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Former des médecins « communicateurs » ?

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Academic year: 2021

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Former des médecins « communicateurs » ? A.Polomeni

Résumé

Afin de répondre aux attentes sociétales et aux exigences de l’exercice médical, des cours sur la communication et sur la relation médecin–malade ont été mis en place. Ces enseignements apportent des « techniques communicationnelles » qui risqueraient de faire fi des aspects socioculturels et de la subjectivité du patient, mais également celle du médecin. Notre propos attire l’attention sur l’enjeu majeur de ces enseignements : esquisser une éthique de la rencontre.

Mots clés Techniques communicationnelles · Relation médecin–malade · éthique · Approche clinique · Formation médicale

Abstract

To answer the societal expectations and the requirements of the medical exercise, courses on the communication and the doctor–patient relationships were set up. These trainings bring communication skills which would risk to disregard the sociocultural aspects and subjectivity of both the patient and the doctor. Our subject draws the attention on the major stake in these teachings: sketch an ethics of the meeting.

Keywords Communication skills · Doctor–patient relationships · Ethics · Clinical approach · Medical training

Introduction

Un arrêté relatif au régime des études médicales (08/04/2013) vient donner corps à des attentes sociétales à l’égard du futur médecin : qu’il soit non seulement un «scientifique » et un «clinicien», mais aussi un «acteur de santé publique», veillant à la promotion de la santé. Pour cela, il faudrait qu’il soit «coopérateur», capable d’exercer ses fonctions au sein d’une équipe de soins, «responsable» sur les plans éthique et déontologique et «réflexif», c’est-à-dire, conscient de ses limites et prêt à s’inscrire dans une démarche continue d’amélioration de ses compétences.

Parmi les compétences « exigibles », celle de « communicateur » s’avèrerait centrale: le médecin doit non seulement être capable d’ «obtenir les renseignements pertinents et

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les points de vue du patient et de son entourage », « de discerner quelle information doit leur être délivrée», en établissant des «interactions efficaces fondées sur l’éthique et l’empathie», mais également de «gérer son stress et celui des autres acteurs».

Pour répondre à ces requis, ont été organisés – sous différentes formes (nombre d’heures d’enseignement consacrées, méthodes pédagogiques utilisées) - des cours sur la communication et sur la relation médecin-malade. Leur mise en place répond au constat que l’exercice de la clinique médicale ne peut pas se reposer sur les qualités innées des étudiants et que « l’acquisition des compétences relationnelles » requiert un apprentissage de « techniques d’expression et de communication».

Ces enseignements abordent les schémas et fonctions de la communication – y incluant « les particularités des interactions médecin/malade (le questionnement, l’écoute active, la reformulation, l’argumentation, la négociation...) », notamment « la gestion des situations difficiles (la présence de la tierce personne, l’annonce des mauvaises nouvelles, les comportement agressifs, etc)».

Visant « la maîtrise d’un répertoire de comportements communicationnels », ces enseignements peuvent même proposer l’évaluation des « aptitudes à communiquer » à partir de grilles d’observation des habilités considérés indispensables à la réalisation d’un processus de « communication efficace ».

La communication comme « technique » ?

Afin de répondre à l’objectif de former des médecins « communicateurs », différentes approches pédagogiques sont proposées, basées sur des « données scientifiques disponibles en communication interpersonnelle et professionnelle issues à la fois des sciences humaines (sociologie, psychologie, communication) et des sciences de la santé » [1].

Différents outils ont été crées : graphiques, guides d’entretien, méthodes de type mnémotechnique, déclinant des recommandations de bonnes pratiques dans le domaine.

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permet de décliner les deux fonctions de la communication professionnelle en médecine – à savoir « l’échange d’informations et le développement d’une relation » - auprès de différentes populations et dans différents contexte de soins [1].

