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LES MÉDIAS DE LA CONTRE-RÉFORME EN FRANCE AU XVII E SIÈCLE

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Nouveau Monde éditions | « Le Temps des médias » 2011/2 n° 17 | pages 11 à 20

ISSN 1764-2507 ISBN 9782847366389

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La Contre-Réforme, c’est-à-dire l’effort de reprise en main du peuple chrétien par la hiérarchie catholique après la grande tourmente de la Réforme, est marquée par des efforts missionnaires novateurs. Ils proposent ou imposent d’autres formes de prédi- cation et d’enseignement, d’autres céré- monies, d’autres pratiques des sacre- ments, en somme d’autres médias pour reconquérir le peuple chrétien ignorant ou passé à la Réforme.

Le siècle des saints

En France, ce « siècle des Saints » voit émerger des personnalités, remarquables par leur dévouement à la cause et leur abnégation, mais aussi par leur capacité d’innovation en terme de médiatisation du message évangélique. Si les premiers sont les jésuites et les capucins, les plus connus sont, ensuite, en Savoie, Fran- çois de Sales (1567-1622), qui fonde avec Jeanne de Chantal (1572-1641) un nouvel ordre, la Visitation. A Paris,

Pierre de Bérulle (1575-1629), fonde les Oratoriens, et Vincent de Paul (1581-1660) les Lazaristes, tandis que l’abbé Bourdoise (1584-1655) crée la communauté des prêtres de Saint- Nicolas-du-Chardonnet, Jean-Jacques Olier (1608-1657), la compagnie des prêtres de Saint-Sulpice. En Norman- die, Jean Eudes (1601-1680) fonde lui aussi son ordre de Notre-Dame de Cha- rité, les Eudistes. En Velay et en Viva- rais, François Régis (1597-1640), jésuite, prêche des missions, comme, en Provence, le Père Le Quieu (+1676), dominicain, qui fonde à Marseille, en 1659, la congrégation des Sœurs du Saint-Sacrement. En Bretagne, enfin, Michel de Nobletz (1577-1652) assume pendant trente ans la vie de missionnaire et met au point une méthode pédago- gique nouvelle, fondée sur les images.

Julien Maunoir (1606-1683), jésuite, prend la suite du père de Nobletz et renouvelle lui aussi la pédagogie chré- tienne pour les Bretons. L’une des moti- vations de ces réformateurs et fonda-

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Les médias de la Contre-Réforme en France au XVII

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siècle

Hélène Duccini *

N °1 7 – Automne 2011 Le Temps des Médias

* Maître de conférence honoraire à l’Université de Nanterre, membre du comité de rédaction du Temps des médias.

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teurs d’ordre est la reconquête des fidèles passés au protestantisme et force est de constater que certaines provinces, comme la Normandie, ont été effecti- vement « reconquises ».

La grande innovation tient dans ce qu’on appelle les « missions » de l’inté- rieur, en comparaison avec les missions lointaines, prêchées par François- Xavier jusqu’au Japon. La mission est un temps fort de la pratique religieuse prêché par des missionnaires extérieurs aux paroisses qui, pendant trois semai - nes d’abord, puis pendant cinq ou même six semaines, donne une impul- sion forte à la prédication, l’enseigne- ment du catéchisme et le sacrement de pénitence, trois formes de communi- cations renouvelées par le style des mis- sionnaires.

On ne prétend pas ici faire le tour d’une aussi vaste question, mais plutôt poser les jalons qui éclairent la prise en compte de la médiatisation par ceux qui ambitionnent de « convertir » les brebis égarées et de les ramener au bercail. On envisagera donc successivement : le ministère de la Parole, essentiellement la prédication, puis l’enseignement du catéchisme, nouvelle formule pour enseigner les enfants et même les adultes et le rôle de la confession comme point d’aboutissement de la mission. En deuxième point, on mettra en lumière le rôle de l’image et des images comme support sensible de la doctrine et de la pratique religieuse. En troisième point, on verra quelle place nouvelle et quelles formes nouvelles prennent les cérémo- nies du culte dans la diffusion de la doc-

trine et de la pratique sacramentelle, avant de donner sa place à la musique sacrée dans l’arsenal des médias de la Contre-Réforme.

