• Aucun résultat trouvé

Réhabiliter Tite-Live: la clause de majesté dans le traité de 189 entre Rome et les Etoliens

N/A
N/A
Protected

Academic year: 2022

Partager "Réhabiliter Tite-Live: la clause de majesté dans le traité de 189 entre Rome et les Etoliens"

Copied!
8
0
0

Texte intégral

(1)

Article

Reference

Réhabiliter Tite-Live: la clause de majesté dans le traité de 189 entre Rome et les Etoliens

GIOVANNINI, Adalberto

Abstract

Il est généralement admis dans la recherche que la notion de maiestas populi Romani est attestée pour la première fois dans le traité que les Romains conclurent avec les Étoliens en 189 av. J.-C., traité par lequel Rome exigea des Étoliens qu'ils respectent la souveraineté et la majesté du peuple romain, et on en conclut que cette notion de majesté du peuple romain exprimait à l'originela suprématie des Romains sur d'autres peuples. Mais on trouve chezTite-Live deux attestations de cette notion qui sont plus anciennes et dans des contextes où elle a un sens totalement différent : la première dans le célèbre sénatus-consulte de 205 envoyant une ambassade en Asie Mineure avec la mission d'acquérir avec l'aide du roi Attale II de Pergame la pierre de Pessinonte et la seconde dans une déclaration de Flamininus peu avant la proclamation des Isthmia, par laquelle Rome accordait la liberté et l'autonomie à l'ensemble du monde grec. Dans un cas comme dans l'autre, la maiestas p. R. n'exprime pas un acte de soumission que Rome veut imposer à un ennemi vaincu, mais tout au contraire un sentiment spontané [...]

GIOVANNINI, Adalberto. Réhabiliter Tite-Live: la clause de majesté dans le traité de 189 entre Rome et les Etoliens. Cahiers du Centre Gustave Glotz, 2008, vol. 19, p. 27-33

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:88452

Disclaimer: layout of this document may differ from the published version.

1 / 1

(2)

Cahiers Glotz, XIX, 2008, p. 27-33

LA CLAUSE DE MAJESTÉ DANS LE TRAITÉ DE 189 ENTRE ROME ET LES ÉTOLIENS

1Ce document est connu par une inscription découverte à Delphes : cf. R. K. Sherk,Roman Documents from the Greek East, Baltimore, 1969, n° 38.

Chez bon nombre d’historiens, Tite-Live a plutôt mauvaise réputation. Il est de bon ton de décréter que la tradition annalistique que suit Tite-Live est totalement sans valeur pour les deux premiers siècles de la République et que, même pour les périodes plus récentes, on ne peut lui accorder qu’une confiance limitée, soit en raison d’erreurs ou d’exagérations qui sont parfois manifestes, soit en raison de déformations ou d’inventions délibérées dont cette tradition se serait rendue coupable. Pour l’époque de la deuxième guerre punique et de la soumission de l’Orient grec, cette mauvaise réputation est due principalement au célèbre ouvrage de Heinrich Nissen, Kritische Untersuchungen über die Quellen der vierten und fünften Dekade des Livius, publié en 1863. En confrontant l’œuvre de Tite-Live à celle de Polybe, Nissen est arrivé à la conclusion que la tradition annalistique transmise par Tite-Live ne pouvait être considérée comme fiable que lorsqu’elle était confirmée par Polybe, mais que pour le reste on ne pouvait la considérer comme crédible.

Ce jugement péremptoire de Nissen est en grande partie justifié pour les parties de l’œuvre de Tite-Live qui dépendent entièrement ou partiellement de Polybe. Ce qui caractérise ces parties, c’est qu’elles relatent des événements survenus loin de Rome : opérations militaires, missions diplomatiques et affaires extérieures où Rome n’était pas directement impliquée. Il n’en va pas du tout de même pour ce qui s’est passé à Rome et en Italie durant cette période, et plus particulièrement pour les décisions prises année après année par le Sénat pour gérer la guerre contre Hannibal d’abord, les guerres contre les souverains hellénistiques ensuite : les protocoles des décisions prises par le Sénat, et plus particulièrement des décisions qu’il prenait au début de chaque année consulaire lors de l’audition des ambassades et de la répartition des pro- vinces, étaient rédigés par des sénateurs et consignés dans les archives publiques où ils pouvaient en tout temps être consultés par les personnes autorisées. C’est ainsi qu’en 189 av. J.-C., des ambassadeurs delphiens envoyés à Rome ayant été assassinés sur le chemin du retour, les Delphiens envoyèrent à Rome une nouvelle ambassade qui demanda et obtint une copie de la réponse du Sénat que la première ambassade aurait dû rapporter à Delphes1.

