NOTE
UTILISATION DE LA CYCLOPHOSPHAMIDE COMME SUBSTANCE DÉPILATOIRE
POUR LA RÉCOLTE DES POILS DU LAPIN ANGORA
J. ROUGEOT
R.-G.THÉBAULT
Station centrale de
Physiologie animale,
Centre national de Recherches
zootechniques,
78 -Jouy-en-Josas
Institut national de la Recherche
agronomique
RÉSUMÉ
Nous avons montré que la
cyclophosphamide pouvait
être utilisée pour faciliter la récolte despoils
duLapin Angora
si on l’administraitoralement,
les autres modesd’administration,
parinjection
intraveineuse ousous-cutanée,
s’étant révéléstoxiques
aux doses nécessaires àl’épila-
tion.
Ainsi,
en faisantingérer
en une seule fois des dosescomprises
entre 60 et 80mg/kg
depoids vif,
c’est-à-direrespectivement
3,5 et 2,5 fois inférieures à la dosemortelle,
onpeut épiler
5 à6
jours après
le traitement unLapin Angora
en 7 à 12minutes,
au lieu de 35 à 50ordinairement,
à
condition, toutefois,
quel’ingestion
se fasse en moins de 24 heures. Si l’on considère que les récoltes serépètent
tous les 100jours environ,
on voit que legain
detemps
réalisé estappréciable,
même si l’on tient
compte
du traitement leplus long,
celui effectué paringestion forcée, qui
dureI à z minutes. Aucun trouble de toxicité autre que la chute des
poils,
ne s’est manifesté chez les 28
Lapins
traités à ces doses et la repousse de la toison s’est effectuée dans les délais normaux, sans modification de sa structure. Il restecependant
à résoudre lesproblèmes
queposent
larépétition
du
traitement, l’absorption
de lacyclophosphamide
sur lareproduction
et sa rétention dans les tissussusceptibles
d’être consommés.I. -
INTRODUCTION
Parmi les corps utilisés dans la
chimiothérapie
des tumeurscancéreuses,
lacyclophospha-
mide se
distingue
par despropriétés dépilatoires particulièrement prononcées.
Mais cette actionn’a lieu que
lorsque
les folliculespileux
sont enactivité,
car lacyclophosphamide agit
enbloquant
la
prolifération
des cellules du bulbepileux.
C’estpourquoi
ROMAN et al.( 19 6 9 )
étudièrent sonaction sur des animaux dont les
poils poussent
defaçon permanente
ou, dumoins, pendant
uneassez
longue période : Caniche, Cobaye
àpoils longs, Lapin Angora,
Mouton.Or, parmi
cesespèces,
seul le Mouton semble
pouvoir supporter
les doses decyclophosphamide susceptibles
deproduire
la chute
complète
despoils
sans manifester aucun autre trouble dû à la toxicité de ladrogue.
Cette observation
présentait
ungrand
intérêt pour la récolte despoils
textiles parépilation,
car toutes les substances administrées
jusqu’à présent
s’étaient révéléestrop toxiques,
notam-ment la
plus employée
d’entreelles,
l’acétate de thallium(I LJIN , 193 8).
Effectivement,
DOLNICK etal.,
montrèrent dès 1969qu’on pouvait envisager
d’utiliser lac
yclophosphamide
pour récolter la laine des Moutons en leur administrantoralement,
en uneseule
fois,
des doses de 10 à 30mg/kg
depoids
vif et très inférieures à la dosemortelle, puisque
celle-ci se situe à 90mg/kg. Cependant
dans les conditionsactuelles,
cette méthode de récolte de la laine neprésente
d’intérêt que pour les éleveurs depetits troupeaux ayant
des difficultés à seprocurer un tondeur ou pas assez habiles pour
entreprendre
la tonte eux-mêmes. Eneffet,
lesmanipulations
- traitement à lacyclophosphamide, pesée, épilation
- sontplus longues
que la tonte effectuée par unprofessionnel;
enoutre,
si l’on ne veut pas dénudercomplètement
le Mouton, il fautajuster
avecprécision la
dose decyclophosphamide
aupoids
de l’animal afin d’obtenir unesimple
constriction de la lainepermettant
d’arracher la toison au bout de 2 ou 3se- maines de pousseaprès
letraitement; enfin,
il fautprendre
desprécautions
pour que, lors de cettepériode d’attente,
le Mouton ne se laisse pas arracher accidentellement la laine. Enfait,
leseul élément vraiment
positif
de cette méthode parrapport
à la tonte est l’absence de fausses coupes.Par
contre,
le traitement à lacyclophosphamide
nepourrait présenter
que desavantages
pour la récolte dupoil
deLapin Angora.
En
effet,
en France dumoins,
on a l’habitude de récolter lepoil
de cet animal parépilation.
