P IERRE P ARLEBAS
Lignes de scores, durée de jeu et effet pervers en volley-ball
Mathématiques et sciences humaines, tome 95 (1986), p. 19-44
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LIGNES DE
SCORES,
DUREE DE JEU ET EFFET PERVERS EN VOLLEY-BALLPierre PARLEBAS*
Le
volley-ball
est un affrontementcodifié,
une lutte àl’état
pur entre deuxéquipes, c’est-à-dire
entre deuxsuper-joueurs.
Toutpoint gagné
par
l’un
estperdu
parl’autre.
Pourreprendre
le terme-choc deGeorges
Guilbaud
(4),
onpeut
direqu’un
match devolley-ball
est un"duel",
termebeaucoup plus évocateur
que ladénomination
de"jeu
à deux personnes et àsomme
nulle" proposée
par Von Neumann.Dans la
famille
dessports collectifs,
levolley-ball
fait bande àpart : chaque équipe possède
son propreterritoire
danslequel
elle doit secantonner. Il
s’agit d’un
espaceclos, compartimenté
etexclusif. Séparés
par un filet
infranchissable,
lesjoueurs
restent à distance de leurs adver- saires : aucuneinterpénétration spatiale
ni aucun contact ne sontautorisés.
Ce duel est-il
"équitable" ?
Autrementdit, l’égalité
deschances,
ferde lance des affrontements
sportifs,
y est-ellerespectée ?
Les résultatsrecueillis sur le terrain nous réservent une
surprise : chaque équipe
se batfarouchement pour se saisir du
service,
maisdès qu’elle s’en
empare, seschances de gagner le coup
deviennent
alors nettementplus faibles
que celles de son adversaire ! t Commentcomprendre
un constataussi déroutant ?
La
clôture
dansl’espace s’accompagne étonnamment d’une
non-clôture dans letemps.
En raison des boucles du réseau des scores, la borne d’arrêtd’un
setpeut théoriquement
nejamais
êtreatteinte.
Il en découle d’inté-* U.E.R. de
Mathématiques, Logique
formelle etInformatique,
UniversitéParis V. Laboratoire : "Jeu
sportif
etScience
de l’actionmotrice",
Ins-titut
National
duSport
et del’Education Physique, Paris 12ème.
ressants
problèmes.
Est-ilpossible
derégulariser
la durée d’un match afind’éviter
que sesvariations oscillent
comme elles le font actuellement entremoins
de troisquarts
d’heure etplus
de trois heures ? Leséchanges sont-ils
d’autant plus longs
que leséquipes
sontplus
fortes ? A la source de cettedisparité temporelle, n’y aurait-il
pas undéséquilibre
entrel’attaque
etla
défense
aubénéfice
de lapremière,
comme onl’affirme
souvent ?Cette
intempestive variation
dedurée
semble offrir un castypique
d’effet
pervers.Etrangères
auxintentions
de tous lesacteurs,
ces consé- quencesindésirables paraissent
directemententraînées
par lesystème
d’in-teractions d’un sport
dont lesrègles
ontété pourtant pesées
avecsoin
par les instancesinstitutionnelles.
De tels hiatus sontrévélateurs
del’in-
fluence sourdemais décisive
de lalogique interne
dujeu.
A son corps dé-fendant,
lalogique ludosportive devient parfois
perverse.Nous allons
d’abord
proposer une illustration duva-et-vient
entre lemodèle général
et lesparticularités
dechaque rencontre,
àl’aide d’une analyse
deslignes
de scoresqui
traversent letreillis
du set.Puis.la pri-
se en
compte
desdurées
de matchsenregistrées
en hautecompétition permet-
tra de
déceler certaines étranges conséquences,
nonmaîtrisées,
del’affron-
tement de deux
équipes
devolley-ball.
Nous rechercheronsensuite
leséven-
tuellesrégularités présentées
par lesdonnées
recueillies sur leterrain;
enfin,
nous avanceronsquelques solutions possibles
à leurs débordements dans letemps.
’
I. LES LIGNES DE SCORES
On
sait
que tous lesévénements d’un
match devolley-ball
serontsèchement résumés
dans ununique
scoreterminal.
Une foule departies
fortdiverses
peuvent ainsi correspondre
à unmême
score; de cefait,
un"résultat"
pourraêtre jugé injuste
ou peurévélateur
du contenuréel
de laconfrontation.