(3)

C’est ainsi que Cicéron demanda à son ami Atticus de faire vérifier dans les archives publiques le statut d’un personnage mentionné dans un sénatus- consulte de l’année 146 (Cicéron,Att., 13, 33, 3). Dans ces conditions, il était a prioriimpossible d’inventer ou de falsifier des décisions prises par le Sénat et consignées dans les archives publiques2.

Il s’ensuit que, lorsqu’il y a divergence entre Tite-Live et Polybe sur des événements survenus loin de Rome, la préférence doit être donnée à Polybe, surtout s’il s’agit de divergences d’ordre chronologique ou d’inexactitudes géographiques ; lorsqu’il s’agit d’événements survenus à Rome ou en Italie, en revanche, la préférence doit être accordée à Tite-Live, surtout lorsqu’il s’agit de décisions prises par le Sénat et consignées dans les archives publiques. C’est ce que j’ai essayé de montrer dans deux articles ; le premier a été publié en 2000 dansAthenaeum et le second l’année suivante dans les Actes d’un colloque en l’honneur de Pierre Ducrey3. Dans le pre- mier, où j’examine les antécédents de la guerre contre Hannibal, je suis par- venu à la conclusion que la tradition annalistique a délibérément travesti la vérité en faisant croire que le siège de Sagonte avait commencé à la fin de l’année 219 ou au début de l’année 218, alors qu’en réalité il avait com- mencé au printemps 218, comme le dit Polybe, et que cette falsification, probablement due à Fabius Pictor, avait pour but de faire croire au lecteur que le siège de Sagonte par Hannibal était la seule et unique cause de la deuxième guerre punique. Pour ce qui est de l’exigence faite aux Carthaginois de livrer Hannibal aux Romains pour éviter la guerre, en revanche, les archives sénatoriales utilisées par la tradition annalistique don- nent à penser qu’il n’y eut pas deux ambassades à Carthage, une première en 220 et une seconde au printemps 218, comme le disent Polybe et à sa suite Tite-Live, mais une seule, au printemps 218, lorsque Hannibal partit de Carthagène avec ses troupes dans l’intention de franchir l’Èbre. Dans le deuxième article, où j’examine les antécédents de la deuxième guerre de Macédoine, j’ai défendu contre la communis opinio l’authenticité des échanges diplomatiques entre Rome et la Macédoine en 203-202, et plus particulièrement l’authenticité d’une ambassade envoyée par Rome à Philippe V en 203. Tite-Live donne le nom des trois ambassadeurs, ajoute que le Sénat mit à leur disposition trois quinquérèmes et précise qu’elle avait pour mission de reprocher au roi des agressions commises contre des alliés de Rome.

28 ADALBERTOGIOVANNINI

2 Sur la fiabilité et l’importance des décisions du Sénat transmises par Tite-Live, cf.

U. Bredehorn,Senatsakten in der republikanischen Annalistik, Marburg, 1968, et M. Bonnefond- Coudry,Le Sénat de la république romaine de la guerre d’Hannibal à Auguste, Paris, 1989, p. 261- 347, qui donne un inventaire, catégorie par catégorie, des décisions du Sénat pendant la période de 220 à 167.

3A. Giovannini, « Le droit fécial et la déclaration de guerre de Rome à Carthage en 218 avant J.-C. »,Athenaeum, 88, 2000, p. 69-116 ; Id., « Les antécédents de la deuxième guerre de Macédoine », dans R. Frei-Stolba, K. Gex éd.,Recherches récentes sur le monde hellénistique, Berne, 2001, p. 97-113.

