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La Culture d’accompagnement de la personne autiste sur le territoire d’Eure-et-Loir. Passage de l’âge de l’enfance à celui d’adulte

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L’Information psychiatrique 2018 ; 94 (8) : 675-80

La Culture d’accompagnement

de la personne autiste sur le territoire d’Eure-et-Loir

Passage de l’âge de l’enfance à celui d’adulte

Claire Lucas-Pointeau

Cadre supérieur socio-éducatif de la Maison pour les personnes autistes du département d’Eure-et-Loir, 28000 Chartres,

Guichet unique Filière du département

Résumé.La Maison des personnes autistes (MDPA) d’Eure-et-Loir est un dispositif d’accompagnement médico-social, géré par un établissement sanitaire : les Hôpi- taux de Chartres. Il a pour mission l’exportation à l’ensemble des structures du secteur enfance et aussi adulte du département de«la Culture d’accompagnement de la personne autiste». Cette dernière est issue d’une expertise pédopsychiatrique fondée sur l’alliance de concepts psycho-dynamiques et des principes de stratégies éducatives.

Les situations cliniques proposées illustrent différentes modalités de cette pratique des équipes pluri-professionnelles. Confrontées à la singularité des méca- nismes psychopathologiques, elles tentent d’ajuster leur inventivité technique aux besoins de chaque individu. La transmission de ces compensations de handicap entre les institutions des champs de l’enfance et celui de l’adulte garantissent la continuité du parcours interinstitutionnel à la personne atteinte de trouble du spectre de l’autisme.

Mots clés :trouble du spectre autistique, autisme, autisme infantile, établissement social et médicosocial, pédopsychiatrie, parcours de soin, accompagnement

Abstract.‘‘The traditional care managementof the autistic person in the geographic department of Eure-et-Loir’’. Transition from the age of child- hood to adulthood.The Center for Autistic People (MDPA) of the Eure-et-Loir geographical department is a medico-social support system, managed by a health facility: the Hospitals of Chartres group. Its mission is toprovide all the necessary structures of the child and adult sector of the department “the accompanying careof the autistic person”. The latter comes from a child psychiatry expertise based on the alliance of psychodynamic concepts and principles of educational strategies.

The proposed clinical situations illustrate different modalities of this practice of multi-professional teams. Confronted with the peculiarity of psychopathological mechanisms, they try to adjust their technical inventiveness to the needs of each individual. The transmission of these handicap compensations between the insti- tutions of the fields of childhood and that of the adult guarantees the continuity of the inter-institutional course to the person with autism spectrum disorder.

Key words:autism spectrum disorder (ASD), child autism, social and medico-social institution, child psychiatry, care management, follow-up support

Resumen. « La cultura de acompa˜namiento de la persona autista en el departamento de Eure-et-Loir». Pasar de la edad de ni˜no a la adulta.La Casa de las personas autistas (CCDPA) de Eure-et-Loir es un dispositivo médico-social, gestionado por un establecimiento sanitario :Los Hospitales de Chartres. Su misión es exportar al conjunto de estructuras del sector de la ni ˜nez y también el adulto del departamento de la«Cultura de acompa ˜namiento de la persona autista».La misma procede de una experticia pedopsiquiátrica fundada en la alianza de conceptos psico-dinámicos y de los principios de estrategias educativas.

Las situaciones clínicas propuestas ilustran diferentes modalidades de esta práctica de los equipos pluriprofesionales. Confrontados con la singularidad de los meca- nismos psicopatológicos, tratan de ajustar su inventiva técnica con las necesidades de cada individuo. La transmisión de estas compensaciones de deficiencia entre las instituciones de los campos de la ni ˜nez al del adulto garantizan la continuidad del recorrido interinstitucional a la persona con trastorno del espectro del autismo.

Palabras claves: trastorno del espectro autístico, autismo, autismo infantil, establecimiento social y médicosocial, pedopsiquiatría, recorrido de cuidados, acompa ˜namiento

doi:10.1684/ipe.2018.1860

Correspondance :C. Lucas-Pointeau

<clucaspointeau@ch-chartres.fr>

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La Maison des personnes autistes du départe- ment d’Eure-et-Loir (La MDPA) est un dispositif d’accompagnement spécialisé dans l’accueil des TSA (troubles du spectre de l’autisme) [1]. Issue d’une longue expertise débutée en psychiatrie, la MDPA joue un rôle pivot sur le territoire en termes de prestations d’accompagnement au sein de la cité, de soutien aux familles et aux fratries, et aussi d’appui technique aux structures non spécialisées. L’objet de notre propos s’axe principalement sur la résonance à échafauder par l’institution entre les mécanismes psychopathologiques de l’autisme et la technicité des différentes pratiques, avec au cœur les principales caractéristiques de chaque individu. À travers la description de situations cliniques, se dégage un enjeu constant pour les différents pro- fessionnels : s’approcher au mieux des possibles de la personne pour tenter d’amorcer une véritable rencontre.