Une nouvelle approche de la parole sacrée La prédication

L’étude de la prédication au XVIIe

siècle ne peut se borner aux sermons d’un Bossuet ou d’un Bourdaloue, même si ces deux grandes voix domi- nent l’art oratoire de leur temps. A côté de ceux-ci, qui approchent la Cour et les grands, la prédication est la tâche quo- tidienne du clergé paroissial, celui qui voit les fidèles se rassembler chaque semaine pour la messe dominicale. Elle est au cœur aussi des moments forts que sont l’Avent et le Carême, moments voués aux missions dans les paroisses.

Certains ordres religieux, les jésuites, les capucins, les dominicains, les eudistes, les lazaristes se sont particulièrement atta- chés à la formation de « missionnaires ».

La mission dure généralement plu- sieurs semaines et elle est prise en main par des religieux spécialisés dans cet emploi, qui adaptent leur prédication à leur public. En général, ces prédicateurs répondent aux attentes formulées par le Concile de Trente (1546) : il convient que leurs sermons soient instructifs, une invitation à la conversion adaptée « à la capacité des auditeurs » et n’emploient que des termes faciles à saisir. Les nou- veaux ordres religieux, jésuites et capu- cins, sont alors formés à répondre aux prescriptions du concile. Ce nouveau

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type de prédication s’associe indissolu- blement à un nouveau type de com- portement du prédicateur. Son mode de vie doit être un exemple de vertu, ce qui est aussi important que son ensei- gnement lui-même. Ces prédicateurs sont généralement désignés comme des

« missionnaires apostoliques », ce qui signifie qu’ils doivent s’inspirer direc- tement de la tradition des apôtres, en adoptant un style simple et accessible.

Tout d’abord le missionnaire doit ins- truire des ignorants. Si l’on en croit Jean- Pierre Camus, l’ancien évêque de Bel- ley, les missionnaires des campagnes

« ont plus d’employ à instruire l’igno- rance des paysans qu’à destruire leurs vices, car il est sans doute que la vie champêtre est beaucoup plus innocente que celle des cités, où les esprits estant plus rasffinez et les peuples plus ramas- sez, les péchés aussi y sont plus subtils et en plus grand nombre1». Dès lors la pré- paration à la prédication est d’abord spi- rituelle. Les prédicateurs doivent avoir une conduite exemplaire : être humbles et pauvres, réservés vis-à-vis des femmes et se contenter du strict nécessaire. Ainsi doivent-ils aller à pied et non monter à cheval. Ils prêchent autant d’exemple que de parole. Tel était le Père Le Quieu: «On était touché dès le moment qu’on le voyait en chaire, car c’était un homme pénitent, anéanti et intérieur2. »

Cette vertu de pauvreté et de renon- cement doit aussi se percevoir dans le style de la prédication qui cherche la simplicité et non les effets de manches.

Il faut aller à l’essentiel sans recherche et, par conséquent fuir les ornements de

l’éloquence sacrée traditionnelle. Dans sa « petite méthode », Vincent de Paul exige avant tout la simplicité : « Voilà votre manière de prêcher, avec un dis- cours commun, tout bonnement, dans la simplicité, familièrement, […] de sorte qu’un chacun puisse entendre [comprendre] et en faire son profit3. » Il faut « éclairer les esprits » et « esmouvoir les volontez4».

Le sermon du matin doit être ins- tructif, axé sur les vérités élémentaires, comme serait un catéchisme pour adultes. Il doit durer trois quarts d’heure.

