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La migration environnementale : un défi sécuritaire

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Academic year: 2022

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La migration

environnementale : un défi sécuritaire

Franziska Fabritius

Source: © Rafiqur Rahman, Reuters.

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s’accaparer les ressources disponibles. Certaines franges de la population prennent la décision de quitter leur pays d’origine, ou sont poussées à cette extrémité en réaction à des circonstances extérieures. D’autres couches de la population restent dans leur région d’origine en tant que migrants internes. La décision de franchir le pas vers la migration n’est pas uniquement impu- table aux changements environnementaux ; au contraire, elle se base sur une combinaison de facteurs allant du type de prise de décision aux opportunités individuelles de migrer.

Avant de se pencher plus en détail sur l’aspect sécuritaire de la migration liée à des change- ments environnementaux, il est nécessaire de fournir des informations de base sur l’ampleur attendue de ce phénomène de migration envi- ronnementale. De telles précisions permettent de comprendre pourquoi la migration environ- nementale est qualifiée de défi sécuritaire, et, en conséquence, de présenter les recommanda- tions relatives aux actions à engager. De telles Représentant en premier lieu un défi pour le

système politique, la migration d’origine envi- ronnementale peut, à court ou à long terme, finir par constituer un risque sécuritaire, que ce soit dans les pays d’origine, de transit ou d’accueil.

Des interdépendances majeures entre les chan- gements environnementaux et d’autres facteurs socio-économiques viennent encore aggraver la situation. Si l’on met l’accent sur les pays d’ori- gine des migrants environnementaux, l’altération annoncée des ressources disponibles, liée au changement climatique et à ses conséquences, constituerait l’un des principaux arguments pour estimer que la migration causée par des chan- gements environnementaux représenterait un risque sécuritaire. Exacerbée par des bouleverse- ments environnementaux insidieux ou soudains tels que la raréfaction des sources d’eau potable, la dégradation des sols, la désertification accrue ou les pertes de territoire, la pression concurren- tielle s’accroît au sein d’une société donnée, et, partant, la probabilité de conflits de partage des ressources ou de violents affrontements pour

La fuite et la migration résultant de conflits armés de toute

nature ou dus à l’absence de perspectives économiques : ce

type de motifs ont été omniprésents ces dernières années dans

tous les esprits sur la scène publique et politique pour expliquer

les flux migratoires. Mais qu’en est-il de ceux qui abandonnent

leur patrie du fait de la sécheresse, du manque d’eau ou des

inondations touchant les îles et les zones côtières ? Dans une

perspective de politique sécuritaire, il convient de se pencher

en détail sur les mouvements migratoires qui peuvent être

directement ou indirectement liés au changement climatique

en cours à l’échelle mondiale. En effet, dans la mesure où les

effets attendus dudit changement climatique apparaissent

dans toute leur ampleur, et puisque la communauté internatio-

nale ne crée pas un cadre contraignant pour gérer dans les

régions concernées ce groupe de personnes affecté par la crise

climatique, que ce soit au niveau juridique ou du point de vue

institutionnel, politique, socio-économique et infrastructurel,

ce groupe a le potentiel d’exacerber l’instabilité existante,

voire de déstabiliser d’autres pays et d’autres régions.

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recommandations sont avant tout exposées du point de vue de l’Allemagne et de l’UE, en mettant en perspective notre continent voisin, l’Afrique, ainsi que le Proche-Orient. Du fait de la proximité géographique de ces régions et de l’im- pact direct qui en résulte, les mutations qu’elles connaissent sont particulièrement sensibles du point de vue européen.

La tendance à la migration interne

Suite au réchauffement climatique global, la migration peut se produire à l’intérieur du pays d’origine (migration interne) ou dans les pays voisins (migration transfrontalière ou transna- tionale), voire, dans ce contexte, vers des pays lointains (migration internationale). Ces diffé- rentes manifestations méritent une attention particulière, en raison des changements que subit l’environnement ; en effet, tandis qu’en 2015, 8,6 millions de personnes ont dû fuir face à la violence et aux conflits, l’Observatoire inter- national des Situations de Déplacement interne (International Displacement Monitoring Centre – IDMC) comptait durant la même période plus de deux fois autant de flux de populations dus à des phénomènes météorologiques extrêmes et à des catastrophes environnementales (19,2 millions de personnes).1 Pour l’année 2016, l’écart est encore plus flagrant : 24,2 millions de personnes ont fui face à des phénomènes météorologiques extrêmes et à des catastrophes environne- mentales, et 6,9 millions face à la violence et aux conflits. Les chiffres indiqués font état de migrants internes parmi les quelque 65 millions de réfugiés recensés au niveau mondial en 2015 et 2016.