Les auteurs se réfèrent au Guide de Calgary-Cambridge [2], « un guide des comportements et tâches observables faisant partie d’un processus de communication efficace (…) dans une démarche prêtant une attention aussi vive aux éléments factuels à découvrir (le contenu) qu’aux habiletés à utiliser (le processus) » [3]. Le Guide donne des orientations pour :

- débuter l’entrevue médicale : préparer la rencontre, établir le premier contact, identifier les raisons da la consultation,

- recueillir l’information : explorer les informations de base, le contexte, la perspective du patient ;

- faire l’examen clinique

- expliquer et planifier : fournir la quantité et le type adéquats d’information, aider le patient à retenir et comprendre les informations ; arriver à une une prise de décision partagée ;

- terminer l’entrevue : préparer la fin de l’entrevue ; planifier les prochaines étapes Dans le champ de la cancérologie, un guide a été établit par l’ASCO – American Society of Clinical Oncology afin de « fournir des conseils aux cliniciens d'oncologie sur la façon d'utiliser la communication efficace pour optimiser la relation médecin-patient, leur bien-être, ainsi que le bien-être de la famille » 1. Ce guide aborde « les principales compétences de communication susceptibles d’être utiles à travers le continuum du soin des patients atteints de cancer, mais aussi des recommandations sur des sujets spécifiques, comme la discussion des buts du soin et le pronostic, le choix du traitement, le soin en fin de vie, facilitant la participation familiale dans le soin » [4].

Nous pouvons constater que ces recommandations de bonne pratique tendent à être exhaustives et détaillées, allant de la façon d’organiser l’espace où un entretien aura lieu (y compris la mise en disponibilité de mouchoirs !) jusqu’aux phrases-types par

1 . C’est nous que traduisons : « This guideline provides guidance to oncology clinicians on how to communicate effectively so as to optimize the patient-clinician relationship, patient care, and the well-being of clinicians, patients, and their loved ones ». Il est intéressant de noter que le bien-être du clinicien est aussi mentionné.

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lesquelles les médecins devraient manifester leur empathie vis-à-vis du malade dans le but de mieux « gérer » leurs manifestations émotionnelles…

Des protocoles et des méthodes de type mnémotechnique s’ajoutent, afin d’aider les cliniciens à annoncer des mauvaises nouvelles (SPIKES) ou bien à répondre de façon adaptée aux émotions du patient (NURSE).

Consistant en six étapes, SPIKES est un protocole ayant pour but de « permettre au clinicien d'accomplir les quatre objectifs les plus importants de l'entretien divulguant de mauvaises nouvelles : la collecte d'informations du point de vue du patient, la transmission des informations médicales, l’offre d’un soutien au patient et la collaboration du patient dans la future stratégie thérapeutique future » [5]. Les auteurs décrivent leur protocole étape par étape :

1. Préparer l’interview

2. Explorer la perception du patient 3. Encourager les questions du patient 4. Donner l’information au patient

5. Répondre aux émotions du patient avec de l’empathie

Pour chaque étape, des conseils pratiques et précis sont proposés. Ainsi, pour l’étape 1 on invite le médecin à s’asseoir et à maintenir un contact visuel avec le patient (et d’éventuellement le toucher). Pour les étapes 2 et 3, le clinicien est censé questionner le patient sur le type d’information qu’il souhaiterait avoir (plus ou moins exhaustive), avant même de procéder à l’information. Concernant l’étape 4, il est rappelé qu’il ne faut pas utiliser des mots techniques et qu’il est important de vérifier pas à pas la compréhension des informations données par le patient.

Quant à l’étape 5, le clinicien pourrait aussi bien se servir de NURSE - N aming, U nderstanding, R especting, S upporting, E xploring., un outil mnémonique que « résume ce qu’ il faut faire pour répondre aux émotions du patient et les accepter ». Les auteurs se proposent à décrire « une carte cognitive de communication » à l’usage de médecins prenant en charge des patients atteins de cancer - carte suffisamment détaillée pour proposer aux praticiens d’énoncer telle phrase plutôt que telle autre...[6].

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Nous nous attardons dans l’examen de ces « guides » ou « protocoles » pour mieux cerner, au sein de ces approches, les risques de réduire la communication à une procédure technique.

« Etre un clinicien expert veut dire être un communicateur expert. Notre dextérité verbale devrait correspondre à notre dextérité gestuelle (procédurale) et à notre savoir scientifique», affirment … [7].

Ainsi, Baile et al. [5] assimilent l’annonce de mauvaises nouvelles « à d'autres actes médicaux qui exigent l'exécution d'un plan point par point » : « dans des protocoles médicaux, par exemple, la réanimation cardio-pulmonaire ou la gestion de l’acidose diabétique, chaque étape doit être effectuée et, en grande partie, l'achèvement réussi de chaque tâche est dépendant de l'achèvement de l’étape préalable ».

Des méthodes pédagogiques spécifiques (jeux de rôles, vidéos, observation de consultation, entrevues simulées, etc) devraient alors permettre aux médecins d’acquérir donc une « dextérité » dans la communication avec les malades, comparables à la dextérité gestuelle et/ou au savoir biomédical.

