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Technologie et régulations dans les organisations : le cas de l'ordre de bourse dans les salles de marché

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Academic year: 2021

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https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-01690026

Submitted on 22 Jan 2018

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Technologie et régulations dans les organisations : le cas de l’ordre de bourse dans les salles de marché

François Delorme

To cite this version:

François Delorme. Technologie et régulations dans les organisations : le cas de l’ordre de bourse dans les salles de marché. Gestion et management. Université Grenoble Alpes, 2015. Français. �NNT : 2015GREAG010�. �tel-01690026�

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THÈSE

Pour obtenir le grade de

DOCTEUR DE LA COMMUNAUTÉ UNIVERSITÉ GRENOBLE ALPES

Spécialité : Sciences de Gestion

Arrêté ministériel : 7 août 2006

Présentée par

François DELORME

Thèse dirigée par M. François -Xavier DE VAUJANY préparée au sein du Laboratoire CERAG

dans l'École Doctorale Sciences de gestion

TECHNOLOGIE ET REGULATIONS DANS LES ORGANISATIONS : LE CAS DE L’ORDRE DE BOURSE DANS LES SALLES DE MARCHE

Thèse soutenue publiquement le 30 janvier 2015, devant le jury composé de :

M. Nicolas LESCA

Professeur, Université Lyon 1 (Président) M. Christophe ELIE DIT COSAQUE

Professeur, Université de Lorraine (Rapporteur) Mme Cécile GODE SANCHEZ

Professeur, Université Lyon 2 (Rapporteur) Mme Sabine CARTON

Maître de conférences HDR, Université Pierre Mendès France (Membre)

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Université Pierre-Mendès-France CERAG (UMR CNRS 5820)

Thèse pour l’obtention du titre de docteur ès sciences de gestion

TECHNOLOGIE ET REGULATIONS DANS LES ORGANISATIONS : LE CAS DE L’ORDRE DE BOURSE DANS LES SALLES DE MARCHE

François DELORME, CERAG, UMR CNRS 3820 Présentée et soutenue publiquement le 30 janvier 2015

Composition du jury

Directeur de la recherche François-Xavier de Vaujany, Professeur à l’université Paris-Dauphine

Rapporteurs Christophe Elie-Dit-Cosaque, Professeur à l’Université de Lorraine

Cécile Godé-Sanchez, Professeur à l’Uni- versité Lyon II

Suffragants Sabine Carton, Maître de conférences HDR, Université Pierre Mendès France Nicolas Lesca, Professeur à l’Université Pierre Mendès France

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L’université n’entend donner aucune approbation ni improbation aux opinions émises dans les thèses: ces opinions doivent être considérées comme propres à leur auteur.

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TABLE DES MATIERES

TABLE DES MATIERES ... 4

REMERCIEMENTS ... 8

INTRODUCTION : DE LA NECESSITE DE REGULER ET DU ROLE POSSIBLE DES TECHNOLOGIES ... 10

1 CADRE THEORIQUE COMMENT PENSER LES REGULATIONS SOCIO- MATERIELLES DANS LES ORGANISATIONS ? ... 26

Les régulations vues par les Pères de la sociologie ... 26

La règle et la convention chez M. Weber ... 29

F. Tönnies, la concorde et le contrat ... 35

Les limites de ces approches ... 37

La théorie de la régulation chez Reynaud ... 44

« La négociation fait vivre les règles » (1980 : 58) ... 44

La règle et les règles ... 46

Les limites de la théorie de la régulation sociale ... 52

Compléter la théorie de la régulation : donner une place aux objets et au sens ... 61

La matérialité. ... 62

La création de sens ... 82

Synthèse de la partie 1 ... 93

2 METHODE ET EMPIRIE : UNE ANALYSE PROCESSUELLE D’ORDRE D’ACHATS SUR DEUX TABLES DE MARCHE ... 95

L’étude de cas ... 99

Données collectées et traitements des données. ... 102

(7)

Méthode d'identification des évènements et des processus ... 118

Synthèse de la partie 2 : ... 120

3 RESULTATS : LES CAS SG ET OMEGA OU L’IMPORTANCE DU SENS DANS LES PRATIQUES DE REGULATION SOCIOMATERIELLES ... 122

CONTEXTE REGLEMENTAIRE ... 122

De la corbeille à l’informatisation des ordres ... 124

Conséquences de ces transformations ... 127

Et maintenant ? Quelles régulations et quelles technologies? ... 128

L’ORDRE DE BOURSE ... 149

Avant le passage d’ordre, la conception d’un processus. ... 150

Le passage d’ordre ... 157

Une fois l’ordre exécuté ... 183

Incidents critiques ... 200

Synthèse de la partie 3 ... 212

4 CONTRIBUTIONS, DISCUSSION ET LIMITE ... 214

Contributions ... 215

Contributions théoriques ... 215

Contributions manageriales ... 217

Quelles réponses à nos questions ? ... 221

Des différences entre des régulations difficiles à percevoir ... 222

Au-delà des différentes typologies, deux questions : le sens et le contrôle ... 223

La sociomatérialité est-elle un élément de méthodologie ? ... 238

Limites et perspectives de recherche ... 241

BIBLIOGRAPHIE ... 247

(8)

Muniesa, F. (2005) « Contenir le marché : la transition de la criée à la cotation

électronique à la Bourse de Paris », Volume 47, Issue 4, p 485–501 ... 252

ANNEXES ... 257

Cas pilote ... 257

Index des figures ... 270

Index des tableaux ... 272

Acronymes et termes techniques ... 273

Annexe 1 : Présentation du desk ... 277

Annexe 2 : description des positions fictives ... 278

Annexe 3 : l’activité de trader ... 279

Annexe 4 : description de la stratégie innovante de JK, 1° instance p25 ... 279

Annexe 5 : création d’outil par les acteurs ... 279

Annexe 6 : le cahier de procédure ... 280

Annexe 7 : échanges du 21 Juin 2010, cour d’appel ... 281

Annexe 8 : les routines ... 281

Annexe 9 : l’affordance des outils ... 281

Annexe 10 : la performativité des outils ... 282

Annexe 11 : justification du passage d’ordre par un courtier, ... 282

Annexe 12 : l’écran de saisie du trader sans limite active, 3° jours du procès en 1° instance ... 283

