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Résurrection et vie éternelle

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Résurrection et vie éternelle

ASKANI, Hans-Christoph

ASKANI, Hans-Christoph. Résurrection et vie éternelle. In: Au-delà de la mort, au-delà du temps, au-delà du réel. Paris : 2004. p. 41-53

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:30502

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RESURRECTION

ET VIE ETERNELLE Hans-Christoph ASKANI • 7 février 2004

Quelques considérations générales, pôur commencer, sur l'homme, la mort et la religion. Trois vérités essentielles l'homme ne veut pas mourir , il voudrait que sa vie continue ; seul l'homme sait mourir, à l'inverse des animaux, tout au long de· sa vie, il a la mort est devant lui ; l'homme ne sait pas mourir, il peut se préparer à la mort, -la méditer, ne pas la fuir, et pourtant la mort lui échappe. La _mort, inéluctable, est toujours autre, nous

dérange et nous dépasse toujours.

Aussi toutes les religions font-elles une place à la mort. Y a-t-il, pour autant, toujours religion là où survient la mort ? On ne peut l'affirmer avec certitude, quoi que, même pour qui se déclare athée, il n'est pas évident que la religion soit . absente. Cela dit, les diverses religions ont des attitudes très différentes au regard de la mort. Certaines gardent une place aux ancêtres 'dans la .vie quotidienne : on les nourrit, par exemple. Avec l'hindouisme règne l'idée de la réincarnation, avec le judaïsme celle de la rédemption, avec le christianisme celle de la résurrection. De nos jours enfin, dans nos sociétés, la mort semble comme mise à l'écart, au moins sur un plan collectif. Les vivants oublient Je deuil au plus vite. La mort est un accident de parcours : revenons sans tarder à la vie habituelle. Tout cela, parce que notre vie est dominée par l'idée de bon fonctionnement. - La mort est une interruption de fonctionnement, passons à la suite, sans investir notre énergie, nos pensées et nos croyances dans un contre- modèle de la mort.

Que sont, ou que furent, les contre- modèles de la mort ? Pour les anciens Egyptiens, seuls les dieux (et les rois)

RESUME étaient immortels. Mais à partir du Moyen- Empire (vers 2100 avt JC), on se mit à penser que les humains pouvaient aussi, à certaines conditions, accéder à l'immortalité. Il fallait d'abord que soient rigoureusement respectés les rites funéraires. Il fallait aussi que "l'âme" du mort (son Ka) passe devant le tribunal divin et que soit porté sur sa vie un_

jugement positif. En d'autres termes, un défunt pouvait accéder à l'immortalité parce qu'il a une âme et à cor)dition qu'il ait eu une bonne conduite.

Pour les anciens Grecs, plus précisément pour Platon, l'âme humaine est éternelle.

Elle a connu une vie antérieure dans le monde des Idées, dont elle garde le souvenir. Elle est venue vivre dans le corps, s'est liée au corps, au point que, d'une certaine manière, elle en est captive.

Dès lors, la mort ne signifie pas autre chose que IÇl libération de l'âme. Tout homme doit comprendre que la mort n'est pas simplement la fin ; pour cela, il doit devenir philosophe. Car, selon Platon, il est, au-delà de la mort, une réalité plus profonde que notre vie quotidienne1 réalité antagoniste de la .mort et qui assure notre immortalité.

Cette conception platonicienne est-elle celle du christianisme ? Elle fut très

r~pandue chez les chrétiens et certains la partagent encore. Ce n'est pas cependant Je message biblique. Il n'y a pas, selon la Bible, de séparation de l'âme et du corps (c'est pour cela qu'on parle de

"résurrection de la chair"). Or, si l'on en croit la Genèse, mort et péché sont liés. Il n'y est d'ailleurs jamais dit que l'homme fut créé immortel : dès le début, c'est la mort (comme en d'autres religions) qui marque la frontière entre l'homme et Dieu..

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Mais le mythe de la chute nous dit que le péché vient s'ajouter à la mort pour . séparer l'homme de Dieu et que le péché

concerne autant l'âme que le corps. De sorte qu'à. l'inverse de ce que pensait Platon, il n'y a aucune continuité possible entre la vie et l'après-mort. Corps et âme doivent l'un et l'autre être rachetés. Seule l'intervention de Dieu, par son incarnation et par la mort et la résurrection du Christ vient briser la toute-puissance de la mort et assure la rédemption à l'homme. Celle- ci ne peut être le fruit d'un effort de l'homme. ·

. Que signifie alors la vie éternelle ? Elle n'est pas la simple prolongation sans fin de la vie terrestre. Elle signifie une transformation totale de . l'être humain dans une vie qui est celle que Dieu veut pour nous, différente de ce que nous voulons nous-mêmes. C'est l'abolition de

la séparation entre l'homme- et Dieu. La résurrection de la chair veut alors dire qu'il y·a non pas une continuation du corps en tant que tel, mais que notre chair, qui était en rébellion contre Dieu, reçoit une nouvelle nature, D'ieu transformant l'homme dans sa totalité. C'est ainsi qu'il faut comprendre le texte de Paul parlant de

"corps spirituel".

Quant au jugement dernier, c'est une idée fort ancienne. On la trouve, on l'a vu, dans les croyances égyptiennes. Reprise par le christianisme, elle signifie que Dieu, tranchant entre sa propre volonté et celle de l'homme, a le dernier mot ; dernier mot qui veut dire qu'à ce moment-là, la vérité que Dieu nous montrera devien,dra aussi notre vérité. Voyant Dieu face à face, nous participerons à sa vérité, acceptant que Dieu s'occupe de nous au lieu de vouloir, seuls, nous occuper de nous-mêmes.

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AU DELÀ DE LA MORT

RESURRECTION ET VIE ETERNELLE Hans-Christoph ASKANI - 7-février 2004

Cet exposé c'Omportera deux grandes parties :

- Une première partie à regarder comme une ·grande introduction, dans laquelle nous traiterons de 'l'ho:tnme et de la mort, d'une manière générale d'abord, mais ensuite en nous interrogeant sur le rapport de la mort et de la religion ; et enfin en revenant sur notre manière de vivre ou de ne pas vivre la inort aujourd'hui.

-Une· deuxième partie exposera ce que nous appelons les "contre-modèles de la mort", d'abord tels qu'il en exista en Egypte ancienne, puis dans la pensée philosophique grecque (en fait la philosophie de Platon) ; et enfin,. et ce sera le troisième grand point de cette deuxième partie, dans le christianisme.

