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Postface. Mais qu'est-ce donc qui advient... ou qui nous revient, au travers de la logique des compétences ?

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Postface. Mais qu'est-ce donc qui advient... ou qui nous revient, au travers de la logique des compétences ?

BRONCKART, Jean-Paul

BRONCKART, Jean-Paul. Postface. Mais qu'est-ce donc qui advient.. ou qui nous revient, au travers de la logique des compétences ? Le Français Aujourd'hui, 2015, no. 191, p. 113-120

DOI : 10.3917/lfa.191.0113

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:81439

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MAIS QU’EST-CE DONC QUI ADVIENT...

OU QUI NOUS REVIENT,

AU TRAVERS DE LA LOGIQUE DES COMPÉTENCES ?

Jean-Paul BRONCKART

Université de Genève

Faculté de psychologie et des sciences de l’éducation

Les objectifs de ce numéro étaient essentiellement, selon ses coordonnateurs, Max Butlen et Joaquim Dolz, de procéder à un examen des conditions d’émergence et de diffusion de la logique des compétences dans le champ éducatif, et de dresser un bilan des effets produits par la généralisation de cette nouvelle approche au plan des modalités d’enseignement du français ainsi qu’à celui des démarches de formation des futurs enseignants. Et cela en reconnaissant que si le concept même de compétence s’était révélé flou et fluide dès l’origine et n’avait cessé ensuite d’absorber quantité de sèmes non nécessairement compatibles, la généralisation et l’officialisation de son usage requérait néanmoins - de manière réaliste - l’analyse et le questionnement auxquels s’articulent les objectifs de travail ci-dessus rappelés.

Cette position pragmatique est bien évidemment légitime, et s’il est en effet désormais oiseux de se lamenter sur cette situation de marasme notionnel, il nous parait néanmoins nécessaire d’essayer de comprendre ce qui nous est récemment advenu dans le champ éducatif au travers de ce kaléidoscopique engouement. En introduction de sa contribution à ce numéro, Bernard Rey semble relativiser cette problématique définitoire en soutenant, linguistique à l’appui, qu’un terme polysémique « trouve son usage dans plusieurs champs de pratiques et qu’en chacun d’eux, un système spécifique de différences lui donne sens en le distinguant d’autres termes du même champ » (p. 15). S’agissant du statut même de la polysémie, cette affirmation est peu discutable, la vulgate saussurienne implicitement convoquée par l’auteur posant même que celle-ci est une potentialité proprement constitutive de tout signe verbal. Mais, pour le terme qui nous occupe, on est en droit de se demander où se situent et de quoi sont constitués ces « systèmes de différences » censés sous-tendre ses multiples usages. Pour la compétence, ces systèmes nous paraissent en réalité introuvables et il n’existe pas à notre connaissance d’autre exemple de notion à visée savante se caractérisant par une telle hétérogénéité sémique.

Dès lors, même s’il a fait l’objet de tentatives de définitions créatives et utiles– nous y reviendrons–le terme de compétence doit être pris pour

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Le Français aujourd’hui n°191, «La logique des compétences : regards critiques»

ce qu’il est, ou pour ce qu’il est de fait devenu : l’étendard d’un puissant mouvement idéologique.

C’est à ce mouvement qu’il convient en conséquence de s’adresser d’abord, en procédant à l’examen de ces inévitables composants de tout processus idéologique que sont les slogans, les idées reçues et ce qu’ils masquent d’amnésie ou d’aveuglement théorique et épistémologique.

Au plan des « évidences » inlassablement ressassées, nous nous contente- rons d’un exemple, néanmoins nodal, celui de la bipartition conceptuelle et historique posée par la plupart des spécialistes de l’analyse du travail (dont M. Stroobants que convoque B. Rey) entre la logique des qualifications et celle des compétences. Selon ces spécialistes, au plan conceptuel, on aurait d’un côté une voie d’accès au travail découlant quasi directement de l’obtention d’un diplôme, (ce qui présuppose donc qu’à chaque sorte de travail corresponde une formation et son titre) et on aurait d’un autre côté une voie d’accès indifférente aux formations certifiées, résidant en l’identi- fication par l’employeur des dispositions et qualités pratiques–distinctes des savoirs formels ou explicites1–rendant un travailleur apte à assumer les tâches d’un poste de travail déterminé. Et selon cette même approche, au plan historique il y aurait eu un « avant » où régnaient les qualifications et un « après » contemporain caractérisé par le triomphe des compétences, la date symbolique attribuée à cette révolution étant le plus souvent 1985, année de la parution deLa Bataille de la compétence, célèbre ouvrage du patron des patrons d’alors, Y. Cannac. Mais à quelles réalités du monde des entreprises pourrait correspondre cette bipartition, lorsque toutes les études contemporaines montrent que les qualifications certifiées, en parti- culier celles décernées par les institutions formatrices tertiaires (universités et hautes écoles), demeurent plus que jamais les gages, voire les conditions nécessaires, d’une accession à l’emploi ? Et y eut-il jamais, dans ce même monde des entreprises, des procédures d’embauche fondées sur les seuls diplômes, auxquelles auraient succédé des procédures d’embauche fondées sur les seules compétences présumées des candidats au travail ? Le décalage entre l’idée reçue de cette bipartition et les réalités de terrain est encore plus évident dans le monde de l’enseignement. S’agissant de la formation des maitres, on relèvera d’abord que si les structures et programmes des institutions concernées ont fait l’objet de révisions parfois importantes - en particulier en France -, le principe de la nécessité d’obtention de la certification finale (le diplôme) n’y a jamais été formellement remis en cause, et la logique des qualifications y demeure donc indiscutablement en vigueur.