(4)

Des recherches que j’ai faites sur lamaiestasdu peuple romain, sur l’origine et sur la signification de cette notion m’ont fait découvrir un autre exemple de scepticisme injustifié à l’encontre de la tradition annalistique. Il s’agit de la clause de majesté dans le célèbre traité que les Romains imposèrent en 189 aux Étoliens après les avoir vaincus, traité dont le texte nous est conservé aussi bien par Tite-Live (38, 11, 2-9) que par Polybe (21, 32, 2-14). La clause de majesté, qui est la première du traité, est rendue par Tite-Live en ces termes : imperium maiestatemque populi Romani gens Aetolorum conseruato sine dolo malo,

« la nation étolienne respectera loyalement la souveraineté et l’autorité du peuple romain ». Chez Polybe, seul le début de la clause est conservé :oJ dh'mo"

oJ tw'n Aijtwlw'n th;n ajrch;n kai; th;n dunasteivan tou' dhvmou tw'n ÔRwmaivwn… Dans la recherche moderne, il est généralement admis que Tite-Live a transmis le texte original latin et que nous avons là le plus ancien exemple connu de traité « inégal », dont on sait par Cicéron (Balb., 35) qu’il en existait d’autres, et que la clause de majesté exprimait un statut d’infériorité imposé par Rome à son partenaire.

F. W. Walbank a cependant proposé dans son commentaire de Polybe une interprétation différente4. Relevant que Polybe emploie parfois la combinai- sonajrch; kai; dunasteivadans d’autres contextes, il ne croit pas que dans sa ver- sion du traité entre Rome et les Étoliens les termesajrch;etdunasteivasoient une traduction d’imperiumet de maiestas. Il pense tout au contraire que Tite- Live a retraduit en latin le texte de Polybe et qu’il n’est, de ce fait, pas du tout certain que cette retraduction de Tite-Live corresponde à l’original latin du traité. Il va même plus loin et soutient qu’il n’y a probablement pas eu de traité comportant la clause de majesté avant le dernier siècle de la République.

L’hypothèse de Walbank doit être prise très au sérieux, car il est vrai que Polybe utilise ailleurs la combinaison ajrch; kai; dunasteiva; il est également vrai que Tite-Live a l’habitude de suivre et de traduire fidèlement le texte de Polybe. Mais il y a des exceptions et l’une d’elles est un épisode où il est jus- tement question de lamaiestasdu peuple romain. Il s’agit de la mission des dix légats que le Sénat avait envoyés en Grèce en 196 pour régler avec le procon- sul Flamininus le sort des cités et des territoires que le roi de Macédoine Philippe V devait évacuer à la suite de sa défaite de Cynocéphale. Sur les faits, les récits de Polybe (18, 44-45) et de Tite-Live (33, 30-31) sont tout à fait concordants : les dix légats remirent à Flamininus le sénatus-consulte dans lequel étaient énoncées les conditions auxquelles le peuple romain accorde- rait la paix à Philippe et qui définissait le statut futur des cités grecques qu’il devait évacuer. Selon ce sénatus-consulte, toutes les cités grecques libérées par Philippe devaient être libres et autonomes, avec toutefois une réserve au sujet des trois places fortes par lesquelles le roi de Macédoine avait contrôlé la Grèce continentale, à savoir Démétrias, Chalcis et Corinthe. Le Sénat crai- gnait en effet une guerre imminente avec le roi de Syrie Antiochos III et vou- lait que les dix légats délibèrent avec Flamininus de ce qu’il conviendrait de faire de ces places fortes. Le proconsul et les dix légats tinrent conseil à

4F.W.Walbank,A Historical Commentary on Polybios, III, Oxford, 1979, p. 131 et suiv.

(5)

Corinthe et le proconsul convainquit les dix légats d’accorder immédiatement la liberté à la cité de Corinthe et de conserver provisoirement Démétrias, Chalcis et la citadelle de Corinthe. Mais si Polybe et Tite-Live sont concor- dants dans la relation des faits, on constate en revanche à deux reprises des dif- férences entre les deux auteurs dans la formulation.

À propos du mandat donné par le Sénat aux dix légats concernant les trois places fortes, Polybe écrit (18, 45, 10) :i{na blevponte" pro;" tou;" kairou;" bou- leuvwntai peri; tw'n proeirhmevnwn povlewn kata; ta;" auJtw'n proairevsei",ce que Roussel traduit par « on s’en était remis à eux […] du soin de décider, compte tenu des circonstances, du sort qui leur serait réservé », alors que Tite-Live (33, 31, 5) s’exprime en des termes assez différents :quod tempora rei publicae postulassent, id e re publica fideque sua facere ac statuere iussi erant, ce que G.Achard traduit, dans l’édition des Belles Lettres, par « les délégués avaient reçu l’ordre de faire et de décider, conformément à l’intérêt public et à leur conscience, ce que les circonstances réclameraient pour l’État ». L’expression kata; ta;"

auJtw'n proairevsei"utilisée par Polybe signifie littéralement « selon ce qu’ils jugeraient bon », alors que la formule id e re publica fideque sua de Tite-Live,