De la pédopsychiatrie au secteur médicosocial, une continuité professionnelle

« Ouvrez plus grandes vos oreilles, écarquillez vos yeux, dépliez votre esprit !!! Vous travaillez en psychia- trie.»Paroles prononcées à mon encontre, lorsque j’ai pris mes toutes premières fonctions d’éducatrice spé- cialisée, et qui ancre tout au long de mon parcours professionnel le respect dû à la déviance autistique.

Suivant l’évolution de la prise en charge d’abord sani- taire de l’autisme dans les années 90, je saisis par la suite l’opportunité de devenir responsable du Sessad Autisme 14-24 ans (Service d’éducation spécialisée et de soins à domicile), avec pour principale mission de soutenir les établissements sociaux et médicosociaux du département dans leur volonté d’accueillir cette popula- tion aux besoins singuliers. Abandonnant«la première ligne»de l’accompagnement des personnes accueillies pour mieux me former aux responsabilités de direction d’établissement et au management des équipes pluri- professionnelles sur l’ensemble d’un département, près de deux décennies et une filière autisme plus tard, la majorité des enfants, adolescents et jeunes adultes de 3 à 24 ans atteints de troubles du spectre de l’autisme, et domiciliés sur le département, sont accompagnés par le champ social et médicosocial.

Je mesure au quotidien la richesse d’une trajectoire construite sur le croisement des éclairages des deux sec- teurs, l’un sanitaire et l’autre médicosocial, ainsi que le maillage des secteurs enfance et adulte.

En effet, ce service de pédopsychiatrie d’Eure-et- Loir a été l’un des premiers à s’intéresser, à la fin des années 80, à l’arrivée des stratégies éducatives du programme nord-américain et son médecin chef de service [2] les a habilement alliées aux concepts psychodynamiques, créant par là-même « la culture d’accompagnement des personnes autistes».

En anticipant le «transfert de compétences » de la pédopsychiatrie vers le secteur médicosocial, il a créé, à l’aube des années 2000, un Sessad avec pour ambi- tion l’exportation de cette culture d’accompagnement de la personne autiste sur l’ensemble des établissements du secteur. Pour mieux inviter, inciter les partenaires à accueillir en leur sein les enfants, adolescents ou encore les jeunes adultes atteints de ce handicap, le service propose un appui technique sur chacun de ces sites ins- titutionnels.

À ce jour, et c’est une configuration dont l’intérêt a été salué dans le dernier rapport de la Cour des comp- tes [3], le département connaît une véritable émulation grâce à la co-construction des plateaux techniques pro- posés aux individus atteints d’autisme. Les réponses modulaires apportées ne sont plus issues d’une seule institution, mais bel et bien de la convergence d’un dis- positif partagé, plusieurs structures au service d’une même situation, et dont les multiples ressources sont adaptées aux différents besoins de la personne selon son âge réel et/ou de développement, le degré d’intensité de ses mécanismes psychopathologiques et de ses divers intérêts et ressources.

La qualité d’inclusion des personnes en situation de handicap, et plus particulièrement porteuses d’autisme, dépend avant tout de la capacité des équipes à tisser les liens entre elles pour personnaliser l’accompagnement à réaliser chaque jour.

Une continuité inter institutionnelle du parcours de la personne

Le jeune adolescent, atteint d’un autisme de type Kan- ner (son score dépasse 45 à la Chilhood Autism Rating Scale), entrechoque de manière métronomique la«vizi- rette»sur ses dents, il tente de résoudre dans un cadre structuré les opérations de soustraction simplifiées. Il est le troisième enfant de la fratrie et son existence vient tout juste d’être perturbée suite au décès accidentel de son père, autoentrepreneur, lors d’un déplacement profes- sionnel. Celui-ci était un repère solide pour l’ensemble de la famille. La mère, elle, ne travaille pas et s’occupe du foyer au quotidien. Cependant, l’adolescent autiste semble impassible au dramatique événement, il pour- suit ses activités quotidiennes avec la même constance et rigidité et ne comprend aucunement notre compas- sion en ces tristes circonstances. . .