Certes les objectifs de formation de ces institutions sont désormais quasi toujours qualifiés de « compétences » à acquérir, mais la contribution à ce numéro de Joaquim Dolz et Myriam Abouzaïd montre que ce qui est ainsi

1. Ce que précise la définition de X. Roegiers citée par A. Jorro : la compétence comme

« possibilité, pour un individu, de mobiliser de manière intériorisée un ensemble de ressources pour résoudre une famille de situations-problèmes » (2001 : 66).

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désigné, ce sont pour une part des capacités réflexives pour lesquelles le terme peut paraitre pertinent, mais ce sont aussi la maitrise des savoirs à enseigner ainsi que la maitrise de l’outillage requis pour les activités d’enseignement et l’évaluation de leurs effets ; deux types de maitrise donc qui n’ont guère de lien - ou qui sont même en contradiction s’agissant de la maitrise des savoirs - avec ce que le terme de compétence est censé désigner. En ce qui concerne la formation des élèves, l’exemple le plus récent de redéfinition des objectifs de formation est celui du Socle commun de connaissances, de compétences et de culture (cf.Bulletin officiel,17) qu’évoque Anne Jorro dans sa contribution. Dans la rubrique « Les langages pour penser et com- muniquer », ce document présente une compétence faitière « comprendre, s’exprimer en utilisant la langue française à l’oral et à l’écrit », qui se décline en une dizaine de sous-compétences dont, par exemple, « [l’élève] utilise à bon escient les principales règles grammaticales et orthographiques. Il emploie à l’écrit comme à l’oral un vocabulaire juste et précis ». On est en droit de se demander ce qu’il y a de particulièrement compétentiel, voire de simplement nouveau, dans une formulation posant que la compétence verbale consiste en l’utilisation « à bon escient » de la grammaire et du vocabulaire. On comprend dès lors la perplexité saisissant les enseignants ayant à mettre en œuvre ces innovantes dispositions ; et l’on ne peut que saluer la démarche d’A. Jorro visant à donner substance à ladite innovation en posant qu’elle pourrait/devrait impliquer un mode de gestion des activités des élèves permettant à ces derniers de « construire le problème qui se pose dans la situation donnée en fonction du sens qu’il donne à celle-ci ».

Au plan de la cécité théorique, on relèvera que, si Anne-Marie Chartier et Roxane Gagnon signalent l’une et l’autre les relations de parenté et/ou de descendance entre les actuels référentiels de compétences et les taxinomies d’objectifs issues de B.S. Bloom et D.R. Krathwohl (1956), aucun auteur ne se hasarde pourtant à désigner le cadre théorique qui sous-tend de fait ces formulations d’objectifs, à savoir le behaviorisme, et plus précisément le behaviorisme dans sa version simplifiée et vulgarisée2. Dans sa contribution, Bernard Rey met pourtant clairement en évidence les traits distinctifs de cette approche pratico-pratique : d’abord en relevant que dans la plupart des référentiels scolaires la compétence est qualifiée, non par ce qu’elle est, mais par le « résultat » auquel elle est censée aboutir (principe behavioriste de traitement des seuls observables) ; ensuite en montrant que le diagnostic d’acquisition d’une compétence se fonde de fait sur la « répétitivité » des performances (principe behavioriste de saturation des apprentissages) ; enfin et en conséquence que la compétence s’élabore sous l’effet d’un processus d’« automatisation » des comportements/performances. Dans cette version du « behaviorisme ordinaire » la conduite se confond régulièrement avec

2. Version qui s’est répandue dans l’immédiat après-guerre, et qui fait totalement l’impasse sur les profondes argumentations théoriques et épistémologiques proposées notamment par A. Weiss, J.B. Watson ou même B.F. Skinner.