« conformément à l’intérêt public et à leur conscience », implique bien davan- tage. Cette formule se rencontre ailleurs chez Tite-Live, chaque fois à propos d’un mandat donné à une ambassade ou à un magistrat : mandat donné à un émissaire envoyé à Rome par les Latins (8, 4, 12), mandat du Sénat au pro- consul Claudius Marcellus pendant la deuxième guerre punique (25, 7, 4), mandat donné à un consul pendant cette même guerre (29, 10, 3). Il s’agit donc d’une expression propre à la langue latine qui n’a pas d’équivalent en grec et que Tite-Live ne peut avoir trouvée que dans une source latine.

La seconde différence de formulation concerne la discussion entre Flamininus et les dix légats au sujet des trois places fortes. Polybe (18, 45, 9) rapporte que le proconsul essaya de convaincre les dix légats de libérer toute la Grèce avec l’argument ei[per bouvlontai kai; th;n tw'n ÔEllhvnwn eu[kleian oJlovklhron peripoihvsasqai,« si les Romains voulaient s’assurer en Grèce un prestige incontesté », argument que Tite-Live (33, 31, 8) rend en ces termes : si ueram caritatem ac maiestatem apud omnis nominis Romani uellent esse, « si l’on voulait […] créer chez tous une affection et un respect réels pour Rome ». La caritas– l’affection – et la maiestas – le respect – de Tite-Live ne sont pas du tout équivalentes à l’eu[kleia de Polybe, qui devrait être plutôt traduite en latin parfama– renommée –, alors qu’inversementeu[kleian’est qu’une tra- duction très approximative de maiestas. Dans ce cas également, Tite-Live n’a pas traduit Polybe mais a trouvé dans une source latine l’expressioncaritas ac maiestas nominis Romani. La comparaison du texte de Polybe avec celui de Tite-Live montre que les deux auteurs dépendent directement ou indirecte- ment d’une source commune et que cette source commune devait être en langue latine. Confronté à des expressions latines qui n’avaient pas d’équivalent en grec, Polybe a rendu tant bien que male re publica fideque sua parkata; ta;" auJtw'n proairevsei",proaivresi"étant un terme très courant dans la langue diplomatique grecque, et il a de même rendu tant bien que mal maiestas pareu[kleia oJlovklhro".

30 ADALBERTOGIOVANNINI

(6)

Il reste à établir quelle était cette source commune5. Pour le premier pas- sage, la question ne se pose même pas, puisque Polybe aussi bien que Tite- Live disent tous deux que le mandat donné aux dix légats au sujet des trois places fortes faisait partie du sénatus-consulte que ces dix légats devaient remettre à Flamininus. L’expressione re publica fideque sua faceredoit donc pro- venir de ce sénatus-consulte. L’information concernant la discussion entre Flamininus et les dix légats au sujet de ces mêmes places fortes doit également provenir d’un sénatus-consulte, car la décision qui fut prise à ce sujet par les dix légats et Flamininus était le résultat du mandat qu’ils avaient reçu du Sénat : à leur retour à Rome, ces dix légats ont dû rendre compte au Sénat de la décision qu’ils avaient prise avec les raisons de cette décision et ce rapport a dû être consigné dans le protocole de la séance du Sénat où il fut entendu.

C’est donc également des archives du Sénat que doit provenir l’expression caritas ac maiestas nominis Romaniutilisée par Flamininus pour convaincre les dix légats.