Aussi semble-t-il intéressant
de mettre à découvert lesmultiples péripéties
de la
rencontre,
seséventuels rebondissements
et retournements desituation.
Cette
dynamique
du processusludosportif
sera enpartie retrouvée
parl’analyse
deslignes
de scores. Nous allonsrapidement suggérer quelques
in-dicateurs favorisant
une telleétude pouvant s’appliquer
àchaque
match enparticulier.
1.
L’univers
despossibles
Chaque ligne
de scoresreprésente
un deschemins possibles
dutreillis
duligne
de score L aboutissant au sommet s de score(x,y)
a donc unelongueur hL égale
à la somme des deux marques de s .(x,y) :
-. sommetd’extrémité
de LDans ce
treillis métrique,
tous les scores de rang i sont tels que la somme de leurs deux marques est une constante :On
peut
doncaisément
calculer lalongueur
de tout chemin dutreillis :
ellepeut évoluer
de 15(15-0)
à 28(15-13)
oudavantage
sil’on prend
encompte
larègle
des deuxpoints d’écart.
Selon leur
position,
les sommets dusupport
de marque sontempruntés
par un nombre
variable
delignes
de scores. Lespropriétés
de lacombinatoire permettent
de dénombrer tous les chemins dutreillis.
Touteligne
de scoresaboutissant au sommet s de score
(x, y). 1 peut
être considérée comme un mot de i lettres dont x sontidentiques
entre elles et yidentiques
entreelles
(avec
i = x +y).
La valence de s(nombre
delignes
de scores abou-tissant
às )
vaut donc :La
figure
1représente
lapartie inférieure
de notresupport de marque
dont
chaque
sommet estéquipé
de son score et de sa valence. Ce treillis pos-sède
la structurecaractéristique
dude Pascal.
Toutes les valencessituées
sur lemême
niveau i sontrespectivement identiques
aux coefficients de la formuledéveloppée
dubinôme (x+y)1 correspondant
à ce niveaui .
Lavalence
d’un
sommet estégale
à la somme des valences de ses deuxprédéces-
seurs. A
l’aide
de cetalgorithme classique
dutriangle
dePascal,
onpeut
Figure
1. Dénombrementdes lignes
descores.
A
chaque
niveau i dutreillis,
la suite des nombres delignes
de scoresaboutissant
àchaque
sommet estégale
à la suite des coefficientsbinomiaux correspondant
à(a+b) .
. Le réseau estisomorphe
autriangle
de Pascal.aisément
valuer tout letreillis.
On constate parexemple qu’il
y a une etune seule
possibilité d’obtenir
le score(0,15), qu’il
y en 924d’obtenir
lescore
(6,6)
etplus
dequarante
millions pouratteindre (14,14).
Sil’on
cumule tous les
possibles
de la classeterminale,
on observequ’un
set devolley-ball possède
environ soixantequinze millions
delignes
de scorespossibles,
et cela sansfaire
intervenir ni les redoublements à la marque, ni larègle
des deuxpoints d’écart !
t Devant une telleabondance,
une orga- nisation duchamp
despossibles
et une mise en évidence des structures sous-jacentes s’avèrent nécessaires.
2.
Quelques lignes
de scorescaractéristiques
.
Ligne
deségalités :
onappellera "ligne
deségalités favorable à
X " laligne
des scores contenant tous les scores àégalité,
et telle que xn’est jamais inférieur
à y .S’y
succèdentalternativement
des scores avec x= y ,puis
avec x =y+1 .
On
peut définir symétriquement
uneligne
deségalités
favorable à Y .Cette
ligne
des scoresreprésente
leminimum
d’unedomination, jamais
renversée,
quepeut
exercer uneéquipe
sur une autre.Figure
2.Lignes
de scores etcoefficients
de dominationLe
décours
de laligne
des scoresd’un set,
assortie de ses boucles de chan-gements
deservice,
est une excellentereprésentation
despéripéties
de ceset. La
ligne L~ ,
noncroisée, témoigne d’une domination
sanspartage
de la RDA(c F = 0 et £ L2
=13);
enrevanche, L4 révèle
un set nettementdominé
par la France(C = 0,79) malgré
3croisements
et un scorefinal serré.
.
