La Lettre du Cancérologue •
Vol. XXVI - n° 8 - septembre 2017| 403
DOSSIER
Actualités
aux 28 es Journées de la FFCD
Top 3 des articles publiés en 2016 : côlon et rectum
The 3 best articles published in 2016:
colon and rectum
S. Pernot
11 Service d’hépatogastroentérologie et oncologie digestive, hôpital européen Georges-Pompidou, Paris ; université Paris-Descartes.
Anti-EGFR versus anti-VEGF : une méta-analyse en
1 re ligne ches les patients ayant un cancer colorectal métastatique RAS sauvage (1)
Les molécules anti-EGFR et anti-VEGF représentent 2 options validées en association avec la chimio- thérapie en première ligne de traitement des patients atteints de cancers colorectaux métastatiques (CCRm) sans mutation de RAS. Ces dernières années, 3 essais randomisés (l’essai de phase II, PEAK, et les 2 essais de phase III, FIRE-3 et CALGB/SWOG 80405) [2, 3] ont confronté ces 2 classes théra- peutiques, obtenant toutefois des résultats incons- tants. Par ailleurs, les populations de ces études étaient sélectionnées sur le statut de KRAS selon l’“ancienne” définition (codons 12 et 13 de l’exon 2) et non sur le statut de RAS, incluant NRAS et les mutations rares de KRAS. Cette méta-analyse a rassemblé les données disponibles de ces 3 essais randomisés pour les populations RAS sauvage (wild type), permettant l’analyse de 1 096 patients.
La survie globale était significativement augmentée chez les patients traités par anti-EGFR (HR = 0,80 ; IC
95: 0,68-0,93), de même que le taux de réponse (OR = 0,57 ; IC
95: 0,42-0,76) et le taux de réponse précoce (OR = 0,48 ; IC
95: 0,33-0,71). La survie sans progression (OR = 0,93 ; IC
95: 0,74-1,18) et le taux de résection secondaire étaient, en revanche, iden- tiques, quelle que soit la thérapie ciblée utilisée.
La tolérance n’a pas pu être analysée, en raison du manque de données (les résultats sont cependant peu attendus car les profils de toxicité sont désor- mais bien connus).
Les résultats de cette étude sont donc en faveur de l’utilisation des anti-EGFR en première ligne de traitement des CCRm RAS sauvage. Cependant, ils ne permettent pas complètement de se prononcer définitivement pour une stratégie plutôt que pour
une autre. En effet, cette étude ne prenait pas en compte la stratégie globale, notamment l’utilisa- tion potentiellement bénéfique des anti-VEGF en première et en deuxième ligne, comme l’a montré l’étude TML, utilisation qui est actuellement testée dans l’essai STRATEGIC versus première ligne par anti-EGFR. Enfin, il a été récemment suggéré, à nouveau dans des études de sous-groupes de très faibles effectifs, que le bénéfice des anti-EGFR doit être réévalué dans certains sous-groupes anato- miques (cancers du côlon droit) ou moléculaires (expression forte de miR-31-3p).
Chirurgie du cancer du rectum : quand faut-il opérer après la radiochimiothérapie ? Essai GRECCAR-6 (4)
Les cancers du bas et du moyen rectum classés T3/T4 ou ceux présentant un envahissement ganglionnaire doivent être traités par radiochimiothérapie, suivie par une chirurgie dans un délai de 6 à 8 semaines.
Cependant, plusieurs études rétrospectives ont suggéré qu’un allongement de ce délai pourrait permettre d’augmenter la réponse histologique, et donc potentiellement d’améliorer les résultats carcinologiques. Afin de confirmer ces résultats, l’essai GRECCAR a inclus prospectivement 256 patients après radiochimiothérapie néo- adjuvante pour un adénocarcinome rectal non métastatique. Lors de leur inclusion, les patients étaient randomisés pour être opérés soit 6 à 8 semaines, soit 10 à 12 semaines après la radiochimiothérapie. Cet essai multicentrique avait pour but d’évaluer le taux de réponse complète histologique (pRC).
L’allongement du délai à 10-12 semaines n’amélio- rait pas le taux de pRC (tableau). Il ne favorisait pas non plus la préservation sphinctérienne (taux d’am- putation abdominopérinéale : 11 versus 10 % [NS]).