Or, dans leur revue de la littérature, Moore et al. [8] montrent que ces différentes formations en communication médicale semblent être efficaces dans l'amélioration de certains types de compétences communicationnelles liées à la collecte d'informations (utilisation de questions ouvertes) et dans le soutien aux patients (empathie). Néanmoins, les auteurs n’ont pas noté d’effet bénéfique de ces formations sur l'épuisement des soignants, sur la santé physique ou mentale des patients ou sur leur la satisfaction vis-à-vis des soins2.

Pour une « communication efficace » ?

L’efficacité des formations à la communication médicale serait alors à mesurer à l’aune

2 . L’étude de Trudel et al [9] compare les observations faites par des chercheurs et par des patients à propos des comportements des médecins ayant trait aux aspects techniques et relationnels. La discordance entre ces observations met en évidence l’empreinte de la subjectivité dans ces interactions – ce qui questionne l’approche « communicationnelle » basée sur des aspects cognitifs et comportementaux.

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des « attentes sociétales » vis-à-vis des médecins ? Ces attentes sont déterminées par les conditions réelles de travail (régulations institutionnelles et contraintes de temps), par la réalité démographique et épidémiologique (vieillissement de la population, incidence des maladies chroniques), par des aspects économiques (coût de la non-adhérence aux traitements) et sociaux (démocratisation de l’accès aux informations médicales et autonomie des malades) [3]. Des « guidelines relationnels » se mettraient alors au service des guidelines biomédicaux, pour une meilleure gestion de ces différentes contraintes, dans une « conception managériale du soin » [10] ?

Et pourtant, il a été démontré que guidelines biomédicaux ne sont pas suffisamment appliqués dans la pratique clinique : la difficulté de délimiter les « soins inappropriés » en est la preuve [11]. Parmi les facteurs intervenant sur ce phénomène, certains ont trait aux praticiens : leur représentation de ces recommandations, qui peuvent être vécues comme une entrave à l’autonomie du médecin ou une immixtion au sein du colloque singulier, leur expérience clinique, l’interaction avec les patients. L’attitude clinique se baserait alors plus sur des « mindlines » que sur des guidelines [12].

Ainsi, des « parasites » (notamment liés aux caractéristiques du médecin: le sexe, l’âge, la spécialité, mais aussi les origines culturelles, les croyances, les perceptions des risques et l’histoire personnelle) interviennent sur le raisonnement clinique [13].

Reconnaissant l’influence de ces « parasites » sur le raisonnement médical, certains auteurs proposent d’intégrer à l’approche pédagogique de la communication médicale des « activités de découverte de soi » [3]:

Ainsi, Gillighan et al. [4] incluent dans leurs recommandations des « exercices pour favoriser la conscience de soi et la conscience situationnelle »3, allant de la réflexion sur des expériences personnelles avec le système de soin (en tant que patient ou en tant que proche du patient) jusqu’à la pratique de brèves séances de « pleine conscience » (mindfullness) pendant la journée de travail.

Ce « travail sur soi » d’éviterait que les aspects subjectifs (émotions, valeurs)

3 . « La conscience situationnelle est liée aux émotions, aux attitudes, aux croyances sous-jacentes ainsi que des biais implicites qui peuvent affecter la communication et la prise de décisions » [4]. C’est nous que traduisons.

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interviennent de façon inappropriée dans la communication médecin-patient et dans les décisions cliniques, empêchant le médecin de « maîtriser » les échanges (verbaux et non verbaux) [3] afin de pouvoir poser des actes conformes aux guidelines biomédicaux en promouvant l’adhésion d’un patient « autonome »?4

Et cela au nom d’une approche « centrée sur le patient », d’une compréhension basée sur l’empathie « qui ferait que l’autre nous deviendrait transparent, à la façon naïve dont nous nous croyons transparents à nous-mêmes » 5.

Il nous semble fondamental de questionner la mobilisation de notions d’allure « humaniste » dans la construction de ce qu’on peut identifier comme un « dispositif » - au sens d’Agabem, c’est-à-dire « tout ce qui a d’une manière ou d’une autre, la capacité de capturer, d’orienter, de déterminer, d’intercepter, de modeler, de contrôler et d’assurer les gestes, les conduites, les opinions et les discours des êtres vivants » [16].

