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Aaron Cicourel, La justice des mineurs au quotidien de ses services. (avant-propos et traduction de Samuel Bordreuil), IES, coll. Le geste social, [1968], 2017, 606 p.

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21 | Automne 2018 Varia

Aaron Cicourel, La justice des mineurs au quotidien de ses services

(avant-propos et traduction de Samuel Bordreuil), IES, coll. Le geste social, [1968], 2017, 606 p.

Anne Kletzlen

Édition électronique

URL : http://journals.openedition.org/sejed/9532 ISSN : 1953-8375

Éditeur

École nationale de la protection judiciaire de la jeunesse

Référence électronique

Anne Kletzlen, « Aaron Cicourel, La justice des mineurs au quotidien de ses services », Sociétés et jeunesses en difficulté [En ligne], 21 | Automne 2018, mis en ligne le 01 décembre 2018, consulté le 22 avril 2019. URL : http://journals.openedition.org/sejed/9532

Ce document a été généré automatiquement le 22 avril 2019.

Sociétés et jeunesses en difficulté est mis à disposition selon les termes de la licence Creative Commons Attribution - Pas d'Utilisation Commerciale - Pas de Modification 4.0 International.

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Aaron Cicourel, La justice des mineurs au quotidien de ses services

(avant-propos et traduction de Samuel Bordreuil), IES, coll. Le geste social, [1968], 2017, 606 p.

Anne Kletzlen

1 Il a fallu attendre 50 années après sa publication pour qu’une traduction française de the Social organization of juvenile justice nous soit livrée. Celle-ci est l’œuvre de l’ancien directeur du laboratoire méditerranéen de sociologie (LAMES), Samuel Bordreuil qui, dans l'avant-propos, explique les problèmes posés par la traduction du texte en français et le souci qui l’a animé de tenir compte des particularités des champs scientifiques français et américain ainsi que d'un lectorat qui n'est plus celui de la fin des années 1960.

Qu'il en soit vivement remercié car, par-delà le terrain d'étude - la justice des mineurs -, l'ouvrage d'Aaron Cicourel constitue un véritable manuel de sociologie tant ses apports théoriques sont nombreux.

2 Rappelons tout d'abord qu'Aaron Cicourel, actuellement professeur émérite de sociologie à l'université californienne de San Diego, faisait partie de l'école de Chicago lorsqu'il a publié son ouvrage en 1968. Cette école, structurée autour de la revue Social problems, questionne les problèmes sociaux nés de l'apparition de gigantesques agglomérations peuplées anonymement et de l'éclosion de la société de consommation. Les chercheurs de l'école de Chicago s'intéressent aux processus d'étiquetage qu'ils abordent dans une perspective interactionniste. C'est dans cette mouvance que s'inscrit Aaron Cicourel ; son ouvrage suit celui d'Howard Becker Outsiders (1963)1 et celui de Erving Goffman Stigmates (1963)2,

3 Bien qu'il ne le mentionne pas, Aaron Cicourel se situe assurément dans la lignée d' Outsiders en montrant que la délinquance, juvénile en l'occurrence, est une construction résultant d'un processus d'étiquetage produit par les groupes sociaux et les institutions en interactions constantes. Les structures sociales, les institutions ne préexistent pas aux acteurs ; ils font corps ensemble et se recomposent sans cesse. Dans cette perspective, Aaron Cicourel explore minutieusement les discours et pratiques des agents qui prennent en charge les jeunes étiquetés à problèmes, d'où le titre donné à la traduction française de

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l'ouvrage. L'analyse repose - et c'est semble-t-il rare dans les travaux ethnographiques, selon Samuel Bordreuil- sur de solides bases empiriques, tout ce qui est dit est vérifié, tout ce qui n'a pu être solidement étayé est mentionné.

4 En effet, l'auteur étudie longuement le problème de la construction des données. Il se penche sur le travail d'objectivation et de vérification qui incombe au chercheur et souligne les écueils de l'entreprise pour un scientifique évoluant sur une scène sociale non figée. Les rapports, les comptes-rendus d'enquêtes, les transcriptions d'auditions etc.

ne rendent pas compte des silences, du non-verbal, de l'attitude des jeunes face aux autorités. Or ce non-verbal, ce non-dit, a conditionné la représentation, voire la définition, en bref l'étiquetage des mineurs en jeunes à problèmes.

5 Initialement, Aaron Cicourel, dans un contexte de réforme de la justice des mineurs en Californie, souhaitait suivre dans le temps une cohorte d'enfants à problèmes. Il n'a pu accompagner qu'une dizaine de garçons et filles de leur entrée à leur sortie du dispositif de prise en charge. Il a aussi, pendant quatre années, observé le fonctionnement des institutions prenant en charge ces jeunes de l'intérieur en se faisant embaucher dans plusieurs services. Il a mené cette observation participante dans deux villes californiennes de taille similaire. Ce sont ces résultats qu'il nous restitue à travers 7 chapitres mêlant empirie et méthodologie.

