subjectivité intempestive ;

– respect de la hiérarchie des connecteurs logiques NEG > CONJ > DISJ > INFER ;

– ordre textuel = ordre temporel ;

– concision, économie, minimalisme (aucune information inutile) ;

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– maîtrise de l’anaphore – répétition d’un nom de préférence à l’emploi d’un pronom ;

parsability – catégories grammaticales facilement identifiables ;

verticalité – rubriques, listes, alinéas, balises, numérotations, tableaux...

Complétons cette liste par quelques règles spécifiques du français rationalisé GIFAS (manuels de maintenance) :

– verbes : n’utiliser que l’infinitif présent, l’infinitif à valeur impératif, le présent de l’indicatif présent, le futur de l’indicatif (pas de subjonctif, de passé, de participe présent) - utiliser la voix active autant que possible ;

– dans une même phrase, ne pas relier un groupe nominal et une proposition verbale par une coordination.

– concision : pour être concise, une phrase ne doit comporter que les mots nécessaires à sa compréhension ;

– exposer les sujets complexes par une disposition séquentielle du texte ;

et quelques règles spécifiques de l’anglais simplifié AECMA (ASD-STE 100) (manuels de maintenance) :

do not make noun clusters of more than three nouns ;

when appropriate, use an article or a demonstrative adjective before a noun ; verbs : use only the infinitive, the imperative, the simple present tense, the

simple past tense or the future tense – use the active voice ;

use the past participle only as an adjective ;

paragraphs : the maximum length of a paragraph is six sentences – always

start the paragraph with the topic sentence – each paragraph must have only one topic.

Si c’était aussi simple...

Comme nous l’avons énoncé, une LC se veut un sous-ensemble de la langue naturelle, à la différence d’un langage artificiel tel qu’un langage informatique, ou un code. Cette propriété des LC a été considérée comme un facteur favorisant leur imposition puisque le rédacteur n’a pas à « désapprendre » les règles constitutives de la langue naturelle, mais doit seulement appliquer une nouvelle couche de règles par-dessus celles qu’il connaît déjà. Aucune violence n’est faite à la langue naturelle, puisque les fondements de la langue ne sont pas modifiés. Toutefois on constate un certain nombre de difficultés dans l’application des LC, qui peuvent laisser soupçonner que cette affirmation n’est pas entièrement justifiée. Citons :

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– inconfort dû à la répétition lexicale, au rythme haché et aux structures prévisibles, conduisant au décrochage ou saut (même si STE-100 préconise « try to vary sentence length and construction to keep the text interesting » ) ; – faible hiérarchisation de l’information au sein des phrases due à l’utilisation

réduite de la subordination (afin de garder la longueur des phrases dans les limites prescrites) ;

– thématisation hasardeuse – affaiblissement, neutralisation ou même inversion de l’opposition thème-rhème ;

– déshumanisation du discours avec perte d’autorité ou de complicité de l’auteur, en qui on perd confiance, et démotivation de l’utilisateur ;

– rejet par les rédacteurs d’une pratique ressentie comme ennuyeuse et dévalorisante.

incompatibilité possible entre les différentes finalités des LC – readability,

translatability, efficacité opérationnelle, valeur de référence...

– pression de la part de rédacteurs et d’utilisateurs en faveur d’assouplissements (l’inverse est moins fréquente) ;

– incohérences dans la formalisation des LC développées progressivement à partir de l’existant et d’une manière empirique, souvent dues aux concessions faites à l’usage ;

– règles, dont on soupçonne que leur portée n’a pas été pleinement appréciée, difficiles voire impossibles à appliquer dans certains cas.

En effet, affirmer que l’application des règles prescriptives des LC ne bouscule jamais les règles constitutives de la langue suppose déjà que nous connaissons bien toutes ses règles constitutives, ce qui n’est pas démontré. De plus, les règles constitutives de la thématisation, de la hiérarchisation des informations, des fonctions de la prosodie et autres subtilités ne sont pas prises en compte dans la formalisation des LC, qui s’éclaire aux règles de grammaire élémentaires des manuels scolaires. Règles elles-mêmes parfois contestables, notamment pour l’anglais, mal à l’aise dans le moule de la grammaire latine. À vouloir imposer des restrictions trop massives à la langue, ne la prenons-nous pas à contre-pied ?

Encore un petit effort

Les traducteurs et autres professionnels du langage savent que la communication ne saurait être purement factuelle, et qu’une documentation en apparence étanche n’empêche pas l’erreur humaine, quand elle ne la favorise pas en induisant un faux sentiment de sécurité. Réduire à néant le champ d’interprétation de l’utilisateur, le dépossédant ainsi de toute initiative et le privant de tout exercice de son intelligence critique dans l’exécution d’une tâche, est-ce le meilleur moyen

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de le motiver ? Pourtant le ton complice et la convivialité des « How to » destinés au grand public ne sont guère compatibles avec les exigences d’un contexte professionnel. Quelle doit être la part de l’humain dans la documentation technique, et sous quelle forme doit-elle y apparaître ? C’est sans doute là que la sensibilité de l’excellent rédacteur ou du traducteur hors pair peut jouer. Encore faut-il que le marché soit prêt à le reconnaître.

En attendant, continuons à créer des documents qui, s’ils sont pauvre en chaleur humaine font néanmoins des belles constructions modernes, claires et aérées. N’oublions pas cependant que Mme Savoye s’est lassée de sa villa blanche, tout chef-d’œuvre qu’elle fût…

Ressources

En règle générale, la documentation afférant aux LC développées par les entreprises industrielles n’est pas dans le domaine public. Certains documents sont commercialisés : c’est le cas pour l’ASD-STE100, dont le manuel est distribué par l’Air Transport Association of America (ATA). La documentation de l’ASD-STE100 est assez largement diffusée puisque sont autorisés à l’utiliser (et à la reproduire) gratuitement toute l’industrie aérospatiale, ainsi que tous ses clients et tous ses fournisseurs. Des travaux de recherche sur les LC sont publiés notamment dans les actes des différents colloques de l’International Workshop on Controlled Language Applications (CLAW) depuis 1996.

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Bibliographie

Du général au particulier :

Deux grands classiques normatifs :

Catherine, P, Le Style administratif, Paris, Albin Michel, 2005. Ritter, M. et al., New Hart’s Rules, Oxford, OUP, 2005. Langue technique, langue de spécialité :

Alred G. J. et al., Handbook of Technical Writing, Bedford St Martin’s, 2000. – Froeliger, N., « Binaire et liminaire : la forme en traduction technique »,

Tribune internationale des langues vivantes, no 45, Novembre 2008, p 75. – Sager, J. C. et al., English Special Languages – Principles and practice in

science and technology, Wiesbaden, Oscar Brandstetter Verlag KG, 1980.

Langues contrôlées et traduction :

Arnold, D. et al., « Controlled Languages », Machine Translation: An

Introductory Guide, Oxford, Blackwell, 1993.

Wojcik, R. H. & Hoard, J. E., « Controlled Languages in Industry », Survey of

the State of the Art in Human Language Technology, Cambridge, CUP, 1998.

– Ryan, R., « Les langues contrôlées sont-elles l’avenir de la traduction ? »,

Tribune internationale des langues vivantes, no 45, Novembre 2008, p 60.

L’auteur

Docteur d'État en Sciences physiques, diplômé de l'Institute of Linguists, Londres, Richard Ryan pratique la traduction technique et scientifique depuis plus de 30 ans. Il est actuellement maître de conférences d'anglais à l'Université Blaise-Pascal (Clermont 2) où il enseigne la traduction pragmatique.

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