Chez les capucins, le sermon du début d’après-midi, instructif, lui aussi, peut prendre la forme d’un dialogue entre deux moines, le premier posant des questions naïves, le second y apportant des réponses. Il peut alors se prolonger sur « cinq quarts d’heure ». Enfin, le ser- mon de la fin d’après-midi, qui dure une heure, doit davantage « émouvoir » l’as- sistance en faisant souvent appel aux ter- reurs inspirées par l’incertitude du jour et de l’heure de la mort, le jugement de Dieu, l’Enfer et la damnation. Les mis- sionnaires vont jusqu’à épouvanter les fidèles. Le Père Le Quieu «estoit un ton- nerre qui faisait fondre en larmes les pécheurs les plus obstinéz : une voix puissante et pleine de force qui brisoit l’orgueil et qui abaissoit la hauteur des plus grands cèdres : une voix qui cou- poit le cours du feu le plus ardent, qui suspendoit l’activité de la flamme, ou de la colère la plus vehemente5. » Mais cer- tains tempéraient les menaces de l’En- fer par des discours plus lénifiants qui tiraient les larmes de leurs auditeurs.

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Dans la journée, le plus souvent, les prédicateurs prêchent à l’extérieur des églises de campagne, quelquefois trop exiguës. Le décor peut aussi ajouter à la dramatisation. A la tombée du jour les sermons avaient lieu dans l’église où les ombres mouvantes derrière les flammes vacillantes des torches ajoutaient à l’im- pression produite par le discours du prê- cheur. Dans les moments les plus pathé- tiques, la foule des auditeurs, qui exprime ses sentiments bouleversés, devient l’auxiliaire du prédicateur. Celui-ci doit avoir une voix qui porte jusqu’au fond de l’église. Même si la chaire le met en valeur, c’est à lui d’attirer et de soutenir l’attention. La gestuelle accompagne le discours. On a relativement peu de représentations des prédicateurs. En règle générale, ils portent, sur leur sou- tane, un surplis et quelquefois une étole.

Ils brandissent un crucifix, qui appuiera leur discours et doit attirer l’attention des auditeurs6. La référence la plus courante revient au Christ prêchant dans le désert ou à Jean-Baptiste, le précurseur.

Les témoignages s’accordent sur l’im- portance de la fréquentation des prêches.

A Bourges, en 1635, les sermons des Quarante-Heures attirent tant de mon - de que quatre moines capucins opèrent simultanément pour que chacun puisse entendre le sermon7.

A leurs sermons, les prédicateurs n’at- tirent pas que les catholiques dévots, mais aussi les pratiquants occasionnels et même des « libertins », sinon des pro- testants comme en Normandie, dans les Cévennes ou en Dauphiné. Pour ces auditeurs, l’obscurité est une auxiliaire

qui préserve leur anonymat. Mais les prédicateurs peuvent avoir affaire à des trublions. Une prédication qui insiste sur l’égalité de tous devant Dieu susci- tait parfois des réactions de la part des privilégiés de la société d’ordres. Cer- tains nobliaux venaient alors troubler des prêches qui menaçaient leurs privi- lèges sociaux et culturels. Le respect, l’admiration, la dévotion accompa- gnaient certains missionnaires dont la

« sainteté » rayonnait. Ainsi de François Régis. Lorsqu’il meurt au cours d’une mission, les fidèles refusent de rendre son corps à son ordre et gardent chez eux la dépouille du « saint ».

Le catéchisme

Le catéchisme est une forme nou- velle d’instruction religieuse. D’abord inventée par les protestants, elle est très vite adoptée par les missionnaires de la Contre-Réforme. Elle consiste à expo- ser la doctrine chrétienne sous la forme de questions/réponses. Par exemple :