6 On le sait, la délinquance des mineurs, comme nombre de problèmes sociaux (le chômage par exemple) est bien souvent mesurée à l'aune des statistiques officielles produites.

L'auteur montre qu'il s'agit là du produit de pratiques socialement organisées et des représentations des agents qui font appliquer les lois. Ainsi, un jeune mal habillé au comportement bruyant attirera plus facilement l'attention des forces de l'ordre qu'un jeune correctement vêtu et discret. Le premier aura plus de chance que le second de voir sa conduite qualifiée de « mauvaise » et de répréhensible.

7 C'est dire si les statistiques n'ont de sens qu'au regard de leurs conditions de production, autrement dit en fonction du contexte socio-historique de leur élaboration, et des stratégies professionnelles des institutions de contrôle de la délinquance. Ces stratégies sont en partie liées aux effectifs mobilisés et à l'organisation des services concernés ainsi que le montre la sociologie des organisations. En attestent les différents taux de délinquance constatés dans les deux villes californiennes retenues au fonctionnement politico-administratif différent et donc aux pratiques professionnelles hétérogènes des agents de contrôle de la délinquance juvénile.

8 L'analyse des processus de production et d'usage des statistiques qui légitiment la délinquance juvénile comme problème public s'inscrit dans un contexte de critiques concernant l'utilisation des statistiques officielles américaines qu'évoquent par ailleurs John Kitsuse et Aaron Cicourel dans une note sur le sujet (1963). Toutefois, à cette date, les questions de pertinence et d'adéquation des chiffres pour mesurer la criminalité avaient déjà été traitées par les chercheurs francophones. Christian-Nils Robert et Massimo Sardi (1996) rappellent qu'elles ont été posées dès la naissance des statistiques judiciaires soit en 1830. Ces questions seront systématisées en 1977 par Philippe Robert.

Celui-ci, dans un article qui a fait date, souligne que les statistiques ne doivent être utilisées que pour analyser le système pénal et en aucun cas la délinquance dont l'appréhension passe aussi par l'utilisation d'enquêtes de victimisation.

9 C'est également un constat maintes fois dressé en France aujourd'hui comme hier notamment par les chercheurs du CESDIP, les statistiques de délinquance des mineurs

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font état d'une surreprésentation des minorités ethniques. Cependant, et ce peut être lié aux politiques organisationnelles propres aux deux villes étudiées, ces minorités ne sont pas nécessairement issues de familles à faibles revenus : des infractions commises par des jeunes Noirs faisant partie des classes supérieures seront davantage poursuivies que celles émanant de jeunes Blancs appartenant à ces mêmes classes. De plus, il ne parait pas y avoir de réelle corrélation entre la délinquance et les cassures familiales comme il est communément admis. En fait, les policiers qui alimentent la chaîne de prise en charge des jeunes réputés à problèmes produisent une délinquance s'inscrivant dans le cadre des stéréotypes en vigueur.

10 Par ailleurs, l'évaluation de la gravité des infractions imputées aux jeunes est une question de définition et d'interprétation, surtout lorsque les jeunes appartiennent aux classes inférieures ou aux classes supérieures. La définition des faits imputables à des jeunes issus de classes moyennes est affaire de négociation y compris devant les tribunaux qui statuent sur le sort des mineurs déférés. Ce processus d'interprétation de faits, transcrits dans des rapports, pose la question de la pertinence des énoncés qui acquièrent alors une valeur juridique pour incriminer des mineurs à problèmes.

11 Cette catégorie de mineurs à problèmes se recompose tout au long du processus institutionnel de prise en charge des jeunes. Elle évolue en fonction des scènes sociales qu'elle traverse, en fonction aussi de la retranscription des discours et témoignages oraux qui ont pour effet de valider les transformations qui s'y profilent. Il apparaît ainsi que les questions religieuses et ethniques semblent avoir un impact sur les activités des agences de contrôle : à casier judiciaire égal, la mesure prononcée à l'égard des jeunes diffère en fonction des convictions religieuses des agents et de la couleur de peau des mineurs concernés ; ce sont ce que l'auteur nomme les attentes d'arrière-plan.

12 Les mesures prononcées in fine vont du prolongement du séjour en famille d'accueil à l'enfermement en passant par le classement sans suite ou la thérapie. Certes, il faut tenir compte des vives tensions alors existantes chez les professionnels entre les courants répressif et thérapeutique ; elles participent à l'orientation des dossiers dans telle ou telle direction. Mais l'orientation des dossiers est aussi fonction des clientèles des institutions de prise en charge des jeunes et des représentations dont ces clientèles sont l'objet. Tout est donc affaire de situation sociale.