Ligne
des scores noncroisée :
uneligne
des scores noncroisée favorable
à
X ,
est telle que,quel
quesoit
s :x >
y(symétriquement Y ).
Une telle
ligne
des scores dénote la franchesupériorité
d’uneéquipe qui n’a jamais
été menée à la marque; laligne
deségalités
parexemple
estune
ligne
noncroisée (cf. L2
de lafigure 2.).
.
Ligne
des scorescroisée : ligne
telle quel’on
ait à deux rangs iet j quelconques : x. i
>y , 1
etx. y J ..
’
1 1 J J
Une telle
ligne
de scores passenécessairement
par un score nul et"croise"
ainsi les deuxlignes d’égalité (dans
un casextrême,
ellepourrait
rester à
l’intérieur
de la tresse des deuxlignes d’égalité).
Cetteligne
si-gnale
unchangement
del’équipe qui domine
à la marque(cf. L4
de lafigure
2).
Le nombre de"croisements"
est enpartie révélateur
des renversements desituation
et del’acharnement
deséchanges.
.
Ligne
des scores avec"boucles" ;
tout setréel peut être représenté
parune
ligne
des scores àlaquelle
onadjoindra
les"boucles" correspondant
aux"rotations" enregistrées.
La valence dechaque
bouclerépondra
au nombrepré-
cis de
changements
de serviceeffectués
àchaque
cas.Lorsque
cesrotations s’achèvent
par legain
dupoint
aubénéfice
del’équipe qui
avaitremporté
ladernière
marque, laligne
des scorescontinue
de progresser dans la même di-rection,
et la valence de la boucle estpaire; lorsque
legain
dupoint
re-vient
àl’autre équipe,
laligne
des scoresbifurque
et la valence de la bou- cle estimpaire (cf. figure 2).
3.
Demi-largeurs
etlargeur d’une ligne
des scores.La
largeur d’une ligne
de scoresindique,
surl’ensemble
de lamanche,
l’im-portance
del’écart
entre les deux dominationsextrêmes.
Elle estégale
à lasomme des deux
demi-largeurs,
chacune notantl’écart
maximum dedomination
associé
àchaque équipe.
Il vient :La
largeur minimum d’une ligne
de scorescomplète
vaut 2 . Dans le casoù la
ligne
est noncroisée, l’une
desdemi-largeurs
est nulle : uneéquipe
a totalement dominé
l’autre (cf.
laligne L2
de lafigure 2).
4. Relation
de surclassement.Sous
l’angle précis
des scores, onpeut désirer
comparer ledéroulement
de deux sets. Ondéfinit alors,
entre deuxlignes
de scoresL1
1 etL2’
9 unede
sousle point
vuede
X(respectivement
deY
), relation qui
compare àchaque
niveau i les deux marques de X(resp.
de
Y).
Etant donné
qu’à chaque
niveaui : x + y - i , on a
donctoujours :
Y2 2 Y1 . Si L 1
surclasseL 2
dupoint
de vue deX ,
alorsL2
sur-classe
L 1
dupoint
de vue de Y(le point
de vue deX ,
ou deY , peut
éventuellement être représenté
par deuxjoueurs différents
dont chacun aeffectué
un match : on compare le match de a contre b au match de c contred ).
Cette relation est
réflexive, antisymétrique
ettransitive;
ellen’est
pas totale : deux
lignes qui
secoupent
ne sont pascomparables.
Ils’agit
donc
d’une
relationd’ordre partiel, pouvant porter
sur deslignes
noncroi-
sées et/ou croisées.
Uneligne des scores qui
surclasse uneligne d’égalité
est
nécessairement
uneligne
noncroisée
àdomination exclusive d’une équipe.
Figure
3.Ligne
des scorestémoignant
de lavictoire d’une équipe
conti-nuellement
dominée
au cours du set.La France
remporte
ce set sansavoir jamais
dominé sonadversaire,
sauf dansles deux derniers
points,
il est vraidécisifs (match
féminin deChampionnat d’Europe, 1985) : s F
=2/62 = 0,03
ets R
=60/62 = 0,97
(97%
de la surface du set ont été dominés par laR.F.A. !)
5. Surfaces de
réparation
Le score terminal
sanctionne
lavictoire,
brutalement et sansappel.