«Qu’est-ce que Dieu? – Dieu est un pur esprit, infiniment bon, infiniment par- fait, éternel et tout-puissant. » Il appar- tient au missionnaire ou, dans la vie quotidienne, au clergé paroissial, de développer la réponse et de l’expliquer avant d’exiger des auditeurs, enfants ou adultes, qu’ils l’assimilent, souvent par cœur. Le catéchisme tient une place importante dans les missions. Les Ora- toriens comme les Lazaristes de Vincent de Paul y consacrent du temps généra- lement l’après-midi. Le premier caté- chisme catholique a été mis au point par les pères du Concile de Trente. Au

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XVIIe siècle, d’autres catéchismes sont publiés, comme celui dit « des trois Henri », évêques de La Rochelle, de Luçon et d’Angers, qui ont choisi de dif- fuser le même catéchisme dans leurs diocèses voisins pour ne pas déconcer- ter les fidèles par des présentations dif- férentes du message chrétien.

La confession

La pratique des sacrements vient ensuite confirmer l’appropriation de la parole sacrée. La confession générale qui conclut la mission en atteste le succès.

En effet, le missionnaire, qui prêche d’exemple, est aussi porteur du pardon des péchés obtenu dans la confession générale qui conclut la mission. Il peut, à cette occasion, obtenir au pécheur des indulgences. Les confessions consistent pour les missionnaires à entendre, dans le confessionnal où s’agenouille le péni- tent, la liste de ses péchés. Elles com- mencent au bout de trois ou quatre jours de prédication et occupent un bon nombre de prêtres, dix, quinze et quel- quefois beaucoup plus. Chaque confes- sion peut durer longtemps. Le dialogue d’accueil, comme le suggère Jean Eudes, est déjà toute une conversation. Parfois, le confesseur diffère l’absolution pour mettre à l’épreuve certains pénitents, leur laisser le temps d’aller se réconci- lier ou de faire cesser des situations scan- daleuses. Certains doivent ainsi revenir plusieurs fois vers le confesseur. La mis- sion est donc ce moment, extraordinaire dans la vie régulière des campagnes, où le surnaturel se manifeste par le pardon et le réconfort des fidèles. Le manuel du

Bon confesseur, rédigé par Jean Eudes, donne des conseils pratiques, précis et détaillés. Il insiste sur l’accueil des pauvres, des plus démunis, de ceux qui n’ont pas d’instruction et sont trop sou- vent opprimés par les riches. Il estime que sa congrégation doit d’abord ins- truire, assister et consoler les pauvres.

Ainsi, dans son manuel, à la question :

« Quels sont les effets de la pénitence ? », il répond : « Elle ressuscite les morts, les faisant passer de la mort du péché à la vie éternelle. » La conversation du confesseur avec son pénitent est donc un moment très important de la com- munication missionnaire.

L’image dans l’arsenal

médiatique de la Contre-Réforme L’usage des images pour appuyer la prédication et l’enseignement n’est pas un fait nouveau, mais, au XVIIesiècle, l’image pieuse se diffuse beaucoup plus largement. Le développement massif de la gravure, permet de produire des images pieuses de petit format, vendues à faible et même très faible prix parmi les paroissiens, même les plus pauvres.

La contemplation des images doit éle- ver l’âme des fidèles vers la contempla- tion des mystères de la foi. Le cycle de la vie de la Vierge et celui de celle de Jésus sont alors illustrés de façon naïve.

Deuxième observation, on voit appa- raître l’utilisation de grandes composi- tions destinées à illustrer la prédication elle-même.

C’est en Bretagne surtout que cette pratique se répand sous l’impulsion du

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père Michel de Nobletz (1577-1652).

Formé à l’université de Bordeaux puis chez les jésuites de cette ville, le père de Nobletz revient en 1606 dans sa Bre- tagne natale et entreprend des tournées de mission. Il s’appuie sur les talents de sa sœur Margueritte, qui a acquis une formation de cartographe à l’Ecole de cartographie du Conquet. Dès 1606, de Nobletz fait élaborer des cartes marines où figurent les dix écueils qui menacent la vie du chrétien. Ces cartes, dites « tao- lennoù » mêlent science et religion.