Puis, tout d’un coup, de manière incongrue, l’adolescent soulève la table avec brutalité, la pro- jette contre le mur et HURLE « Y a pas zéro !! », sa tête cogne la chaise avec récurrence et il continue de scander « y a pas zéro ! ». . . Très peu de choses matérielles ne parviennent à subsister dans la pièce au vu du déchaînement de violence et de destruction de l’adolescent, lui-même désintégré sur le plan psychique.

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La seule parade pour lui permettre de s’apaiser un peu fût de valider sa formule :«d’accord, y a pas zéro», le confortions-nous, avec une réelle incompréhension.

Il se répète, pour mieux conjurer l’insupportable réa- lité,«Y a pas zéro, y a pas zéro. . .».

Devenu adulte désormais, il a entre-temps passé deux ans à domicile«sans solution institutionnelle», en sor- tant de la pédopsychiatrie à seize ans. Sa situation, et celle de tant d’autres, a justifié au début des années 2000 la création d’un foyer d’accueil médicalisé de trente-deux places sur le département.

La collaboration interinstitutionnelle, entre les champs enfance/adulte, émanant depuis la création du Sessad 14/24 ans, du territoire eurélien, évite ainsi le phénomène de rupture entre les deux âges, et nous a permis d’inscrire l’histoire de cet individu autiste dans une mise en récit partagée de part et d’autre. . .

En effet, la psychologue du foyer d’aide médica- lisé utilise avec lui lors de ses séances en individuel la tablette numérique comme support de communica- tion, et notamment la fonction «replay»de scénarios sociaux ; elle l’invite à poser des mots sur des images, et, si possible, mettre en sens l’enchaînement des séquences vidéo. C’est ainsi, m’a-t-elle raconté, qu’elle l’a entendu lui signifier de revenir sur une scène d’accident, celle-là même où par crainte de réveiller une potentielle douleur, elle avait voulu soustraire le pas- sage, ayant elle-même réalisé l’association d’idée avec l’histoire du jeune adulte autiste.

Ce dernier, vingt ans après, a alors tenté à sa propre demande, d’apprivoiser cette frustration, en identifiant via le biais de courts et simples dessins animés, de manière décalée, d’objectiver la perte de son père dans un brutal accident de la route, et l’anéantissement de son environnement de l’époque.

À travers le personnage de la scénette, il a pu appro- cher son histoire : «garc¸on triste, pleurs, et mort», et par là-même, tolérer l’équation du manque,«Y’a plus, y’a pas zéro»!

L’apport de l’image technologique est venu soutenir la possible expression langagière d’une émotion, et ainsi pouvoir nommer l’absence, enfin. . .

Des dispositifs institutionnels imbriqués comme garantie d’une cohérence

de parcours pour la personne

«Toute institution s’organise sur le même mode de ce pourquoi elle est amenée à intervenir»: autrement dit, l’autisme est susceptible de contaminer qui l’accueille.

En étudiant de plus près ce modèle des dispositifs partagés, modèle personnalisé, original et visionnaire, il nous est apparu comme la démonstration du principe érigé par Bernard Golse [4].

Cette authentique part de risque est prise en considé- ration de manière structurelle dans la tactique élaborée

pour faire face à l’isolement, le repli sur soi et la possible perte de sens des institutions affectées au traitement des troubles du spectre de l’autisme.

« L’altérité » comme réponse stratégique à la sub- stance de l’auto. . . et la mise en œuvre du dispositif partagé pour mieux s’obliger les uns, les autres par- tenaires, à tenir compte de la situation globale de l’individu, et s’y ajuster en lui proposant des perspec- tives collectivement harmonisées sur un territoire.

La Maison des personnes autistes du département d’Eure-et-Loir, configuration médicosociale, gérée par un établissement sanitaire, le centre hospitalier de Chartres, se doit d’accompagner, selon la volonté de la délégation départementale de l’Agence régionale de santé, les « situations les plus lourdes ». Les méca- nismes et comportements très archaïques et désolants en matière d’autisme se manifestent au quotidien auprès notamment des professionnels de première ligne.

