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Les mois de mai se suivent... Michel Husson, 10 Mai 2007

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Les mois de mai se suivent...

Michel Husson, 10 Mai 2007

Il est encore trop tôt pour savoir à quelle sauce Sarkozy va essayer de nous manger, mais ses sorties sur Mai 68 nous en donnent un avant-goût : « Je veux tourner la page de mai 68 une bonne fois pour toutes (...) La morale, après 68, on ne pouvait plus en parler (...) Il n'y avait plus de valeurs, plus de hiérarchie (...) Les héritiers de Mai 68 avaient imposé l'idée que tout se valait, qu'il n'y avait donc désormais aucune différence entre le bien et le mal, aucune différence entre le vrai et le faux, entre le beau et le laid ».

Ce délire franchit manifestement les bornes du bon sens quand il affirme que « la contestation de tous les repères éthiques a préparé le terrain des parachutes dorés et des patrons-voyous », rendant ainsi les valeurs de Mai 68 responsables des « dérives du capitalisme financier ». Tout cela exprime évidemment une haine profonde inscrite de manière quasi-génétique au plus profond de l’inconscient bourgeois : « dans cette élection, il s'agit de savoir si l'héritage de Mai 68 doit être perpétué, ou s'il doit être liquidé une bonne fois pour toutes ». Mais pas seulement : ce discours renvoie aussi à une interprétation critique des idées de Mai qui auraient été habilement récupérées selon une « ruse du capital » que Régis Debray évoquait déjà en 1978 dans Modeste contribution aux cérémonies officielles du dixième anniversaire. Plus près de nous, en 1999, Luc Boltanski et Eve Chiapello ont opposé dans Le Nouvel Esprit du capitalisme la « critique artiste » de Mai 68, sur laquelle a pu surfer le néo-libéralisme, à une véritable « critique sociale ». Cette lecture oublie tout simplement deux choses : les grèves de masse de mai-juin 68 et l’entrée en crise au milieu des années 1970. Les leviers de la contre-révolution libérale n’ont pas été les idées de Mai 68 mais le chômage de masse et le repli des réformistes sur le social-libéralisme.

Outre le retour à l’ordre moral, Sarkozy mobilise de manière subliminale la thèse du conflit intergénérationnel. Les soixante-huitards auraient non seulement profité des « Trente Glorieuses » et occupé les postes de pouvoir, mais aussi reporté sur les générations suivantes le poids de la dette et du financement des retraites. Plusieurs livres - dont le plus savant est celui de Louis Chauvel, Les classes moyennes à la dérive (2006) - développent cette vision impressionniste de la société. Dans un autre livre (Le destin des générations, 2002) Chauvel avait analysé la dégradation spectaculaire de la situation et des perspectives des jeunes, mais il mélange cette fois plusieurs choses : cette inversion des trajectoires n’est pas un effet de génération mais résulte de l’exposition différentielle au choc de la crise et du chômage. C’est l’épuisement du dynamisme social et non la captation par les classes d’âge plus avancées des fruits de la croissance qui en en est la cause ultime. Distinction subtile, dira-t-on, mais tout l’enjeu est justement là.

La rhétorique de Sarkozy doit beaucoup à Henri Guaino, improbable intellectuel, qui lui a concocté une synthèse tout aussi improbable entre Blum, Bush, Blair et Berlusconi. Ce vertigineux condensé est exactement de même nature que le rapprochement entre l’esprit de Mai et les golden parachutes. Bravo l’artiste, puisque les électeurs n’y ont vu que du feu. Mais c’est maintenant que les choses sérieuses commencent, autour de cette question : quelle action cohérente peut bien sortir de ce gloubi-boulga ? Si on met bout à bout les propositions de Sarkozy, on débouche en effet sur une offensive d’une extrême brutalité : plus de durée légale du travail, CPE pour tous, âge de la retraite constamment repoussé, réduction drastique des budgets sociaux et dégraissage des services publics. Seuls les retraités frileux, la boutique et le patronat en bénéficieraient. Un tel programme fait passer d’une stratégie d’encerclement et de grignotage à une attaque frontale, et celle-ci suppose de faire sauter les îlots de résistance. Voilà pourquoi service minimum et régimes spéciaux sont les cibles immédiates. Mais cette globalisation de l’offensive débouche sur une contradiction. La mise en oeuvre du programme de Sarkozy va dissoudre mécaniquement les clivages imaginaires (âge et identité nationale) sur lesquels il a fondé sa victoire et réunifier le monde du travail autour d’un clivage social beaucoup plus classique. Dans les manifestations anti-CPE, il n’y avait pas que des jeunes.

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