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Evolution du mode de résolution des conflits familiaux : Réflexions au départ de l’affaire Sneersone c. Campanella

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Evolution du mode de résolution des conflits familiaux : Réflexions au départ de l'affaire Sneersone c. Campanella

ROMANO, Gian Paolo

ROMANO, Gian Paolo. Evolution du mode de résolution des conflits familiaux : Réflexions au départ de l'affaire Sneersone c. Campanella. In: 27e Journée de Droit International Privé

« Le droit international privé à l'épreuve de la dissolution des familles » - Conférence à l'Institut suisse de droit comparé organisée avec le CDCEI de l'Université de

Lausanne Lausanne, 30 avril 2015, Lausanne, 30 janvier 2015, 2015, p. 1-13

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:135080

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Evolution du mode de résolution des conflits familiaux

Réflexions au départ de l’affaire Sneersone c. Campanella Gian Paolo Romano

Professeur à l’Université de Genève intervention prononcée dans le cadre de la 27e Journée de Droit International Privé

« Le droit international privé à l’épreuve de la dissolution des familles » Conférence à l’ISDC organisée avec le CDCEI de l’Université de Lausanne

Lausanne, 30 avril 2015

Mesdames et Messieurs,

C’est comme d’habitude une grande joie que j’éprouve en revenant chez moi.

Je tiens à exprimer toute ma reconnaissance affectueuse à Ilaria Pretelli, Andrea Bonomi et Lukas Heckendorn, artisans de cette riche « journée », pour m’y a- voir invité.

Je regrette qu’une soutenance de thèse m’ait empêché de me joindre à vous plutôt.

***

On m’a demandé de partager avec vous quelques réflexions au sujet du sort des

« enfants bi-nationaux » qui font l’expérience de la séparation de leurs parents.

Je vous propose pour illustrer mon propos de prendre pour point de départ une affaire soumise il y a quelques années à la Cour européenne des droits de l’hom- me.

Le litige opposait Madame Šneersone, ressortissante de Lettonie, et Monsieur Campanella, ressortissant italien.

Un petit garçon, Marko Campanella, était né de leur union.

Il avait d’abord habité l’Italie avec ses parents.

Après la séparation de ceux-ci, la mère, s’estimant sans perspectives en Italie, fait retour en Lettonie.

Elle y emmène Marko.

Le père forme alors une demande en retour en vertu de la Convention de 1980.

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La demande est refusée par le tribunal de Riga.

Celui-ci se déclare compétent pour statuer sur le fond du litige.

Il en conclut que – je cite – « c’est dans l’intérêt supérieur de Marko que la garde exclusive soit confiée à la mère » et qu’il puisse vivre en Lettonie.

Le tribunal de Rome avait entre-temps affirmé sa compétence en vertu de la ré- sidence licite de l’enfant.

Et il décide qu’il est dans l’intérêt supérieur de Marko de grandir en Italie auprès de son père.

L’affaire a une suite ; Je l’exposerais… dans la suite.

Examinons d’abord ce que suggèrent ces premiers éléments au sujet notamment de l’intérêt de l’enfant.

***

Jean Carbonnier constatait, voici cinquante ans, à quel point l’intérêt de l’enfant avait été érigé en « notion magique ».

« Elle a beau être dans la loi – je cite – ce qui n’y est pas, c’est l’abus que l’on en fait aujourd’hui…. Pourtant, rien de plus fuyant, rien de plus propre à fa- voriser l’arbitraire judiciaire ».

Constatons en effet qu’un conflit inter-parental recouvre un conflit entre les vues subjectives, unilatérales qu’entretiennent les deux parents à propos de ce qui ré- pond à l’intérêt de leur enfant commun.

Dans notre affaire, le père italien estime que l’intérêt de Marko est mieux servi si c’est à lui que la garde est confiée ; à quoi s’oppose la mère qui considère que le bien-être de Marko est mieux satisfait s’il est autorisé à grandir avec elle en Lettonie.