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Vol. XXVI - n° 8 - septembre 2017Points forts
Cet allongement était, par ailleurs, à l’origine d’une moins bonne qualité d’exérèse du mésorectum (tableau). Enfin, un délai de 10-12 semaines était à l’origine d’une augmentation significative de la morbidité postopératoire (45 versus 31 % ; p = 0,029), possiblement en lien avec une dissection plus difficile.
GRECCAR-6 est la première étude prospective analysant l’impact du délai entre la radiochimio- thérapie et la chirurgie. Il montre qu’il n’y a pas d’intérêt à attendre 11 semaines en termes de réponse histologique et que, de plus, cela augmente la morbidité. Nous devons donc respecter le délai de 6 à 8 semaines entre la radiochimiothérapie néo- adjuvante et la chirurgie.
L’amplification d’HER2 chez les patients atteints d’un CCRm est une cible prometteuse : essai HERACLES (4)
Bien que les altérations génomiques soient mainte- nant largement connues dans le cancer colorectal, peu d’entre elles ont fait l’objet d’un ciblage théra- peutique efficace. En particulier, le blocage de la voie de l’EGFR représente aujourd’hui l’un des principaux traitements chez les patients n’ayant pas de mutation de RAS. Cependant, certains patients RAS sauvage sont tout de même d’emblée résistants aux anti-EGFR, ce qui est en faveur de l’hypothèse que d’autres alté- rations génomiques sont à l’origine de cette résistance.
Dans un modèle préclinique de xénogreffes, certaines tumeurs ayant une résistance primaire aux anti-EGFR en l’absence de mutation de RAS présentaient une amplification du gène HER2. Chez les souris porteuses de ces tumeurs, la double inhibition de HER2 par trastu- zumab et lapatinib a permis une régression tumorale.
HERACLES est une étude de phase II mono- centrique, monobras, testant l’association trastu- zumab + lapatinib chez des patients atteints d’un CCRm KRAS sauvage (exon 2, codons 12 et 13) et ayant échappé aux chimiothérapies de référence, y compris les anti-EGFR. Le statut HER2+ était défini par un marquage 3+ dans plus de 50 % des cellules en immunohistochimie (IHC) ou 2+ en IHC, et un ratio HER2/CEP17 supérieur à 2 dans plus de 50 % des cellules en FISH. Les patients étaient traités par trastuzumab (4 mg/kg en dose de charge puis 2 mg/kg/sem.) en association avec du lapatinib 1 000 mg/j sur 21 jours.
Parmi les 914 patients screenés, seulement 48 (5 %) étaient HER2+. Vingt-sept de ces patients ont fina- lement pu être inclus dans cette étude.
L’association trastuzumab + lapatinib a permis d’ob- tenir une réponse objective chez 8 patients (30 %), et une réponse complète, ainsi qu’une stabilisation de la maladie chez 12 patients (44 %). Enfin, 59 % des patients avaient une maladie contrôlée pendant plus de 16 semaines, avec des réponses allant de 6 mois à plus de 2 ans (figure). Les médianes de survies sans progression et globale étaient de 21 et 46 semaines, respectivement. Quarante-cinq pour cent des patients étaient vivants à 1 an. La réponse était meilleure en cas de statut HER2 3+ à l’IHC ou en cas de nombre de copies élevé de HER2.
Enfin, le traitement était bien toléré, sans aucune toxicité de grade 3-4.
Avec 5 % des patients HER2+ parmi la sous- population de ceux RAS sauvage, l’association trastu- zumab + lapatinib représente clairement une niche thérapeutique. Elle est cependant du même ordre de grandeur en matière de nombre de patients que d’autres altérations génomiques qui ont permis la validation de certaines molécules (crizotinib pour les mutations ALK dans les cancers du poumon)
» Anti-EGFR versus anti-VEGF en 1
religne chez les patients RAS sauvage (wild type) : une méta-analyse en faveur des anti-EGFR.
» Chirurgie après radiochimiothérapie néo-adjuvante pour un cancer du rectum : le délai recommandé de 6-8 semaines ne doit pas être allongé.
» Patients RAS sauvage résistants aux anti-EGFR : l’amplification HER2 est rare, mais sa double inhibition par trastuzumab + lapatinib est efficace.