Annexe 13 : la question de l’auto limite posée par le Président de la Cour d’Appel ... 283

Annexe 14 : les droits d’utilisation des outils du middle office par un acteur du front office ... 283

Annexe 15 : le volume de travail d’un trader, Claire Dumas, 3° jour du procès .... 284

Annexe 16 : les 74 alertes, Claire Dumas ... 284

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Annexe 18 : les bonus du courtier avec qui JK passait ses ordres ... 286

Annexe 19 : la matérialité ... 286

Annexe 20 : capacité de décadrage des acteurs ... 287

Annexe 21 : après la fraude ... 287

Annexe 22 : EUREX ... 288

Annexe 23 : sanction de l’AMF ... 290

Annexe 24 : le mail des valeurs à négocier ... 292

Annexe 25 : les algorithmes à la disposition du grand public ... 293

Annexe 26 : copie écran d’ordre ... 294

Annexe 27 : FMI et Shadow banking ... 296

Annexe 28 : audience du procès Kerviel ... 299

Annexe 29 : confirmation d’exécution ... 300

RESUME ... 302

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REMERCIEMENTS

Je tiens à remercier vivement François-Xavier de Vaujany pour son soutien sans faille et ses conseils durant ces années de thèse.

Je remercie également les membres du Jury qui ont accepté d’évaluer mon travail : Sa- bine Carton, Christophe Elie-dit-Cosaque, Cécile Godé-Sanchez, et Nicolas Lesca.

Par ailleurs, l’Ecole Doctorale, m'a toujours encouragé, notamment Charles Piot qui m’a poussé à persévérer dans mes efforts. Marie Christine Ulrych a été également très géné- reuse en encouragements et précieuse pour son soutien logistique. Je tiens à leur expri- mer ici ma profonde gratitude.

Mes remerciements vont aussi au laboratoire "Système d'Informations" du CERAG pour leurs précieux conseils et observations.

Je remercie chaleureusement l’équipe de la Banque Oméga qui m’a ouvert les portes de sa salle de marché et a répondu à toutes mes sollicitations.

Les Moines du Couvent de Lille, spécifiquement Frère Adrien et Frère Thierry ont été là pour répondre à mes questions. Ils m’ont permis de constituer un cas pilote et de tester un premier dispositif de recherche dans un contexte où les règles ainsi que les régulations sont très présentes.

Merci à mes proches de m’avoir soutenu, ma femme Stéphanie notamment.

Merci enfin à Maura pour ses relectures.

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INTRODUCTION : DE LA NECESSITE DE REGULER ET DU ROLE POSSIBLE DES TECHNOLOGIES

De toute évidence, la spéculation est une pratique très ancienne. En 1787, le comte de Mirabeau (1787 : 104) expliquait ainsi : « L’agiotage qui s’exerce à Paris sur les effets dont le profit éventuel égare l’imagination ne peut qu’engendrer la plus abominable des industries. Et quelle compensation offre-t-elle quand son résultat unique, son dernier pro- duit est un jeu effréné, où des millions n’ont d’autre mouvement que de passer d’un porte- feuille à l’autre, sans rien créer, si ce n’est un groupe de chimères que la folie du jour promène avec pompe et que celle de demain fera évanouir »

L’histoire financière récente est jonchée de pertes abyssales dues à des traders. Certains sont mêmes devenus des symboles de la spéculation et de l’argent facile. 2008 est une année restée dans les mémoires du fait de la très médiatique « affaire Kerviel ».

Depuis, différents traders se sont fait remarquer pour avoir causé d’autres pertes consé- quentes pour des banques d’investissement : Howie Hubler chez Morgan Stanley en 2008, Kweku Aduboli chez UBS en 2011, et Bruno Iksil chez JP Morgan en 2012. Ceci ne concerne que les pertes supérieures à 1 milliard de dollars. En-deçà de cette limite, les autres cas sont probablement très nombreux, mais assez difficiles à identifier (car pour des raisons diverses, beaucoup moins médiatisés).

Vus les enjeux pour les économies nationales, on aurait pu penser que de nombreuses régulations macro ou micro-économiques seraient venues encadrer l’activité des banques d’investissement. Malheureusement, il n’en est rien. Les lois, les nouvelles structures et, pour le sujet qui nous intéresse dans le cadre de la présente réflexion, les technologies, n’ont pas vraiment été de nouveaux relais de régulations au niveau des banques.

Au niveau des états, la crise de 2007 avait ainsi vu l’émergence des accords de Bâle III, publiés le 16 décembre 2010, comme propositions de régulations bancaires.

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Elle fait partie des initiatives prises pour renforcer le système financier à la suite de la crise financière de 2007 (« Crise des subprimes »), sous l'impulsion du FSB (Financial Stability Board) et du G20, pour garantir un niveau minimum de capitaux propres, afin d'assurer la solidité financière des banques. Elle part du constat que la sévérité de la crise s'explique en grande partie par la croissance excessive des engagements, dans les bilans et hors bilans des banques (via, par exemple, les produits dérivés), tandis que dans le même temps le niveau et la qualité des fonds propres destinés à couvrir les risques se dégradaient.

Dans le prolongement de l’affaire Kerviel, le cabinet PriceWaterhouseCoopers (PwC)1 met ainsi en avant de nouvelles règles, de nouveaux contrôles dans une perspective de sécurité accrue dans les process.

La banque concernée par le drame (la Société Générale) a suivi de façon relativement stricte les recommandations de PwC. En janvier 2009, Frédéric Oudéa, Président de la Société Générale, (l’AGEFI, 8/01/2009) a ainsi déclaré : « Avec la croissance des acti- vités, nous avons recruté des jeunes gens qui n'avaient pas une expérience de la fraude.

Ils se satisfaisaient, dans une certaine mesure, des réponses qui pouvaient leur être don- nées. Et travaillaient de façon compartimentée. La création d'une équipe de contrôle transversale était nécessaire. C'est sans doute ce qui nous a manqué. Nous tendons vers un processus zéro défaut, comme dans l'industrie ». De nouvelles procédures ont donc été mises en œuvre, toutes censées favoriser la transparence et la traçabilité, en particu- lier en ce qui concerne les ordres d’achat.