Les disparités peuvent conduire les personnes concernées à migrer pour chercher un nouveau lieu de vie à l’intérieur de leur pays ou de leur région, voire plus loin encore. En Afrique du Nord, il peut s’agir de tribus nomades quittant le désert pour s’établir dans des zones habitées ou à proximité des villes.2 Au Maroc, on observe déjà une migration de la campagne vers la ville due à des changements environnementaux insi- dieux. Sous l’effet du changement climatique et de ses conséquences, cet migration rural risque

de s’aggraver au niveau mondial, constituant ainsi des défis majeurs pour les villes dans les régions concernées. Des habitants en plus, cela signifie une pression supplémentaire sur l’in- frastructure urbaine (espaces de vie, services sanitaires, postes de travail, places à l’école, etc.) dans les pays d’origine concernés, qui sont bien souvent déjà fortement sollicités et manquent de résilience.

Dans le cadre de ce type de migrations plani- fiées, il convient d’examiner les facteurs dits d’attraction (« pull ») et de répulsion (« push »).

La confrontation des facteurs d’attraction et de répulsion de la région d’origine et de la région cible a un impact considérable sur le processus de migration. En revanche, des changements environnementaux soudains, générés par des phénomènes météorologiques extrêmes tels que des ouragans, des pluies torrentielles ou des inon- dations, par exemple, ne laissent généralement aux personnes concernées même pas le temps de peser le pour et le contre avant de commencer leur migration. Les gens qui abandonnent leur espace de vie originel dans de telles conditions sont en premier lieu à la recherche d’un endroit sûr pour vivre : ils cherchent un abri. Actuelle- ment, selon l’Organisation internationale pour les migrations ( OIM), la migration d’origine environnementale se présente principalement sous la forme d’une migration interne.3 Pour l’avenir, on suppose que cette tendance s’accen- tuera, dans la mesure où la migration transfron- talière ne constitue généralement pas une option pour les personnes concernées, en raison de leur situation personnelle.4 Néanmoins, l’ampleur de la migration et les motifs de chacun – migrants internes et personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays – reposent sur de simples estima- tions. Ainsi, seules les personnes qui ont franchi la frontière d’un État sont prises en compte par le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés ( UNHCR), et ont droit, dans une certaine mesure, à une protection juridique.5 Cet état de fait a des conséquences terribles quant à l’assistance apportée aux personnes concernées ; en effet, suite à une catastrophe naturelle qui intervient subitement, elles béné- ficient généralement d’une aide immédiate de la

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mouvements migratoires probablement induits par l’environnement sont souvent comptabilisés comme un migration ou une migration écono- mique, surtout lorsqu’il s’agit d’une émigration causée par des changements environnementaux insidieux, contrairement à un départ précipité du pays natal, par exemple suite à une catastrophe soudaine. Une telle analyse à courte vue ne retranscrit pas fidèlement les faits réels, et n’offre pas davantage de perspectives en vue d’une clari- fication du statut juridique des réfugiés environ- nementaux.6

Eu égard à l’augmentation attendue de la migra- tion d’origine environnementale dans les pro- chaines décennies, il est donc impérativement urgent, tant au niveau international qu’au sein des parlements nationaux, d’anticiper une approche pour traiter sur une base contraignante du point de vue du droit international avec cette nouvelle génération de fugitifs, en leur attribuant un statut juridique qui corresponde à leur situa- tion réelle. À défaut, une telle situation pourrait donner lieu à un risque sécuritaire élevé – dans le part de la communauté internationale, mais leur

subsistance à long terme, particulièrement dans un contexte de changements environnementaux insidieux, n’en est pas assurée pour autant.

Cette situation est encore exacerbée par le fait que le groupe de personnes concerné n’a tou- jours pas jusqu’ici fait l’objet d’une reconnais- sance juridique. Ainsi, il n’existe jusqu’à présent aucune législation contraignante concernant leur statut juridique, ni aucune forme de recon- naissance. La migration ou la fuite en raison de modifications de l’environnement ou du climat sont des cas de figure inconnus, que ce soit au niveau du droit international ou dans les légis- lations nationales de la communauté interna- tionale. Dans le même temps, la protection des migrants internes, qui correspondent à la majeure partie des phénomènes d’exode et de migration d’origine environnementale, est exclue de la Convention de Genève relative au statut des réfugiés ; cette dernière a force contraignante sur la situation juridique des réfugiés au regard du droit international depuis 1951. Actuellement, les

10 20 30 40

2008 2009 2010 2011 2012 2013 2014 2015 2016

4,6

6,5

Conflit et violence Catastrophes

2,9 3,5

6,6 8,2

11,0

8,6 6,9

36,5

16,7

42,4

15,0

32,4

22,1

19,1 19,2

24,2 Figure 1 : Total des nouvelles vagues déplacements de populations recensées chaque année depuis 2008

Source: Propre illustration selon IDMC / NRC 2017, no 1.