Et pour autant, lorsque l’on pousse la porte de cet établissement, même peu enclin (le lundi matin notamment !!) à la confrontation avec ces comple- xes, singulières et souvent brutales problématiques, il s’empare de vous comme une énergie, une ardeur.

Nous accordons cette richesse, invisible mais bien réelle, à l’historicité même de l’institution, fondée sur une technicité confectionnée à partir d’instances col- lectives, prolongées par des espaces plus personnels d’inventivité concrète. Ces lieux d’élaboration et de réa- lisation, ancrés dans le temps, suivent l’évolution des apports de la recherche clinique, des théories mana- gériales et aussi de la technologie numérique dans le domaine des troubles du spectre de l’autisme. Déjà beaucoup d’objets connectés marquent une certaine effi- cience avec les personnes atteintes d’autisme, tant ils répondent à leurs modalités cognitives, séquentielles et visuelles. En attendant l’arrivée imminente de la robotique dans le secteur, il nous semble essentiel de rappeler combien le travail de rencontre inhérent au soin et à l’accompagnement mobilise les appareils psy- chiques de chacun des acteurs.

Nous posons l’hypothèse que cette vitalité institution- nelle est liée à ces multiples articulations que l’on tente d’effectuer au quotidien.

La modalité d’encouragement alliée à l’illusion anticipatrice . . .

L’enfant autiste de 11 ans s’écroule régulièrement au sol, dans la longue galerie vitrée du service de l’hôpital psychiatrique, les injonctions et encouragements ver- baux des professionnels ne lui sont d’aucun recours : il s’échoue tous les trois pas, il est en quelque sorte«à terre»et par là-même, acteur de son néant.

Son incapacité systématique à tenir seul«sur pied» nous renvoie à l’impuissance de nos pratiques institu- tionnelles classiques. . .Il nous faut à nouveau réfléchir

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collectivement pour pouvoir espérer le soulever et lui transmettre un tant soit peu d’aplomb.

Ainsi, devant la liquéfaction rythmée du comporte- ment de l’enfant, insupportable car entravant systé- matiquement toute action et participation continue de sa part dans quelconque activité proposée, les lieux d’élaboration collective nous ont permis de mailler le principe de«la modalité d’encouragement», principe décrit par Gary Mesibov [5] dans le programme TEACCH, à la notion de«l’illusion anticipatrice»telle que l’évoque René Diatkine [6]. Nous avons cherché comment encou- rager cette station debout, notamment en proposant d’emblée une motivation externe, un bonbon, à l’enfant.

Notre idée reposait sur le fait de récompenser son effort, en lui prêtant cette capacité de réussite, avant même qu’il ne la mette potentiellement à exécution.

Cette double approche maillée à partir de prin- cipes diamétralement opposés (stratégies éducatives et concepts psychodynamiques), nous a permis de lui transmettre quelque ressort.

Face à la force d’inertie de l’autisme, cette straté- gie élaborée communément, et au carrefour de deux conceptions se percutant de plein fouet, a le mérite de nous redonner, à nous aussi professionnels, un certain pouvoir d’agir, au moins de manière temporaire. . .

Cette stratégie soignante a également le mérite de contourner le rapport de force entre l’enfant et le professionnel. En pariant concrètement (la mise d’un bonbon. . .) sur la capacité du garc¸on à se saisir de notre encouragement, nous évitons ainsi la possible contre- attitude engendrée par l’entêtement des mécanismes psychopathologiques.

Au fur et à mesure, l’enfant a pu prendre appui sur notre proposition stratégique, et à en quelque sorte

«muscler»autant sa psyché que sa colonne vertébrale pour parvenir,in fine, à se porter de manière verticale et autonome dans le monde.

En accompagnant l’orientation du jeune homme en établissement médicosocial du secteur adulte, notre équipe a tenté de transmettre simultanément cette réflexion pluri-professionnelle, cette pratique d’accompagnement personnalisé à l’équipe de l’établissement accueillant.

Mais la transmission « d’outils de compensation » d’une institution à une autre, de surcroît en internat, n’est pas toujours aisée. Chaque équipe souhaite être à l’origine des pratiques en vigueur au sein de sa propre structure. . .S’il y a aujourd’hui un effort à fournir de la part du secteur adulte, il se concentre ici même. La continuité du parcours de la personne en situation de handicap doit se garantir au travers de la poursuite des outils de communication de la personne ou encore de

«ses prothèses sensorielles»pour mieux gérer les sti- muli de l’environnement (casque anti-bruit, lunettes de soleil, objet de mastication, etc. . .).