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ce par quoi on peut « l’évaluer, » et c’est cet aspect des choses qui nous parait décisif pour comprendre ce qui se joue vraiment aujourd’hui dans la promotion de la logique des compétences, nous y reviendrons.

Conformément aux objectifs formulés par les coordonnateurs, cinq des contributions de ce volume consistent en un examen de la situation qui s’est créée dans les rubriques de l’enseignement du français depuis l’introduction de la logique des compétences. Ecaterina Bulea Bronckart aborde la question de l’enseignement grammatical, domaine hautement symbolique dans l’histoire et les représentations de la formation aux langues et qui, pour cette raison sans doute, est demeuré partiellement à l’abri du mouvement de conversion aux compétences. L’auteure montre que les faits justifiables du terme de grammaire se manifestent à trois niveaux : celui des propriétés et régularités linguistiques identifiables dans le flux textuel ; celui de la connaissance individuelle construite à propos de cesrealia ; celui des savoirs collectifs, à caractère scientifique ou normatif, élaborés à propos des mêmesrealia. Elle en conclut qu’à aucun de ces trois niveaux la grammaire ne peut être considérée comme une « compétence », mais elle relève néanmoins que l’enseignement de cette matière est susceptible de produire des ressources utiles au développement des compétences textuelles, et qu’il gagne en conséquence à être conçu en interaction avec les activités d’expression et de compréhension des textes. Anne-Marie Chartier s’adresse à une situation en quelque sorte inverse de celle qui vient d’être décrite, l’enseignement de la lecture, domaine des capacités pratiques par excellence et qui n’aurait donc en principe pas dû être affecté par l’émergence de la logique des compétences. Cette étude montre cependant que l’objet d’enseignement « lecture » a subi de très profondes transformations depuis les XVIIeet XVIIIe, en fonction des attentes et besoins sociaux relatifs à cette activité, des conceptions successives de la méthodologie possible de son enseignement ainsi que des représentations de la situation des apprenants.

À cet égard, l’auteure relève que la reformulation de cet objet en termes de compétence a plutôt compliqué que simplifié la situation didactique, et qu’en tout état de cause elle n’a nullement fait progresser la réflexion concernant les questions centrales de la nature des processus en jeu dans cet apprentissage et de la didactique la plus favorable à leur alimentation. Roxane Gagnon analyse quant à elle la situation de l’enseignement de l’expression orale au niveau de la formation professionnelle et relate une démarche articulant trois composants. Le premier consiste en un examen de la teneur des textes officiels d’orientation, qui définissent les objectifs généraux de « compétences linguistiques, personnelles et sociales », consistant en « capacités et savoir- faire visant à la maitrise de situations complexes » et requérant « des formes d’apprentissage orientées vers l’action et la réalisation de projets ». Le second composant est une formation continue destinée à la préparation d’une mise en œuvre de ces objectifs dans le cadre d’activités centrées sur deux genres oraux. Le troisième consiste en une analyse des pratiques effectives d’enseignants ayant suivi cette formation. Cette dernière fait apparaitre que

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ces enseignants n’exploitent guère l’approche préconisée en formation, et mettent en œuvre surtout les activités didactiques qui leur paraissent les plus aptes à conduire les élèves à la réussite communicative, ce qui semble attester d’une ressaisie de la notion de compétence au seul titre de manifestations comportementales immédiatement évaluables. Érick Falardeau et Marion Sauvaire proposent une analyse des récents programmes québécois ayant trait à la lecture littéraire, qui préconisent de structurer désormais la compétence des élèves en ce domaine autour des « familles de situations » plutôt que dans le cadre de situations-problèmes. Ils relèvent que lesdites familles de situations sont en réalité constituées sur la base exclusive de similitudes thématiques, qu’elles demeurent trop floues pour désigner un cadre et des objets d’apprentissages exploitables didactiquement, et qu’elles se réduisent en définitive à des listes de savoir-faire et de savoirs excluant toute forme de problématisation. Pour faire pièce à ces lacunes, les auteurs redéfinissent six composantes cognitives de l’activité de lecture littéraire et préconisent des démarches d’enseignement visant à ce que l’élève identifie ses propres ressources cognitives et apprenne à les utiliser sciemment. François Quet aborde l’enseignement proprement dit de la littérature et rappelle que s’il semble aisé de cerner et décrire la compétence littéraire d’adultes chevronnés, la question demeure entière de ce que seraient vraiment les compétences littéraires à promouvoir et développer dans le cadre scolaire. Cette incertitude découle d’un ensemble de problèmes liés à la complexité et à l’intrication des dimensions potentiellement constitutives de l’art littéraire : adhésion à des modèlesvscréativité/originalité ; visée universalisantevsvalorisation d’une culture particulière ; l’art pour l’artvsl’art au service de valeurs humanistes, etc. ; lequel de ces pôles ériger au titre de compétence scolaire à développer et pourquoi ? L’incertitude découle aussi de deux problèmes proprement didactiques : le premier est, à supposer que le choix des objectifs ait été effectué, celui de concevoir et de mettre en œuvre les activités visant leur atteinte ; le second, plus crucial et plus révélateur, nous y reviendrons, est d’identifier et de définir les critères sur la base desquels les sous-compétences littéraires visées (créativité, saisie de la valeur éthique, etc.) pourraient être raisonnablement évaluées.