En l’occurrence, il s’agirait de modeler les discours et les attitudes médicales dans l’objectif de « communiquer avec les patients (et leurs proches) de façon éthique, empathique et…efficace ? » La juxtaposition de ces mots interpelle : à quels principes éthiques les critères d’efficacité devraient-ils s’adosser?

Les mots tels que « techniques », « gestion » et « efficacité », omniprésents dans les textes sur la communication médicale semblent autoriser un rapprochement avec les formations sur les compétences relationnelles proposées dans le domaine entrepreneurial.

Examinant cette notion de « compétences relationnelles et sociales » dans le champ de la

4 . A ce propos, nous reprenons les dires de JC Weber : « La boussole trompeuse de l’exaltation de l’autonomie conduit à une impasse : jamais la volonté n’a semblé autant mise en avant, et pourtant les voeux du patient n’auront réellement voix au chapitre que s’ils sont conformes à l’ordonnancement raisonnable que met en place la raison médicale au nom du principe de plaisir » [14].

5 . Lacan : « […] en elle-même, la psychanalyse n’est nullement une technique dont l’essence soi de re pandre la compre hension, […] ce quelque chose qui va s’enraciner dans une sorte d’Einfu hlung, d’empathie, qui ferait que l’autre nous deviendrait transparent, à la façon naïve dont nous nous croyons transparents à nous-mêmes, ne serait-ce que pour ceci que justement la psychanalyse ça consiste à découvrir que nous ne sommes pas transparents à nous-mêmes ! Alors, pourquoi est-ce que les autres nous le deviendraient ? » [15].

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formation en ressources humaines, Camus [17] montre qu’elle prend ancrage dans une conception utilitariste de la relation à l’autre. Ainsi, afin de légitimer des conduites relationnelles attendues dans le but de l’exercice d’une influence potentielle sur autrui, sont mobilisées des notions telles que l’empathie, le respect, la tolérance, la collaboration…

Il s’agirait de mettre en acte une « empathie utilitariste » qui, détectant par une « écoute active » les motivations de l’interlocuteur, chercherait à les intégrer pour mieux l’influencer, le convaincre. Autrement dit, un certain degré d’implication affective est ainsi requis à des fins stratégiques : « la normalisation de conduites manipulatrices, sous couvert d’un psychologisme humaniste fonctionnant comme caution déontologique »[17].

Cette question éthique est incontournable dans le cadre de la communication médicale. Une communication efficace serait donc celle qui à travers « une attitude courtoise, respectueuse, sensible envers le patient et ses proches, préservant leur dignité, leur amour propre, leur fierté ou leur honneur, aiderait le médecin à établir une relation chaleureuse, accueillante, lui permettant de guider le patient dans sa démarche thérapeutique (leadership), d’exercer sur lui une influence (convaincre) concernant les questions médicales et de gérer les potentiels conflits interpersonnels et les désaccords… » ? [1].

Ainsi, notre propos cherche à interroger « l’impensé normatif » [10] de cette approche de la communication dont les risques seraient, d’une part, d’instrumentaliser la parole du patient et d’autre part, de renforcer chez le médecin des mécanismes défensifs permettant de « maîtriser », voire d’ «aseptiser», la rencontre avec le patient.

Les impasses de la communication

En effet, réduire la rencontre médecin-malade à une « interaction efficace » - soit-elle « basée sur l’éthique et l’empathie », serait faire fi de ce qui la fonde, à savoir une demande, « tissage articulé dans la parole d’un besoin de soins et du désir d’être entendu et reconnu comme « personne» ou « sujet » [14] .

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Cette demande est adressée à un « sujet supposé savoir », le médecin, et comme nous rappelle Lacan, «c’est dans le registre du mode de réponse à la demande du malade qu’est la chance de survie de la position proprement médicale. » [15].

Cette position proprement médicale ne peut pas méconnaître que c’est l’adresse qui inaugure la relation, préexistant donc à toute communication. Prise d’emblée dans le champ transférentiel de la relation médecin-malade, la communication charrie le malentendu qui se revêt des formes particulières dans la clinique médicale – comment le montre J-C Weber [18].

L’auteur parle d’un premier malentendu, lié au passage de la plainte du malade au signe médical – processus d’objectivation inhérent à la clinique. Il questionne aussi le malentendu associé au rôle social de la médecine, prise entre ses missions cliniques, au service de la personne, et ses missions de santé publique. Finalement, il va nommer les différents malentendus inhérents à la relation médecin-malade, tributaire de cette « tension entre la langue commune, qui permet la communication et la parole singulière qui la rend précaire » [18].