Defaçon plus nuancée,
il semble intéressantd’apprécier l’amplitude
desdominations exercées
parchaque équipe
X et Y enprenant
encompte
tous les scores dudéroulement
de lapartie.
La
solution graphique
de ceproblème
estsimple;
onappréciera
la domi-nation
d’une équipe
dans lamoitié latérale
dusupport,
là où sa marque estsupérieure
à celle de sarivale.
Pour ladomination
deX ,
ondénombre
lescarreaux du
treillis compris
entre laligne
des scores Lconsidérée
et laligne
deségalités
favorable à X .Quand
laligne
estcroisée,
onrépète l’opération
depart
etd’autre
deslignes d’égalité,
etl’on additionne
pourchaque équipe
sesdifférentes "surfaces
dedomination".
On obtient
ainsi
les surfaces dedomination respectives
sg
du
gagnant
et
s P
duperdant.
Onpeut
calculer les coefficients dedomination suivants:
et
Pour une
ligne
de scores noncroisée : c -
PS0 etc -
1 .Au
point
de vueglobal
des scores, toutcoefficient dépassant 0,50 té- moigne d’une supériorité
dedomination
del’équipe correspondante. Une,équi-
pe
gagnante peut fort bien posséder
uncoefficient inférieur
à0,50,
et mêmeéventuellement proche
de zéro ! t Lafigure
3représente
uneligne
de scoresillustrant
defaçon
caricaturale legain
du set par uneéquipe (France)
dont la surface de domination a
été minimum :
s9
= 2 et
c g = 2/62 = 0,03
(3ème
set du matchféminin
France -RFA, Championnat d’Europe,
Octobre1985).
Un
indice
de cetype permet d’appréhender
lerapport
de forcesinstauré
surle
terrain
etd’éclairer
la source decertains sentiments d’injustice
oud’euphorie
desjoueurs
et desspectateurs.
Ces
différentes suggestions
ont pourobjectif
de proposer desindicateurs contrôlables autorisant
uneanalyse
moins"littéraire"
et mieux fondée des rencontresludosportives.
Laprise
encompte
deslignes
de scores semble fa-voriser
un examen desrésultats
sur le modetemporel :
onpeut
observer ledéroulement
du processus pas à pas etpièces
enmains.
Onpeut
mettre en re-gard
ladynamique groupale
dechaque équipe
et les soubresauts deslignes
deII.
L’EFFET
PERVERS DE LA DUREE DE JEU 1. Unedispersion considérable
Le
déroulement d’un
setpossède,
avons-nous vu, lapropriété théorique
de seprolonger
àl’infini (5).
Dans les conditionsconcrètes
de lacompétition,
un score
terminal
est bien entendutoujours atteint, mais
non sansentraîner parfois
desévères
retardstemporels.
Lechronométrage
des matchs de hautecompétition
montre que leur duréeempirique possède
unedispersion considé-
rable
qui évolue approximativement
de 10minutes
à une heure pour leset,
et de troisquarts d’heure
àtrois
heures pour le match ! tLa durée moyenne du
point dépend
du nombre de coupsqui allongent
ladurée
dujeu
tout enn’étant
pascomptés
dans le score.Calculée
surplu-
sieurs
dizaines
dematchs,
cettedurée
moyennepossède
un intervalle de va-riation
important qui
oscilleschématiquement
entre 40 secondes et une mi-nute dix secondes.
L’unité
dujeu n’est
paslà,
dans lepoint, mais
dans lecoup; la
durée
moyenne decelui-ci
estévidemment plus
faiblemais
aussiplus
stable : elle
évolue
entre 19 s. et 24 s. Cettedurée dépend
dujeu lui-même,
mais aussi des conditions concrètes de la rencontre : taille du gymnase,
pré-
sence éventuelle de ramasseurs de
balle, empressement
manifesté par lesjoueurs
et parl’arbitre,
réactions dupublic
...Ces derniers facteurs semblent
quelque
peu extérieurs aujeu lui-même.
Aussi, l’unité
fondamentale de l’action nous semble-t-elle être endernière analyse
laphase
dejeu qui
sedéroule
entre le moment de lafrappe
du ser-veur et
l’instant
où la balle estréputée "morte".