Comme le fauteuil roulant de la personne paraplé- gique ou encore la canne de la personne atteinte de

déficience visuelle, ou aussi l’accès à la traduction en braille qui s’intègrent naturellement à leur accompagne- ment, il doit en être de même pour les individus atteints de troubles du spectre de l’autisme.

Leurs outils de compensation élaborés, inventés et évalués par le secteur enfance, leur procurent plus d’autonomie, permettent une diminution des troubles du comportement et doivent pouvoir se généraliser plus rapidement dans les institutions du champ adulte accompagnant les trajectoires au long cours.

L’accueil bienveillant de la personne au sein de sa nouvelle structure nécessite une acceptation usuelle de ses compensations de handicap par les professionnels en charge de son futur accompagnement. Trop souvent, par déni ou par excès d’autorité, l’interface, le lien entre les deux secteurs ne semblent pas suffisamment co- construits au profit d’un maillage solidifié garantissant la continuité des réponses matérialisées aux besoins spé- cifiques de la personne autiste.

Les changements : une complexité aussi pour les neurotypiques . . .

La rigidité des mécanismes du trouble du spectre de l’autisme convoque une rigueur indispensable de la part de l’environnement qui les accompagne.

La jeune fille, suivie par notre équipe depuis un cer- tain nombre d’années, est incluse partiellement dans le centre d’aide par le travail (CAT), nouvellement rebap- tisé « Esat » (établissement et service d’aide par le travail). Grâce à une possible double notification, Ses- sad/Esat, elle bénéficie de séances au Sessad pour une mise en récit des potentielles difficultés rencontrées sur le lieu d’inclusion professionnelle. Notre service permet cet espace de décalage, ce recueil des aménage- ments concrets à effectuer pour améliorer les conditions d’inclusion en collaboration avec les équipes du secteur adulte. . .

D’emblée, la jeune femme évoque et conteste le chan- gement d’appellation.

Elle verbalise clairement :«c’est le CAT, pas l’Esat».

Nous avons beau lui montrer les textes législatifs, lui expliquer le peu d’impact sur sa propre situation, elle n’en démord pas «non, non, c’est le CAT». Usant de diplomatie autant que faire se peut face à la tyrannie du trouble, nous tentons d’esquiver sa focalisation, le sigle désignant l’institution, et lui proposons de ne pas se lais- ser enfermée par les termes. Mais, comme l’illustre cette situation, le langage ne nous possède-t-il finalement pas davantage que nous ne pensons le maîtriser ?

La jeune fille est sortie de l’IME et entrée simultané- ment en secteur adulte il y a de cela moins de trois ans. . . Une fresque visuelle de son parcours antérieur, actuel et futur (même hypothétique) est réalisée en concertation avec elle pour mieux l’inviter à«pré-voir»et intégrer les remaniements de son existence. Cette mise en récit

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matérialisée ne porte pas, malgré tout, les bénéfices escomptés, le comportement de la jeune fille ne cesse de se dégrader durablement à l’Esat, dont elle refuse tou- jours le signifié. . .Au point même de devoir la réorienter dans un foyer de vie, sans que l’on ne puisse véritable- ment en accorder la cause principale, à la désignation transformée de l’institution. . .Cependant, qu’elle ne fût pas ma surprise lorsqu’il y a peu, au cours d’un de mes déplacements sur le territoire, invitée par le nouveau directeur, je pus lire sur la plaque désuète, à l’entrée de l’Esat en question :«Centre d’aide par le travail (CAT)». . . Cet écart entre le fond et la forme ne laissait aucune voie de passage possible à la saisie éventuelle de cette mutation par un esprit aussi avide de conformité rigide.

Les détails de l’environnement sont immédiatement perc¸us par la personne autiste et sont très souvent traités d’une manière. . .«intraitable». C’est pourquoi, les neu- rotypiques doivent faire l’effort de traduire de manière illustrée tous les changements intégrés naturellement par le langage verbal, si invisible pour les personnes autistes.

Rien n’est joué avant 100 ans !

Immobile, face à un mur, assis à une table, le pouce dans la bouche, l’œil fixe en altitude, le garc¸onnet de presque six ans délivre sa ritournelle :«t’attends la mort, t’attends la mort».

Ainsi a lieu ma première rencontre avec l’autisme il y a bientôt trente ans, dans un service de pédopsychiatrie du département d’Eure-et-Loir.