Mais le problème fondamental est-il là ? Pour réguler les activités des salles de marché, faut-il finalement plus de règles et de procédures (notamment relayées par la technolo- gie) ? N’est-ce pas une vision un peu limitée des régulations organisationnelles ? Ne faut-il pas également s’interroger sur les pratiques, les conventions, les routines qui sont au cœur des métiers liés aux banques d’investissement2 ?

1https://www.societegenerale.com/sites/default/files/23%20Mai%202008%20%20Le%20rap- port%20du%20cabinet%20d'audit%20PWC.pdf

2 Au passage, on remarque que les banques d’investissement font face à un dilemme permanent : comment gérer de façon raisonnable des risques sachant que l’espérance de profit est indissociable de la prise de risque ?

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Pour reprendre les termes de Crozier et Friedberg (1977 : 34), « Le changement ne peut se comprendre que comme un processus de création collective à travers lequel les membres d’une collectivité donnée apprennent ensemble, c’est-à-dire inventent et fixent de nouvelles façons de jouer le jeu social de la coopération et du conflit, bref, une nou- velle praxis sociale ». Cette vision de l’organisation en mouvement intègre les régula- tions comme étant des « règles du jeu », sans faire de distinction entre différentes caté- gories, mais en mettant en évidence le rôle des acteurs dans la conception de celles-ci.

Or, notre propos va être précisément de retrouver dans ses « règles du jeu » ce qui relève de la règle institutionnelle, de la fabrication par le terrain, ensuite rendue pérenne par un processus de routines.

Ce qui signifie que cette « praxis sociale », et le rôle des acteurs, posent la question de la « métis », de la transformation de la réalité sociale par des inventions, de la ruse, des expériences passées, des perceptions de la réalité tenant ainsi compte des capacités in- ventives des acteurs.

En effet, au-delà des règles voulues pour assurer la stabilité, le mouvement crée lui aussi ses propres régulations rendues nécessaires par les circonstances. Les auteurs écrivent au sujet des règles (1977 : 78) « les structures et les règles gouvernant le fonctionnement officiel déterminent les lieux ou des relations de pouvoir pourront se développer ». Il y a un fonctionnement officiel et un autre officieux qui cependant n’est pas anarchique et fonctionne….avec ses propres règles. Ce dernier point n’est par ailleurs pas mis en évi- dence, tout étant résumé dans le fait que les acteurs exercent un pouvoir.

En conséquence, ils mettent en avant le fait que la vision de l’action organisée imaginée sur un modèle mécanique est un leurre, car « l’homme garde toujours un minimum de liberté et qu’il ne peut s’empêcher de l’utiliser pour « battre le système » (p42). Agent autonome, il est doté d’une « tête » (p45) qui lui permet d’ « être un agent autonome qui est capable de calcul et de manipulation ». Cela donne une vision de l’organisation

« comme le royaume des relations de pouvoir, de l’influence, du marchandage et du calcul » (p45).

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Dans un propos centré (1977 : 78) sur le pouvoir des acteurs, et leurs contrôles des zones d’incertitudes, les règles sont vues comme des espaces de stabilités que les acteurs vont chercher à maîtriser pour exercer leurs influences. (« En définissant des secteurs ou l’ac- tion est plus prévisible que dans d’autres, en mettant sur pied des procédés plus ou moins faciles à maîtriser, elles créent et circonscrivent des zones d’incertitudes organisation- nelles que les individus ou les groupes d’individus tenteront tout naturellement de con- trôler pour les utiliser dans la poursuite de leur propres stratégies »).

A l’échelle micro-économique, les problèmes de régulation semblent souvent mysté- rieux pour les gestionnaires ou les citoyens qui essaient de les appréhender. Les dispo- sitifs de contrôle sont pourtant bien là.

Du point de vue du citoyen-client, la banque est sujette à un ensemble de régulations appliquées par une hiérarchie représentée par le conseiller, puis (notamment) le chef d’agence. Tous sont épaulés par une technologie sophistiquée qui permet au banquier d’être relativement autonome (rédaction instantanée des offres de prêt, des documenta- tions d’ouverture de comptes par exemple) ou au client de gérer ses comptes sur internet depuis chez lui avec des établissements ne disposant pas nécessairement d’agences phy- siques. Il y a eu à ce titre un développement de la banque "virtuelle", sans agence (Spi- tezki, (1995) tout à fait important ces dernières années (fortunéo, boursorama, mo- nabanq, Bforbank…), en France comme à l’étranger (Leinonen, 2002).

Le triptyque acteur-régulation-technologie fonctionne plutôt bien, si ce n’est qu’il se montre parfois fort rigide pour le client qui en est une partie prenante extérieure. Cela n’est pas propre au secteur bancaire. Gomez (2013 : 110) décrit ainsi comment, dans un centre de réparation automobile, un commercial peut se voir interdire de vendre un bidon d’huile visible sur un présentoir parce que la machine ne le lui permet pas…. Il lui faut alors ruser pour se tirer de cette situation cocasse. Comment expliquer en effet qu’un bidon a porté de main se voit interdit à la vente par une machine ? Ceci prouve par ailleurs que malgré toutes les rigidités, il est toujours possible de trouver une parade….

Ayant travaillé plus de 15 ans dans le monde de l’épargne, le monde de la finance ne m'est évidemment pas étranger, et les affaires citées ci-dessus ont eu une résonnance particulière. Assumant une certaine expérience sur mon objet de recherche, différentes anecdotes personnelles ou réflexions viendront parfois ponctuer mes propos.

(16)

A diverses reprises, j’ai pu directement apprécier le lien étroit entre technologie et régu- lations organisationnelles, l’une supportant les autres. J’ai successivement exercé des fonctions de contrôleur et d’autres de gestion de fonds.

Ainsi, concernant le 1° cas, les membres de mon équipe étaient tous les jours suscep- tibles d’être interrogés par les "compliances officers", terme anglo-saxon pour désigner les contrôleurs internes, chargés de l’application des régulations émises par les autorités de tutelle. Ces salariés vérifient, notamment, que les quantités négociées sont bien af- fectées dans les temps et selon les pondérations établies antérieurement à la négociation afin que les clients ne soient pas lésés… et que les comptes ne soient pas débiteurs.

Comme le montre Langlet (2009), ce rôle est ambivalent, à la fois en charge du contrôle (et à ce titre comme le montre l’auteur, il est affublé de surnom tels « bœuf carotte »), mais aussi de l’interprétation des règles. Dès le résumé de l’article, il parle de « législa- teur de terrain ».