La durée moyenne de cetteséquence "balle
enjeu" possède
une constance trèsprononcée :
toutes lesmoyennes du coup
"balle
enjeu"
que nous avons relevées lors de matchs entre clubs ou de matchsinternationaux,
sont situées entre5,92
s. et7,83
s..Oscillant autour de 7 s., cette durée moyenne, de faible
variance, représente
à coup
sûr
une résultanterévélatrice
del’état
actuel durapport
de forcesentre
l’attaque
et la défense devolley-ball.
On notera que dans ce
sport collectif,
letemps "réel"
d’action effec- tivereprésente à peine le tiers
de la durée totale del’affrontement. Ainsi,
un match
d’une
heure etdemie
dedurée enregistrée
neconnaît
en réalitéqu’une demi-heure
dejeu effectif.
2. Les
causes d’allongement temporel
Les
disparités
affectant ladurée
des matchs devolley-ball
ont étéfréquem-
ment
signalées. L’auteur qui
les aétudiées
avec leplus
desoin
est sansdoute Czeslaw
Wielki qui
aconsacré plusieurs articles
à cephénomène (6),(7) ;
1(8). D’une part,
il a relevé lesdurées
de nombreusescompétitions, d’autre
part il
aprocédé
à uneintéressante enquête auprès
desjoueurs,
des entraî-neurs et des
responsables d’une vingtaine
de pays.Ayant interrogé
les dif-férents
partenaires
del’univers
duvolley-ball,
il conclut sonétude
enproposant
une solution rationnelle surlaquelle
nousreviendrons.
L’allongement
de ladurée
des rencontres devolley-ball
seproduit,
écritC.
Wielki, "à
causede la règle traditionnelle du jeu qui
veut quele gagnant
totalise 15 points
avecdeux points d’écart
et quele jeu
sepoursuive jus- qu’à
cequ’une des équipes ait gagné trois sets" (6).
Cetteinterprétation
nesemble pas tout à fait en accord avec notre
modélisation précédente.
Bien en-tendu,
les deuxcontraintes rappelées
parWielki représentent
des causes in-contestables de
prolongation
desmatchs, mais
leur influence est sans doutemoins décisive
quel’apparence
lesuggère :
lapremière contrainte n’inter- vient
quefaiblement
dans un nombre de caslimité,
laseconde,
bien queplus importante,
nereprésente
en tant que tellequ’une augmentation inférieure
audoublement de la
durée.
La causeprofonde
desprolongements
de matchs estailleurs.
L’analyse
dugraphe
des scores arévélé
que laprésence possible,
à cha-cun des sommets du
réseau, d’une
boucle"muette" n’influençant
pas la marque, rendpossible
lastagnation infinie
du score à tous les sommets de laligne
des scores
(y compris même
aux sommets de lacheminée
des deuxpoints d’écart).
Voilà
leresponsable majeur
desprolongements temporels
des sets et des matchs.Cette cause de
prolongation
estd’autant plus importante qu’elle s’ajoute
etse
combine
aux autres causes dont elleaccroît
encorel’influence.
3. Surabondance des coups
"blancs"
Ces boucles
"muettes"
deschangements
deservice,
avons-nousconstaté,
ne mo-difient aucunement
la marque et nedépartagent
doncjamais
les deuxéquipes.
Le
graphe
detransition
des scores(5)
donne à penser en revanche que ces bouclesomniprésentes jouent
unrôle décisif
dans ladurée
duset, compte
L’observation
descompétitions permet d’évaluer,
pourchaque match,
lerapport
entre le nombre depoints marqués
et le nombre de coupsjoués.
Lapri-
se en
compte
de matchs de hautecompétition
sur unepériode étalée
de 1974 à1986
révèle
que cerapport varie,
pourl’ensemble
des matchs de 32% à 45%avec une moyenne
proche
de 38%.Schématiquement donc,
sur 100 coupsjoués,
ily en a, en moyenne, moins de 40
qui s’achèvent
par legain d’un point !
t Pour2
points marqués,
il faut doncaccepter
au moins 3 coups"blancs".
Un match récent illustre la
faiblesse
dupourcentage
des coupsaboutis-
sant au
point :
lors du matchmasculin
France-Cuba deJanvier
1986(3
sets à2 en faveur de la
France),
nous avonsenregistré 32,36%
de coupsmarquants
pour lematch, assorti d’un
set à27,08%.