Il y a donc conflit entre « projets parentaux ».

Il faut trancher.

Le père saisit le juge italien qui lui donne raison.

La mère saisit le juge letton qui lui donne raison.

Nous voilà face à un conflit italo-letton de décisions traduisant un conflit italo- letton de juridictions et d’ordres juridiques :

c’est-à-dire un désaccord entre les juges et les Etats dont les juges sont les or- ganes au sujet de ce que requiert l’intérêt de l’enfant italo-letton.

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Marko est en conséquence victime non seulement du conflit entre sa mère et son père, mais également du conflit entre sa « mère-patrie », la Lettonie, et son Va- terland, l’Italie.

***

Faut-il donner raison à Jean Carbonnier et admettre que l’intérêt de l’enfant est une notion peu utile parce que son appréciation est arbitraire?

Ce serait là négliger la dimension « formelle », et partant universelle, d’un tel in- térêt.

Pour l’identifier, raisonnons sur le plan interne.

L’intérêt d’un enfant placé au coeur d’un conflit parental commande qu’un tel conflit soit tranché absolument.

Et la décision sur le « comment » doit provenir d’une autorité super partes, qui dispose de la « hauteur de vue » pour mettre en balance les deux « projets paren- taux » antagonistes.

La décision rendue par cette autorité doit lier les deux parents ; pour lier les deux parents, il faut qu’elle lie d’abord les autres juges, qui doivent s’abstenir de prononcer une contre-décision qui consacrerait un contre-régime.

Et elle doit lier aussi les organes d’exécution doivent la respecter et la faire res- pecter alors même qu’ils la trouveraient choquante.

C’est ce qui se passe dans tous les ordres juridiques nationaux.

***

Revenons à un cadre bi-national.

Les conduites des deux parents doivent, dans leur ensemble, avoir lieu dans deux Etats différents.

Il s’ensuit que, pour que les parents soient liés par la décision et le régime de la responsabilité qu’elle organise, il faut que soient d’abord liés les organes des deux communautés étatiques.

En clair, la composante formelle de l’intérêt d’un enfant bi-national commande aque lui soient épargnés les conflits entre les deux communautés étatiques dont il est l’enfant (au sens où l’on parle de l’« enfant du pays »).

Autrement dit, l’intérêt de l’enfant bi-national impose qu’à défaut d’harmonie interparentale, il y ait au moins harmonie interétatique, quant à la « solution » à apporter au conflit parental : une harmonie entre l’Etat de sa mère, sa « mère patrie », et l’Etat de son père, son Vaterland.

C’est la fameuse harmonie des solutions.

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Et que si les Etats ne sont pas d’accord sur l’intérêt de leur enfant commun – parce qu’il est l’enfant des deux pays –, ils s’accordent au mois pour soumettre leur désaccord à une autorité supérieure, supra-étatique, et qu’ils soient l’un et l’autre liés par ses décisions.

***

Revenons à notre affaire italo-lettone.

Et demandons-nous : le litige entre le père et la mère est-il résolu?

Chaque parent peut brandir un jugement qui lui donne raison.

Les deux soi-disant choses jugées se neutralisent.

La « chose » n’est pas jugée du tout. Les deux parents sont fondés à continuer à lutter autour de l’enfant, et contraindre l’enfant à subir une telle lutte.

Dans une affaire semblable, franco-suisse, l’un des avocats me confiait :

« L’enfant est en grande détresse. Il se sent responsable du conflit parental.

Maintenant, il se sent également responsable du conflit étatique. Il a fait une crise suicidaire ».

C’est là, on le voit, de l’irresponsabilité bi-étatique !

On peut penser que le parent qui a raison du point de vue de l’Etat où se trouve l’enfant au moment de la décision l’emporte.

Si cet Etat est l’Italie, ce n’est que la décision rendue par la Lettonie qui est vouée à l’inefficacité.

Mais à chaque fois que l’enfant dépasse la frontière pour se rendre d’Italie en Lettonie en visite chez sa mère, celle-ci sera fondée à le retenir.