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sens d’un concept de sécurité élargi – notamment compte tenu de la dimension humaine (human security) pour la sécurité des individus, et, par- delà, pour l’ordre public et la paix civile.

Parmi les premières mesures dans ce sens, citons l’instauration de l’Initiative Nansen par la Nor- vège et la Suisse en 2012 pour formuler des solu- tions adéquates ; cette initiative bénéficie, entre autres, du soutien financier de l’Allemagne et de l’UE ; dans sa deuxième phase, elle est poursui- vie et intensifiée au travers de la Plateforme sur les déplacements liés aux catastrophes (Platform on Disaster Displacement)7.8 Dans ce contexte, il convient de saluer l’intégration des facteurs envi- ronnementaux et du changement climatique en tant que causes de migration dans la Déclaration de New York pour les réfugiés et les migrants, présen- tée le 19 septembre 2016 dans le cadre du Som- met de l’ ONU pour les réfugiés et les migrants.

Combien de personnes seront concernées, nul ne le sait

Malgré tout ce que l’on sait sur ce défi à venir, il n’est pas possible actuellement de fournir des informations fiables sur la dimension de la migration causée par des changements environ- nementaux. On s’attend néanmoins à ce que ce phénomène concerne un nombre considérable de personnes.9 « La majeure partie des chiffres exprimés fait état d’estimations approximatives (« guesstimates »), dans le sens d’évaluations grossières ou de simples spéculations. »10 L’ab- sence de consensus, que ce soit sur une définition universellement reconnue de ce phénomène, ou sur une méthode de traitement des chiffres et des données, outre le caractère pluridimension- nel de la migration environnementale, ont pour conséquence l’incapacité des chercheurs à baser leurs assertions sur des résultats établis.11 En conséquence, ce sont les résultats obtenus par Pr Norman Myers, de l’Université d’Oxford, qui sont considérés comme les plus plausibles. Au cours des années 1990, et jusqu’au début des années 2000, ce chercheur a estimé que d’ici à 2050, il faudrait s’attendre au niveau mondial à un afflux d’environ 200 millions de migrants en raison des changements environnementaux, si

le réchauffement global devait se poursuivre.12 Fin 2017, le chef des services de renseignements extérieurs allemands, Bruno Kahl, s’est prononcé à propos de l’ampleur de la migration environ- nementale estimée à l’échelle globale : celle-ci devrait « augmenter de façon dramatique pour atteindre plusieurs centaines de millions de migrants ».13

Au vu de la situation politique actuelle au niveau mondial, il faut s’attendre à ce que le phénomène de migration soit à la hausse plutôt qu’à la baisse à l’avenir. Les effets du changement climatique ne commenceront à se faire sentir avec acuité que dans les prochaines années et décennies, si rien n’est fait pour s’attaquer résolument au réchauffement global.

La migration environnementale, un risque sécuritaire

Les régions considérées comme les plus vul- nérables au changement climatique et à ses conséquences sont l’Afrique du Nord, le Sahel, les Caraïbes et le golfe du Mexique, de même que l’Asie du Sud-Est. La migration au sein de ces régions et d’une région à l’autre, suite aux bouleversements environnementaux qui s’y produisent, peut aussi avoir des répercussions tangibles sur les régions et continents limi- trophes. Pour les pays d’origine, de transit et d’accueil, cette migration représente avant tout des risques sécuritaires.

Autant du fait des mouvements migratoires à l’in- térieur du pays d’origine qu’en raison de l’arrivée non régulée de migrants environnementaux dans un pays de transit ou de destination, le potentiel de conflit augmente là où ils se trouvent. Les fac- teurs décisifs pour les perspectives d’évolution sont avant tout les suivants :

1. Les pays concernés disposent-ils de capaci- tés suffisantes pour couvrir adéquatement les besoins fondamentaux des migrants en termes de nourriture, de soins médicaux, d’hébergement, de travail, etc. sur leur nou- veau lieu de séjour ? ;

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sont brusquement soumis à une pression énorme.