Concernant le 2° cas, comme gérant de fonds, négocier, brasser des fonds (qui sont ceux des clients ou d’une banque), gagner autant que faire se peut, et se rassurer quand les pertes sont là (en se disant qu’on "aura raison plus tard") sont autant de facteurs pertur- bant le (bon) sens. Il est vite facile de se prendre pour un autre… Et j’en fus moi aussi l’exemple comme l’illustre l’anecdote qui suit.

Nous avions pris de grosses positions avec un client peu de temps avant que les évène- ments d’un certain 11 septembre 2001 ne viennent déjouer nos calculs. Cependant, dans les jours qui ont suivi l’effondrement des Twin Towers, nous restions convaincus d’un retour rapide à meilleure fortune sur fond de sursaut de l’économie américaine, par fierté patriotique. Certes, les contrôleurs déjà cités ne pouvaient plus calculer correctement le plafond maximum d’achat à découvert (possibilité d’acheter avec un effet de levier) du fait de la fermeture des marchés américains qui a suivi les attentats. D’où un biais : personne ne nous donnait plus clairement la limite à respecter.

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Cependant, le bon sens aurait dû nous conduire à ne pas s’en approcher, ni même à légèrement la dépasser. De proche en proche, cela nous a amené à les franchir. Il était encore facile à cette période de déposer les ordres à affecter sur les comptes après le départ du personnel chargé de la saisie. Et voilà comment facilement fausser une posi- tion, avec des arguments aussi contestables que "il reste une vente non affectée" (quand des achats supplémentaires étaient passés) ou "il va vendre dans la journée" (quand il fallait réduire la voilure).

Il y a dans cette anecdote la perte de sens, mais aussi un jeu de cache-cache avec les régulations sur le mode du « pas averti, pas au courant ». Ce comportement n’est d’ail- leurs pas nouveau : l’étude du Faiseur de Balzac (1993), où le personnage principal, Mer- cadet, réalise une manipulation de marché qu’il commente de la façon suivante : « L'exces- sive habilité n'est pas l'indélicatesse, l'indélicatesse n'est pas la légèreté, la légèreté n'est pas l'improbité, mais tout cela s'emboîte comme des tubes de lorgnette. Bref, les nuances sont imperceptibles, et, pourvu qu'on s'arrêté juste au Code, si le succès arrive... ». Dans cette exemple, ou est la limite ?

Nous pouvons aussi reprendre la citation de M. Weber faite par Langlet (2009) : « La Bourse ne peut pas être un club de « culture éthique (…). Les capitaux des grandes banques ne sont pas davantage des « institutions de bienfaisance » que les fusils et les canons. » (1990 : 67). Langlet fait référence à la notion de « police », elle aussi provenant de Weber pour encadrer les fonctionnements des marchés financiers. De façon implicite, Weber introduit une préoccupation éthique sur laquelle nous reviendrons d’ailleurs.

Langlet (2009) parle de « tricherie », dès le titre de son article. Reprenant dans l’introduction l’exemple de deux analystes financiers licenciés pour avoir utilisé des informations privilé- giées, l’auteur montre le caractère absolu des règles en place et l’interdiction de les trans- gresser.

N’y a-t-il pas alors une contradiction entre le rôle de législateur adaptant les règles du déon- tologue et la rigidité apparente défendue ? Ou s’arrête l’adaptation possible et ou commence l’illégalité ?

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De surcroît, au-delà du calcul, au-delà des règles et des procédures, notre propre expé- rience nous a souvent amené à remarquer l’importante de l’espace et de la matérialité du

« floor ». Les ordinateurs, les interfaces, la disposition des acteurs dans la salle et le bâtiment, le positionnement des interlocuteurs sur des territoires (et des fuseaux ho- raires), les corps (plus ou moins fatigués voire exténués), sont des éléments centraux des régulations ainsi que des stratégies dédiées à leur contournement. Ainsi, dans l’exemple pris sur les positions initiées par un de mes anciens clients, l’isolement de mon bureau, sur un entresol avec un accès indépendant a-t-il été un facteur aggravant par la faiblesse des interrelations avec les autres acteurs ?

Etonnement, la littérature sur les régulations organisationnelles (au-delà d’ailleurs du cas des banques d’investissement) leur donne une place finalement bien mince.

Qu’est-ce que la matérialité (notamment d’un ordre d’achat) ? Pour Leonardi et Barley (2008: 161), « Materiality matters for theories of technology and organizing because the material properties of artifacts are precisely those tangible resources that provide people with the ability to do old things in new ways and to do things they could not do before.»

Parler de la matérialité, c’est avant toute chose, redonner une place à la matière, à la substance, dans la réflexion sur le social. Cependant, « c’est le faire dans le cadre d’un mouvement, d’une pratique ou d’un processus. » (de Vaujany et Mitev, 2014).

La matière n’est rien d’autre qu’une « rencontre » (Ibid). Elle est ce qui a une régularité sociale et matérielle dans et pour l’action collective. Pour cette action partagée et finali- sée, la matérialité, peut devenir un espace ou un outil (dont tout ou partie du corps lui- même) rencontré dans un schéma intentionnel, en particulier une instrumentation col- lective. Elle est difficile à dissocier des outils de régulations collectifs. Le répertoire de routines ou régulations, dans lesquelles vont puiser les acteurs de l’organisation est in- dissociable de schémas corporels, de signes, d’outils… Ils vont aussi permettre de les performer (en créant une situation et un cadre d’interprétation) et réguler la situation (en activant un système de règles pour les individus).

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Pour revenir sur nos exemples introductifs, les positions saisies successivement par un trader peuvent aboutir à des positions intenables, qui n’ont plus aucune signification pour lui-même. Sans retomber dans le déterminisme (Leonardi et Barley, 2008), il con- vient néanmoins, de redonner un statut et un caractère tangible à une technologie deve- nue tellement omni présente qu’elle en a perdu toute réalité. La matérialité est un voyage nécessaire dans la mesure où la dimension apparemment très symbolique du travail des banques d’investissement (manipulant des indicateurs, des cours de bourse, des actifs, des acronymes multiples…) fait largement disparaître les multiples médiations et per- formations à l’œuvre dans les outils et les technologies mobilisées par le trader. De son propre point de vue, elles perdent toute visibilité et se perdent dans le geste et les pra- tiques quotidiennes.