Pour éviter que l’enfant ne soit victime d’une telle spirale de rétentions et contre-rétentions, qui finiraient par le « dépecer », les autorités italiennes pour- raient être tentées d’interdire à l’enfant de se rendre en Lettonie.

Seulement… comble de l’irresponsabilité, et de l’injustice !

L’enfant serait-il forcé de se tenir à l’écart d’une communauté à laquelle le ratta- che une partie de son univers affectif ?

Voilà qui reviendrait à une « dés-intégration » – sociale, culturelle, psycho- logique – de l’enfant.

En conclusion, dans la mesure où ils refusent de dépasser leur mésentente, l’Ita- lie et la Lettonie se désintéressent l’une et l’autre de l’intérêt de Marko.

Ils faillent à la responsabilité qui leur incombe conjointement de protéger l’enfant qui a des liens avec leur propre société.

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C’est un échec bi-étatique.

***

Pourtant les instruments internationaux d’aujourd’hui autorisent un tel échec bi- étatique.

Commençons par nous demander si un juge « mono-national » dispose vraiment de la hauteur de vue nécessaire pour décider.

Nourrir des réserves n’emporterait pas la remise en cause généralisée du postulat de notre matière.

Car les litiges autour de la responsabilité parentale semblent bien présenter un certain nombre de singularités.

J’en évoquerai trois.

D’une part, la décision que l’on sollicite d’un juge est ici prospective, elle vise à organiser l’avenir, s’inscrit dans la durée.

Une décision en matière patrimoniale est le plus souvent rétrospective.

D’autre part, la loi s’abstient dans ce domaine d’attribuer elle-même des droits et obligations aux intéressés mais confie la tâche de le faire au juge.

La prévisibilité le cède donc dans la règle à la justice du cas concret.

Il s’agit en troisième lieu des facteurs qu’un juge doit prendre en compte dans l’exercice d’une telle discrétion.

Dans la mesure où l’objectif à poursuivre est l’épanouissement de l’enfant, et que ce n’est pas uniquement la vie familiale qui l’assure car la vie extrafamiliale – scolaire, récréative, en un mot « sociale » – y concourt également, on peut penser que le juge tranche certes d’abord entre les projets de cadres familiaux que lui offriraient la mère et le père, mais aussi entre les cadres sociaux que lui garantiraient sa propre communauté étatique et l’autre « co-intéressée ».

La prise en charge de la jeunesse n’est pas, dit-on, uniquement un projet pa- rental, mais aussi un projet sociétal.

Et même à ne pas vouloir insister sur ce que l’enfant constitue une ressource pour la société qui le verra grandir à titre principal, la dimension intersociétale de ce contentieux est plus marquée que celle d’un litige entre contractants ou entre successibles.

***

Si l’on accorde un certain crédit à ces développements, on peut être tenté d’a- vancer que deux facteurs modèrent l’aptitude du juge « mono-national » à trancher un conflit parental binational.

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D’une part, s’il doit connaître la société dont il est l’organe – le système d’édu- cation qui y a cours, les dispositifs de soutien à l’enfance, les infrastructures scolaires, éducatives, récréatives –, le juge d’un Etat peut tout ignorer du système étranger.

C’est la connaissance de tous les éléments à « mettre en balance » qui pourrait lui faire défaut.

La deuxième réserve concerne l’indépendance et l’impartialité dans l’appré- ciation de ces éléments.

Le juge national entretient-il la bonne distance, la « juste » distance, l’équi-dis- tance par rapport aux parties au litige ?

Si l’on reconnaît que sont susceptibles de s’affronter également, quoiqu’à titre subsidiaire, en toile de fond, deux sociétés étatiques, les choses se corsent.

Car le juge national qui « dépend » d’une d’elles à l’instar d’un organe qui « dé- pend » de l’organisme auquel il est rattaché, n’est pas tout super partes. En tant qu’organe d’une de ces sociétés, il est « partie » d’une de ces sociétés, partie d’une partie. Et donc « mauvais juge » parce que – osons le mot – en conflit d’intérêts.

