1892 Revue Médicale Suisse – www.revmed.ch – 28 septembre 2011
actualité, info
Dépistage du cancer du poumon : enfin un instrument efficace ?
Le cancer du poumon est fréquent et associé à une mortalité impor- tante, qui a pu être réduite signifi- cativement par l’amélioration de la chirurgie curative et des mesures adjuvantes. Le dépistage précoce pourrait améliorer encore ce pro- nostic, mais aucune méthode ne s’est avérée suffisamment efficace jusqu’à l’apparition du CT-scan thoracique à faible irradiation, qui permet une visualisation suffisam- ment précise pour détecter des tu- meurs de petite taille. Afin de véri- fier les données positives d’études observationnelles, cette étude
multicentrique américaine a enrôlé plus de 50 000 fumeurs à risque de plus de 55 ans, et a comparé un dépistage annuel pendant trois ans par radiographie du thorax (Rx) ou par CT de basse irradia- tion (CT). Après plus de six ans de suivi, et malgré un taux de faux po- sitifs très élevé ( 95%), le CT s’est avéré plus efficace que la Rx pour détecter les cancers. Il a permis ainsi une diminution de la mortalité liée au cancer de 20%, et les au- teurs concluent que le CT à faible irradiation est un outil efficace de dépistage du cancer du poumon dans une population à risque.
Commentaire : Sur la base de ces résultats, le dépistage pré- coce par CT doit-il devenir un
standard ? Cette excellente étude interventionnelle le suggère, mais mérite cependant quelques re- marques tempérantes, beaucoup de questions essentielles restant sans réponse. Le taux élevé de participation et d’adhérence sera- t-il reproductible en dehors d’une étude clinique, et un bénéfice aussi important sera-t-il obtenu par un dépistage de population à risque ? Quelques dommages collatéraux sont prévisibles, notamment les conséquences psychologiques inévitables du taux élevé de faux positifs, les coûts supplémentaires liés aux examens de confirmation du diagnostic, et les événements indésirables induits : l’impact sur le bénéfice de l’augmentation du niveau d’exposition aux rayons X dans la population est certain, mais encore difficile à évaluer.
Enfin, qui, et surtout combien, se- ront ces radiologues «dépisteurs»
formés pour cet exercice ? Beau- coup de questions en suspens, qui suggèrent qu’il faut donc enco re attendre avant de promou- voir un dépistage du cancer du poumon. L’effet positif de la réduc- tion du tabagisme sur le risque du cancer du poumon ne fait quant à lui pas de doute : il faudra peut- être alors choisir entre des mesu- res antitabac réellement efficaces et le dépistage…
Dr Thierry Fumeaux Hôpital de Nyon
The National lung screening trial re- search team. Reduced lung-cancer mor tality with low-dose computed tomo- gra phic screening. N Engl J Med 2011;
365:395-409.
De l’homosexualité et du don du sang (3)
Le ministère britannique de la Santé vient d’annoncer avoir levé l’interdiction qui in
terdisait aux hommes ayant des «rapports sexuels avec des hommes» (HSH) de donner leur sang. Cette décision a été prise sur la base des conclusions de l’Advisory Commit
tee on the Safety of Blood, Tissues and Or
gans. Elle tient compte pour l’essentiel de l’amélioration de la sensibilité des tests de dépistage de l’infection par le VIH. Pragma
tisme britannique oblige : elle ne concernera, expliqueton publiquement, que les homo
sexuels britanniques qui (remplissant par ail
leurs les critères habituels de sélection) dé
clareront ne pas avoir eu, durant l’année précédente, de rapports sexuels (oraux ou anaux ; protégés ou non) avec un partenaire masculin.
OutreManche, la mesure d’interdiction avait été prise au début des années 1980. Le délai préventif d’une année avait déjà été appliqué aux femmes ayant eu des rapports avec un homosexuel ainsi qu’aux personnes ayant fréquenté des prostituées ou ayant eu des rapports avec une personne ayant pris de la drogue par voie intraveineuse. La pro
position de la commission consultative a été acceptée par les ministres de la Santé d’An
gleterre, d’Ecosse et du Pays de Galles. Elle
entrera en vigueur le 7 novembre.
«La levée de cette interdiction est une bonne nouvelle, mais certains homosexuels seront toujours frustrés de ne pas pouvoir donner leur sang» estime Carl Burnell, responsable de l’une des plus grandes associations bri
tanniques d’homosexuels. Ce dernier recon
naît toutefois que le délai d’un an se fonde sur des données scientifiques pour s’assurer de l’innocuité des dons visàvis des virus de l’hépatite B et du sida. D’autres militants qualifient le délai de douze mois d’«excessif»
et d’«injustifié».
Et voici que resurgit publiquement une ques tion qui, sous nos latitudes, a agité de ma
nière récurrente les responsables de la santé publique et ceux d’associations défendant les droits des communautés homosexuelles (Re- vue médicale suisse des 26 juin et 12 juillet 2006). Une question qui continue à diviser même si elle a perdu, avec le temps, de son potentiel d’indignation. C’est par exemple le cas en France où les HSH demeurent exclus du don du sang.
En juin 2011, à l’occasion de la Journée mondiale du don du sang, les associations françaises «SOSHomophobie» et «Elus lo
caux contre le sida» ont une fois encore qua
lifié cette exclusion de «discriminatoire» et
«insultante». «L’Etablissement français du sang (EFS) alerte plusieurs fois par an sur le risque de pénurie mais les gays sont tou
jours interdits – à vie ! – de donner leur sang, sans qu’une quelconque question relative à leur comportement leur soit posée lors du questionnaire préalable à tout don», dénon
çaient alors les deux associations. Elles re
connaissaient la nécessité d’édicter un cer
tain nombre de contreindications au don du sang, notamment pour les personnes ayant des comportements à risque mais unique
ment sur la base «de critères de santé pu
blique». A l’inverse, l’exclusion devient «in
point de vue
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«préjugés». «C’est la notion de pratique à risque, et non de groupe à risque, qui doit être retenue comme facteur d’exclusion pour le don du sang» soulignaientelles faisant d’autre part état de «nombreux témoignages de lesbiennes n’ayant pu donner leur sang».