D’un point de vue théorique, certains travaux du champ des SI (Système d’Information) peuvent contribuer à renforcer les malentendus. En considérant la technologie comme une simple « trace mnésique » (cf. Jones et Carsten, 2008 ou de Vaujany, 2009) ou « en pratique » (Orlikowski, 2000), les chercheurs en SI qui se sont inspirés de la théorie de la structuration ont peut-être contribué à rendre les technologies de l’information trop abstraites. Ils négligent le support matériel, spatial et corporel de la technologie pour n’en faire qu’une simple abstraction cognitive, loin de toute médiation (de Vaujany et Mitev, 2014).

Cependant, les technologies de l’information sont largement « performatives » au sens où elles ne se limitent pas à représenter le monde, mais elles en sont largement constitu- tives matériellement et socialement (cf. Orlikowski, 2005). Google n’est pas ainsi un simple point d’accès ou un reflet des richesses du web. Son algorithme particulier "per- forme" le web, en valorise certains aspects pour mieux en négliger d’autres. Il est une

« technologie invisible » (Berry, 1983) qui est au cœur d’un processus signifiant et d’une construction de sens qui devraient être remis au cœur des recherches en management des systèmes d’information.

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Plus simplement encore, la matérialité même de l’objet technologique joue un rôle dans les dynamiques sociales, en particulier sous forme d’inscriptions et de médiations de règles (de Vaujany et al, 2013). Depuis plus de vingt ans, les promoteurs de la sociologie des réseaux insistent sur ce processus qu’illustre clairement la fameuse pomme de pin en fonte de Latour (1993). Un hôtelier, constatant que ses clés restaient dans les poches des clients a d’abord eu l’idée d’un écriteau pour leur rappeler de les poser avant de quitter les lieux (premier "programme"). Cela n’ayant pas d’effet (anti-programme de la part des clients), il décida alors, de joindre aux clés une pomme de pin en fonte (« anti- anti-programme »). La matérialité de l’objet créait une contrainte par la gêne occasion- née dans la poche. Par la même, une régulation se mettait en place incitant les clients à bien rendre leur clé.

L’exemple donné par Latour est très intéressant. Il nous invite à traiter d’avantage les rapports entre les acteurs sous forme de « réseaux », « relations », « associations» et

« assemblages » (le rappel oral auquel vont s’ajouter l’écriteau et le porte-clé), que des

« structures » et « infrastructures » (Latour, 2005), mais aussi de pratiques telles qu’elles se font (les pratiques quotidiennes) d’avantage que des attentes formelles (les critères de scientificité) et nous nous attarderons sur le caractère intentionnel qu’elles revêtent dans un contexte où la technologie est vue comme étant un support de régulation mécanique et systématique.

Concernant les régulations, si jusqu’à maintenant notre exemple bancaire nous montre qu’elles viennent de l’extérieure de l’organisation pour s’appliquer à une profession, l’anecdote de la pomme de pin en fonte nous prouve qu’elles peuvent être proches des acteurs et coller à une réalité locale.

L’acteur apparaît comme étant l’élément central de notre réflexion, comme utilisateur des outils et moteur des régulations. Ceci nous amène à l’étudier sous deux angles : un élément du processus de construction de sens, et une partie d’un système d’interdépen- dance.

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Tout d’abord, l’acteur peut créer du sens (notamment l’écriteau de l’exemple de Latour).

Cela nous renvoie à Weick (1995) et à sa notion de « sense making ». Par opposition aux contextes où les décisions sont prises normalement, dans un cadre défini et habituel (« decision making »), il existe des situations où les acteurs doivent improviser et créer du sens face à une situation nouvelle (« sense making »). C’est précisément ce cas de figure qui nous intéresse, parce que la technologie doit être interprétée et adaptée dans un sens pour lequel elle n’était pas forcément conçue. Mais aussi parce que les régula- tions ordinaires ne fonctionnent plus normalement, et qu’il faut aussi les adapter (con- texte nécessitant une construction active de sens).

Ensuite, comme nous venons de le voir, technologie, acteur et régulations sont liées dans le temps et dans l’espace. Ceci nous positionne dans la droite ligne de la théorie de la structuration (Giddens, 1984). Action et structure sont inséparables, formant ce que l’au- teur appelle le « dualisme structurel », avec des propriétés du structurel à la fois contrai- gnantes et habilitantes. Giddens cherche notamment à dépasser le clivage agent- struc- ture.

La question de fond posée par la théorie de la structuration3 est cependant comment l’acteur, agent transformateur, crée le changement avec une structure pré existante qui le contraint ? L’approche de Giddens est limitée dans la mesure où elle ne tient pas compte des discontinuités, voire des ruptures dans le processus transformateur (cf. no- tamment Archer, 1995 et de Vaujany, 2008 avec les perspectives réalistes critiques). Ces derniers rendent particulièrement nécessaires une démarche de création de sens, se ca- ractérisant par un renouvellement des pratiques comme nous l’avons évoqué ci-dessus avec la notion de « sense making ». Il y a donc toujours un acteur agissant, doté de capacités transformatives, comme l’hôtelier ou le trader qui tous deux innovent pour arriver à leurs fins.

3 Qui servira de contre-point de vue à une partie de notre réflexion.

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La théorie de la structuration a connu un grand succès en sciences de gestion (en parti- culier en management des systèmes d’information4) au point d’inspirer un courant dit

« structurationniste » dans le champ du management des systèmes d’information. On peut faire mention d’Orlikowski (1992, 2000) avec son modèle structurationnel et ses

« technologies en pratiques », deSanctis et Poole (1994) et leur modèle de la structura- tion adaptative, ou encore Walsham (1999) et son approche interprétative. Pour les struc- turationnistes des SI, la technologie est équivoque et pleine de possibilités. Pour certains, elle est un « potentiel structurel » (deSanctis et Poole, 1994). Elle met en perspective la dualité de ses propres caractéristiques structurelles et de celles de l’organisation. Elle peut être utilisée et pensée de façon complètement individualisée, jusqu’à ne plus être que dans l’esprit des utilisateurs s’ils se l’approprient complètement.

De façon radicale, la technologie est indissociable des pratiques, elle perd toute maté- rialité en venant se dissoudre dans le processus même de structuration (de Vaujany, 2009). Cela n’est pas sans soulever un problème majeur : la nature et le contenu même des technologies de l’information (TI) deviennent sans importance. Leur configuration matérielle et spatiale également.