***

Si l’on devait partager de telles inquiétudes, une parade consisterait à envisager la mise en place de tribunaux « binationaux », « mixtes ».

Utopie ?

Constatons que des tribunaux « mixtes » de par l’origine des juges qui y siègent, le mode de leur désignation, le champ « grand-angulaire », supraétatique, de vision dont ils disposent, exercent la juridiction tous les jours à travers le monde.

Il s’agit des tribunaux arbitraux.

Certes, le domaine de la responsabilité parentale est pour l’heure imperméable à la justice internationale arbitrale.

Mais est-ce satisfaisant ?

En revenant à notre exemple, n’est-il pas surprenant que le père italien et la mère lettone soient privés de ce que l’on peut appeler le droit à la « bi-natio- nalité » du tribunal, arbitral d’abord ?

Est-ce justifié que les options s’ouvrant à eux se réduisent à saisir un tribunal ou bien entièrement italien ou bien entièrement letton ?

Alors que si leur différend concernait la liquidation du régime matrimonial, le droit à la binationalité du tribunal (arbitral) leur serait le plus souvent accordé ?

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Ici, dira-t-on, c’est l’enfant qui est au cœur du litige.

Mais, précisément, est-ce vraiment conforme à son intérêt, à la justice qu’on lui doit, que de lui dénier systématiquement la possibilité que son sort soit tranché par un tribunal qui, de par investiture, l’origine, la culture et la formation de ses membres, les connaissances « consolidées » qu’ils possèdent des cadres an- tagonistes, est en adéquation avec le contexte bi-national, bi-culturel, dans le- quel l’enfant a été intégré et dans lequel il est appelé à évoluer ?

Penchons-nous alors sur les raisons évoquées pour exclure la juridiction arbi- trale dans notre domaine.

On cite la non-disponibilité des droits, l’impérativité des normes qui régissent cette branche du droit de la famille, l’ordre public et l’intérêt étatique qui l’imprègne.

Passons-les au crible.

Il faut bien reconnaître que les parents ne « disposeraient » aucunement de leur droits dès lors que, pour remédier au conflit de droits de garde et de respon- sabilités parentales résultant d’un conflit de décisions, ils se résoudraient à le faire trancher par un tribunal international.

Il en va de même de l’impérativité.

Le conflit entre deux décisions se voulant l’une et l’autre impératives entraîne que l’une et l’autre perdent leur impérativité.

Quant à l’ordre public, un conflit de décisions résulte d’un conflit d’ordres publics, lequel est la négation de l’ordre public. Il vaut sans doute mieux une justice arbitrale qu’une justice privée résultant du « conflit de justices pub- liques ».

Car la justice privée ainsi entendue se ramène à la loi du plus fort, du plus rapide, du plus malin.

S’agissant de l’intérêt étatique qui serait inhérent à notre domaine, je voudrais rappeler que l’arbitrage peut en soi être interétatique, au sens d’opposer deux E- tats.

Le fameux arbitrage de l’Alabama, qui s’est déroulé dans la salle du Grand Con- seil à Genève, qui prend son nom, n’opposait-il pas les Etats-Unis à la Grande- Bretagne ?

Le regretté Tito Ballarino aurait pu nous la raconter en détail.

Ensuite si le contentieux parental est international, c’est que les Etats en cause sont au moins deux.

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Si bien que, dans la mesure où intérêt étatique « substantiel » il y a, et que les Etats qui peuvent avoir un intérêt de ce type sont deux, il peut y avoir « conflit d’intérêts étatiques ».

Le conflit italo-letton de décisions étatiques ne traduirait-il pas un tel « conflit d’intérêts étatiques » ?

En conclusion, ce sont les arguments tirés de l’indisponibilité des droits, de l’impérativité, de l’ordre public, de l’intérêt étatique, qui devraient pousser l’Italie et la Lettonie à autoriser les particuliers à soumettre à un tribunal arbitral italo-letton afin de remédier au conflit italo-letton de décisions judiciaires.