Nous tenterons d'approfondir la compréhension de la mort et de la résurrection dans le christianisme.

1 - Quelques considérations générales L'homme et la mort

Premier point: l'homme ne veut pas mourir. C'est incontestable. L'homme veut continuer, il veut que la vie continue. Epicure disait po-qrtant: il n'y a aucune raison d'avoir peur de la-mort parce que, si la mort est là, moi je ne suis plus là ; et si moi je suis là, la mort n'est pas encore là. C'est d'une parfaite logique, mais existentiellement, cela m'aide assez peu car ce qui m'intéresse, justement, c'est d'être encore là, même si la mort arrive. Que l'homme ne veuille pas mourir, sera le point de départ de toute notre réflexion.

Deuxième point: seul, l'homme sait mourir. C'est une phrase de Martin Heidegger, qui a fait une distinction assez nette entre le rapport à la mort des animaux et celui des humains. Il n'a ·pas dit ' qu'un animal ne meurt pas, mais que ce qui distingue l'homme de l'animal, c'est que l'homme, durant toute sa vie, a déjà un rapport à la mort. Pouvoir mourir, c'est, pour lui, non seulement savoir que la mort est l'étape ultime de sa vie, mais aussi, dans toute sa vie; avoir déjà un face-à-face avec la mort. Et cela, comme l'a dit Heidegger, seul l'homme en est capable. Tout en étant vivant, il a un rapport à la'mort, il ne peut pas ne pas l1avoir. Etre humain, c'est, d'une manière ou, d'une autre, se référer à sa mort. Même si je fuis la mort, si je la mets de côté pour ne pas y -penser, c'·est encore une manière de la vivre.

Troisième point: l'homme ne sait pas mourir.-Comment pourrait-il savoir mourir? On peut se préparer à la mort, y penser au lieu de la fuir. On peut méditer la mort, comme.le veut toute une tradition de la vie monastique : ne pas la fuir, mais la prendre au sérieux, sans pour autant la prendre pour le tout de _l'existence. Si les moines, dans telle ou telle tradition, se saluent, chaque-fois qu'ils se.

voient, par un memento mari (souviens-toi que tu dois mourir), ce n'est pas pour tomber dans le désespoir chaque fois qu'on rencontre l'autre; c'est pour situer la vie qui est la nôtre face à la mort et aussi face à cet espoir qui est 1' espoir chrétien. Pourtant, même dans cette méditation de la mort, on ne peut pas dire qu'il s'agit d'une gestion de la mort. Dans toute méditation de la mort, aussi profonde soit-elle, la mort échappe encore.

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Quelques remarques sur la terminologie : dans ces premières réflexions sur la mort, nous venons de dire : pouvoir mourir, l'homme seul sait mourir, ne pas vouloir mourir ; ou encore aborder la mort, méditer la mort, gérer la mort ; ou encore - nous le dirons un peu plus loin - prendre la mort au sérieux, prendre en compte la mort .. Toutes ces formulations ne sont qu'approximatives. Chaque fois qu'on les écrit, on hésite, car ces formules sont finalement inadéquates. On ne sait pas mourir, on ne gère pas sa mort, parce que cette mort nous échappe toujours ; et même dire ne pas vouloir mourir est un peu à côté de la réalité, car nous savons bien que la mort va arriver, que nous le voulions ou non.

Autrement dit, on

a

du mal à parler de façon adéquate de la mort. Pourquoi? C'est que la mort nous échappe toujours, même dans le plus grand effort à vouloir l'affronter ou à vouloir la fuir. La mort, :peut-.on dire, est toujours autre. La mort dérange toujours, nous dépasse toujours, ne nous intègre Jamais.

Le rapport entre la religion et la mort

A ma connaissance, dans toutes les religions, la mortjoue un certain rôle. On aborde la mort, on vise la mort, on gère la mort, on prend en compte la mort - toutes expressions un peu ambiguës, comme on vient de le dire. Il n'y a pas de religion qui y échappe. Où il y a religion, le sujet de la mort est toujours abordé.

Mais, à l'inverse, y a-t-il toujours religion où il y a mort, dès qu'il s'agit de mort? Bien ·que ce soit beaucoup moins évident, il semble pourtant que l'on puisse répondre par l'affirmative. Certes, il est vrai qu'ily a des gens sans religion qui meurent. Mais est-il si facile de dire de quelqu'un qu'il n'a pas de religion du tout? Même si quelqu'un se déclare athée, cette affirmation n'est pas absolument évidentt:. En outre si la religion est aujourd'hui, dans une société largement sécularisée, de p~us. en plus absente et marginalisée, il faut se convaincre cependant qu'elle va toujours revenir à cause de la mort, du fait que la mort pose pour l'horruhe un problème qui ne sera jamais maîtri~é. Non que ce soit l'unique point de départ de la religion, mais c'est un point sur lequel se concentre l'enjeu religieux.

Il y a dans les diverses religions des attitudes très différentes au regard. de la mort. Il y a des religions où 1 'on intègre les ancêtres dans la vie quotidienne, où 1' on donne toujours, dans un coin du logis, de la nourriture aux ancêtres. C'est une manière, qui n'est pas la nôtre, de "faire" avec la mort. Il y a aussi, dans la religion hindouiste, par exemple, l'idée de la réincarnation ; ou celle de la rédemption dans la religion juive ; ou celle de la résurrection dans la religion chrétienne. Toutes ces attitudes sont des manières d'aborder le problème de la mo)i:. C'est un élément profondément religieux dont on peut penser qu'il ne disparaîtra pas totalement aussi longtemps que des hommes vivront sur terre.

L'homme et la mort aujourd'hui.

Je vis à Bourg-la-Reine, à côté du cimetière, ce qui fait que je le traverse assez souvent. De temps en temps, il y a un enterrement. On voit les gens, avant 1' enterrement, après 1' enterrement, qui sont évidemment touchés, attristés même ; mais en comparant cela avec des époques anciennes, on a 1 'impression que tout se passe très vite. C'est souvent à 1 'heure du repas où 1' on peut se libérer de son travail, sans vraiment devoir l'interrompre. Dès que l'on retourne à son travail, on entre à nouveau dans des préoccupations qui sont tout autres, on est soulagé de pouvoir passer à autre chose et de pouvoir retourner dans la vie quotidienne.