Certes, l’accueil momentané de migrants par la population du pays cible serait en général sup- porté par la grande majorité des gens, et com- pris comme une aide humanitaire d’urgence ; en revanche, dans le cas d’une admission durable, sur le long terme, une atmosphère de compéti- tion risquerait de prédominer entre les migrants et la population autochtone. Dans ce contexte, la sécurité d’approvisionnement jouerait un rôle prédominant. Les ressources disponibles dans le pays cible – eau, nourriture, fourniture d’éner- gie, espace habitable, travail, etc. – ne pouvant pas s’étendre à l’infini, et les denrées existantes doivent être réparties d’une façon ou d’une autre. Les populations locales n’accepteraient qu’avec difficulté, voire pas du tout, tout impact sur leurs propres conditions de vie ; il n’est pas exclu que ce type de situations pourrait générer des conflits, voire des clivages entre différents groupes sociaux. De fait, une telle situation pour- rait aggraver les conflits existants dans certaines régions déjà affectées par la migration environ- nementale ou ses conséquences.

Pour les pays d’origine, de transit et d’accueil, une immigration massive et incontrôlée peut par ailleurs représenter de plus graves menaces pour la sécurité, au sens d’une mise en péril de la sécurité extérieure. Si un État perd le contrôle de ses frontières extérieures du fait qu’il ne peut ni contrôler, ni réguler l’afflux de migrants, cela revient à une perte de sa souveraineté territoriale, avec des conséquences considérables, à la fois sur la stabilité de l’État concerné et sur la région voi- sine, ou sur la communauté d’États à laquelle il appartient.16 Le fait que le groupe se démarque du reste de la population engendre en outre une spirale et constitue souvent le point de départ d’autres événements affectant la sécurité, qui peuvent éventuellement déclencher des conflits.

Par ailleurs, les migrants risquent de s’orienter vers leurs propres réseaux et de se tourner vers leur religion, afin de se différencier du pays d’accueil, avec les risques de radicalisation affé- rents. Certains groupes extrémistes et militants essaient de mobiliser les migrants, ou infiltrent de façon ciblée fugitifs et demandeurs d’asile, dans le but de réaliser des actions violentes 2. L’afflux de migrants pourrait-il générer des

tensions ethniques ou religieuses dans les pays de transit ou de destination ? ;

3. Quelle est la probabilité que se développent des sociétés parallèles dans les divers pays de transit ou d’accueil, p. ex. via une diaspora déjà installée, appartenant au propre groupe ethnique des migrants ? ;

4. Dans quelle mesure le pays de destination, en particulier, est-il disposé à octroyer des droits de séjour et des droits fondamentaux pour les migrants ? ;

5. Les institutions publiques, dans les pays d’ori- gine, de transit et de destination, sont-elles en mesure de faire face à ce nouveau défi en temps voulu et avec les moyens requis ? Les autorités ont-elles de tels moyens à disposi- tion ? ;

6. Dans le pays de transit ou de destination, le système politique est-il suffisamment stable pour être en mesure de gérer un tel afflux de migrants (parfois en un temps très court) ?14 Les conditions politiques sont, par principe, à même de trancher si les flux migratoires peuvent in fine contribuer à une déstabilisation, ou, a contrario, à une stabilisation des pays d’origine et d’accueil.

Au vu des facteurs cités plus haut, la particula- rité de la migration d’origine environnementale sera fonction de son caractère permanent et de son ampleur. Si les taux de migration évalués, se basant sur le caractère durablement inhabitable de régions entières, devaient s’avérer exacts, ce serait dans une dimension qui n’aurait son pareil que dans la recherche d’espaces du même ordre.

Ici, la pertinence des considérations de politique sécuritaire en matière de migration d’origine environnementale prend tout son sens. Ce sont surtout les flux migratoires se traduisant par

« une immigration massive, soudaine et trans- frontalière »15 qui provoquent des réactions de la part des pays d’accueil concernés. L’infrastruc- ture locale et les systèmes d’approvisionnement

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dans les pays de transit ou les pays cibles ; ces groupes représentent un risque considérable pour la sécurité et les relations extérieures des État concernés.17 De surcroît, le nombre croissant de partisans de la droite xénophobe au sein de la population locale peut lui-même devenir le point de mire d’observations d’ordre sécuritaire. Ces deux phénomènes risquent, en conséquence, de saper les structures démocratiques dans le pays de destination ; ce type d’évolution délétère pour- rait miner le système politique existant au point de le paralyser ; il constituerait ainsi un risque sécuritaire considérable, autant pour le pays d’ac- cueil que pour l’ordre international.