Le choix n’est pas ici entre justice arbitrale et justice étatique mais entre justice (arbitrale) et le déni de justice étatique, et le fiasco de la justice étatique.

Seulement, si l’on admet le recours à la justice arbitrale a posteriori pour remé- dier à ce fiasco, ne pourrait-on pas songer à en ouvrir l’accès a priori et pour le prévenir ?

***

Revenons sur le terrain de la juridiction judiciaire.

Et demandons-nous s’il n’y aurait pas moyen de prévenir un conflit de décisions en tranchant un conflit de juridictions, notamment le conflit entre le juge de la résidence habituelle actuelle et le juge de la résidence habituelle future potentielle, l’un et l’autre s’estimant mieux à même de statuer.

Un tel moyen consisterait à confier à un tribunal supérieur, à un juge des juges, c’est-à-dire une juridiction-juge placée au-dessus des juridictions-parties – par- ties au « conflit de juridictions » – le règlement de celui-ci.

C’est ce qui se passe, par exemple, en France, pour trancher les « conflits de compétences » entre juridictions civiles et juridictions administratives. La réso- lution est soumise à un « tribunal des conflits », de composition mixte et pa- ritaire (y siègent autant de juges de cassation que de conseillers d’Etat).

Il en va semblablement en Italie, où l’expression « conflit de juridictions » est réservée aux conflits entre tribunaux civils et administratifs, dont la résolution est confiée, moyennant le « règlement de juridiction » (regolamento di giurisdi- zione), à la Cour de cassation.

Ainsi, s’agissant d’un conflit entre le juge letton et le juge italien dont chacun, saisi par l’un des parents, estimerait qu’il est mieux placé pour exercer la compétence, le conflit de juridictions ne serait pas solutionné en prescrivant au deuxième juge de se plier à la détermination unilatérale que fait le premier saisi.

Il serait soumis à une « cour des conflits ».

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Celle-ci pourrait apprécier le bien-fondé des deux prétentions juridictionnelles à l’exercice de la compétence à partir d’un poste d’observation « surélevé ».

Ce peut être la Cour de justice de l’Union européenne ou une chambre de celle- ci ou bien un « tribunal spécialisé », ad hoc, mixte.

Y siégeraient, dans notre affaire, un juge italien et un juge letton et, par exemple, le juge d’un Etat membre tiers en tant que président.

Il est temps de dévoiler la suite de cette affaire.

Pour trancher le bras de fer entre les deux Etats, la République de Lettonie a ouvert une action à l’encontre de la République italienne pour violation de l’article 227 du Traité sur la Communauté européenne respectivement de l’ar- ticle 259 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne.

La Cour de justice de l’Union européenne peut en effet être mobilisée par un Etat membre qui reprocherait à un autre Etat membre la « violation des obliga- tions résultant du traité », y compris de celles que met à la charge des Etats membres un règlement en matière de droit international privé.

Le conflit interétatique a donné lieu à un véritable litige interétatique au sujet de la meilleure manière de trancher un litige interparental.

***

Mais le texte du Règlement II-bis est tel qu’il peut y avoir conflit d’ordres ju- ridiques sans qu’aucun des Etats membres « co-intéressés » n’en ait commis la moindre violation.

Sous réserve de ce que je rappellerai dans un instant, aucun des instruments internationaux qui ont cours en la matière n’impose à ce jour aux Etats qu’ils lient de reconnaître inconditionnellement la décision émanant d’un Etat lié.

La liste de motifs de refus de reconnaissance est encore assez fournie :

ordre public, notamment compte tenu de l’intérêt de l’enfant tel qu’il est conçu par l’Etat requis, droit de l’enfant d’être entendu tel qu’il est aménagé dans l’Etat requis, droits de la défense tels que reconnus par l’Etat requis, etc.

Si la décision italienne n’est pas reconnue en Lettonie, quelles seraient les con- séquences d’un tel refus ?