Or il y avait- et il y a toujours- dans d'autres cultures une.place beaucoup plus :importante donnée à la mort. On interrompt la vie quotidienne pendant une semaine ; on fait le deuil, on pleure sans arrêt ou on engage des femmes qui pleurent. Nous trouvons cela ridicule mais, selon moi, ce ne l'est pas du tout. Cela signi_fie le maintien d'un temps où l'on accepte que la mort, non seulement pour celui qui est mort mais aussi pour ceux qui vivent encore - et qui mourront aussi' - interrompe radicalement la vie quotidienne.

Aujourd'hui on en fait le moins possible. Quand j'étais jeune, un faire-part de décès était une lettre - avec un large encadrement noir; aujourd'hui il n'y a plus qu'un petit liseré gris. On veut que le choc soit le moins dur possible. Les voitures qui transportent le défunt deviennent de plus en plus banales.

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Nous sommes de moins en moins prêts à laisser une place à la mort. Cela ne veut pas dire, bien sûr, que, personnellement, on ne soit pas dans un deuil extrêmement profond, mais, dans la société, la mort est marginalisée de sorte qu'il devient plus difficile de rester personnellement dans son deuil si tout le monde, alentour, rentre tout de suite dans la vie quotidienne. Alors qu'il en irait tout autrement si tout le monde p~rtageaît ce deuil et ne rentrait pas tout de suite dans la vie de tous les jours.

C'est là un phénomène extrêmement important. Il n'aurait évidemment pas de sens de se plaindre de cette évolution. Mais, pour aller au fond de cette question, quelle est la raison d'une telle évolution ? Une des. raisons est évidemment que nous avons peur de la mort. Mais toute cultUre a peur de la mort.

C'est dire que notre manière à nous de gérer la mort et le deuil est étroitement liée à notre manière de vivre. Finalement, nous laissons à la mort une place identique à celle d'un accident. Normalement, comme tout accident, cela ne devait pas arriver. Cela arrive ; passons néanmoins aussi vite que possible à la vie nonnale et habituelle.

Notre manière de vivre, selon moi, est profondément marquée par l'idée de fonctionnement. La mort est uniquement vue comme une interruption totale du fonctionnement (ce qu'elle est, bien sûr) : cela ne fonctionne plus et on ne peut rien faire pour que cela fonctionne à nouveau. Notre vie est tellement marquée par l'idée de fonctionnement que le non-fonctionnement est compris comme quelque chose qui gêne, qui arrive au mauvais moment, comme un accident. L'intéressant dans tout cela, c'est que l'on ne donne plus.vraiment de place à la mort; on ne peut d'ailleurs guère le faire, vu les contraintes qui nous enserrent. Tout dernièrement j'ai dû aller en Allemagne pour un enterrement, mais ,il a pris place entre deux conférences, une la veille et celle d'aujourd'hui. Tout va très vite, sans que la moindre halte puisse lais~er une place à la mort.

Un philosophe allemand~ Blumenberg, a parlé d'un arrangement mélancolique de l'homme moderne avec la mortalité. Qu'est-ce à dire? Cela veut dire que non seulement on ne donne plus de place à la mort, mais qu'on n'est plus en révolte contre la mort, comme l'était par exemple Camus, qui a protesté de toute sa pensée contre l'absurdité de la mort, une absurdité insupportable.

Maintenant on accepte la mort. Mais, semble-t-il, c'est pour rester le plus possible tranquille. Et comme nous ne laissons pas de place à la mort, nous n'investissonspas non plus notre énergie, notre fantaisie, nos croyances dans un contre-modèle à la mort. Pour nous, une croyance en l'immortalité de l'âme est peut-être personnellement très importante, mais dans notre société en général cette croyance est autant marginalisée que la mort .. Parce que, pour pouvoir donner une place à une telle croyance, à un tel contre-modèle, il faudrait aussi donner de la place à la mort. Sinon cela ne peut réussir.

Il ne s'agit pas seulement d'ailleurs de "laisser une place" à la mort comme à d'autres conceptions qui '

contredisent la mort. Il faudrait aussi s'investir, c'est-à-dire adhérer à autre chose. Je suis convaincu que si, aujourd'hui, la foi en une immortalité de l'âme ou quelque autre manière de croire à quelque chose qui contredit la mort, a presque disparu de la vie officielle de 1 'homme moderne en occident, ce n'est pas seulement parce que nous sommes plus éclairés, parce que nous comprenons mieux ce que signifie biologiquement la·mort (en d'autres temps on avait aussi compris le sens de la mort), mais parce qu'on ne laisse ni une place à la mort ni un espace à un développement d'autre chos~ que la mort.

Aujourd'hui, la mort est définie de manière minimaliste. Dans l'Ancien Testament la mort voulait dire:

perdre le contact avec Dieu et avec les siens. Or perdre son rapport avec Dieu, cela n'a rien de minimaliste! Si on dit, comme aujourd'hui, que la mort est l'arrêt du fonctionnement cérébral, quelle pauvreté en comparaison ! comme si la vraie mort était l'arrêt du fonctionnement du cerveau ou du cœur ou de tout autre organe encore ... La vraie mort c'est autre chose; c'est que le défunt n'est plus là, qu'il ne dit plus rien, qu'il ne peut plus bouger, que je ne peux plus jamais parler avec lui et lui avec moi.

Nous définissons la mort selon des paramètres scientifiques : a-t-on le droit ou non d'arrêter le fonctionnement d'appareils médicaux? a-t-on le droit ou non d'enlever un organe? a-t-on le droit ou non d'enterrer un homme ? En de telles occurrences, une définition scientifique de la mort nous aide à décider ; "oui, son cœur ne bat plus, son cerveau a cessé ses fonctions .... alors on peut faire ceci ou cela ... ". Mais, chers amis, l'expérience huillaine face à la mort est justement tout autre : on ne peut

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plus rien faire. Nous sommes démunis jusqu'au plus profond. Tout faire n'atteint pas à cette réalité de la mort. Et nous,. les hommes modernes, qui voulons toujours faire quelque chose, qui vou1ons toujours maîtriser ... nous avons beaucoup de mal à accepter cette limite, cette impossibilité de faire.

Ainsi passons nous le plus vite possible à l'ordre du jour.

L'Egypte

II

m

La mort et les contre-modèles de la mort Les réponses

à.

la mort

Le grand égyptologue allemand Jan Assmann, qui a enseigné à Heidelberg et a réussi. à faire de l'égyptologie une science dont tout le monde parle, distingue trois types d'attitudes fondamentales de l'homnie par rapport à la mort et à l'immortalité. Ce sont trois types formalisés pour y faire entrer diverses réalités historiques :

1er type : 1 'homme est privé absolument de 1 'immortalité

2ème type : 1 'homme est privé seulement partiellement de 1 'immortalité.