Par
rapport
à latonte,
cette méthode offrel’avantage
d’obtenir despoils
de meilleurequalité,
car la repousse du
poil, qui
se fait ensynchronisme
sur tout le corps,après épilation,
donne unetoison
plus homogène
et parcequ’il
ne seproduit
pas de fausses coupesqui déprécient
d’environr 5
p. 100 la valeur de la récolte par leur
présence.
Mais cette méthode de récolte est un travaillong
etpénible
et uneopération
douloureuse pour lesanimaux, qui parfois
meurent à la suitedu choc
qu’elle
provoque. La raison en estqu’on
nepeut épiler
leLapin Angora qu’au
début dela maturité de la
toison, juste
avant la chutespontanée
despoils.
Eneffet,
à cemoment-là,
iln’y
aqu’une partie
seulement des folliculespileux qui
ont atteint le stade de repos, avec leurspoils
enracinés peuprofondément
etpouvant,
parconséquent
se laisser arracherfacilement,
sans causer de lésion.
Or,
comme ces folliculespileux,
parvenus lespremiers
au stade de reposne tardent pas à
reprendre
leur activité enproduisant
un nouveaupoil
et en laissant tomber l’ancien dans latoison, qui
se feutre et devientinutilisable,
on est bienobligé d’épiler
avant cettechute,
alorsqu’il reste,
suivant les animaux et lesrégions
du corps, 50 à 90p. IOO de folliculespileux
encore en activité etprofondément
enfoncés dans le derme. C’est cequi explique
quel’épi- lation,
bien que renduepossible
par laprésence
d’un certain nombre de folliculespileux
en repos, soit uneopération
laborieusequi
demande 35 à 50 minutes par animal à une personne entraînée.On
conçoit
donc tout l’intérêt queprésenterait
l’utilisation de lacyclophosphamide
pour la récolte dupoil
duLapin Angora,
si l’onparvenait
à la lui administrer sans lui causer d’effettoxique,
intérêt d’autantplus justifié qu’on
ne trouve pas chez cetteespèce
les inconvénients rencontrés chez leMouton, l’élevage
se faisant exclusivement enclapiers individuels, qui
ôtenttout souci de
protection
contre lesintempéries
et les radiations solaires et toute crainte deperte
depoils
pararrachage
accidentel.Nous avons donc
repris
lesexpériences
de HOMANetal.,
sur l’actiondépilatoire
de lacyclo- phosphamide
chez leLapin Angora,
mais en administrant cettedrogue
par d’autres voies quel’injection intraveineuse,
dansl’hypothèse
que cettefaçon
deprocéder,
par ailleurs peu commode pour leséleveurs,
était engrande partie responsable
des troubles que ces auteurs avaient constatés.II. -
MATÉRIEL ET MÉTHODES
2
. i. Nous avons administré des doses
uniques
decyclophosphamide
brute(Asta Werke) comprises
entre 30et 300mg/kg
depoids
vif à 70Lapins Angora qui
avaient étéépilés
92jours auparavant (tabl. i).
Parmiceux-ci,
unpremier
lot de 24Lapins
fut traité parinjection
sous-cutanée,
et un deuxième lot de4 6 Lapins
par voieorale,
soit enajoutant
lacyclophosphamide
àl’eau de boisson
(i8 Lapins)
soit en l’introduisant de force dans la bouche des animaux(z8 Lapins)
à l’aide d’une
seringue
munie d’un gros embout(Tx!sAUr.T, ROUGEOT, MORET, ig6g). Lorsque
la dose
adéquate
decyclophosphamide
fut déterminée et latechnique
d’administration mise aupoint,
ioLapins supplémentaires
furent traités à raison de 70mg/kg
decyclophosphamide
paringestion forcée,
afin de comparer les variations de leurpoids
parrapport
à celles de 10Lapins
témoins
(tabl. 2 ).
2
. 2. Nous avons
pris
comme critères d’action de lacyclophosphamide
sur la chute de latoison,
le fait que lespoils
s’arrachaient aisément même sur lesrégions
du corps que l’onn’épile
ordinairement que très difficilement comme la gorge, les
pattes
et la queue, et le fait que les racines despoils
arrachés n’étaient pas collées ensemble comme elles le sontaprès
unépilage normal,
maisséparées
comme dans une mèche tondue. L’examenmicroscopique
de la racine despoils
montrebien en effet que, dans ces
conditions,
celle-ci a subi soit un arrêtcomplet
de la croissanceaprès
unaffinement
progressif,
soit unerupture
àl’épilation
sur une constriction assezprononcée.