Le juge letton est susceptible de statuer à nouveau.

Il aura alors le loisir de trancher d’une manière contraire à ce qu’a fait son ho- mologue italien.

Opposez l’ordre public italien à l’ordre public letton et vous n’avez plus d’ordre public au sens d’un ordre résultant de la justice publique, mais bien un conflit

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d’ordres publics pouvant conduire à l’avènement d’un ordre non-juridique privé au sens de résultant d’une justice privée.

Aussi longtemps que l’un des deux Etats qu’affecte un litige parental binational est autorisé à rendre une décision aspirant à résoudre ce litige et que l’autre Etat qu’affecte le même litige est autorisé à décider de ne pas reconnaître une telle décision, et qu’on en reste là, le conflit parental menace de ne pas être résolu par le Droit.

L’enfant risque alors de ne profiter pas du Droit.

La composante minimale et universelle de son intérêt est méconnue.

J’évoquerai deux moyens pour remédier à une telle situation : le premier, plus radical, vise à la prévenir ; le second aspire à la neutraliser.

***

Le moyen de prévention consisterait à imposer une obligation réciproque de reconnaissance.

Voilà qui reviendrait à faire bon marché de la procédure même de reconnaissan- ce.

A quoi bon de contrôler ce à quoi l’on est de toute manière obligé de donner ac- cueil ?

C’est, pourrait-on observer, ce qui se passe dans tout ordre national.

Soit un litige opposant un père résidant à Saint-Gall et une mère vivant à Lausanne.

Compétent en vertu de la résidence de l’enfant, le juge saint-gallois confie la garde de l’enfant au père et n’accorde à la mère que des droits de visite.

L’enfant grandira, à titre principal, jusqu’à nouvel ordre, à Saint-Gall.

Le juge lausannois peut ne pas être d’accord avec la décision rendue par son homologue saint-gallois.

Il peut même la trouver scandaleuse.

Ce n’est pas pour autant qu’il peut s’opposer à sa mise en œuvre dans le Canton de Vaud.

Mais – dira-t-on – l’analogie a ses limites.

Car deux subdivisions d’un Etat partagent une somme de valeurs auxquelles n’adhèrent pas forcément deux Etats différents encore que membres d’une union supraétatique.

Ce point est bien délicat.

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Il n’en demeure pas moins que l’on pourrait envisager un correctif à la recon- naissance impérative en subordonnant une telle obligation à ce que l’Etat exer- çant la compétence ait sollicité le point de vue de l’Etat « co-intéressé » ou que celui-ci ait eu la possibilité de le lui communiquer.

Par les observations qu’il aurait le droit de soumettre, l’Etat « co-intéressé » ne serait plus uniquement « requis ».

Il serait également associé à l’élaboration de la décision qu’il accueillera chez lui.

Dans notre cas d’étude, le juge letton ne serait tenu de reconnaître la décision italienne que dans la mesure où il a bénéficié de la possibilité de soumettre au juge italien sa propre vision de l’intérêt de l’enfant.

C’est alors presque d’une décision au fond italo-lettone, « biétatique », « co-éta- tique », qu’il s’agit, encore qu’il y ait un responsable à titre principal, auquel revient le dernier mot, en l’espèce le juge italien.

Faut-il rappeler qu’un tel effort de conciliation des opinions au départ diver- gentes, a lieu au sein des tribunaux se composant de plusieurs magistrats, en vertu du principe de collégialité ?

***

La proposition peut paraître audacieuse.

Mais le droit positif offre quelques exemples de « co-décisions » de ce type.

C’est d’abord la possibilité d’un dialogue judiciaire qu’offre le Règlement Bruxelles II-bis à l’article 15 concernant l’exercice de la compétence.

Mais cet instrument va plus loin en ce que, dans le cas d’un déplacement illicite, il astreint l’Etat vers lequel l’enfant a été enlevé, et qui aurait refusé le retour de l’enfant, à reconnaître la décision ultérieure que rendrait l’Etat de la résidence antérieure au déplacement.