Outre les aspects déjà cités, il convient de prendre en compte d’autres facteurs spécifiques à chaque pays qui risqueraient d’attiser les conflits, et dans les pays d’origine, et dans les pays hôtes. Ces facteurs englobent les perfor- mances économiques, les matières premières et la taille de la population, ainsi que les prévisions de croissance démographique et l’infrastructure naturelle. Par ailleurs, en présence de conflits à proximité immédiate des États touchés par les changements environnementaux, les risques de contagion et les effets de déstabilisation sont élevés. Il s’avère que la migration liée à des changements environnementaux peut provo- quer une véritable réaction en chaîne, laquelle peut représenter un défi considérable en termes de politique sécuritaire, tant au niveau national qu’international. Elle s’ajoute à un réseau déjà dense d’« évolutions défavorables sur le plan socio-économique, telles que la surpopulation, la pauvreté, (…) la famine, l’instabilité politique et les tensions ethniques et politiques »18, dont les effets négatifs aggravent encore les changements environnementaux. Aussi est-ce primordial de comprendre les enjeux en matière de politique environnementale et climatique, et de favoriser les efforts dans ce sens, y compris en termes de politique sécuritaire préventive. Un échec ou un non-respect des accords en matière de change- ment climatique aurait des effets majeurs sur la sécurité et la stabilité internationales.

Recommandations stratégiques et perspectives

La migration environnementale est appelée à augmenter, c’est un fait indéniable. En outre, il est devenu évident pour chacun que la migra- tion environnementale représente des défis sécuritaires considérables, au point d’avoir, directement ou indirectement, des incidences mondiales. Un nouveau flux de réfugiés d’une telle ampleur commencerait par déstabiliser les pays d’origine ; dans le cas d’une migration transfrontalière, cette vague migratoire pourrait se propager aux pays voisins, voire à la région entière. Pour les États fragiles, en particulier, la confrontation avec les effets du changement cli- matique et la migration environnementale qui en découle risque d’entraîner une déstabilisation plus profonde encore.

Les événements des années 2015-2016, en lien avec une immigration partiellement incontrôlée vers l’Europe et l’Allemagne, ont attiré l’attention de l’opinion publique et des milieux politiques sur les conséquences de la migration de masse. Afin de prévenir un scénario similaire dans un avenir proche, la communauté internationale et, pour les désigner concrètement, l’Allemagne et l’UE, devraient renforcer leur soutien dans les régions concernées : l’enjeu est d’éviter une plus grave déstabilisation et de contrecarrer une nouvelle migration de masse vers l’Europe. Appliqué au nexus changement climatique – migration – sécu- rité, cela veut dire, avant tout, de mettre davan- tage l’accent sur la prévention.

Pour la République fédérale d’Allemagne et l’UE, dans ce contexte, il serait envisageable de pour- suivre les efforts entrepris auprès de la région voisine, l’Afrique du Nord, particulièrement menacée par les effets du changement climatique, ce qui inclut aussi l’Afrique subsaharienne et le Proche-Orient. Une telle approche est étroite- ment liée à la lutte contre les incidences les plus aigües des phénomènes de fuite et de migration (p. ex. la lutte contre la traite des êtres humains dans le cadre de missions de l’UE, l’amélioration des conditions d’intégration dans les pays d’ac- cueil) ; cette démarche s’inscrit également dans

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une importance particulière au renforcement des pays d’accueil dans les régions concernées.

Il s’agit de prendre des mesures préventives pour renforcer les capacités de résistance de ces pays, afin de contrecarrer les effets déstabilisateurs liés aux flux de migrants environnementaux. À cet effet, il est essentiel de mener une action dépassant du cadre politique, en combinant les instruments de la coopération au développement et de la politique économique, climatique et sécu- ritaire.

Tous les efforts pour protéger l’économie et le climat ne doivent pas, pour autant, faire négliger les actions en vue de faire respecter le droit inter- national en vigueur ; citons à cet effet le respect des droits humains par les États de la région, de même que le soutien à tous signes d’ouverture de la part des systèmes politiques. Ces deux élé- ments jouent un rôle décisif dans la stabilisation de la région et, partant, dans la maîtrise des enjeux sécuritaires potentiels.