Sur la base des analyses présentées dans ce numéro comme de celles issues d’autres écrits ayant trait aux compétences, nous proposerons dans ce qui suit, quelques éléments d’interprétation des enjeux et de la signification du caractère invasif de la logique des compétences.

À en revenir d’abord à la problématique générale de la formation au travail (l’enseignement étant une variante de travail !), on reconnaitra que dès lors que des changements importants se produisent dans la structure des entreprises et des organisations, dans la nature des tâches à y accomplir et dans le rythme des transformations qui les affectent, il y a lieu nécessairement de repenser les modes de préparation et de formation des candidats au travail. En ce sens, la demande de disposer de travailleurs compétents, telle qu’elle s’exprimait dans les textes patronaux (et syndicaux !) des années

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1970/80 est en soi parfaitement légitime. Mais pour des raisons tenant aux réorientations politiques qui se profilaient à l’époque, la notion de compétence a d’emblée fait l’objet d’un surinvestissement idéologique, d’abord implicite puis s’explicitant progressivement dans le mouvement de droitisation générale. Le constat d’obsolescence relative de certaines qualifications s’est ainsi prolongé en une critique des dimensions généralistes et humanistes des formations, voire de leur dimension éducative en général, et en la volonté de (re)faire de l’école un lieu d’acquisition d’aptitudes et de savoir-faire immédiatement mobilisables en situation de travail. Et ce mouvement s’est logiquement prolongé, dans certains cas, en une demande de simplification et de réduction des programmes de formation des maitres.

C’est en partie ce mouvement idéologique qui est la cause du boulimique destin de la notion de compétence. Si elle a connu une première vie

« chomskyenne » que nous nous abstiendrons de commenter une fois encore, cette notion a été ultérieurement introduite dans le champ éducatif avec une acception que la définition de X. Roegiers citée plus haut (note 1) résume pertinemment : en tant que capacité d’adaptation à des situations et des problèmes imprévus, impliquant la mobilisation d’éléments de savoir-faire (voire de savoir-être) propres, et permettant à un individu d’adopter les conduites adéquates et efficaces dans ces situations nouvelles, pour autant toutefois que ces dernières aient quelques éléments en commun (un « air de famille »). Cependant, comme l’ont montré de nombreux travaux (cf.

Dolz et Ollagnier 2002), au cours des années 1990 surtout, le terme de compétence a été appliqué à pratiquement tous les aspects des conduites et activités humaines, des auteurs la définissant comme « un répertoire de comportements », d’autres comme « un système de connaissances », d’autres comme « un ensemble de savoirs validés », d’autres enfin comme relevant de

« schèmes d’action » ou constituant des « manifestations de l’intelligence » (pour un recensement de ces multiples définitions et les références à leurs auteurs,cf. Bulea et Bronckart, 2005). Cette prolifération invasive a bien évidemment suscité des démarches de contestation et de clarification, dont celle de G. Le Boterf, qui a proposé un recentrage de la notion à nos yeux particulièrement pertinent :

La compétencen’est pas un état ou une connaissance possédée. Elle ne se réduit ni à un savoir ni à un savoir-faire [...]. Ellese réalise dans l’action.

Elle ne lui préexiste pas [...] Il n’y a de compétence que de compétence en acte [...]. La compétence ne réside pas dans les ressources à mobiliser mais dans la mobilisation même de ces ressources [...]. Le concept de compétence désigne une réalité dynamique,un processus, davantage qu’un état. (1994 : 16-18)

C’est ce type d’approche que prolonge E. Bulea Bronckart, en resituant la compétence comme un processus fondamentalement dynamique et en la redéfinissant comme « la capacité, en situation d’agir, de retrouver et d’exploiter ces traces que les ressources conservent des situations d’agir

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antérieures qui les ont engendrées ». Comme le soulignent cependant J.