« De l’arête du plafond », c’est de ce point de vue dont nous sommes partis, ou plutôt devrais-je dire repar- tis, après que nos moult tentatives les plus vives ne nous soient irrémédiablement revenues en boomerang :

«t’attends la mort. . .»

Étirant une page blanche immense de ce coin de mur en hauteur qu’il semble vouloir pénétrer tant son regard ne cille pas, nous professionnels de la santé mentale avons suivi son point de vue, en l’occurrence : le pla- fond, et avons démarré notre accompagnement à partir de cet angle concret et précis.

En dessinant devant son horizon inerte une fresque de l’existence, nous avons alors sommé l’enfant de vivre jusqu’à. . .cent ans !

Structurée en quatre périodes, celle de l’enfance, l’adolescence, l’adulte et la vieillesse, nous avons gradué la bande dessinée en signifiant les âges chronologiques. . .Tentant de faire identifier et partager au garc¸onnet les saveurs de la condition humaine, nous avons illustré la fresque d’attributs des différents stades du parcours de vie, tel le biberon, le hochet, les bras de maman, le doudou, le cartable d’école, le vélo puis les baskets, les copains, le collège, le hip-hop de l’époque, la rébellion et le métier, le mariage, la descendance,

les voyages, les lunettes et puis la canne, la maison de retraite et,in fine, le droit de mourir à 100 ans, la dernière demeure le cimetière et le tombeau.

Docile et studieux, il découpait et collait les images qui se veulent symboliques sur l’important panneau mural tout en répétant inlassablement«t’attends la mort...».

Cette visualisation programmée de la destinée humaine (!!!) a l’ambition d’entrouvrir le refrain mortifère et de permettre l’introduction d’une relative«altérité». Avec un peu de vice, il nous fait remarquer combien, au vu de notre proposition illustrée et échelonnée, nous, jeunes professionnels de l’époque, sommes bien plus avancés que lui vers l’âge fatidique.

Attribuant l’inversion pronominale du « tu » pour le « je » aux mécanismes psychopathologiques de l’autisme (en effet, les personnes atteintes de ce han- dicap ont parfois pour habitude d’employer le « tu » pour parler d’elles-mêmes. . .), nos propres représenta- tions conceptuelles nous ont probablement longtemps, très longtemps, empêchés de prêter une véritable oreille aux sonorités chantées par l’enfant.

Le«tu»n’est pas forcément le«je»de l’autre. . . Le signifié et le signifiant des termes se sont alors démêlés pour mieux s’entre-chaîner différemment :

«t’attends la mort, t’attends la mort, t’attends la mort

=la mort t’attend, la mort t’attend, la mort t’attend. . .».

Depuis, vingt-huit ans se sont écoulés, après un par- cours en hôpital de jour en pédopsychiatrie, le secteur médicosocial a d’abord pris le relais, dans le secteur enfance en premier lieu, via un accompagnement de type Sessad/IME (institut médico-éducatif) durant plu- sieurs années, puis une admission en foyer d’aide médicalisé spécialisé dans l’accueil des adultes porteurs de troubles du spectre autistique, a pu être prononcée lorsque le jeune homme eut atteint la majorité, et dans lequel il réside encore aujourd’hui.

Sa famille a toujours gardé le contact avec notre insti- tution et nous donne régulièrement de ses nouvelles, se réjouissant de ses progrès, et le soutenant aussi dans ses moments plus douloureux. . .Lui-même solli- cite parfois une écoute de notre part en téléphonant de manière impromptue dans le service. Peut-être vérifie-t- il la longévité du lien. . ., mais surtout il nous demande de répéter et répéter encore les anecdotes de son histoire (notamment celles issues de sa focalisation d’intérêt sur les clefs, les serrures et les bouches d’égout. . .).

Un jour, la dialectique transgénérationnelle lui présente l’opportunité d’adopter un statut dissemblable de celui dont il est aliéné depuis toujours. « Je vais être ton- ton», clame-t-il avec élan, alors que nous avions plutôt l’habitude de l’entendre se morfondre :«J’en ai assez d’être autiste. . .». Cet appel vivifiant auquel nous nous agrippons avec lui, tant son niveau de développement peut permettre d’espérer un changement de sa condi- tion actuelle. Mais cet espoir paraît malencontreusement éphémère, et menace d’être, de manière tragique,

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mortifié derechef. . .Pour autant, et comptant sur chaque jour à venir, pouvons-nous, de toute évidence, opposer :

«Rien n’est joué avant cent ans. . .».

