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Le fumeur est un bien doux écureuil, en cage (2)

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Revue Médicale Suisse

www.revmed.ch

21 mars 2012

actualité, info

point de vue

Truisme : la consommation de taba c est un fléau sanitaire de grande ampleur auquel nous nous sommes, collectivement, habi tués (Rev Med Suisse 2012;8:

612-3). Truisme ? Il suffirait de changer, un instant, de point de vue pour prendre la mesure d’un phénomène proprement incom- préhensible. On pourrait bien évi- demment s’interroger sur les rai- sons profondes qui, en un siècle, on fait que les collectivités hu- maines ont pu accepter cette nou- velle forme de dépendance inha- lée. Mieux : s’interroger sur celles qui font que cette assuétude col- lective demeure alors que toutes les preuves sont là, qui nous décri vent et démontrent les conséquences individuelles et collec tives de ce fléau sanitaire. Et l’interrogation se fait plus vive encore quand on sait que la majo- rité des centaines de millions de personnes qui consomment le taba c sous la forme de cigarettes (laissons aujourd’hui les cigares dans leur boîte thermo-régulée), souffrent plus qu’elles ne jouissent

de leur consommation. Sauf, bien sûr, à définir la jouissance comme la déprimante réponse-réflexe procurée par le comblement d’un manque.

Vu de Sirius, tout cela apparaîtra pour le moins déraisonnable.

Mais on sait bien, sur Sirius comme sur la Terre, que la raison est très précisément ce qui manque quand la dépendance triomphe. Y compris dans ses phases descendantes quand af- fleure encore à la conscience du drogué la perception ambivalente et vinaigrée de son état d’escla- vage. Questions : l’écureuil placé dans une cage est-il plus ou moins heureux d’y trouver une roue en bois et à tambour ? Tous ceux qui ne sont pas des écureuils peuvent-ils interpréter l’expé- rience rotative proposée à ce ron- geur empanaché devenu amuseur du foyer ?

S’intéresser au tabac, à sa consommation et à ses dégâts, conduit immanquablement à s’inter roger sur les mécanismes intimes que le cocktail régulière-

ment inhalé déclenche dans l’organisme humain. Pour l’heure, la neurologie moléculaire n’a guère répondu aux espérances que certains (à commencer par les neurologues moléculaires) avaient pu mettre dans la puissance annon cée de cette discipline. Ici encore le diable est dans les dé- tails ; et les détails sont multiples qui résistent aux neurosciences.

Ou, plus précisément, qui résis- tent à la transformation des ac- quis des neurosciences en outils diagnostiques et thérapeutiques.

S’intéresser aux fumeurs ? Cela demeure donc pour une large part une affaire de ces sciences dites molles que le médecin d’au- jourd’hui tient souvent pour quantité négligeable. Peut-être à juste titre. Il n’en reste pas moins vrai que le fumeur est lui aussi un animal social. Est-il très différent de celui qui ne partage ni son feu ni ses cibiches, qui n’a jamais pleuré après une sèche ? Chercher à mieux le connaître, ce méconnu, c’est ne pas faire une croix sur des techniques sociologiques qui peuvent énerver quand elles ne font pas sourire.

Intéressons-nous donc un instant à l’une des conséquences de la lutte contre les fumeurs ; celle qui voit le législateur interdire à ces derniers (dans les instants où ils s’adonnent à leur vice) de coexis-

ter avec ceux qui n’ont jamais fumé (ou qui ont juré de ne plus jamais repiquer). Cette mesure est devenue indispensable une fois établis et calculés les dégâts dus au tabagisme passif. Dans la plupart des grandes cités de l’Amérique du Nord et du Vieux Continent, on a ainsi condamné à l’exil les fumeurs devant les façades des débits de tabac et de boisson au sein desquels ils étaient jadis les bienvenus.

Les tenanciers des estaminets ne sont pas toujours dénués d’huma- nité. Aussi ont-ils décidé d’instal- ler des tentures (de différentes formes et d’un goût parfois discu- table) à la porte de leurs établisse- ments. Puis, la cigarette brûlant sans véritablement chauffer, ils ont décidé d’équiper de calorifères ces nouveaux parvis. Pour autant, ces ingéniosités n’ont rien changé aux lois du tabagisme passif et pas plus qu’à l’énergie des nouveaux hygiénistes publics. Et l’heure semble venue de bouter aussi les fumeurs de ces derniers refuges.

Ils seront bientôt sur le trottoir, dans le ruisseau. Pour quels béné- fices ?