3ème type: l'homme participe, sous certaines conditions, à l'immortalité

, Les points 2 et 3 sont en réalité très proches.· Par contre, il n'y a pas de poil~t 4 qui dirait. que 1 'homme participe pleinement à 1 'immortalité.

Selon Assmann en effet, si l'on regarde le grand spectre des religions, l'immortalité est attribuée seulement aux dieux. On désigne les dieux comme des immortels. La question est alors de savoir si les hommes peuvent participer à l'immortalité d'une manière ou d'une autre. D'où les trois types'ci..:

dessus, avec toujours l'idée que la pleine immortalité, celle qui va de soi, est seulement pour les dieux.

Quel est, do:ns ce schéma, le modèle égyptien ?

L'intéressant pour nous est qu'il s'est produit dans l'histoire de l'Egypte un changement de mentalités.

Autour de 2100 avant notre ère, les Egyptiens commencèrent à penser autrement. Sous l'Ancien Empire (avant 2100), l'i:nunortalité est radicalement réservée aux dieux et aux rois (aux pharaons), parce que les rois étaient de ·nature divine, tandis que les humains "normaux" mouraient et ne participaient aucunement à l'immortalité. Les rois au contraire en bénéficiaient, sans avoir rien fait de particulier, parce que leur naissance était divine. Mais à partir d'environ 2100 on commença à se demander s'il était juste que les humains soient radicalement privés de l'immortalité et on se mit à penser que les humains, sous telle et telle condition, pouvaient aussi participer à l'immortalité. ·

Quelles étaient ces conditions ? Il y en avait plusieurs. D'abord les rites de la mort. A défaut que le défunt ne soit accompagné et conduit à travers des rites mortuaires, cette autre vie immortelle lui était inaccessible. La deuxième condition était que chaque homme puisse participer d'une certaine manière à l'immortalité grâce à son Ka (son âme), qui lui permettrait d'entrer dans l'immortalité sous condition que, devant le tribunal divin, il soit "accepté" ; c'est-à-dire que le jugement divin sur lui soit positif. Le défunt ne passe pas automatiquement à l'immortalité du seul fait qu'il a une âme~ En plus de la possession d'une âme, le jugement positif de la divinité et l'accomplissement des rites mortuaires sont nécessaires pour que 1 'homme soit conduit à 1 'immortalité. Et surtout, pour que le jugement soit positif, il faut une vie qui corresponde aux normes éthiques d'une vie bonne. Si l'homme, dans sa vie terrestre, ne se comporte pas en sorte que le jugement des dieux soit positif, il n'entrera pas dans 1 'immortalité.

Ce qui est nouveau dans ~ette façon de voir, c'est que la possibilité d'immortalité est maintenant

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donnée à tous les humains. Elle est donnée comme une sorte de récompense, comme une sorte de salaire, pour une vie qui a 'correspondu aux normes de la bonté. Autrefois, dans l'Egypte de l'Ancien Empire, chacun pouvait éventuellement survivre pendant un petit moment dans la mémoire de ceux - qu'il avait connus. Celui qui avait mené une vie bonne, avait une bonne réputation et cela durait quelque temps, jouait un certain rôle. Ce n'était pas l'immortalité; mais d'une certaine manière la vie terrestre était prolongée. Dans la nouvelle çonception, cette bonne conduite est vue désormais comme conduisant à 1 'immortalité.

Résumons ces quelques éléments décisifs de l'approche égyptienne. On part d'une différence fondamentale entre les dieux et les hommes. L'immortalité est pour les dieux. Mais, à cause de l'âme, cette immortalité peut être aussi pour les êtres humains. Elle est donc liée à 1 'âme, mais aussi au jugement après la 'mort, jugement divin qui intervient directement après la mort pour chaque individu.

Ce jugement dépend d'une bonne conduite et conduit à une participation à la vie divine.

Sans entrer dans tous les détails historiques, tel est le modèle égyptien pour une certaine époque, celle

du Moyen Empire, puis du Nouvel Empire. ·

Le modèle grec - La philosophie de Platon

Pour parler du modèle grec concernant la mort et l'après-mort, nous nous attacherons essentiellement à la philosophie de Platon; qui nous semble le modèle le plus accompli en ce domaine. · La philosophie de Platon n'est pas une philosophie quelconque parmi d'autres. C'est une philosophie qui a marqué l'Europe comme sans doute aucune autre. Toute la philosophie occidentale, a pu dire Martin Heidegger, ne constitue que des notes de bas de page à la philosophie de Platon.

La pensée de Platon diffère de celle des Egyptiens, même s'il y a probablement eu des rapports entre l'Egypte et la Grèce, au point qu'on s'est demandé si Platon n'avait pas fait un voyage en Egypte. Ce qui fut de loin le plus important pour Platon, c'est sa rencontre avec Socrate.

-Platon et Socrate

Socrate a vécu sa mort d'une manière exceptionnelle. Le motif de sa condamnation semble ridicule : il aurait corrompu des jeunes par sa philosophie de la mort. Probablement, avec de bons avocats ou s'il avait voulu se défendre, grâce à ses seules capacités intellectuelles extraordinaires, aurait-il pu échapper à la mort, en obtenant une autre jugement. Il aurait pu aussi, comme Platon le rapporte, s'évadèr de sa prison. Son disciple Criton vint le lui proposer ; il refusa, disant devant le tribunal : j'accepte ma mort li ajouta qu'il n'avait pas peur de la mort. Qui me dit, demandait-il, que la vie sur terre est plus importante que la vie ultérieure ? Citant Euripide, il ajoutait même : qui sait si notre vie sur terre n''est pas un rêve, tandis que la vie après la mort serait la vraie vie ?

On peut,' certes, poser de telles questions. Mais vivre cette attitude et mourir de cette façon est tout autre chose ! Socrate est mort sans essayer d échapper à sa mort, ce qui a très fortement impressionné ses contemporains, et surtout Platon, qui se demande, dans plusieurs de ses dialogues : comment donc cela est-il possible ? Ce fut possible, pour le dire de manière un peu superficielle, parce que Socrate, s'il appartenait au monde de notre agitation banale et quotidienne, appartenait aussi, par toute sa réflexion, à un "ailleurs". Il était dans des vérités qu'il trouvait beaucoup plus intéressantes ; il était dans ces questions qu'il posait:- que veut dire la bonté ? que veut dire la sagesse ? etc .. C'était pour lui les vraies questions.