C’est peut-être cette dimension de malentendu que les approches pédagogiques de la communication médicale cherchent à évincer…Or, Lacan avertit : « dès qu’on se parle, il y a des malentendus. On recherche alors le bien entendu. Là, danger ! car le bien entendu cache le mal compris » [19].

Une vignette clinique

Dans le cadre d’un groupe balint au sein d’une Faculté de Médecine, ce jeune interne relate une consultation avec Mr P., homme de 67 ans suivi pour un cancer de la prostate. L’interne lit dans le dossier que le patient n’a pas adhéré aux démarches préventives de dépistage et que, depuis le diagnostic, ne se montre pas plus « compliant » aux propositions thérapeutiques. Au fil de l’entretien, l’interne se débat avec ce patient qui dit avoir lu que les démarches de dépistage amènent à sur-traiter des patients qui n’auraient pas forcément développé un cancer. Mr P. poursuit, en mettant en avant que les interventions chirurgicales dans son cas ne semblent pas être indispensables. … etc.

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L’interne affirme avoir utilisé les différentes techniques apprises lors des cours de communication médicale afin de convaincre le patient à suivre les recommandations de bonne pratique dans sa situation clinique. Il dit « s’être efforcé de se montrer empathique », de s’intéresser au point de vue du patient, de « rouler avec sa résistance »6, bref, d’avoir « bien maîtrisé l’entretien». Néanmoins, il garde de cette consultation un sentiment d’agacement et de frustration : il est certain que le patient ne fera pas les démarches afin d’organiser l’intervention chirurgicale conseillée.

Au cours du travail du groupe, l’interne peut nommer son impression d’avoir « fait semblant » et d’avoir cherché à « manipuler » le patient tout au long de l’entretien, en l’écoutant pour mieux le persuader, en cherchant dans les failles du discours du malade les arguments pour mieux asseoir son autorité médicale. Les échanges avec les autres internes permettent à ce jeune médecin de se rendre compte qu’il n’avait pas abordé les craintes du patient concernant les séquelles possibles de la chirurgie – pourtant bien connues… et de reconnaître que, dans sa perception, la question de l’impuissance n’était pas primordiale, étant donnée l’âge du patient et les risques liés à la maladie cancéreuse. Cette inquiétude, ce jeune médecin regrette de ne l’avoir pas dit à ce patient : « c’était peut être le meilleur argument… ».

Cette vignette clinique met en lumière les impasses de la communication, en suggérant que « c'est l'accusé de réception qui est l'essentiel de la communication en tant qu'elle est, non pas significative, mais signifiante » [21]

Ce n’est qu’en offrant un espace d’élaboration des situations vécues, au sein duquel puissent émerger les aspects transférentiels et contre-transférentiels de la relation médecin-malade qu’un véritable travail de formation peut avoir lieu.

A ce propos, nous avions cherché à montrer l’apport des groupes Balint tout au long de la formation médicale [22].

Ces «groupes de formation-recherche» [23] proposent un cadre qui favorise l’élaboration de l’expérience relationnelle dans le champ de l’exercice professionnelle. Raconté à soi et aux autres - entre oublis et omissions, détails cliniques et imprécisions –

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le cas clinique est l’objet d’échange entre les membres du groupe. Ce processus d’élaboration groupal permettra au soignant de penser la relation, qui apparaît alors revêtue de tout la subjectivité dont elle est empreinte, d’éclairer ce qui vient se jouer – à son insu – dans sa relation à ce patient.

Pour conclure

Il nous semble fondamental que la relation médecin-malade soit considérée comme un enseignement à part entière au sein de la formation médicale et qu’une attention particulière soit accordée à une approche pédagogique adaptée à cet apprentissage. L’enjeu majeur de ces enseignements serait de ne pas offrir des « conduites à tenir », de ne pas réduire la complexité de la relation médecin-malade à une « interaction efficace » basée sur des modalités communicationnelles « techniques » qui viendraient « modéliser » le comportement des médecins.

L’enjeu ne serait pas d’ajouter une « dextérité relationnelle » au savoir scientifique, mais de réfléchir sur « la manière propre à la profession d’écouter le discours de la plainte, d’ausculter le corps, de supporter le transfert, d’ordonner des remèdes : jonctions de gestes et de paroles. » Et que, à partir de cette réflexion, « une éthique de la rencontre [puisse] alors être esquissée… » [23].

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