Deux coups surtrois
ontété
tota- lementinutiles
dans le déroulement du score. Au cours de ce matchqui
a duréprès
de deux heures(113 mn.),
àpeine plus d’une
demi-heure(37 mn.)
a servi àdéterminer
lamarque !
t Lapesée temporelle
deschangements
de service estdonc hautement
confirmée
dans les faits deterrain. Signalons
que, dans. cematch,
ladurée
moyenne du coup"balle
enjeu"
a été de5,92s.;
la duréeréelle
dujeu
vaut ici moins dutiers (30,01%)
de ladurée officielle arbi- trée.
4.
Un effet perversexemplaire.
Les
inconvénients d’horaires
dus à la variation de durée des matchs sont mul-tiples :
attenteprolongée
desjoueurs participant
au matchsuivant, injus-
tice
sportive flagrante
danscertains tournois lorsque
deséquipes qui
se sontqualifiées
en 5 setsd’un difficile
match deplusieurs
heures rencontrent peuaprès
deséquipes qui
ontéliminé
leursadversaires
en 3 setsbrefs, désagré-
ment des
spectateurs
et desjournalistes qui
nepeuvent connaître l’horaire
exact de la
compétition.
Cesinconvénients
touchent ainsi lesprincipales
ca-tégories
de personnesassociées
aux rencontres :joueurs, organisateurs, jour-
nalistes et
spectateurs.
Voilà bien un cas
prononcé d’effet
pervers,c’est-à-dire,
selon la défi-nition de
Raymond Boudon,
un"résultat
nonintentionnel d’un ensemble
com-plexe d’actions intentionnelles" (2);
nous sommes en effet devant unesitua-
tion socialevolontairement organisée, mais qui entraîne
desconséquences
to-talement
étrangères
auxintentions ayant présidé
à samise
en oeuvre. Le carac-tère
pervers dusystème
estd’autant plus frappant
que lesconséquences
del’action
sontrésolument contraires
auxobjectifs
des acteurs.En outre, ces effets
indésirables apparaissent
comme issus de larègle
édictée par
l’institution. Habituellement,
les effetsd’agrégation émergent inopinément
dans des situations peuorganisées;ici, ils surgissent
dans un ca-dre fortement
réglementé
et sont enquelque
manière unproduit indirect
de laloi.
Personne ne souhaite que le match seprolonge démesurément mais,
en cher-chant à gagner,
chaque équipier prend
desdécisions d’action qui,
face auxcontraintes
desrègles,
tendent àallonger
considérablement ladurée
de la rencontre.C’est
dans lalogique
dujeu.
Cet effet pervers
illustre
defaçon exemplaire
laproposition
de R.Boudon selon
laquelle
les effets pervers"sont omniprésents dans la vie
so-ciale" (3). L’allongement préjudiciable
de lacompétition n’est
pas dû à laconspiration d’un mystérieux
groupesocial, mais
àl’interaction
de conduites motricesindividuelles,
indiscutablementlucides,
maisqui obéissent
à des rè-gles institutionnelles
auxconséquences
malcontrôlées.
A cetitre,
le cas dusport,
enl’occurrence
duvolley-ball, présente
autant dedignité théorique
que tout autre secteur de la vie sociale etillustre
on nepeut mieux,
pour re-prendre
uneexpression
de R.Boudon,
les"conséquences perverses produites
par certaines situations de compétition" (3).
Peut-on
comprendre
parquels mécanismes
larègle, apparemment innocente,
entraîne
desconséquences aussi imprévues ?
III. UN DUEL
DESEQUILIBRE
1. Undéséquilibre surprenant.
L’observateur
va desurprise
ensurprise.
Globalementl’espérance
deréussite
de
l’équipe
servante(calculée
sur les 2.306 coups de 11matchs) est,
enmoyenne,
proche
de0,38 :
cetteéquipe
a donc nettementplus
de chances deperdre
lepoint
que de le gagner. Autrementdit,
dans le coupengagé, possé-
der le
service défavorise
lesjoueurs qui
viennent des’en
emparer de haute lutte. Il y a làquelque
chose deparadoxal : chaque équipe
met toute sonénergie
às’emparer
duservice,
maisdès qu’elle
lepossède,
elle se trouveFigure
4.Histogramme
des coups en fonction du nombre defranchissements
defilet
par coup.Les
résultats
des deuxéquipes
sontici regroupés.