Certains auteurs finissent même par ne plus vraiment présenter la technologie qui fait l’objet de l’étude (de Vaujany, 2009 ; Jones, 1999). Très récemment, le courant dit « so- cio matériel » (que l’on pourrait qualifier sans doute de post-structurationniste) a pro- cédé à une forme de rééquilibrage dont l’enjeu était de redonner un minimum de matière à la technologie sans sombrer dans les dérives du déterminisme technologique (Leonardi et Barley, 2008). Leonardi (2011) a ainsi donné le statut de « material agency » aux TI afin de souligner la possibilité d’impulsion des systèmes techniques. Il revient lui aussi sur la notion de « performativité » (cf. Barad, 2003 et Pickering, 1995). Il insiste égale- ment sur la notion d’ « affordance » (Gibson, 1986) qui permet, elle aussi, de redonner une certaine place aux objets dans la conceptualisation.

4 Cette théorie est par ailleurs utilisée dans d’autres disciplines comme les Ressources Humaines, le con-

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L’affordance est une propriété visuelle de l’objet, indissociable d’une action et d’une intention d’action. En approchant d’une porte, je devine la poignée et son affordance.

La poignée, sa position, sa forme, évoquent pour moi le geste d’ouverture. Le même raisonnement peut s’appliquer à la technologie (Leonardi, 2011). L’affordance est éga- lement une propriété visuelle de la technologie, indissociable d’une relation et d’un ap- prentissage, sur lesquels l’acteur ne peut agir : il s’agira par exemple, d’un masque de saisie sur un programme informatique. L’utilisateur ne peut pas agir sur la conception et l’ordonnancement des éléments le composant. Il y a donc une relation entre ce que peut la technologie et ce que veut l’acteur donnant à cette dernière des effets non anticipés, bénéfiques ou négatifs.

C’est en fait le contexte dans lequel l’acteur agit qui va rendre la technologie flexible.

Pour le caractériser, Leonardi (2011) reprend la notion de Giddens (1984) et Emirbayer et Mische (1998) de « human agency » pour expliciter le fait que les acteurs ont la ca- pacité de définir un objectif et de le réaliser. L’agence humaine se positionne face à une agence matérielle, les deux étant imbriquées.

L’auteur se positionne différemment d’Orlikowski (2007) qui dans une vision plus La- tourienne, rend les deux inséparables. Nous sommes ici dans une logique d’imbrication d’agences autonomes, qu’elles soient humaines ou matérielles. Pour illustrer son propos, Leonardi (2011) prend l’exemple de tuiles romaines (« Tegulae ») aux propriétés tech- niques différentes qui s’imbriquent pour couvrir un toit.

On voit dans l’introduction de ce facteur technique une évolution dans la perspective d’étude, qui est plus macro ou indéterminée chez Giddens et micro chez les structura- tionnistes puis les sociomatérialistes.

Nous allons à présent, nous intéresser à une autre notion, utilisée par Léonardi (2011), la « routine ». Il la considère comme étant flexible et place l’acteur (ou certains acteurs privilégiés) devant un choix qui est celui de la faire évoluer ou de transformer la tech- nologie pour arriver à leurs fins.

Le pouvoir de contrainte de la routine, dû notamment à son caractère systématique, nous amènera à la positionner par rapport à la régulation. Cette nouvelle notion nous conduira dans notre développement théorique à nous attarder, notamment sur les travaux de J. D.

Reynaud.

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Dans le cadre de cette thèse, nous nous positionnerons dans le courant structurationniste francophone qui s’intéresse à la question suivante : « comment l’appropriation d’une nouvelle technologie va-t-elle faire évoluer les structures sociales (en particulier celles liées aux règles et aux régulations) de l’organisation ? » (de Vaujany 2009 : 10), spéci- fiquement en situation de création de sens. Nous nous intéresserons tout particulièrement au problème des règles (le sens sur ce qu’il faut faire) et leur soubassement matériel.

Le thème de la régulation est déjà ancien pour la sociologie du travail, avec en particulier les recherches de Jean-Daniel Reynaud menées dans les années 70 et 80. Dans la préface de son ouvrage de (1989 : 14), Reynaud place l’acteur au cœur du social et de la régula- tion. Il s’intéresse à ce qu’il crée dans un contexte d’interaction des règles. Ainsi, il écrit (1989 : 150), « ce que produit une négociation collective, ce sont des règles (…) ce que j’appelle régulation (…), c’est la création de règles. ». Il faut donc percevoir l’acteur comme étant doté d’une rationalité limitée, contextuelle, et agissant afin de créer du sens face à un problème à résoudre.

Comme nous l’avons évoqué, la technologie est devenue un élément essentiel de la vie courante dans les organisations. Elle est un implicite (« taken for granted ») de beaucoup des actions et capacités organisationnelles. Elle aussi contraignante et habilitante pour les acteurs qui l’utilisent, elle va influencer les dynamiques organisationnelles sans les déterminer.

Ainsi, si « la technique ne commande pas l’organisation » (Reynaud, 1989 : 18), elle est loin d’être neutre et de se limiter au rôle d’un outil ou d’instrument rare et transparent.

Reynaud avait-il anticipé la prolifération des outils et technologies de contrôle dans les organisations? En particulier le développement des technologies de l’information qui sont supposées médiatiser ou relayer des procédures et des règles organisationnelles ? N’était-il pas, par ailleurs, dans une logique de séparation radicale du matériel et du social, qui ne peut qu’inviter à relever la centralité de l’un au détriment de l’autre ? Nous allons en conséquence nous interroger dans ce travail doctoral sur la question sui- vante : comment la technologie, fruit de la pratique des acteurs, va-t-elle générer des régulations et permetre de faire sens ?

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Dans une première partie, nous nous intéresserons aux pères de la sociologie (notam- ment Weber). C’est dans le contexte de ces travaux séminaux que les règles, les excès réglementaires et la bureaucratie ont fait l’objet de nombreux développements utiles à notre réflexion. Nous mettrons en évidence le manque de vision temporelle et l’absence de vision dynamique pour les objets qui nous intéressent. Nous poursuivrons avec une présentation des théories de la régulation, traitant plus spécifiquement de la probléma- tique temporelle. Nous nous arrêterons sur une limite importante : l’absence d’une vi- sion sociomatérielle.