Parallèlement aux approches déjà citées, il est essentiel de développer les recherches en matière de migration liée à l’environnement, afin de recueillir davantage d’informations sur les effets et les enjeux de la migration d’origine environnementale, et faire la clarté sur toutes les dimensions de cette question. C’est seulement si l’on est capable d’esquisser plus précisément les contours de ce à quoi on doit se préparer que l’on est en mesure de développer des stratégies efficaces, que ce soit pour les pays d’origine, de transit ou de destination. Pour développer des stratégies, il convient également d’associer plus étroitement encore dans l’action préventive les plateformes existantes et les données col- lectées sur les événements climatiques ; à titre d’exemple, citons le système d’alerte précoce contre la famine Fews Net, grâce auquel les éven- tuelles périodes de sécheresse, entre autres, sont anticipées. Ce type de dispositifs permettrait d’atténuer les conséquences d’une sécheresse persistante subie par la population locale. De surcroît, une telle démarche, à l’instar de la pré- vention en général, serait beaucoup moins lourde à supporter pour la communauté internationale, et coûterait moins cher que la réaction à des la volonté de s’attaquer aussi aux causes de la

migration [p. ex. dans le cadre des trois initiatives spéciales du ministère fédéral allemand de la Coopération économique et du Développement ( BMZ)19]. L’objectif doit être d’offrir des pers- pectives aux populations, sur place, en mettant l’accent sur l’économie, le commerce et l’emploi.

Cela implique d’encourager les investissements privés dans les pays eux-mêmes, tout en créant des incitations pour les investissements étran- gers dans la région. Les initiatives en matière de formation sont cruciales, en vue de valoriser utilement, sur le terrain, le potentiel de la main- d’œuvre locale. Par ailleurs, il est indispensable d’organiser des initiatives de formation pour l’ensemble de la population dans les régions concernées, afin d’éveiller les consciences et de permettre à chacun de comprendre quels sont sa situation et son profil particulier. La valorisa- tion de l’agriculture, bien ancrée dans la région, ne peut être réalisée que grâce à des mesures d’adaptation au changement climatique, p. ex.

via des informations sur les nouvelles méthodes de culture ou la mise à disposition de semences ; l’enjeu est d’offrir aux petits paysans des perspec- tives de revenus, même à long terme.

Néanmoins, les mesures de protection de l’en- vironnement, de même que l’adaptation au changement climatique, doivent s’étendre bien au-delà du secteur agricole. Grâce à des moyens financiers, des techniques et un savoir-faire, et ce dans divers domaines – énergies renouve- lables, approvisionnement en eau, protection des zones côtières, etc. – l’enjeu est de soutenir dans leurs efforts de développement les États d’Afrique du Nord, d’Afrique subsaharienne et du Proche-Orient, conformément aux disposi- tions prises, suite aux négociations de la Confé- rence des Nations unies sur le climat. Des plans de développement réalistes et réalisables, qui peuvent être mis en œuvre rapidement et de façon globale : voilà ce qui est attendu des déci- deurs politiques allemands et européens ; voilà le moyen de répondre de manière efficace aux défis sécuritaires évoqués précédemment, tout en ren- forçant la résilience des populations concernées, des États et de leurs institutions politiques res- pectives. Dans ce contexte, il faudrait attacher

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catastrophes naturelles déjà survenues. Du fait des pronostics d’évolution concernant l’aggrava- tion du changement climatique et de ses effets, il s’agit à moyen terme, pour l’ensemble de la communauté internationale, de reconnaitre que la migration liée à l’environnement est une stra- tégie d’adaptation ; grâce à cette reconnaissance, l’enjeu est d’aider les personnes concernées en créant des conditions cadres à la fois adéquates et ordonnées. Parmi ces conditions il faut citer la création de structures juridiques adaptées et une ouverture qui offre la possibilité d’une migra- tion transfrontalière par des canaux légaux. Si et seulement si le phénomène global de migration est structuré, la migration peut constituer une stratégie efficace d’adaptation au changement climatique et aux diverses mutations que subit l’environnement.