Mais des questions si loin des préoccupations quotidiennes de tous, que ses contemporains en furent dérangés, eux qui ne voulaient que faire leurs petites affaires sur le marché. Qu'est-ce que tu as fait?

pourquoi le fais-tu ? etc .. interrogeait-il. Parlant ainsi des heures, il montrait à ses contemporains qu'ils ne comprenaient rien de ce qu'ils croyaient comprendre. C'était très dérangeant. C'est la preuve que Socrate, par ses réflexions, participait à un tout autre fonctionnement de l'esprit. Et de cela, Platon a tiré une philosophie, dont nous allons esquisser quelques traits essentiels.

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- le monde des "Idées 11, un monde dont 1 'âme garde le souvenir

On sait que, dans la philosophies de Platon, les "Idées" occupent une place absolument centrale.

Il y a le monde, notre monde, qui nous séduit, mais qui bouge sans cesse et va disparaître. Cela bouge même trop, rien n'est stable. On croit être sûr de sa vie, et vingt ans après on est mort. On croit telle valeur essentielle, et trois ans après elle est remplacée par une autre. Voyez-vous, dit Platon, c'est cela que nous vivons. Mais est-ce bien la seule réalité ? non répond-il. Nous savons qu'il y a autre chose.

Il y a des valeurs qui ne périssent pas aussi rapidement, en trois ou cinquante ans, et qui même perdurent éternellement. Adhérer à de telles valeurs, c'est donc participer à un autre monde. Et cela, seul 1 'homme, parce qu'il a une âme, peut le faire ; parce que, précisément, il a une certaine connaissance de ces valeurs éternelles. L'homme vit comme entre deux mondes : d'une part notre monde, dontla réalité est claire, mais douteuse aussi, parce que tout bouge sans cesse et 'disparaît rapidement, si bien qu'on ne sait pas vraiment où est la réalité de cette réalité ; et d'autre part le souvenir qu'a l'homme, et aussi son aspiration, pour quelque chose qui ne disparaît pas de manière aussi fugitive : la beauté par exemple.

A telle époque, nous trouvons beau ceci ou cela. A telle autre époque nous allons trouver cette beauté enfmyeuse, parce que nous voudrons autre chose de plus frais ou de plus agréable. Mais, nous dit Platon : n'y a-t-il pas derrière cela l'idée d'une beauté qui perdure ? et pareillement, n'y auraiHl pas une idée de la bonté, ou de la sagesse, ou du divin, ou de l'homme, qui demeure en tout temps ? Or l'homme a le "souvenir" de telles "idées". Platon conjecture donc que l'homme a "vu" les "Idées"

avant d'entrer dans sa vie sur terre. C'est pour cela, dit-il, que l'homme peut dans sa vie avoir l'aspiration vers ces "Idées'~ .

. Dans les dialogues de Platon, on trouve sur ce sujet des éléments plus ou moins convaincants, plus ou moins amusants; souvent très beaux. Il fait par exemple une expérience avec un esclave qui, à son époque, n'avait aucune éducation ni connaissance. Il lui pose quelques questions ; partant de là, cet esclave arrive à développer des lois mathématiques qui n'ont pas été suggérées par les questions. Et Platon de dire : c'est extraordinaire ; cela montre qu'avant sa vie, il a dû en avoir une certaine connaissance parce que, depuis qu'il est né, il n'a fait que travailler et n'a reçu aucune éducation.

Autre exemple fourni par Platon : que veut dire, se demande-t-il, que quelque chose est beau ? Il regarde des choses qui sont belles, des tableaux qui sont beaux, des hommes qui sont beaux ; partant de là, il remonte jusqu'à l'idée de beauté qui se retrouve dans tous ces cas ; coll11rient, demande-t-il, se fait-il que l'homme puisse reconnaître ce qui est beau dans des choses aussi différentes ? il doit avoir connu ce que veut dire la beauté. Et Platon tient le même raisonnement pour la bonté et d'autres notions· aussi générales.

Tout cela pour dire que, selon Platon, l'âme de l'homme a connu une "vie" antérieure dans le monde des "Idées", dont elle garde le souvenir lorsqu'elle se retrouve dans un être humain. Platon développe en conséquence un concept de la vie selon lequel vivre en tant qu'être humain signifie que l'âme, préexistante, est venue dans le corps, qu'elle s'est liée au corps et qu'elle est même, d'une certaine manière, captive dans le corps.

- la signification de la mort pour Platon-

L'âme va donc jouer un grand rôle dès que l'on pose la question de l'immortalité. Car, pour Platon, la mort ne signifie alors pas, autre chose que la libération de l'âme, cette dernière conçue comme éternelle. C'est là une compréhension extrêmement positive de la mort. C'est celle qui a été vécue de manière exemplaire par Socrate ; mais qui, il faut bien le voir, prend place dans toute une conception philosophique d'ensemble dont on vient précisément de faire la description.

Platon, d'ailleurs, sait bien que tout être humain, à l'inverse de Socrate, voudrait que son âme ne soit pas si rapidement libérée de son corps. On peut certes croire que l'âme est immortelle, mais on ti~nt

quand même à sa vie. Ce qui est absolument exceptionnel chez Socrate, c'est qu'il était tellement convaincu de l'importance de l'âme et de la non-importance de son corps, qu'il a subi la mort de la manière que 1' on vient de rappelèr. Or tout le monde n'est pas Socrate.

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Qu'est-ce que cette façon de voir de Platon veut dire pour l'homme quelconque? Elle implique qu'il doit aussi entrer dans une réflexion philosophique, celle que propose Platon, pour mieux comprendre sa propre vie et renjeu de sa propre mort. Tout homme doit comprendre que la mort n'est pas tout simplement la fin, ne se définit pas uniquement comme la fin des fonctions cérébrales ou de celles du cœur, mais qu'elle est libération de l'âme et retour de l'âme dans un monde qui est plus réel, plus essentiel et plus important que le monde terrestre. Pour que 1 'homme parvienne à perdre cette

"adhérence" totale à sa vie terrestre, il faut qu'il devienne "philosophe" et qu'il commence à aimer cet autre monde, Je monde des "Idées", de façon à être un peu moins attaché aux séductions de la vie terrestre, la plus grande séduction de la vie terrestre étant justement la vie terrestre elle-même.