III. -
RÉSULTATS
3
. i. En se référant au tableau l, on constate :
3
. 1. 1. En
injection sous-cutanée,
on n’obtient unerupture régulière
despoils
chez tousles
Lapins, qu’à partir
de la dose de 90mg/kg
decyclophosphamide,
dosequi
estdéjà mortelle, puisque
2Lapins
sur 6 ainsi traités sont morts. Lespoils
se sont bienépilés
lejour
même de leur décès pour les 2Lapins qui
sontmorts,
soit 3jours après
letraitement, et jours après
le trai-tement,
pour lesLapins qui
ont survécu. Ces résultats décevants et la difficulté d’effectuer desinjections
sous-cutanées avec une substance peu soluble(io
p. 100 à35 °C)
nous ont conduit à abandonnerrapidement
cette méthode d’administration.3
. 1. 2. Absorbée dans l’eau de
boisson,
lacyclophosphamide produit régulièrement
unerupture
de toutes les racines despoils
àpartir
de la dose de 60mg/kg
chez tous lesLapins,
à condi-tion toutefois que la totalité de la
drogue
soit absorbée en moins de 24 heures. Eneffet,
les 5 La-pins qui
n’ont pu êtreépilés
que très difficilement en raison du maintien de l’activité des folliculespileux,
comme leprouvaient
les racines despoils
colléesensemble,
avaient tous misplus
de4
8
heures à absorber leur boisson à cause, sansdoute,
du mauvaisgoût
de celle-ci. Parcontre,
les autres
Lapins qui
avaient mis moins de 24 heures à absorber leurboisson,
se sont facilementlaissés
épiler
en 7 à 12minutes,
5 à 6jours après
le traitement.Au
point
de vuetoxicité,
aucun décès ni même aucun autre trouble que la chute despoils,
n’ont été constatés
jusqu’à
la dose de 90mg/kg,
dose àlaquelle
nous avons arrêté cette séried’expériences
en raison del’irrégularité
des résultats devant la réticence de certainsLapins
àboire
spontanément
ladrogue.
3
. 1. 3. En administration orale forcée par
seringue,
le traitement a étéopéré
avec desdoses s’échelonnant entre 30 et 300
mg/kg.
En dessous de 60mg/kg
on n’obtient aucuneffet,
tandis
qu’avec
cette dose et cellesqui
lui sontsupérieures,
on obtienttoujours
unerupture
detous les
poils
chez tous lesLapins,
cequi
confirme les résultatsprécédents
obtenus avec lacyclo- phosphamide ajoutée
à l’eau de boisson. LesLapins
se sont tousépilés
aisément en7
à 12minutes,
avec un délai de 5 à 6
jours après
le traitement par les doses de 60à 80mg/kg
et un délai nette-ment
plus
bref de 3 à 4jours après
le traitement pour les dosessupérieures.
Les effets de toxicité autres que la chute des
poils apparaissent
dès la dose de 100mg/kg
2
Lapins ayant
eu des diarrhéespassagères,
l’un à IOOmg/kg,
l’autre à 140mg/kg.
Apartir
de 200
mg/kg
on atteint les doses mortelles avec 2 morts sur 3 à zoomg/kg
et 3 morts sur 3 à 300mg/kg.
3
. 2. En se référant au tableau 2 on constate que si l’on fixe une dose de 70
mg/kg
c’est-à-diresupérieure
de1 6, 5
p. 100 à la dose minimale nécessaire à larupture
des racines despoils,
onépile
facilement en 7 à 12 minutes lesLapins
5 à 6jours après
le traitement sans que l’on ait constaté deperte
anormale depoids corporel
parrapport
aux témoins. Les variations depoids corporels
sont faibles dans ces deux lots deLapins
et les écarts des moyennes despoids corporels
aux différentes
dates,
parrapport
à celle dujour
del’épilation (J o )
ne sont passignificatives
Ce maintien du
poids
desLapins
traités est en accord avec le fait que nous n’avons constateaucune
perte d’appétit,
mêmetemporaire,
ni aucun autre trouble visible d’ordredigestif
ou res-piratoire.