Destinées à un peuple analphabète de marins et de pêcheurs elles parlent à leur imagination. La description des écueils qui mènent en enfer et de ceux qui mènent au paradis suscite l’intérêt de son public de façon vivante. Pendant les vingt-cinq années de sa mission à Douarnenez et en Cornouailles, de Nobletz améliore les représentations des grands tableaux et il en perfectionne la didactique, adaptant son discours en images à ses auditeurs. Dans cette voie, à partir de 1640, le père Maunoir, jésuite, (1606-1683) est son digne successeur.

Ayant appris le breton, il donne près de 400 missions dans cette province en s’appuyant, lui aussi, sur les «taolennoù».

L’enseignement est fondé sur douze images : quatre figurent les fins der- nières : la mort du pécheur conduit celui-ci en enfer, la mort du juste mène celui-ci au paradis. A ce début, s’ajou- tent huit «cœurs allégoriques». Le diable avec sa fourche est presque toujours pré- sent et des animaux sont appelés à repré- senter des allégories. Ainsi le chien désigne l’envie, le loup la colère, la tortue

Saint-François Xavier, Montauban, Musée Ingres, Exposition 1972.

Saint François Régis, Tournon-sur-Rhône, Cha- pelle du lycée Gabriel Fauré.

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la paresse. Ces cartes décrivent le voyage du chrétien vers le salut.

L’image est au centre de la représen- tation baroque et les figures pâmées sont là pour en témoigner. Le mouvement, anime les prédicateurs. Vêtus de leur soutane et d’un surplis, souvent de l’étole du confesseur, ils brandissent la croix, signe de rédemption. Prenant le contre-pied des destructions perpétrées par les protestants et de l’austérité des prônes des pasteurs, les prédicateurs de la Contre-Réforme veulent toucher la sensibilité au moins largement autant que l’intelligence et les splendeurs baroques doivent y contribuer.

On pourrait aussi regarder le cycle de la Vierge imaginé par Pierre Puget dans la chapelle d’Aix-en-Provence. Certes les scènes de la vie de la Vierge sont fidèles à la tradition, Annonciation, Visi- tation, Présentation au temple, mais le style des peintures relèvent bien de cette sensibilité baroque qui s’exprime par les torrents de larmes versés par les péni- tents.

Les cérémonies baroques : un bain de foule priante

Les cérémonies, à commencer par la messe dominicale, sont l’occasion de réunir la communauté paroissiale dans une même ferveur. Elles constituent une forme particulière de média, très large- ment développée par le clergé de la Contre-Réforme. Si les cérémonies sont l’occasion de célébrations solen- nelles, il est certain que le XVIIesiècle leur donne une exceptionnelle solen-

nité. Là encore, la sensibilité baroque s’y exprime dans toute sa splendeur.

La priorité appartient naturellement à la messe du dimanche et, pour certains, à l’assistance aux vêpres dans l’après- midi. A ces pratiques habituelles et tra- ditionnelles, viennent s’ajouter des céré- monies nouvelles. Les plus importantes concernent le culte du Saint-Sacre- ment, autrement dit de nouvelles ma - nières d’honorer l’hostie consacrée.

Dans la suite des recommandations du Concile de Trente, des cérémonies

« extraordinaires » viennent s’ajouter au rituel canonique ordinaire.

Le salut du Saint-Sacrement Le culte eucharistique impose les bénédictions du Saint-Sacrement, qui comportent une exposition de l’hostie consacrée dans un ostensoir, un soleil posé sur un pied sur l’autel, devant lequel le célébrant, à genoux, dirige une prière collective avant de procéder à une bénédiction des fidèles avec l’ostensoir lui-même. Ce « salut du Saint-Sacre- ment » prend place le plus souvent dans des occasions « extraordinaires » déter- minées par l’évêque du diocèse : récita- tion d’un Te Deumpour célébrer une victoire remportée par les armées du roi ou hommage particulier au saint patron de l’église cathédrale. Cependant, pro- gressivement, sous la pression de l’esprit de reconquête catholique face aux avan- cées du protestantisme, le « salut » entre davantage dans les célébrations ordi- naires des diocèses et prend place pro- gressivement dans des célébrations plus fréquentes. Certains auteurs protestent

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contre ces débordement d’une piété eucharistique nouvelle et marquée par de nouvelles formes, mais d’autres, plus ouverts aux innovations, y voient, au contraire, une manifestation de ferveur.