Dolz & M. Abouzaïd dans leur contribution, ce type d’approche n’est nullement pris en considération dans les référentiels officiels et les plans de formation ayant trait au langage, documents dans lesquels les définitions des compétences ont un tel degré de généralité qu’elles ne permettent d’identifier ni les objets qui seraient à enseigner, ni en conséquence les modalités de leur enseignement.

A.-M. Chartier a versé au dossier un élément supplémentaire, et sans doute décisif, en rappelant que nombre de chercheurs en sciences de l’éducation, et plus particulièrement en docimologie, avaient vigoureusement contesté les modes d’évaluation implicites et/ou non formalisés qui étaient en vigueur dans le domaine de l’expression orale et écrite, parce qu’ils étaient subjectifs et potentiellement injustes, et surtout parce qu’ils semblaient constituer une des causes de l’échec massif des élèves issus de milieux alors qualifiés de « défavorisés ». Lors de son émergence, la logique des compétences a paru constituer une solution à ce problème, en ce qu’elle semblait décrire des objectifs précis dont le degré d’atteinte pourrait être aisément et objectivement évalué. Raison pour laquelle nombre de pédagogues y ont adhéré, avant parfois de « s’en mordre les doigts ».

Nous nous risquerons, pour clore, à tirer trois types de conclusions.

La première, proposant comme il se doit une réponse à la question du titre de cette postface, est que, ce qui, sous le couvert de logique des compétences, advient aujourd’hui dans le monde éducatif ne concerne pas vraiment la question des compétences, qu’il s’agisse de leur statut spécifique ou de leurs rapports avec les autres dimensions du fonctionnement psychologique humain (comportement, connaissances, sentiments, etc.). Ce qui est en jeu, essentiellement, est la problématique largement politique du contrôle de la chose éducative, qui se traduit par l’élaboration de listes d’objectifs (les référentiels de compétences) présentés d’un côté comme raisonnables aux yeux du grand public et présentés d’un autre côté comme constituant des bases adéquates pour une évaluation objective des apprentissages des élèves.

La seconde conclusion, largement paradoxale, est que la confusion générée par les conditions de diffusion de la logique des compétences a le mérite de quasiment obliger les chercheurs et praticiens à engager une profonde réflexion didactique ayant trait aux objectifs et aux méthodologies d’enseignement, ce dont témoigne notamment ce numéro. Et la conception processuelle et dynamique de la compétence, qui est sans doute à verser prioritairement au dossier des facteurs du développement psychologique, constitue un des résultats de cette nécessité de faire face aux incohérences du mouvement dominant.

Enfin, quand bien même elles nous paraissent contestables, les décisions d’orientation des politiques éducatives ont, en régime démocratique, une légitimité intrinsèque. Mais elles ne portent que sur les objectifs et ne fournissent guère d’indications, les contributions à ce volume l’ont montré, sur les voies et méthodes à adopter pour atteindre lesdits objectifs. La

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remarquable indécision qui subsiste sur cette question du « comment enseigner » indique à nos yeux que celle-ci ne pourra être convenablement traitée qu’en se plaçant dans une perspective didactique large, re-convoquant les véritables théories de l’apprentissage, de J. Piaget à L.S. Vygotski et ... à B.F. Skinner, et en y intégrant à leur juste place les dimensions processuelles pertinentes que vise la notion de compétence.

Jean-Paul BRONCKART

Références bibliographiques

BLOOM, B.S. & KRATHWOHL, D.R. (1956).The Classification of educational goals.New York : Longmans.

BULEA, E. & BRONCKART, J.-P. (2005). Pour une approche dynamique des compétences langagières.InJ.-P. Bronckart, E. Bulea & M. Pouliot (dir.), Repenser l’enseignement des langues : comment identifier et exploiter les compétences ? (pp. 193-227). Lille : Presses universitaire du Septentrion.

CANNAC, Y. (1985).La Bataille de la compétence. L’éducation professionnelle permanente au cœur des stratégies de l’entreprise. Puteaux : Éditions Hommes et techniques.

DOLZ, J. & OLLAGNIER, E. (2002).L’Énigme de la compétence en éducation.

Bruxelles : De Boeck.

LE BOTERF, G. (1994).De la Compétence. Essai sur un attracteur étrange. Paris : Édition d’organisation.

MINISTERE DE L’ÉDUCATION NATIONALE (2015). Socle commun de connaissances, de compétences et de culture.Bulletin officiel,17.

ROEGIERS, X. (2000).La Pédagogie de l’intégration. Bruxelles : De Boeck.

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