3
. 3. Au
point
de vue repousse despoils,
il n’a été constaté aucune différence entre l’action d’uneépilation
ordinaire et celle effectuéeaprès
le traitement à lacyclophosphamide,
àpart
le faitdans ce dernier cas que la peau reste lisse et blanche sans aucune trace
d’irritation,
leLapin n’ayant
d’ailleurs aucunement souffert del’épilation :
lespoils
fontéruption
à la surface de la peau 15 à 20jours après
larécolte,
la totalité des folliculespileux
entrant en activité ensynchro- nisme,
comme le montrèrent les examenshistologiques;
il en résulte une toisonparfaitement
structurée avec la
présence
des troiscatégories
depoils habituelles, jarres droits, jarres
en flammeet duvets dont les sommets sont
régulièrement étagés
selon trois niveaux dans la mèche.- IV. -
DISCUSSION
Ainsi,
lacyclophosphamide
se révèlebeaucoup
moinstoxique lorsqu’on
l’administre ora-lement que
lorsqu’on
le fait parinjection ;
eneffet,
parinjection,
les doses minimales nécessaires à l’arrêt de l’activité des folliculespileux
sontmortelles,
que ce soit par voie intraveineuse comme’ont fait HOMAN et
al.,
ou par voie sous-cutanée comme nous l’avons tenté nous-mêmes. Parcontre,
en utilisant la voieorale,
et pourvu que leLapin
absorbe ladrogue
en moins de 24heures,
ce
qui
est réalisé defaçon
sûre avec laseringue,
l’arrêt des folliculespileux
est obtenu sans aucunautre trouble chez les 28
Lapins
traités avec des dosescomprises
entre 60et 80mg/kg
depoids
vif : ces doses
qui
sontrespectivement
3,5 fois et 2,5 fois moindres que la dose mortelle offrentune marge de sécurité assez
large.
Les
avantages
queprésentent
pourl’élevage
desLapins Angora, l’épilation après
admi-nistration de
cyclophosphamide
sont donc substantiels.En
effet,
leLapin
estépilé
sans effort en7
à 12 minutes au lieu de 35 à 50ordinairement ; letemps
consacré au traitement est faible : celui-ci se fait en une seule fois et dure i à 2minutes si l’onopère
paringestion forcée, quelques
secondes si l’on verse lacyclophosphamide
dans l’eaude boisson
qu’il
suffirait de rendreappétante
par unexcipient
à mettre aupoint.
Si l’onrappelle
que la récolte se renouvelle tous les 100
jours environ,
on voit que legain
detemps
est trèsappré-
ciable.
Quant
auLapin,
il ne souffreplus
du tout del’épilation,
cequi
est unargument
non né-gligeable
en faveur de l’utilisation de lacyclophosphamide.
Il reste
cependant
troispoints
à éclaircir en cequi
concerne la toxicité de lacyclophospha-
mide avant que cette substance
puisse
être couramment utilisée par les éleveurs pourépiler
leurs
Lapins :
1
° On
ignore
encore l’effet des traitementsrépétés,
même s’ils sontespacés
de 3mois,
aussibien sur la santé de l’animal que sur la
quantité
et laqualité
despoils produits ;
2
° étant donné que la
cyclophosphamide bloque
lamultiplication
descellules,
des étudess’imposent
pour savoir si cette substanceagit
sur les fonctions dereproduction,
que ce soitsur les cellules
germinales
ou ledéveloppement
del’embryon.
3
° Il faut déterminer dans
quelle
mesure lacyclophosphamide
est retenue dans les divers tissus et les rendimpropres
à la consommation.Aussi,
le bilandéjà
trèspositif
desexpériences
que nous venonsd’exposer
nous incite-t-il à résoudre leplus rapidement possible
cesproblèmes.
Reçu pour publication
en mai 1970.REMERCIEMENTS
Ce travail a été
accompli
dans le cadre d’un contrat de recherches conclu avec leSyndicat
national
Angora-Qualité,
àqui
nousexprimons
notre reconnaissance pour son soutien autant efficacequ’amical.
Nous remercionségalement
la firme allemande Asta-Werkequi
nous afourni
gracieusement
lacyclophosphamide.
SUMMARY
UTILIZATION OF CYCLOPHOSPHAMIDE FOR HARVESTING ANGORA RABBIT WOOL BY PLUCKING
The
present study
shows that oral administration ofcyclophosphamide
toAngora
Rabbitsmay facilitate
harvesting
of theirwool,
whereas the doses necessary forplucking
are toxic whengiven intravenously
orsubcutaneously. Thus,
Rabbitsreceiving only
asingle
dose ofcyclophos- phamide, ranging
between 60and 80mg/kg
liveweight (i.
e. 3,5 and 2,5 times lowerrespectively
than the mortal
dose)
may beplucked
5to 6days
after the treatment in 7 to r2 minutes instead of 35 to 50minutes ;
but theingestion
time must not exceed 24 hours.Taking
into account thatharvesting
isrepeated
about every 100days,
thegain
of time isappreciable,
even in the case ofthe
longest
treatmentconsisting
of forcedingestion during
i-2 minutes. In the 28 Rabbits treated with the above mentioneddoses,
we did not notice any toxic effect other than that of woolloss,
and the fresh
growth
of fleece tookplace
within the normal time without modification of the structure of the latter.However,
further studies would be necessary to elucidateproblems arising
from the
repetition
of thetreatment,
the effect ofcyclophosphamide absorption
uponreproduc- tion,
and the retention of this substance in the tissueslikely
to be consumed.RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
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