Les modalités sensorielles comme voie de passage prometteuse . . .

«Du cercle à la spirale», cette maxime philosophique pleine d’humilité accompagne l’équipe de la MDPA du département d’Eure-et-Loir depuis de longues années.

Elle a pour mérite de rappeler la visée relative de l’action éducative et thérapeutique au contact de la puissance des troubles du spectre de l’autisme.

Ce dernier exemple corrobore cette voie de passage tout en relativité.

Le jeune homme de couleur est atteint d’un autisme sévère, accompagné d’une déficience intellectuelle importante. Il ne possède pas de langage construit mais chantonne sans cesse en tapotant ses mains sur chaque oreille ; de plus, il se déhanche en rythme sur ses propres sonorités. Les sons, les gestes, le nombre de pas, le comportement est ritualisé et la danse autocentrée. Nul n’est invité. Notre équipe accompagne le jeune homme, après un suivi de plus de neuf ans, dans sa nouvelle vie d’adulte : il bénéficie d’une admission depuis une année dans une résidence spécialisée dans les troubles du spectre de l’autisme. Dans cet établissement, des prestations artistiques sont proposées aux douze rési- dents. Si le jeune homme ne montre aucun intérêt pour le dessin, il se rend avec entrain à l’activité piano. Issu d’un milieu plutôt modeste, il n’a jamais eu auparavant l’occasion de jouer du piano.

Cet instrument a eu un impact manifeste sur les moda- lités sensorielles du jeune adulte ; en effet, depuis des années, il serre fermement ses ceintures, ses lacets, ses boutons et même la sangle de sa casquette est au cran minimum. Tel un étau, il utilise ses fermetures de vêtements (ou de sa montre) aussi pour s’oppresser corporellement. . .Ce mécanisme n’est pas sans rappe- ler la célèbre«machine à câlins»évoquée par Temple Grandin [7].

Lors de la médiation, le jeune homme est assis à côté du professeur et, ensemble, ils pianotent«à quatre

mains»sur les touches blanches ou noires ; au fur et à mesure des sonorités produites, il desserre peu à peu, et un à un, la boucle de sa ceinture, le cran de sa cas- quette, les boutons de son col. . .Les mélodies du piano semblent avoir un effet enveloppant et par là-même, compensent le besoin de pressions de l’adulte atteint d’autisme sévère. Ce dernier paraît se laisser pénétrer par la musique et accepte, avec la grâce de l’instant, cette étreinte sensorielle.

L’émotion procurée par cette scène m’amène à penser combien la considération des mécanismes, des res- sources et des besoins singuliers de chaque personne autiste, définit la perspective du travail des équipes plu- riprofessionnelles. Le management institutionnel n’a de sens que s’il garantit au patient l’assurance de trouver au sein des dispositifs, de plus en plus complexes, une écoute active de son insolite problématique.

La trajectoire professionnelle empruntée d’éducatrice spécialisée, puis de cadre socio-éducatif, et à ce jour de cadre supérieur sur le département d’Eure-et-Loir, a pour principal fondement la pérennisation innovante du sens clinique des équipes sanitaires et médico- sociales.

Liens d’intérêts l’auteure déclare ne pas avoir de lien d’intérêt en rapport avec cet article.

Références

1.Constant J, Lucas-Pointeau C. Esprit des textes, organisation du contexte : un dispositif au service des adolescents et jeunes adultes autistes en Eure-et-Loir. Les Cahiers de l’Actif 2008 ; 390-1 : 81-96.

2.Constant J. Voyager en pays autiste. Paris : Dunod, 2013.

3.Cour des Comptes.Évaluation de la politique en direction des per- sonnes présentant des troubles du spectre de l’autisme. Décembre 2017.

https://www.comptes.fr/.../files/2018-01/2018124-rapport-autisme.pdf (consulté le 24-01-2018).

4.Golse B. Mon combat pour les enfants autistes. Paris : Odile Jacob, 2013.

5.Mesibov G. Autisme : le défi du programme TEACCH. Paris : Pro Aid Autisme, 2000.

6.Diatkine R, Lebovici S, et Soulé M, éds.Nouveau traité de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent. Paris : PUF, 2000, Coll.«Quadrige».

7.Grandin T. L’interprète des animaux. Paris : Odile Jacob, 2000.

Références

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