Cette pratique leur paraît d’autant plus justifiée qu’il faut reconquérir les fidèles qui ont cédé aux sirènes du protestan- tisme. D’ailleurs, la pratique se déve- loppe sous la pression d’une dévotion et d’une ferveur irrépressible. L’exemple vient aussi d’en haut : à la chapelle royale de Versailles, l’exposition du Saint- Sacrement a lieu deux fois par semaine et le roi lui-même ne manque pas d’y assister. A Rome l’exposition est même quotidienne.

Les Quarante Heures

Dans des périodes de difficultés par- ticulières ou de supplications à des intentions publiques, au « salut » s’ajoute la prière des Quarante Heures. Pendant quarante heures d’affilée, le Saint-Sacre- ment est exposé à l’adoration des fidèles.

Cette pratique, « extraordinaire », est liée à un temps de pénitence particulier ou de prières plus intenses en période de calamités publiques. Là encore, il appar- tient à l’évêque d’en décider. Au

XVIIesiècle, l’habitude se prend d’une exposition de Quarante Heures durant le carnaval, pour expier les péchés et les désordres qui s’y commettent.

La Fête-Dieu

Enfin, le temps de la Fête-Dieu et son octave sont les moments les plus forts du culte eucharistique. Même les théo- riciens les plus réticents devant le déve-

loppement de ces pratiques admettent que le Saint-Sacrement soit exposé à cette occasion. Ainsi, la diffusion des cérémonies d’exposition du Saint- Sacrement est emblématique du grand mouvement qui favorise l’essor du culte eucharistique, en réponse aux choix des protestants qui nient la présence réelle du Christ dans l’hostie.

En fait, la Fête-Dieu, qui existe dans le monde rural, se développe surtout dans les villes. A la campagne, on reste plus fidèle aux processions tradition- nelles des rogations qui marquent les changements de saisons. En revanche, dans les villes, grandes et petites, la Fête- Dieu, créée au XIIIe siècle, prend un éclat particulier au XVIIe siècle. Une imposante procession ouvre les huit jours de ferveur eucharistique. La fête est placée un jeudi en mémoire du der- nier repas partagé par le Christ avec ses apôtres avant sa passion. La préparation de cette manifestation commence sou- vent des mois avant, voire un an avant la fête. Tous les groupes sociaux, le clergé, les corps constitués de la muni- cipalité, les groupes professionnels, les quartiers, prennent part à cette grande manifestation qui soude les membres de la communauté urbaine. Cette fête a, en effet, un caractère civique autant que religieux. Dans une ville cathédrale, les échevins ont d’ailleurs le privilège, avec les chanoines, de se relayer pour tenir les hampes et les cordons du dais sous lequel marche le prêtre qui porte l’ostensoir. Les confréries de métier sont elles aussi parties prenantes et de plus en plus au XVIIesiècle. Tous les fidèles

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sont invités à venir processionner, mais dans un ordre et suivant les préséances traditionnelles. François de Sales lui- même exhorte « vivement tous les fidèles des deux sexes […] de tout ordre et dignité, d’assister à la procession générale. […] Il ne convient pas que quelqu’un se tienne à l’écart d’une aussi grandiose profession [publique] de la religion catholique8».

La confirmation de l’itinéraire et des

« stations » ou reposoirs, le plus souvent au nombre de quatre, donne aussi ma - tière à discussion et témoigne de la volonté de manifester l’unité de la ville.