Vu les prévisions de croissance démographique concernant l’Afrique, les conséquences du chan- gement climatique et la pression migratoire croissante, l’objectif à court terme devrait être, en premier lieu pour les dirigeants allemands et européens, de poursuivre leur démarche pré- ventive et d’adopter une approche en réseau qui rassemble les divers aspects, liés à la politique de développement, humanitaires, économiques, diplomatiques et sécuritaires ; l’enjeu est en effet de contrecarrer les défis sécuritaires qui se pro- filent, et ce dès leur apparition. La mondialisa- tion croissante, le renforcement de la mise en réseau du monde entier, dans tous les domaines, et l’offre exponentielle d’informations – indépen- damment de la migration liée à l’environnement –incitent les gens à être plus mobiles. Il incombe aux gouvernements en place de reconnaître cette mutation et d’en tenir compte concrètement dans les projets de lois. Dans cet arsenal juridique, en particulier pour l’Allemagne, pourrait figu- rer, p. ex., une loi sur l’immigration moderne et adaptée à la situation, avec différentes options de transfert, qui permettrait à tout migrant d’exploi- ter utilement pour son propre pays le potentiel acquis par le biais de la migration. Les chercheurs Goldin et Kutarna insistent sur les conséquences dévastatrices, notamment économiques, d’une politique hostile à l’immigration en ces temps de mondialisation.20 Le facteur décisif dans toute

action, outre l’art et la manière de procéder, c’est avant tout la question de la légitimation. Il ne faut pas perdre de vue le fait que dans les thématiques traitées ici – climat, migration et sécurité – les valeurs et les intérêts sont souvent fondamenta- lement opposés au sein de la société. Pour une réussite des mesures à envisager, malgré les opinions divergentes, il est donc indispensable d’impliquer la population dans le processus déci- sionnel. Associer la population aux processus de décision politique, que ce soit en Allemagne ou dans un autre pays, permet de renforcer la légi- timation des décisions, et donc leur acceptation par la société. Face aux défis du XXIe siècle, cette implication est impérative.

Le présent article se base sur la thèse de l’auteure publiée aux Éditions Springer VS en février 2019 sous le titre : « La migration environnementale : un défi sécuritaire. Analyse de scénarios à l’exemple d’une possible migration climatique en provenance d’Afrique du Nord. »

Dr. Franziska Fabritius est collaboratrice scientifique à la Konrad-Adenauer-Stiftung dans le cadre du Programme régional Sécurité énergétique et Chan- gement climatique au Moyen-Orient et en Afrique du Nord ( KAS – REMENA) à Rabat (Maroc).

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1 Cf. IDMC / Conseil norvégien pour les réfugiés NRC, 2017 : GRID 2017 Global Report on Internal Displacement (Rapport mondial sur le déplacement interne), 5/2017, p. 9, dans : https://bit.ly/2rOSQRI (19/06/2019).

2 Cf. Ionesco, Dina / Mokhnacheva, Daria / Gemenne, François, 2017 : Atlas der Umweltmigration (Atlas de la migration environnementale), Munich, p. 88.

3 Cf. Schraven, Benjamin / Bauer, Steffen, 2013 : Die neuen Flüchtlinge (Les nouveaux réfugiés), Zeit Online, dans : https://bit.ly/2Roxzw2 (19/06/2019).

4 Cf. Bailey, Rob / Green, Gemma, 2016 : Should Europe Be Concerned About Climate Refugees?

(L’Europe devrait-elle se sentir concernée par les réfugiés climatiques ?), 23/05/2016, dans : https://bit.ly/

1TRjcJ3 (19/06/2019).

5 Cf. Nuscheler, Franz, 2004 : Internationale Migra- tion. Flucht und Asyl (Migration internationale.

Fuite et asile), Wiesbaden, p. 51.

6 Cf. ibid., p. 112.

7 Via la Plateforme sur les déplacements induits par les catastrophes naturelles : en tant que mécanisme de suivi de l’Initiative Nansen, l’agenda pour la protection déjà développé doit être mis en œuvre.

Cf. Département fédéral des Affaires étrangères 2017 : De l’Initiative Nansen à la Plateforme sur les déplacements induits par les catastrophes naturelles, dans : https://bit.ly/2ZyVxaC (19/06/2019).

8 Cf. Schraven, Benjamin / Bauer, Steffen, 2013 : Neue Schutzinitiative für « Umweltflüchtlinge » : Gut, aber noch nicht ausreichend (Nouvelle initia- tive de protection pour les « réfugiés environne- mentaux » : c’est bien, mais pas encore suffisant), Deutsches Institut für Entwicklungspolitik (Institut allemand pour la politique du développement), Die aktuelle Kolumne, Deutsches Institut für Entwicklungs politik, 02/04/2013, p. 2, dans : https://bit.ly/2IsnFXw (19/06/2019).