13 En conclusion, Aaron Cicourel montre comment, tout au long du processus de fabrication de la délinquance juvénile, des mineurs initialement étiquetés à problèmes quittent la chaine de prise en charge. Le poids des contraintes organisationnelles est souligné en mobilisant les travaux de Michel Crozier sur le phénomène bureaucratique (1964). La délinquance juvénile apparaît ainsi comme le produit de mécanismes et de procédures institutionnels en actions. Cette perspective diffère des approches sociologiques classiques qui « présupposent que les « délinquants » sont des types sociaux

« naturels » se distribuant de manière relativement ordonnée, tous produits de la pression, foncièrement abstraite, émanant des structures sociales » (p. 595-596).

Toutefois, Émile Durkheim, dans Les règles de la méthode sociologique (1894) a souligné que la délinquance, certes fait social normal et naturel, est définie par une norme dont la transgression est sanctionnée.

14 C’est pourquoi il aurait peut-être fallu mettre en exergue le poids du droit, autrement dit l'influence des contraintes juridiques dans les processus de construction sociale de la délinquance juvénile. En effet, le droit n’est pas un instrument ployable en tous sens. Il est porteur de sa propre rationalité, laquelle a ses propres effets : ils contribuent eux aussi

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non seulement à la définition des délinquants mais aussi à leur prise en charge par les institutions. Philippe Robert l'a bien montré dans son travail de 1977 sur les statistiques criminelles et la recherche.

15 Reste que l'ouvrage d'Aaron Cicourel, dont l'écriture peut dérouter le lecteur qui n'est pas sociologue, représente un véritable travail scientifique. Il donne ou rappelle aux chercheurs quelques méthodes de travail tandis qu'il permet aux professionnels de la prise en charge de la délinquance de réfléchir sur leurs pratiques. Enfin, il fournit les clés de compréhension de la fabrique des problèmes sociaux. Pour toutes ces raisons, il est toujours d'actualité.

BIBLIOGRAPHIE

Becker (Howard, S.), Outsiders, Études de sociologie de la déviance (trad. fr. J.-P. Briand, J.-M.

Chapoulie), Paris, Métailié, 1985, (1re éd.) Outsiders: Studies in the Sociology of Deviance, New York, The Free Press of Glencoe, 1963, 179 p.

Bomio (Giorgio), Robert (Christian-Nils), « Alphonse de Candolle ou pourquoi lire un botaniste égaré dans la statistique judiciaire au début du XIXe siècle ? », Déviance et société, vol. 11, n°4, 1987, p. 337-363.

Crozier (Michel), Le phénomène bureaucratique, Paris, Le Seuil, coll. Points, 1971, (1re éd., The bureaucratic Phenomena, Chicago, University of Chicago press, 1964, 320 p.

De Candolle (Alphonse), « Considérations sur la statistique des délits », Bibliothèque universelle, 1830, p. 23-59.

Durkheim (Émile), Les règles de la méthode sociologique, Paris, PUF, 1894,1re éd. 158 p.

Goffman, (Erving), Stigmate : les usages sociaux des handicaps, Paris, 1975, 1re éd., Stigma: Notes on the Management of Spoiled Identity, Upper Saddle River, 1963. 320 p.

Robert (Philippe), « Les statistiques criminelles et la recherche. Réflexions conceptuelles », Déviance et société, vol. 1, n° 1, 1977, p. 3-27.

Kitsuse (John J.), Cicourel (Aaron V.), (1996), « Note sur l'utilisation des statistiques officielles », Lettre grise, n° 2, vol.1, 1966, (traduction de Christian-Nils Robert de « A Note on the uses of official statistics », Social problems, XI, 1963, p. 131-139.

Robert (Christian-Nils), Sardi (Massimo.), « Modeste note sur une note qui l'est moins », Lettre grise, n° 2, vol. 1, 1966. 250 p.

NOTES

1. Howard Becker, Outsiders, Études de sociologie de la déviance (trad. fr. J.-P. Briand, J.-M.

Chapoulie), Paris, Métailié, 1985, (1re éd. Outsiders: Studies in the Sociology of Deviance, New York, The Free Press of Glencoe, 1963.

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2. Erving Goffman, Stigmate : les usages sociaux des handicaps, Paris, 1975, 1re éd., Stigma : Notes on the Management of Spoiled Identity, Upper Saddle River, 1963.

AUTEUR

ANNE KLETZLEN

Anne Kletzlen est docteur en droit. Elle est chercheure associée dans l’équipe « Déviance et action publique », dirigée par Laurent Mucchielli, laboratoire LAMES/AMU/CNRS. Ses travaux portent principalement sur la dimension répressive des politiques publiques dans le domaine de la sécurité routière et de la criminalité organisée.

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