Les sceptiques pourraient sans doute contester cette conclusion. Mais on connaît, grâce à Tite-Live, un sénatus-consulte plus ancien et incontestable- ment authentique où la notion de maiestas nominis Romani est directement attestée. Il s’agit du célèbre sénatus-consulte qui, en 205, envoya une ambas- sade au roi Attale II de Pergame pour acquérir avec son aide la pierre de Pessinonte et la ramener à Rome (29, 11, 3-4). Ce sénatus-consulte est très succinct et très semblable au sénatus-consulte qui, en 203, envoya une ambas- sade à Philippe V pour protester contre les déprédations infligées à des alliés de Rome. On y trouve les noms des cinq ambassadeurs, le nombre des quin- quérèmes qui leur furent allouées, à savoir une quinquérème par ambassadeur, et, en une phrase, le contenu de leur mission :ut ex dignitate populi Romani adi- rent eas terras, ad quas concilianda maiestas nomini Romano esset, decernunt, « afin qu’ils abordent d’une manière conforme à la dignité du peuple romain dans ces pays où le nom romain devait faire reconnaître sa majesté », selon la tra- duction de P. François dans l’édition des Belles Lettres.

Curieusement, les études de référence sur l’origine et la signification de l’expression maiestas populi Romani ou maiestas nominis Romani, notamment l’article de H. Gundel de 1963, la monographie de R. Bauman de 1970 et l’étude deY.Thomas de 1991, semblent ne connaître ni le sénatus-consulte de 205 relatif à l’envoi de l’ambassade au roi Attale ni l’évocation de lamaiestas p. R. par Flamininus lors de son entretien avec les dix légats à Corinthe en 196, ce qui les amène à considérer le traité de 189 entre Rome et les Étoliens comme la première attestation sûre de lamaiestas p. R. et à interpréter celle- ci, dans le contexte des relations de Rome avec d’autres États, comme l’affirmation de la suprématie du peuple romain sur les autres peuples6. Or, il

5 Sur le problème des sources de Polybe, cf. F. W. Walbank,A Historical Commentary on Polybios, I, 2eéd., Oxford, 1970, p. 26 et suiv.

6H. G. Gundel, « Der Begriff Maiestas im politischen Denken der römischen Republik », Historia, 12, 1963, p. 283-320 ; R. A. Bauman,The Crimen Maiestatis in the Roman Republic and Augustan Principate, Johannesburg, 1967 ; Y. Thomas, « L’institution de la majesté »,Revue de

(7)

n’est pas du tout question d’hégémonie dans l’ambassade à Attale, tout au contraire. Tite-Live introduit le texte du sénatus-consulte en disant que les Romains n’avaient pas alors de cités alliées en Asie et qu’ils avaient un début d’amitié avec le roi de Pergame en raison de la guerre commune contre Philippe V (29, 11, 1-2). La mission des ambassadeurs n’était nullement d’obtenir du roi qu’il reconnaisse la suprématie de Rome, ce qu’il aurait cer- tainement refusé de faire, mais de lui demander de les aider à obtenir la pierre de Pessinonte dont le sanctuaire était alors contrôlé par des Galates qui n’avaient à cette époque aucune relation avec Rome et n’avaient pas plus qu’Attale de raison de reconnaître la suprématie du peuple romain. En accep- tant de rendre aux Romains le service qu’ils lui demandaient, Attale a ren- forcé les liens d’amitié qui étaient en train de se former entre eux, et c’est le renforcement de cette amitié entre égaux qui a contribué à « accroître » la majesté du peuple romain7. Dans ce contexte, il conviendrait plutôt de tra- duiremaiestaspar « estime » pour le peuple romain.

C’est également ainsi qu’il faut comprendremaiestas p. R.dans la discussion entre Flamininus et les dix légats en 196, où Polybe traduit maiestas par eu[kleia qui signifie « gloire » ou « renommée ». Flamininus n’a pas du tout l’intention de demander aux Grecs de reconnaître la suprématie de Rome, tout au contraire : ce qu’il veut, c’est convaincre les Grecs que les Romains sont venus en Grèce en amis sincères pour les libérer de la tutelle du roi de Macédoine d’abord et du roi Antiochos ensuite, et c’est pour convaincre les Grecs de la bonne foi des Romains qu’il essaie, avec succès, de persuader les dix légats puis le Sénat de renoncer aux trois places fortes et de retirer toutes les troupes de Grèce. En contrepartie, il attend des Grecs lacaritas, c’est-à-dire l’affection, et la maiestas, c’est-à-dire, d’après la traduction de Polybe, la louange et la reconnaissance. L’affection et la reconnaissance ne sont pas des sentiments que l’on impose, ce sont des sentiments qui n’ont de valeur que s’ils sont spontanés. On n’est pas dans le domaine des rapports de force entre États mais dans celui de ce qu’on appelle en Grèce l’évergétisme.