Nous avons donc chez Platon une conception où la mort est intégrée dans une conception plus large et où il y a une réalité plus profonde que notre réalité quotidienne. L'homme appartient à cette réalité plus profonde à travers son âme et il s'agit, dans la vie terrestre de l'homme, de donner son juste poids à l'âme et son juste 'poids au corps. Cela s'apprend en philosophant. Nous tous, selon Platon,

donnons une importance trop grande à la vie terrestre. · . ·

On a donc bien là, incontestablement, un contre-modèle à la toute-puissance de la mort, qui donne une grande place à la mort (dans combien des dialogues de Platon parle-t-on de la mort !) mais qui en même temps donne une place aussi grande, ou peut-être plus grande, à une conception antagoniste de

~rn~ ,

Le modèle chrétien de la mort.

Comme Heidegger l'a dit, l'Occident a été profondément marqué par Platon. A ses débuts, le christianisme a été fortement influencé par le modèle platonicien. Plus tard, au Moyen-Age, les théologiens chrétiens ont été marqués non plus par Pla,ton, mais par son élève Aristote. Le siècle qui va de Socrate à Aristote (en gros le quatrième siècle avant notre ère) a mis son empreinte sur plusieurs siècles de l'histoire de 1 'Europe.

· héritée des origines, il y a une interp1·étation platonicienne de la mol't, de la résurrection et de la vie éternelle

Le christianisme, à son origine et sur une assez longue période, fut ainsi s9uvent interprété à l'aide de la philosophie platonicienne. La résurrection a été comprise comme une conséquence de l'immortalité de l'âme. La mort du chrétien signifiait une libération de l'âme qui, dans l'au-delà, bép.éficiait de l'immortalité, en fonction toutefois de la conduite terrestre de l'homme, élément qui joue un certain rôle chez Platon et, on l'~ vu, jouait un grand rôle dans la religion égyptienne. La vie éternelle pouvait ainsi être bonne ou désagréable (le paradis ou l'enfer). Tout cela a été développé sur le fond d'un dualisme issu d'une banalisation de la philosophie de Platon, car Platon ne parle pas forcément de deux mondes, mais de notre réalité terrestre et d'une réalité plus profonde, un peu l'idée qu'il y a deux niveaux de réalité. Souvent le message chrétien fut interprété dans le cadre de cette philosophie infléchie vers une conception radicalement dualiste, ce qui, dans la tradition chrétienne, a conduit à un véritable mépris du corps.

Mais la conception platonicienne est-elle vraiment celle du christianisme ?

Quand j'avais 16 ans et que j'ai abordé un peu l'étude de Platon, au cours d'une promenade avec mon père, j'ai évoqué ma compréhension du christianisme, interprétant l'espoir chrétien -de la vie éternelle dans les termes ·de la philosophie de Platon. Je fus très déçu quand mon père me dit : tu te trompes. L'espoir chrétien de la vie éternelle n'est pas du tout identique à l'immortalité de l'âme telle que Platon 1 'a comprise. Or, comme nous allons le voir, mon père avait raison.

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• à l'inverse de Platon, le christianisme ne sépare pas l'âme et le corps et garde toute son importance à la mort· Péché et mort expriment la différence entre Dieu et l'homme

Il n'y a pas dans le christianisme de séparation entre l'âme et le corps comme le voudrait la tradition platonicienne. Pour le christianisme, 1 'importance du lien entre le corps et 1 'âme est tell~ qu'on ne peut ni admettre ni croire une telle séparation. La pensée biblique ne connaît pas une distinction nette et claire entre corps et âme, mais conçoit plutôt un ensemble dans laque! 1' âme est liée au corps et constitue, d'une certaine manière, le principe de vie de notre corps. La dualité qui, chez Platon, conduit à une solution séduisante de la problématique de la mort et de l'immortalité, n'est donc pas recevable dans le christianisme. C'est pour cela, d'ailleurs, qu'on parle d'une "résurrection de la chair" (nous y revenons plus loin) et non pas seulement d'une vie éternelle de l'âme. ·

. La grande différence est que, si l'on parle d'immortalité de l'âme, comme le font de nombreux '

théologiens catholiques (en donnant d'ailleurs de cette notion une version christianisée et pas seulement platonicienne), il y aurait en quelque sorte une continuité entre ce que nous sommes ici-bas et ce que nous serons après la mort, continuité qui serait en nous grâce à notre âme ; plus précisément cette continuité serait notre âme elle-même. Or, bien au contraire, toute la force du christianisme, son audace incroyable, c'est de ne pas appuyer la confiance humaine sur rine continuité de la nature humaine mais d'appuye;r notre espérance sur une continuité en Dieu.

Contrairement à la philosophie de Platon, le christianisme donne donc une très grande importance à la mort et à la douleur de la mort. Le christianisme prend la mort plus au sérieux que· la philosophie de Platon. Il reconnaît beaucoup plus le côté douloureux de. la mort. Il ne dit, en aucune façon, que la mort n'est pas tellément importante au regard de l'immortalité.

En Genèse 2 et 3 on a le célèbre récit mythique de la chute, selon lequel la mort serait advenue aux humains à cause du péché de l'homme. Dieu a dit : maintenant vous allez vivre et mourir douloureusement. Mais il faut souligner que, jamais auparavant, dans ce récit, il n'est dit que l'homme a été créé immortel. L'idée de ce récit n'est pas, selon moi, d'établir deux étapes, une première dans laquelle 1 'homme serait immortel et une deuxième où il aurait perdu cette immortalité. Ce récit vise bien plus à approfondir le sens à donner au fait que 1 'homme est mortel. L'homme se distingue de Dieu- un peu comme dans la religion égyptienne- en ce qu'il n'est pas immortel. C'est ce qui le définit. Mais en plus, dans le christianisme, et selon ce texte de la Genèse, le fait d'être mortel est relié à cette autre chose qui sépare l'homme de Dieu et qui est le péché. Dans la mort et dans le péché s'exprime toute la différence entre Dieu et l'homme. C'est pour cela que les deux sont étroitement liés. Pour autant, peut-on dire que la mort serait la punition pour le péché ? cela me semble une simplification. Saint Paul, certes, parle de la mort comme du ."salaire du péché", mais c'est quelque chose qui diffère d'une punition. N'entrons pas trop ici dans cette question d'interprétation.