Nous achèverons cette première partie par une présentation des approches socio maté- rielles. Nous verrons comment elles pensent la technologie et ses usages. Le croisement des deux notions nous amènera à comparer les visions de Leonardi (2011, 2012) et Or- likowski (2007) et à tenter de dépasser leur opposition. Pour ce faire, nous intégrerons à notre réflexion les apports de Weick (1979, 1995) avec sa notion de « sense making ».

La seconde partie portera sur notre cadre méthodologique. Nous détaillerons la méthode des cas qui a été au cœur de notre travail, de la réalisation d’un cas pilote jusqu’à l’éla- boration de deux cas majeurs. Le cas pilote nous a servi à affiner notre question de re- cherche et tester une partie de notre méthode (notamment nos grilles d’entretiens). Les deux cas majeurs (la Société Générale avec l’affaire Kerviel et une banque d’investisse- ment que nous appellerons Omega) ont été l’occasion d’approfondir le pré-modèle évo- qué à la fin de notre partie I. Dans une section à part, nous présenterons également les techniques que nous avons mobilisées afin de traiter nos données et de les mettre en forme (en particulier en ce qui concerne les ordres d’achat).

La troisième partie, centrée sur les résultats, sera l’occasion de développer nos cas pi- lotes et de détailler nos cas majeurs. Les deux cas majeurs (SG et Omega) nous permet- tront d’étudier la vie d’un ordre de bourse et ses différentes dimensions sociomatérielles.

L’ordre de bourse est d’abord conçu, puis transmis au choix du donneur d’ordre sur une place de cotation totalement informatisée, soit par un outil de saisie électronique, soit par un acteur physique sur une table de marché. Il revient ensuite chez le donneur d’ordre sous forme de mouvement monétaire et comptable : il faut recevoir ou livrer des titres en échange de fonds. Chaque étape est mobilisée pour comprendre les dimensions socio matérielles d’une phase particulière de l’ordre de bourse.

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Avec le cas Société Générale (et l’affaire Kerviel), nous mettrons en évidence les con- séquences en termes de traitement de l’information du choix du moyen de passage de l’ordre. Selon que le trader le passait sur un automate ou sur une table de marché, les incidences étaient différentes et les stratégies pour camoufler ses ordres fictifs, l’étaient tout autant. Ces mêmes ordres fictifs ont permis de mettre en lumière le fonctionnement de la vie de l’ordre une fois qu’il était exécuté.

Mon expérience professionnelle actuelle, dans le service back office de la banque Théma5, sera mise à contribution afin de rendre explicite cette partie du traitement de l’ordre. Au terme de notre analyse du cas Société Générale, nous avons jugé nécessaire d’aller vers un second cas. En effet, il nous manquait un élément pour comprendre le processus : la vie de l’ordre sur une table de marché, depuis sa réception jusqu’à son exécution. Ce fut chose faite grâce à la Banque Oméga.

Nos entretiens sur le cas Omega nous ont permis de mieux comprendre les pratiques des traders (insuffisamment traitées dans le cas Kerviel que nous avons construit essentiel- lement à partir de données d’archives). Les traders (autrement appelés « vendeurs » ou

« sales traders ») ont un rôle d’animation commerciale que valorise notre cas. Ils doivent donner les informations les plus pertinentes pour susciter en retour un ordre. Cette phase de conception de l’ordre nécessitera deux entretiens spécifiques.

Enfin, dans le cadre d’une quatrième partie, nous proposerons une discussion détaillée de nos résultats. Nous évoquerons les limites, contributions (théoriques, méthodolo- giques et managériales) de notre recherche.

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1 CADRE THEORIQUE COMMENT PENSER LES RE- GULATIONS SOCIO-MATERIELLES DANS LES OR- GANISATIONS ?

Dans le cadre de cette première partie, nous allons définir la règle, depuis la vision des Pères de la sociologie jusqu’à celle plus actuelle qui mélange technologie et régulations.

Nous commencerons par présenter les travaux séminaux avant de discuter de leurs li- mites pour notre projet de recherche.

Les régulations vues par les Pères de la sociologie

La question de la règle est presque aussi vieille que la sociologie. Elle est dans tous les cas indissociable de la question plus large du social et de sa stabilité. C’est par cette notion que nous allons introduire notre propos. Nous allons faire un petit détour histo- rique visant à rappeler que l’acceptation du mouvement dans les organisations n’est pas allée de soi. Au contraire, la recherche de stabilité et des invariants, voire la négation de toute évolution, a longtemps prévalu dans la réflexion sociologique.

Adoptant une perspective historique sur les sciences sociales, Bouthoul (1954) traite dès le début de son ouvrage des facteurs de variations sociales et des conditions permettant la stabilité. Il commence par expliquer comment l’idée d’évolution des organisations est née et a été acceptée sur un temps long.

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L’auteur remonte ainsi à Platon. Pour le philosophe, l’objectif de la Cité, organisation de référence, est l’immuabilité qui garantit l’harmonie. A l’opposé, le changement induit le mécontentement et l’imperfection. Dans le même souci de préservation de l’harmonie, Platon invite à maîtriser la démographie, à la fois par le contrôle des naissances et l’en- cadrement des activités par des corporations. Enfin, il bannit de la Cité les esprits per- turbants, c'est-à-dire les créateurs. Tout doit être contrôlé. Si l’on replace cette utopie dans son contexte, il faut se rappeler que les cités grecques ont connu un fort dévelop- pement dû à la poussée démographique et au commerce. Cela aurait incité à des guerres de conquêtes afin de subvenir à une population grandissante et de acquérir de nouvelles richesses.

Mais comme le précise Bouthoul (1954 : 7) : « Platon découvre la loi principale des variations sociales : la société est un tout complexe dans lequel tout se tient. (…) Ac- cepter le changement, c’est tôt ou tard tout remettre en question ». L’auteur souligne que chez Platon, toute idée d’évolution et de progrès est absente.

Déjà les penseurs grecs que citent Bouthoul, (Zénon, Epicure et Diogène) se posaient la question de savoir comment se prémunir des perturbations sociales de leur époque ? La question (que l’on pose ici de façon anachronique) des régulations est donc ancienne.