Les
caractéristiques
de cethistogramme
sontreprésentatives
del’ensemble
de ces
résultats : progression jusqu’au
mode 2 dontl’effectif
estpléthori-
que,
puisdécroissance régulière jusqu’aux
valeurs 6 ou 7 selon unefréquence
de
réussite oscillant
autour de 50%(48,15%; 50%; 50%; 42,86~, 62,50% ...)
2. Deux
catégories
deséquences
Le
déroulement
desactions motrices
conduit àdistinguer
deuxtypes
de sé- quences :. La
séquence
duservice. :
elle est seule de sonespèce. Effectué d’un
sous-espace
réservé, éloigné d’au moins
9mètres
dufilet, l’engagement
est laseule
phase
dejeu
àlaquelle l’adversaire
nepuisse, réglementairement, s’op-
poser par un
"contre". Trois
issues sontpossibles :
le serveur commet unefaute, l’équipe
recevante nepeut
renvoyer correctement leballon,
enfin laballe est
relancée
correctement parl’équipe
recevante etpoursuit
alors sonitinéraire.
. La
séquence qui
seprolonge au-delà
duservice :
cesdifférentes séquences
sont tous du
même type
sil’on néglige
laparticularité
de lapremière
relan-ce
qui, ainsi
que nousl’avons signalé,
nepeut s’effectuer
par un contre. A cette nuanceprès,
ceséchanges peuvent être
tousregroupés
dans unemême
classe
qui
seraopposée
à la classe desséquences
duservice.
Arrivé à ce
point
del’étude,
il nous faut maintenantprendre
encompte
les donnéesempiriques recueillies
sur le terrain et les croiser avec les ca-ractéristiques
des modèlesélaborés précédemment.
Dans cetteoptique,
nousavons observé de nombreux matchs entre clubs
français
etétrangers,
et entreéquipes internationales;
cesdonnées
collectées comme nousl’avons
dit enhaute
compétition,
de1974
à1986,
offrent desmatériaux qui
vontpermettre
d’éprouver
nosmodèles
etcertaines idées qui
ont cours dans le domaine duvolley-ball.
3. Les franchissements de filet
Le
volley-ball
secaractérise
par unprofil intangible
dudéroulement
des é-changes :
toutephase
dejeu consiste, après
unemise
enservice
parfrappe directe,
en unesuccession
alternée de passages du ballon au-dessus dufilet,
d’un
camp àl’autre.
Cetterégularité
duprofil
deséchanges
nous aconduit
àrésumer
chaque
coup dujeu
par le nombre de franchissements dufilet réussis.
C’est
là un bon indicateur durapport
de force entrel’attaque
et ladéfense, problème-clef
duvolley-ball. Aussi
unegrande partie
de nosanalyses s’ap- puiera-t-elle
sur lafréquence
de ces franchissements de filet(ff)
par coup dejeu.
Les
résultats
sontspectaculaires.
Leshistogrammes
de ff de tous lesmatchs,
sans aucuneexception,
arborent la mêmecaractéristique :
unpic
trèsaccusé
à valeur2 ,
assortid’une décroissance régulière
depart
etd’autre
(ainsi
quel’illustrent l’histogramme particulier
de lafigure
4 etl’histo-
Figure
5.Histogramme
des coups selon leur nombrerespectif
defranchissements
defilet.
Cette courbe des
fréquences
esttypique
duprofil
deséchanges
des affronte-ments en
volley-ball.
La relance del’équipe
recevante(2 ff)
accumule uneffectif de
réussites hypertrophié (43%
dutotal)
et estsuivie d’une décrois-
sance
régulière
des coupsplus longs.
Afin de donner uneidée
de ladispersion
des
résultats,
lespourcentages extrêmes
observés pourchaque
ff ontété
in-diqués
enpointillés.
Ces
résultats correspondent
aux 1636 coupsobservés
sur les 9 matchs masculinssuivants : Racing - Tourcoing (nov. 1974);
V.G.A. St Maur -Prague (déc. 1974);
France -
Algérie (fév. 1975) ; Racing - Iraklis (fév. 1976) ;
Clamart -Sète
(mars 1975); Pologne - Yougoslavie (oct. 1976);
France -Espagne (oct. 1976);
Espagne - Yougoslavie (oct. 1976);
France -Pologne (oct. 1976).
a) Caractéristiques
de laséquence
duservice.