La circulation des carrosses et des char- rettes est alors réglementée et interdite sur le passage de la procession. Celle-ci ne doit pas revenir sur ses pas et passe quelquefois par des rues anciennes et étroites, ce qui témoigne d’une fidélité aux traditions. Comme la fête se situe en juin, elle bénéficie le plus souvent d’un temps ensoleillé. L’apparat tient aux décors des maisons sur le parcours du cortège, mais aussi aux vêtements des participants où le blanc domine, le noir n’étant pas de mise, en général.

Les cloches de la ville accompagnent cette grande manifestation et la musique y a une part importante, tant par les can- tiques repris par la foule, que par un chœur ou des instruments. Le cortège fait défiler les fidèles deux par deux,

« modestement », le côté festif ne devant pas l’emporter sur la dévotion. Mais il peut se faire que certains ne manquent pas de faire des escales dans les tavernes, ce qui risque de faire dégénérer la mani- festation. Les « reposoirs » sont érigés sur

des parvis ou des places qui permettent même d’installer des chaises.

Après cette grande manifestation du jeudi, l’octave tout entière est vouée à la prière et aux dévotions. Elle est la continuation de ce moment excep- tionnel dans la vie de la cité. On y voit se dérouler d’autres processions, plus modestes et organisées par les paroisses.

C’est alors l’occasion d’offrandes d’or- nements ou de linges d’autel, de dais ou d’ostensoirs ou encore de la concep- tion d’un livre de chants spécialement rédigé pour la fête.

A cette occasion les confréries du Saint-Sacrementont elles aussi leur jour de fête, situé généralement dans l’octave, le vendredi. Elles sont nombreuses à offrir des indulgences, plénières ou par- tielles et elles organisent leurs inscrip- tions pendant cette semaine privilégiée.

Confrères et consoeurs doivent alors donner l’exemple de la ferveur. Cette élite, reconnue par les clercs, obtient même souvent le privilège d’accompa- gner le dais sous lequel est porté l’os- tensoir.

Ainsi, la Fête-Dieu associe heureu- sement fête et piété dans une manifes- tation identitaire de la ville, une fête où chaque paroissien, chaque citadin, trouve une place, sa place, dans la com- munauté de la ville rassemblée et sou- dée dans la ferveur religieuse. Mais dans cette manifestation, les protestants sont des exclus, d’autant plus que cette exal- tation du Saint-Sacrement va directe- ment à l’encontre de leurs convictions.

Quelquefois on se plaint même qu’ils jouent les trouble-fêtes.

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Au terme de cette étude, la réforme catholique, qui lance son effort de reconquête au XVIIesiècle, servie par des personnalités exceptionnelles, manifeste une forte capacité d’invention en terme de communication. Les missions avec les trois piliers de la prédication, au besoin appuyée sur les images, du caté-

chisme et de la confession générale sont une formule neuve pour pénétrer les campagnes déchristianisées. L’effort de reconquête d’un clergé rénové vers la foule des fidèles a incontestablement inventé ou renouvelé ses formes de communication.

Notes

1Jean-Pierre Camus, Des missions ecclésiastiques, Paris, 1643, p. 336.

2Archange Gabriel de l’Annonciation, La Vie de Antoine Le Quieu, t.1, p. 486.

3 Conférence du 20 août 1655, « Sur la méthode à suivre dans les prédications », in Entretiens spirituels,p. 215.

4Ibidemp. 216.

5Archange Gabriel, op. cit.p. 475-487.

6Représenter la prédication aux XVIIeet XVIIIesiècles, exposition au Musée de Port-Royal-des- Champs, 15 septembre-13 décembre 2010.

7G. Martin, Le Capucin réformé,p. 35.

8« Ordonnance pour la procession du Saint- Sacrement le jour de la Fête-Dieu », vers le 13 juin 1604, dans Œuvres de Saint François de Sales, Annecy, 1939, t. XXIV, p. 4-5.

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