9 Selon NRC et IDMC, entre 2008 et 2016, en moyenne 25,3 millions de personnes chaque année ont été contraintes de quitter leur pays suite à des changements environnementaux et climatiques, Cf. IDMC / NRC 2017 : no 2, p. 31. Ou formulé autrement : « Entre 2008 et 2012, quatre des cinq plus graves catastrophes qui ont conduit à un exode massif étaient des événements hydrologiques », Ionesco / Mokhnacheva / Gemenne 2017, no 2, p. 58.

10 Müller, Bettina / Haase, Marianne / Kreienbrink, Axel et al., 2012 : Klimamigration. Definitionen, Ausmaß und politische Instrumente in der Diskus- sion (Migration climatique. Définitions, ampleur et instruments politiques à l’œuvre dans le débat), BAMF-WorkingPaper, no 45, p. 5, dans : https://bit.ly/

3b4yr1i (19/06/2019).

11 Cf. Deutscher Bundestag (Bundestag allemand), 18e période électorale, 2014 : Drucksache 18/1509, Réponse de gouvernement fédéral allemand à la Petite question des députées Eva Bulling-Schröter, Karin Binder, Annette Groth, d’autres députés et du groupe parlementaire DIE LINKE, Drucksache 18/1301, Engagement du Gouvernement fédéral allemand à octroyer plus de droits aux réfugiés climatiques, 20/05/2014, p. 7 et suiv., dans : https://bit.ly/2 XWYhOI(19/06/2019).

12 Cf. Myers, Norman, 2001 : Environmental refugees : a growing phenomenon of the 21st century (Les réfu- giés environnementaux : un phénomène croissant au XXIe siècle), The Royal Society (Éd.), Philoso- phical Transactions of the Royal Society B, no 1420, 19/10/2001, p. 609, dans : https://bit.ly/2H1FVnk (19/06/2019).

13 Kornelius, Stefan, 2017 : BND : Russland ist „poten- zielle Gefahr“ ( BND : la Russie est un « danger potentiel »), Süddeutsche Zeitung, 14/11/2017, dans : https://sz.de/1.3750080 (19/06/2019).

14 Cf. Wissenschaftlicher Beirat der Bundesregierung Globale Umweltveränderungen (Conseil consul- tatif scientifique du gouvernement fédéral sur les changements environnementaux mondiaux) (WBGU) 2008 : Welt im Wandel : Sicherheitsrisiko Klimawandel (Un monde en pleine mutation : le changement climatique, un risque sécuritaire), p. 129 et suiv.

15 Angenendt, Steffen, 2010 : Instabilität durch krisenbedingte Wanderungsbewegungen (L’instabi- lité causée par les flux migratoires liés à des crises), dans : Braml, Josef / Risse, Thomas / Sandschneider, Eberhard (Éd.) : Einsatz für den Frieden. Sicherheit und Entwicklung in Räumen begrenzter Staatlichkeit (L’engagement pour la paix. Sécurité et développement dans des régions où les États sont fragiles), Munich, p. 56.

16 Cf. ibid., p. 60.

17 Cf. ibid.

18 Carius, Alexander / Imbusch, Kerstin, 1998 : Umwelt und Sicherheit in der internationalen Politik – eine Einführung (Environnement et sécurité en politique internationale : une introduction), in : Carius, Alexander / Lietzmann, Kurt M. (Éd.) : Umwelt und Sicherheit. Herausforderungen für die internationale Politik (Environnement et politique.

Défis en termes de politique internationale), Heidelberg / Berlin, p. 14.

(11)

19 Il s’agit des éléments suivants : 1. Fluchtursachen bekämpfen – Flüchtlinge reintegrieren (1. Com- battre les causes de l’exode – Réintégrer les réfugiés), 2. Stabilisierung und Entwicklung in Nordafrika und Nahost (2. Stabilitation et dévelop- pement en Afrique du Nord et au Proche-Orient) et 3. EineWelt ohne Hunger. (3. Initiative spéciale UN SEUL MONDE sans faim). Cf. Bundesminis- terium für wirtschaftliche Zusammenarbeit und Entwicklung (Ministère fédéral de la coopération économique et du développement) (BMZ) 2019:

Fluchtursachen mindern – Aufnahmeregionen stabilisieren – Flüchtlinge unterstützen, dans : https://bit.ly/2IRSJi4 [21/06/2019].

20 Cf. Goldin, Ian / Kutarna, Chris, 2016 : Die zweite Renaissance. Warum die Menschheit vor dem Wendepunkt steht (La deuxième Renaissance.

Pourquoi l’humanité se trouve à un tournant), Munich, p. 349 et suiv.

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