Sur
l’ensemble
des matchsobservés, 5,30%
des ballesengagées provoquent
une faute du serveur(0 ff) , 13,80% gagnent
le coup directement et donc lepoint (1 ff) ,
et80,90%
sontrelancées
correctement parl’équipe
recevante(2
ff etplus
de 2ff) .
Lepourcentage
de ballonsqui
deviennent"morts" directement
àl’issue
duservice avoisine
donc les 20%(19,10%).
Sur cette
première balle,
le rendement del’attaque apparaît
trèsfaible:
moins de 15% des balles
d’engagement gagnent
lecoup !
t Aussiest-il étonnant
de constater que cemédiocre
rendementalimente pourtant
un lotconsidérable
depoints
à la marque. Ces coupsgagnés
directement sur servicereprésentent
en effet
35,20%
du total despoints.
Autrementdit,
en moyenne, sur les 15points nécessaires
à lavictoire, plus
de 5 sontacquis
sur la balled’enga-
gement.
Remarquons l’apparente contradiction
de cesdonnées,
due à lalogique
descoups
"blancs" :
le rendement réel del’attaque
est très faible(1/7), mais
son rendement à la marque
très
fort(1/3). Qu’en
est-il desséquences
sui-vantes ?
b) Caractéristiques
desséquences qui
seprolongent
au-delà duservice.
Tous les ff
pairs (2,4,6 ...) correspondent
à des coupsgagnés
parl’équipe
recevante,
et tous les ffimpairs (3,5,7 ...)
à despoints remportés
parl’équipe
servante; la lecture desfiches d’observation
révèle que69,10%
desgains
de coups sont àporter
au crédit del’équipe recevante,
et30,90%
aucrédit
del’équipe
servante(cf. fig. 6).
Est-ce à dire quel’attaque est, ici
encore, trèsdéfavorisée ?
Par
"attaque",
nous entendons tout renvoi de la balle dans le camp ad- verse ; le smashbien sûr, mais aussi
le lob et le contre sont des armes of-fensives.
Dans cetteperspective, chaque
ffreprésente
uneattaque.
La pre-mière offensive reviendra
àl’équipe
recevante. Afind’évaluer
le rendement del’attaque
pourchaque franchissement
defilet,
nous allonsétablir
le rap-port
entre le nombre de coups conclusvictorieusement
àchaque ff ,
et lenombre total de balles
correspondantes disputées.
Ainsi qu’en témoigne
lafigure 6,
lapremière
relance atteint un taux deréussite légèrement supérieur
à la moyenne(53,30%)
et les autresattaques
fluctuent autour de cettevaleur, légèrement
au-dessous dans lespremiers
échanges (vers 46%). Schématiquement,
surl’ensemble
desactions,
onpeut
Figure
6.Répartition
détaillée des coups dujeu
en fonction du nombre defranchissements
de filetcorrespondant.
Calculé
àchaque
fois surl’effectif
des balles restant enjeu,
lepourcentage
desattaques gagnantes oscille,
àpartir
de la relance(2 ff),
entre 40 et 60%pour
l’essentiel (et peut
être résumé par la valeur50%).
On notecependant
unsurcroît
de la relance(53,25%), surcroît
peu notable sur leplan
du pourcen-tage,
maisimportant
sur leplan
deseffectifs.
Ces données
portent
sur lesrésultats
des 9 matchs de lafigure
5.(m ff =4233/1636 = 2,59).
°Les coups
gagnants
del’équipe servante,
hormis leservice, correspondent
à unpourcentage
de30,89%
des coupsdisputés ((409/1324)100)
et les coupsgagnants
del’équipe
recevante à69,11% (le complément : (915/1324)100).
Ces valeurssont
bien compatibles
avec lepourcentage
de 50%d’attaques gagnantes
à cha-que franchissement de filet
(cf. Fig. 7).
considérer
que lepourcentage
deréussite
del’attaque
est del’ordre
de 50%.Cette
fréquence
se maintient à peuprès constante,
aux oscillationsprès,
pour les
différentes attaques qui
sesuccèdent
au fur et à mesure des ff .Comment se
fait-il
alors quel’équipe
recevanteenregistre plus
de2/3
des coupsvictorieux ?
La raison est