·La rédemption ne peut être le fruit d'u~ effort de l'homme- C'est Dieu lui-même qui a brisé la toute-puissance de la mort

Ce qui est important et doit retenir notre attention, c'est que le christianisme prend la mort très au sérieux du fait même que corps et âme ne sont pas compris comme étant séparés. Cela veut dire que la . rédemption est tout à la fois rédemption de la mort et du péché, autrement dit qu'elle est rédemption de tout ce qui faitla profonde différence entre Dieu et l'homme. Chez Platon, l'homme surmonte lui- même, par le moyen de la philosophie, la différence entre la mortalité et l'immortalité. Dans le christianisme, par définition, ce n'est pas possible parce que la différence entre Dieu et l'homme est justement que 1 'homme est à la fois pécheur et mortel. Donc, 1 'homme, par lui-même, ne peut jamais surmonter cette différence. L'Ancien Testament, sur ce sujet, est extrêmement clair: l'homme meurt et quand il meurt il n'appartient plus à ce monde qui est le monde de la présence de Dieu.

Il y a d'ailleurs une évolution tout au long de l'Ancien Testament, au cours de laquelle on voit poindre une question : ne serait-il pas plus juste de dire que Dieu est aussi un Dieu des morts et pas seulement Dieu des vivants ? Cette évolution aboutit - en tout cas c'est la lecture chrétienne - au Nouveau Testament qui nous dit que Dieu est un dieu des morts et des vivants. Et comment cela ? non en minimisant 1 'importance de la mort, non par un mouvement de 1 ~homme vers Dieu, mais par le fait. que Dieu qui est immortel se rapproche de l'homme jusqu'à subir dans son Fils lui-même la condition

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humaine jusque dans la mort.

C'est là une tout autre conception que celle de Platon; et, par définition, cette réconciliation avec Dieu n'est pas accessible à l'homme en tant qu'homme. L'homme profite de ce mouvement de Dieu vers lui. Ce n'est pas une élévation de l'homme à l'immortalité, c'est une descente de Dieu dans la mortalité de l'homme. Cela change tout. S'il est vrai de dire que la ·mort est d'une certaine manière omni-puissante, qu'elle met une fin à notre vie, que nous ne pouvons rien faire contre cela et que personne d'autre ne peut rien faire non plus, il y a, selon la foi chrétienne, un moment où cette toute- puissance est brisée : c'est la croix du Christ sur laquelle un homme subit la mort pour les autres.

Cette idée, cette réalité, selon _la foi chrétienne, qu'un homme subit la mort non pour lui mais pour les autres, rompt la toute-puissance de la mort. L'interprétation des chrétiens- et c'est le centre de notre foi- est que c'est Dieu lui-même qui, en Jésus Christ, a subi la mort. Cela change profondément ce qu'est la mort pour nous.

La résurrection n'est rien d'autre que la confirmation de cette rupture totale, du côté 'de Dieu, de la toute-puissance de la mort.

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n'y a, d'ailleurs, dans la Bible aucune spéculation sur la manière dont cela s'est passé. Les chrétiens, par la suite, ont toujours eu envie de développer ces récits et de voir comment la toute-puissance de la mort a pu être brisée. Le Nouveau Testament, qui, en cela, se distingue des apocryphes, est très très sobre sur ce point. Nous ne savons pas comment cela se produit, mais nous croyons que Dieu, en subissant la mort de son Fils, a rompu la toute-puissance de la mort et a confirmé cette rupture par la-résurrection de son Fils, qui est_notre espoir.. '

Autrement dit, dans cette conception, la mort de Jésus-Christ sur la croix et sa résurrection . s'interprètent mutuellement. On ne comprend pas ce qu'est la résurrection, ce serait un "gadget"

magique, sans-la croix du Christ qui veut dire que Dieu lui-même était d'accord pour entrer en condition humaine. ·

- le sens de la vie éternelle

D'où des conséquences pour la conception même de la vie éternelle. Cette dernière ne signifie pas la prolongation sans fin de notre vie terrestre, idée toujours combattue dans le Nouveau Testament.

L'opposition entre la vie éternelle et la vie terrestre dépasse de beaucoup la simple constatation que, . d'une part, la vie terrestre est limitée, un peu maigre, avec des hauts et des bas alors que, d'autre part, la vie éternelle serait beaucoup plus longue, beaucoup plus heureuse, beaucoup plus régulière. Ce n'est pas du tout de cela qu'il s'agit. La vie éternelle, dans le Nouveau Testament, signifie que 1 'homme a tort de prendre sa conception de la vie comme plus importante que celle de Dieu qui a voulu entrer en condition humaine dans son Fils.

La notion de vie éternelle, dans le Nouveau Testament, n'est pas du tout une notion statique, mais une notion dynamique qui oppose à notre vie, à nos envies et à nos croyances, une vie qui est plus réelle et qui est la promesse de Dieu pour nous. L'idée de vie éternelle est celle d'1,1n bouleversement au regard de nos aspirations et non pas seulement l'idée que s'accomplisse notre désir de voir perdurer pour l'éternité notre condition terrestre. La vie éternelle est en même temps une notion provocatrice et prometteuse. Elle signifie- et Jean le dit dans son évangile de la manière la plus claire -.que ce que Dieu veut pour nous est plus important que ce que nous voulons nous-mêmes. . .

En cela, la vie éternelle peut être à la fois notre futur et notre présent. Notre futur au-delà de notre mort ; notre présent en ce sens que la promesse de Dieu peut hic et nunc s'accomplir en nous, selon la parole du Nouveau Testament "Le royaume de· Dieu est au-dedans de vous".

- La résurrection de la chair

Comment dès lors comprendre la "résurrection de la chair" , cette expression reprise dans le credo ("Je crois la résurrection de la chair et la vie éternelle") et conservée dans la confession de foi des protestants ? Il est clair que l'expression "résurrection de la chair" est, au premier degré, une formule qui veut écarter toute conception qui penserait que l'immortalité concerne seulement l'âme, celle-ci montant seule vers une réalité divine et non pas l'homme dans son entier.

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Mais il faut aller au-delà de ce premier sens. Dans le Nouveau Testament, le terme "chair", qui est très important, est en même temps très ambigu. Il joue un très grand rôle chez saint Paul etc' est lui qui en a fait le plus grand usage. Ce terme (sarx en grec), s'il signifie en premier le corps, signifie aussi, selon Paul, la volonté de l'homme de l'emporter sur Dieu. Pour lui, sarx signifie l'adhésion de 1 'homme à une vie vécue selon ses propres mouvements, conforme à la conception que 1 'homme a naturellement de lui-même, laquelle, par définition, va à 1 'encontre de la conception de Dieu. L'homme est sous la loi, mais c'est sa propre loi, c'est-à-dire sa volonté de l'emporter selon ses propres idées.