Mots-clés
Cancer colorectal Anti-EGFR HER2
Highlights
» A meta-analysis of studies testing anti-EGFR versus anti- VEGF in first line treatment for patients with a RAS wild type colorectal cancer: anti-EGFR seems better.
» Surgery after neoadjuvant radiochemotherapy for rectal cancer: Optimal delay shouldn’t be extended beyond 6-8 weeks.
» RAS wild-type tumor with primary resistance to anti- EGFR: HER2 amplification is a rare event, but double inhibi- tion using trastuzumab + lapa- tinib is effective in this case.
Keywords
Colorectal cancer Anti-EGFR HER2
Tableau. Principaux résultats de l’essai GRECCAR 6.
Caractéristiques 7 semaines 11 semaines p
Réponse complète histologique (n = 265) 20 (15 %) 23 (17,4 %) 0,6
Mésorectum complet 108 (90 %) 96 (78,7 %) 0,015
Morbidité globale (n = 253) 39 (31 %) 57 (45 %) 0,029
Mortalité 2 (1,6 %) 0 (0 %) NS
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Figure. Réponse tumorale (critères RECIST [v1.1]).
ou ont permis d’étude d’autres molécules en phase III (immunothérapie chez les patients avec instabi- lité des microsatellites [MSI] dans les CCRm). Les résultats de la combinaison trastuzumab + lapatinib dans cette population sont très prometteurs. De plus, il a été observé qu’aucun des patients ayant une surexpression de HER2 inclus dans l’étude n’avait eu une réponse objective préalable sous cétuximab.
Cette observation est en faveur d’une résistance primaire aux anti-EGFR liée à la surexpression de HER2. Les auteurs suggèrent donc que l’association
trastuzumab + lapatinib pourrait avoir un intérêt avant même de traiter ces patients par anti-EGFR.
L’association semble très efficace chez des patients RAS sauvage avec une amplification HER2 et ayant résisté aux anti-EGFR, obtenant des réponses et des survies impressionantes. Cependant, étant donné le faible nombre de patients, cette étude n’amène pour le moment qu’une preuve de concept. Il faut espérer qu’une étude de phase III randomisée pourra valider cette association, sans quoi il sera difficile d’en faire bénéficier les quelques patients concernés. ■ 80
60 40 20 0 - 20 - 40 - 60 - 80 - 100
Varia tion de la somme des lésions cibles par rappor t à l ’inclusion (%)
3
0 6 9 12
+
15 18 21 24
Mois
1. Heinemann V, Rivera F, O’Neil BH et al. A study-level meta-analysis of efficacy data from head-to-head first-line trials of epidermal growth factor receptor inhibitors versus bevacizumab in patients with RAS wild-type metastatic colorectal cancer. Eur J Cancer 2016;67:11-20.
2. Schwartzberg LS, Rivera F, Karthaus M et al. PEAK: a randomized, multicenter phase II study of panitumumab plus modified fluorouracil, leucovorin, and oxaliplatin (mFOLFOX6) or bevacizumab plus mFOLFOX6 in patients with previously untreated, unresectable, wild-type
KRAS exon 2 metastatic colorectal cancer. J Clin Oncol 2014;32(21):2240-7.
3. Heinemann V, von Weikersthal LF, Decker T et al.
FOLFIRI plus cetuximab versus FOLFIRI plus bevacizumab as first-line treatment for patients with metastatic colorectal cancer (FIRE-3): a randomised, open-label, phase 3 trial. Lancet Oncol 2014;15(10):1065-75.
4. Lefevre JH, Mineur L, Koti S et al. Effect of interval (7 or 11 weeks) between neoadjuvant radiochemotherapy and
surgery on complete pathologic response in rectal cancer:
a multicenter, randomized, controlled trial (GRECCAR-6).
J Clin Oncol 2016. [Epub ahead of print]
5. Sartore-Bianchi A, Trusolino L, Martino C et al. Dual- targeted therapy with trastuzumab and lapatinib in treatment-refractory, KRAS codon 12/13 wild-type, HER2- positive metastatic colorectal cancer (HERACLES): a proof- of-concept, multicentre, open-label, phase 2 trial. Lancet Oncol 2016;17(6):738-46.
Références bibliographiques
S. Pernot déclare avoir des liens d’intérêts avec Amgen, Merck, Sanofi (expertise) ; Merck, Amgen (prise en charge de congrès).
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