L’Etat d’origine ne doit pas moins tenir compte des raisons qui ont conduit l’E- tat requis à refuser le retour et inviter les parties à soumettre leurs observations.

La reconnaissance est ici impérative – même l’ordre public ne saurait y faire obstacle – et il en est ainsi parce que précisément l’Etat obligé de reconnaître a eu le droit de faire valoir son point de vue.

Un exemple livré par la Convention de 1996 concerne le droit de visite.

Le juge de la résidence du parent requérant a le pouvoir de « se prononcer sur l’aptitude [de celui-ci] à l’exercer et aux conditions dans lesquelles il pourrait l’exercer ».

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S’il conserve le dernier mot, le juge de la résidence de l’enfant ne devra pas moins « avant de se prononcer, prendre en considération ces… conclusions ».

C’est là aussi un processus décisionnel « biétatique », car les juges des deux E- tats y sont responsables conjointement, encore qu’exerçant des rôles distincts.

***

Le moyen de résolution consiste, d’une part, à permettre à un Etat de s’opposer à la reconnaissance de la décision rendue par l’autre, comme le font Bruxelles II-bis et la Convention de 1996 ; et, d’autre part, à organiser un système pour trancher le conflit international de décisions pouvant en résulter.

Et c’est ce que ces deux instruments ne font pas encore.

Il s’agirait notamment de charger un tribunal tiers qui, en tant que juge des juge- ments, trancherait entre les décisions étatiques en conflit en les remplaçant par une décision supraétatique.

La solution que celle-ci consacre peut être identique à l’une des décisions rem- placées, différente à la fois de l’une et de l’autre ou bien encore renvoyer l’affaire à l’une des juridictions pour qu’elle tranche de nouveau.

Ce peut être, dans l’Union européenne, un tribunal européen, par exemple une chambre spécialisée au sein de la Cour de justice.

S’agissant des Etats parties à la Convention de 1996, une cour siégeant à la Haye fonctionnant sous l’égide de la Conférence et de son Bureau permanent.

Parce qu’elle lierait les deux Etats, une telle décision supraétatique serait de na- ture à ramener l’harmonie entre eux et leurs ordres juridiques.

La paix, et la souveraineté du Droit, seraient garanties aux particuliers, parents et enfant, dont la vie s’inscrit au sein des deux communautés.

Dans notre cas d’étude, la Lettonie pourrait encore refuser la reconnaissance à la décision italienne pour l’un des motifs énumérés par le Règlement Bruxelles II- bis et statuer au besoin de nouveau.

Mais ce texte serait complété par des dispositions ouvrant le recours à un tribunal européen destiné à surmonter le conflit de décisions.

Les difficultés qu’il faudrait affronter pour mettre en place un tel système ne mériteraient pas d’être surestimées.

Les mécanismes qu’organisent les ordres juridiques nationaux pour remédier à un conflit interne de décisions offriraient une source utile d’inspiration.

***

Nous devons conclure.

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Dans l’Union européenne, l’évolution tracée est me semble-t-il commandée par l’objectif qu’elle se donne de créer un « espace de liberté, de sécurité et de justice ».

Le désaccord interétatique quant à la solution d’un conflit entre personnes privées porte atteinte à la justice, qui leur est déniée, ainsi qu’à leur liberté, car la menace d’un tel désaccord les encourage à « désinternationaliser » leur vie, à ne pas exercer les libertés fondatrices de l’Union.

Pour ce qui est des Etats du Conseil de l’Europe, dont la Suisse, la Cour euro- péenne des droits de l’homme a laissé entendre, notamment à l’occasion des litiges concernant l’enfant, que le conflit d’ordres juridiques est contraire aux droits de l’Homme.

Et il l’est car il est contraire au Droit.

Gageons que les juges de Strasbourg ne tarderont pas à l’affirmer clairement et qu’une telle vérité sera même un jour tenue pour une évidence.

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