Selon Paul, c'est cela, la chair. La chair n'est pas, comme on l'a interprété pendant des siècles, la sexualité. Cette dernière n'est qu'une partie, ou qu'un aspect de la chair. La chair, c'est la vie de l'homme prise totalement en main par l'homme, ce qui aboutit toujours selon Paul au péché, c'est-à-

dire à la rébellion contre Dieu. ·

Sur ce point, d'ailleurs, la théologie et les croyances protestantes se distinguent des catholiques qui donnent un poiqs beaucoup plus important à un possible aspect positif de la nature humaine. Selon la Réforme, seul est positif ce que Dieu fait/pour l'homme et Dieu ne peut le faire qu'en s'opposant à l'homme et en contredisant ses aspirations.

Que veut donc dire finalement "résurrection de la chair" ? Cela ne veut pas dire qu'il y a continuation de ce corps en tant que tel. Cela veut dire que cette chair, qui est la nôtre et qui était en rébellion contre Dieu, reçoit de Dieu une nouvelle définition, une nouvelle nature et s'en trouve transformée. On connaît d'ailleurs un passage de saint Paul qui parle de "corps spirituel". L'idée décisive est que,·

contrairement à la conception platonicienne, ou populaire, ce n'est pas 1 'homme qui par son âme s'élève lui-même vers Dieu, mais c'est l'homme qui est sauvé par Pieu, précisément parce que Dieu le contredit et le transforme dans sa totalité. En définitive, résurrection de la chair veut dire une nouvelle conception de soi-même, absolument radicale, au point qu'un seul mot est suffisant pour l'exprimer, le mot de "nouvelle naissance".

Peut-on alors imaginer ce qu'est cette vie dans une chair ressuscitée? En bonne théologie protestante, et du fait que c'est radicalement l'œuvre de Dieu, on devrait dire que c'est hors de portée de notre imagination. Cette naissance nouvelle que Dieu nous donne et à laquelle nous ne pouvons accéder par nos propres actes, nous ne pouvons pas non plus l'imaginer. Mais qu'avons besoin de l'imaginer?

c'est Dieu qui désormais va s'occuper de nous. Que Dieu s'occupe de nous, qu'il nous prenne en mains, exprime, précisément, la contestation la plus radicale et en même temps la promesse la plus profonde de Dieu à l'égard de l'homme.

Telle est la pensée paulinienne et, en tout cela, Paul selon moi a profondément raison: la chair est la volonté profonde, qui n'abandonne jamais l'homme, de vouloir se préoccuper de lui-même et de faire plus confiance en lui-même qu'en Dieu. La résurrection de la chair signifie à l'inverse accepter que Dieu s'occupe de nous plus que nous-mêmes.

Reste alors une question. L'âme et le corps étant, selon la pensée chrétienne, inséparables et cela jusque dans la résurrection; comment concilier cette union avec le fait qu'après la mort, il y . a destr,uction physique du corps ?

La réponse peut sans doute être trouvée dans ce que nous avons déjà dit : le christianisme voit la continuité de l'homme au-delà de la mort, non dans la continuité de la nature humaine, mais dans la continuité de l'amour de Dieu. Et comme nous venons de le voir, c'est cet amour qui conduit l'homme à une nouvelle naissance. Ce n'est donc pas l'âme qui va perdurer seule, ni le corps terrestre, mais 1' amour de Dieu qui va perdurer en nous, en nous donnant un être nouveau.

- le jugement dernier L.

L'idée de jugement dernier est fort ancienne. Comme on l'a indiqué à propos du modèle égyptien de la mort, ce dernier comportait déjà un jugement des dieux qui permettait ou non de participer à l'immortalité. L'idée fut reprise par le christianisme, selon la parabole bien connue où l'on voit le Christ mettre les brebis (les bons) à sa droite et les boucs (les méchants) à sa gauche (Matt. 25 1 31-46).

Incorporé aux croyances chrétiennes, le jugement dernier est abondamment illustré aux murs de nos

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églises. On le voit au tympan de Conques, à celui d'Autun, à Vézelày, à l'intérieur de la cathédrale d'Albi, en bien d'autres lieux. On le voit aussi -_c'est peut-être moins connu - illustré sur les murs extérieurs des églises des couvents orthodoxes du nord de la Moldavie.

Or, au sujet de ce thème essentiel de la foi chrétienne, on peut dire deux choses. D'abord, pour une théologie qui s'occupe des choses dernières (l'eschatologie, un chapitre de la théologie dogmatique), il serait faux de rejeter l'héritage de cette croyance. Un cours sur la question de la fin des temps, du jugement et de la vie éternelle etc., pourrait aussi, à notre époque, commencer par une représentation d'une église romane avec une scène du jugement dernier. Il pourrait le faire parce qu'il y a là des

·éléments de vérité. La mort, nous l'avons dit, est quelque chose qui dépasse largement le constat qui peut être fait par la biologie. Une conception théologique de la mort comporte aussi le jugement de Dieu qui tranche. Nous avons tous peur de ce jugement ; mais imaginons qu'une vie humaine se passe sans que jamais il y ait un jugement: cela aboutirait. au vide, ce que nous ne pouvons ni vouloir ni imaginer. Telle ou telle théologie protestante qui remplace tout simplement le jugement de Dieu par

la grâce divine se trompe. -

Cela dit, par rapport à ces représentations trop faciles, ou trop naïves, qui illustrent le jugement, l'enjeu n'est pas de les comprendre comme Dieu tranchant entre telle ou telle âme qui va en enfer et telle autre qui va au ciel. L'enjeu est entre la volonté de Dieu et la volonté de 1 'homme : c'est là-dessus que Dieu tranche. Le jugement dernier veut dire que c'est Dieu qui aura le dernier mot sur moi.

Loin de se limiter à être la prise de conscience de la distance qui nous sépare de Dieu, le jugement dernier est ainsi une promesse de Dieu, la promesse que notre jugement sur nous sera éliminé en faveur du jugement de Dieu sur nous. Lorsque Paul dit que nous voyons aujourd'hui Dieu comme au travers d'un miroir et qu'au dernier jour nous le verrons face à face, cela ne veut pas seulement dire qu'à ce moment-là nous pourrons avoir une théologie parfaite ; cela veut dire que, à ce moment-là, Dieu nous montrera que sa vérité est aussi notre vérité, et non pas que, dans notre pensée humaine, nous saisirons sa vérité. Par le jugement dernier, qui est un jugement de Dieu, il s'agit de la promesse que nous participions à sa vérité sur nous et non l'inverse.

Finalement, en d'autres termes, nous retrouvons ce que nous avons déjà dit à propose de la résurrection de la chair : accepter que c'est Dieu ~ui s'occupe de nous ..

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