Dans ce contexte, la clause de majesté imposée aux Étoliens en 189 prend un sens quelque peu différent de celui qu’on lui donne d’habitude.

Contrairement aux autres Grecs, les Étoliens furent mécontents de la politique de Rome envers les Grecs parce qu’elle leur refusait des territoires qu’ils convoitaient. Ils furent donc les seuls à refuser à Rome l’affection et la recon-

32 ADALBERTOGIOVANNINI

synthèse, 112, 1991, p. 331-386. Y. Thomas, p. 355, affirme : « la maiestasdesIIIe etIIesiècles av. J.-C. nous apparaît uniquement sous l’aspect d’un rapport d’inégalité entre Rome et les cités sujettes. Les “traités inégaux” qui leur étaient imposés contenaient une clause de réserve d’hégémonie. Le premier document remonte à 189. » L’article de J.-L. Ferrary, « Les origines de la loi de majesté à Rome »,CRAI, 1983, p. 699-709, concerne, comme son titre l’indique, les lois de majesté du dernier siècle de la République et ne fait qu’évoquer la question de l’origine de la notion de majesté elle-même (cf. aussi Id., « Traités et domination romaine dans le monde hellénique », dans L. Canfora, M. Liverani, C. Zaccagnini éd.,I trattati nel mondo antico : forme, ideologia, funzione, Rome, 1990, p. 217-235, part. p. 226 et suiv.).

7On trouve l’expressionaugere maiestatem p. R.chez Tite-Live (25, 40, 1) à propos de la vic- toire de Marcellus sur les Syracusains, ainsi que chez Cicéron (Part., 105).

(8)

naissance que Flamininus attendait des Grecs et s’allièrent tout au contraire avec Antiochos. D’une certaine façon, la clause de majesté dans le traité de 189 est la réponse de Rome à l’ingratitude et à la trahison des Étoliens.

Il faut essayer de comprendre, pour finir, pourquoi les ouvrages et articles de référence sur l’origine et la nature de lamaiestas p. R. ignorent ou semblent ignorer le sénatus-consulte de 205 et l’évocation de lamaiestaspar Flamininus en 196. Je n’y vois qu’une seule explication : la méfiance viscérale envers la tradition annalistique dont j’ai parlé au début de mon article. Cette méfiance est parfois légitime, surtout lorsque la tradition annalistique veut justifier une guerre (ce fut surtout le cas pour la troisième guerre de Macédoine), mais elle ne doit pas être systématique. Dans le cas qui nous occupe, la tradition anna- listique n’avait pas la moindre raison d’inventer le débat de 196 entre Flamininus et les dix légats, et encore moins d’inventer le mandat donné en 205 aux ambassadeurs envoyés au roi Attale pour acquérir avec son soutien la pierre de Pessinonte.

Il faut réapprendre à lire Tite-Live.

Références

Documents relatifs

Les États-Unis ont largué une quantité de bombes estimée à sept millions de tonnes sur ces trois pays – déclenchant une force de destruction deux fois plus grande que celle

C'est probablement pendant l'élaboration de la deuxième génération des plans en relief qu'a été géné- ralisée l'adoption de l'échelle d'un pied pour 100 toises (1

Là, reçu avec bienveillance par ceux ignorant son projet, alors qu’après le repas il avait été conduit dans une chambre d’ami, brûlant d’amour, après que tout autour

Le succès de la formule est attesté par Pline l'Ancien (m, 3, 22), qui continue en plein Ier siècle de notre ère à parler d'une ville à double composante, à une époque

En 2005 comme en 1987, le po ids relatif des erreurs relevant de l’orthographe grammaticale (impliquée dans les erreurs de type 4, 5, et 6) pèse le plus.. Si l’on s’intéresse

Le procès verbal du Conseil de vigilance du 1 er avril constate que le texte entre dans la catégorie des ouvrages obscènes condamnés de plein droit par l’Église,

m'avoir secondé avec Je zèle qu'elle mit à me traverser? Le livre des possibles est si gros, si ténébreux, que je croirais être vain d'assurer que j'eusse pu acca- bler Rome; mais

» Or Mgr de Castro Mayer, Mgr Lefebvre, Mgr Fellay et les prêtres de Campos nous ont toujours enseigné qu’il y a plusieurs ensei- gnements du concile Vatican II qui sont en rupture