C’est précisément ce qu’ont cher- ché à évaluer les auteurs d’une étude publiée en ligne,1 fin février par Tobacco Control, entité antitabac du groupe British Medical Journal.

Les cinq auteurs travaillent à

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Revue Médicale Suisse

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21 mars 2012

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1 Hoek J, Maubach N, Stevenson R, Gen­

dall P, Edwards R. Social smokers’ ma­

nagement of conflicted identities. Tob Control. doi : 10.1136/tobaccocontrol­

2011­050176.

l’Université néozélandaise d’Ota- go. Ils se sont intéressés aux ver- tus potentielles de l’extension de l’interdiction de fumer aux ter- rasses des cafés. Les spécialistes

anglophones parlent ici de «social smoking», une pratique dont l’in- titulé ne dit pas qu’elle s’accom- pagne, dans l’immense majorité des cas, de consommations de boissons alcooliques. Ces auteurs savent que, dans les pays déve- loppés, la prévalence du taba- gisme a tendance à ne pas aug- menter, à la différence de ce qui se passe dans les pays en déve- loppement. Ils observent en revan che que la consommation de tabac a bel et bien tendance à s’accroître lorsqu’il s’agit d’occa- sions conviviales. C’est une forme

de relapse de la volute.

Comment comprendre ? Les au- teurs ont fait passer des inter- views en profondeur à treize social smokers de 19 à 25 ans, recrutés de différentes manières.

L’analyse de ces en- tretiens montre que les fumeurs ont sou- vent des «conflits d’identités sociales».

Il semble qu’il leur est très difficile de ré- concilier leur identité personnelle de non-fu- meur, avec leur iden- tité sociale de fumeur.

En d’autres termes, de nombreux jeunes fume urs fument comme à regret n’as- sumant pas pleine- ment aux yeux des autres leur statut de fum eur. Pas d’autre so- lution, dès lors, que de trouver un compromis «entre leurs deux identités» : réduire leur consom- mation à certains moments et en certaines occa sions, et s’autori- ser/imposer une consommation plus élevée dans d’autres.

Cette variabilité dans les compor- tements renvoie à une tendance dissociative de l’identité. Ainsi, le tabac devient-il autoclivant. Ils présentent une forte différencia- tion de comportement, représen- tative d’une différenciation

d’identité. Il s’agit, par exemple, de ne jamais fumer seul. Il s’agit aussi d’affirmer un contrôle absolu sur les lieux, les heures et la quan- tité de sa consommation. On ne serait donc pas dans l’asservis- sement vis-à-vis du tabac ; on tiendrait le démon en laisse. Un phénomène qui, un temps, peut être observé avec les boissons alco oliques.

D’ailleurs, dans les entretiens qu’ils ont accordés, ces jeunes adultes expliquent volontiers que l’absorption d’alcool les a poussés à inhaler. Aveu ambigu quand, précisément on assure maîtriser sa relation au tabac. A un autre degré, les consommations aug- mentent au carré. Certains confient pouvoir fumer un paquet durant une seule nuit alcoolisée.

Puis les auteurs en viennent à leur objet d’étude : ils demandent à ces consommateurs leur opi- nion quant à l’opportunité d’in- terdire de fumer aux terrasses des cafés. Le croiriez-vous : tous les participants, sauf un, (près de 80%…) soutiennent la proposition et reconnaissent que cette mesure pourrait les aider à réduire ou arrê ter de fumer.

La conclusion coule de source : en interdisant la «cigarette en ter- rasse», on supprimerait un des facteurs sociaux qui stimulent la consommation conjuguée d’alcool

et de tabac. Entre autres vertus, une telle politique permettrait d’éliminer l’intersection actuelle entre espaces fumeurs et espaces non fumeurs.

L’homme a recensé, dit-on, plus de deux cent cinquante variétés d’écureuils dans le monde : 56%

sont des arboricoles, 12,5% des terrestres et 31,5% des volants.

Leur taille varie de 13 à 90 cm. On les tient pour être des acteurs im- portants de l’écosystème. Il leur arriverait en effet de perdre la mémoire, oubliant des graines qui germent là où ces gentils ron- geurs les ont laissées. Amateurs, parfois, de champignons, ils contribuent aussi à la propagation de leurs spores. En cage, devenus dépendants ils tournent, au mieux, dans leur roue. Faut-il ouvr ir la porte de leur cage ? Et comment ?

(A suivre)

Jean-Yves Nau jeanyves.nau@gmail.com

CC BY Tomi Tapio

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