Froide répartie de l’EFS : «Les contreindi
cations au don du sang dépendent des don
nées épidémiologiques publiées chaque an
née». Or, si l’on en croit l’Institut national français de veille sanitaire (InVS), la préva
lence de l’infection par le VIH ne diminue pas chez les homosexuels masculins ; et le ris
que de contracter ce virus est «200 fois plus élevé chez les homosexuels masculins». On peut le dire autrement : parmi les donneurs de sang dont la séropositivité a été décou
verte entre deux dons, la moitié des cas con
cernait des hommes contaminés lors d’une relation homosexuelle. Et chacun, ou pres
que, sait que si le don de sang a lieu dans les quinze jours qui suivent une contamination les tests de dépistage sont inopérants. De ce fait, il existe toujours un risque résiduel. Et selon l’EFS une poche de sang sur trois mil
lions peut encore aujourd’hui passer outre le maillage sécuritaire. Ce risque pourrait, en France, être multiplié par quatre si les HSH homosexuels masculins étaient autori
sés à faire don de leur sang. Pour le reste, il n’existe aucune raison épidémiologique de nature à justifier l’exclusion des lesbiennes
du don du sang. Pour sa part, l’InVS a pu
blié 1 il y a peu une fort opportune mise au point actualisée sur ce thème.
«Depuis 1983, dans de nombreux pays, les hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes ont été exclus du don de sang de façon permanente car étant à haut risque d’infection par le VIH, rappelle cet institut.
Depuis la mise en place en 1985 du dépistage du VIH sur les dons de sang, des progrès con
sidérables ont été réalisés en sécurité virale des produits sanguins grâce à l’amélioration de la sélection des donneurs et au développement d’ou
tils de dépistage performant incluant le dépistage géno
mique viral. Malgré ces amé
liorations et la forte pression de certaines asso ciations de la société civile, seuls quel
ques pays ont limité la durée d’exclusion des hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes.»
Et l’InVS d’ajouter que les études d’impact d’une modification de la mesure d’exclusion sur le risque VIH ont montré que la réduc
tion de la durée d’exclusion engendrait un risque supplémentaire. «Certes, ce risque est très faible, mais estil acceptable de faire cou
rir un risque additionnel même infinitési
mal aux receveurs de produits sanguins ?»
demandetil. Toujours selon l’InVS, ces étu
des ne prennent pas en compte un para
mètre important : l’amélioration possible de la compliance des HSH avec une exclusion temporaire. Or les études les plus récentes s’accordent pour conclure qu’une alternative à l’exclusion permanente réside dans l’auto
risation au don des hommes abstinents au cours des douze derniers mois, comme l’ont déjà fait quelques pays. Cette mesure per
mettrait en pratique de couvrir largement la fenêtre silencieuse pour les hommes ayant récemment pris des risques (ou pour ceux dont les partenaires auraient pris des ris ques) sous la condition essentielle d’une amélio
ration de la compliance des donneurs.
(A suivre)
Jean-Yves Nau jeanyves.nau@gmail.com
1 Accès au don du sang des hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes et impact sur le risque de transmission du VIH par transfusion : tour d’horizon inter- national. DOI : 10.1016/j.tracli.2011.02.002.
… «C’est la notion de pratique à risque, et non de groupe à risque, qui doit être retenue» …
Troubles alimentaires : effets miroirs d’anomalies du chromosome 16
CC BY Guillaume Paumier
Tout comme l’obésité, l’insuffisance pondé- rale est dans certains cas génétiquement programmée. Tandis que la délétion d’une partie du chromosome 16 est impliquée dans le surpoids, une copie surnuméraire de cette portion peut au contraire provo- quer une maigreur extrême (IMC l 18,5).
Ce deuxième effet, miroir du premier, vient d’être découvert par l’équipe de Sébastien Jacquemont, Alexandre Reymond et Jac- ques S. Beckmann à l’UNIL-CHUV.1
Sur plus de 95 000 génomes analysés, 138 étaient porteurs de la duplication, et correspondaient à des individus, adultes ou enfants, ayant eu un poids à la naissance puis un IMC plus bas que la normale. Le risque d’insuffisance pondérale était 8,3 fois supérieur en moyenne. «Chez les enfants, précise Sébastien Jacquemont, la moitié des porteurs est en sous-poids. Ces en- fants ne mangent presque rien et c’est très dur pour les parents. Il vaut la peine de réa- liser un bilan génétique pour explorer les causes de ce trouble de l’alimentation, que l’on appelle en anglais failure to thrive.» Les cas les plus sévères concernaient des hom- mes, dont les comportements alimentaires étaient très restrictifs et la circonférence crânienne plus petite. Tout comme le sur- poids provenant de la délétion, le sous-poids sévère était corrélé à des capacités cogni- tives moindres.
Les phénotypes observés chez les por- teurs de la duplication sont l’inverse de ceux rapportés chez les porteurs de suppres- sions. Obésité sévère et insuffisance pon- dérale pourraient avoir des étiologies miroir, se situant peut-être au niveau des méca- nismes biologiques impliqués dans la ba- lance énergétique.
Marina Casselyn 1 Jacquemont S, et al. Mirror extreme BMI pheno- types associated with gene dosage at the chromo- some 16p11.2 locus. Nature 2011, édition en ligne du 31 août.
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