L’auteur, à ce stade de la réflexion, introduit un nouvel acteur dans l’organisation : le sage. Auparavant, chez Platon ou Aristote, le pouvoir revenait à un despote ou à une aristocratie, qui agissait. Ici, c’est le Sage qui décide. C’est lui qui va faire œuvre de distance et de lucidité pour résoudre les problèmes, sans céder aux passions et aux pres- sions.

Bouthoul (1954) rappelle que la pensée chrétienne a eu une influence déterminante sur la préhension de ce concept de perturbation sociale. En séparant le religieux du terrestre (« rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu »), cette vision a été un choc dans le monde des premiers chrétiens, car elle conduit à se désintéresser de la vie de l’Etat (et du culte de l’Empereur à cette époque), et à ne lui demander que le respect de cette liberté. Saint Augustin oppose le monde idéal et divin au chaos terrestre dans lequel il faut s’efforcer de faire régner la justice et la charité. L’idéalisme chrétien ac- cepte les variations et les perturbations, dans la mesure où elles permettent d’atteindre une fin morale.

A ce stade, seule l’acceptation des variations sociales est un fait acquis.

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Simmel (1917)dans « Sociologie et épistémologie » donne un éclairage sur les perma- nences qui permettent aux organisations d’assurer leur survie. Là encore, le souci de la stabilité et l’angoisse du mouvement prédominent.

En effet, comment une organisation peut-elle se maintenir alors même que ses membres se renouvellent ? Son étude s’appuie sur des organisations vastes, puissamment structu- rées, et composées d’une multitude d’individus. Il s’agit de l’Eglise, de l’Etat, et de l’ar- mée, organisations « intemporelles » puisqu’elles ont traversé toutes les périodes sans évolutions fondamentales. Ainsi, l’auteur écrit : « l’unité des groupes s’objective dans un groupe », il donne l’exemple de l’Eglise et du clergé, de l’armée ou de l’administra- tion pour l’Etat. Cela permet de dépasser le stade de l’individu, et d’incarner l’organisa- tion comme réalité, par un ensemble d’acteurs.

Pour Simmel (1917), il s’agit d’assurer une stabilité à l’organisation, puisqu’il va même jusqu’à parler d’immortalité. Des règles, des coutumes et des outils permettent aux in- dividus de passer sans en altérer le fonctionnement. Le but est de faire en sorte qu’avec des individus « formatés », l’organisation ne dépende d’aucune individualité, et puisse voir ses effectifs évoluer au fil du temps. Ceci signifie, de manière sous-jacente, que les règles perdurent dans l’organisation alors même que les acteurs changent, et qu’elles s’apprennent via un groupe qui assure la stabilité. L’acteur, individu agissant et poten- tiellement créateur de règle est absent.

Si la stabilité est, entre autre, assurée par la règle car elle permet une reproduction des pratiques et donne un sentiment de « sécurité ontologique » (Giddens, 1984). En rédui- sant l’angoisse face au changement, elles permettent à l’acteur d’agir.

Mais la règle n’est pas encore clairement abordée. Il nous faut pour cela s’intéresser aux travaux de M. Weber et de F. Tönnies. Le 1° ayant théorisé la règle, le 2° ayant eu une approche en termes d’organisation spécifique, portée par des formes de règles propres à chacune d’elles, la concorde et le contrat.

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La règle et la convention chez M. Weber

Weber s’est centré sur une approche rationnelle et systématique du social. Elle est autant mise en avant par Weber dans la sociologie de la domination que dans la sociologie du droit. La première version de la sociologie de la domination affirme déjà, comme carac- téristique centrale de la domination rationnelle, que la validité du pouvoir de comman- dement s’exprime dans un système de règles édictées qui, en tant que normes s’imposant à tous, permet l’obéissance (1922 : 611).

De manière analogue, la dernière version parle d’un cosmos de règles abstraites se ma- nifestant sous la forme d’un ordre juridique spécifique (1922 : 291). Dans la sociologie du droit, Weber présente en outre la transformation du droit en un « système clos de concepts devant être appliqués de manière rigoureuse » (1922 : 663) comme le résultat principal de la rationalisation du droit.

Ce type d’organisation implique un « perfectionnement de la domination », puisqu’elle garantit au maître la possibilité de piloter complètement, principalement au moyen de règles formelles. L’activité de l’ « état-major administratif » est ainsi fixée et bridée.

La réponse de Webertourne autour de deux concepts essentiels, étroitement liés l’un à l’autre : la « mécanisation » et la « disciplination ». Weber emploie déjà la métaphore de la machine à propos du droit rationnel (1922 : 468), dont il considère que les carac- téristiques essentielles sont la systématicité et la calculabilité. Le sociologue était en accord sur ce point avec toute une tradition remontant au début des Temps modernes.

Celle-ci pensait la spécificité du droit en lien avec la garantie de décisions uniformes et régulières, et avait illustré ces propriétés en comparant son fonctionnement avec celui des horloges. La constitution de systèmes administratifs organisés de manière rationnelle est doublement tributaire de ce modèle : les autorités administratives sont articulées les unes aux autres de manière méthodique, en suivant un plan, afin de limiter le plus pos- sible les pertes dues à la friction entre les éléments. La manière de travailler de l’admi- nistration est rationnelle, au sens de mécanique, puisque les autorités administratives subalternes ne disposent que de marges de manœuvres limitées en ce qui concerne l’ins- truction et l’appréciation des faits. Leurs actions suivent des normes rigoureuses.

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L’organisation bureaucratique dans son ensemble est vivante et comme la machine (morte) du fait de la technique, elle organise les éléments en mouvement d’après un plan d’ensemble donné au préalable (1922 : 322). Bien entendu, Weber sait que cette machine vivante ne se compose pas de déclics, de ressorts et de maîtres-cylindres, mais d’êtres vivants. Seulement, on fait passer à ces êtres vivants, dans l’organisation bureaucratique, toute envie de prendre des initiatives personnelles et de les défendre. Cela passe, bien sûr, par la contrainte directe, mais la menace de sanctions allant jusqu’au renvoi n’est qu’un élément parmi d’autres, et ce n’est sûrement pas l’élément décisif.

Ce qui importe plus, c’est d’attacher les agents à des fonctions uniques, à un savoir spé- cialisé, borné par la fonction qu’ils doivent remplir, ainsi qu’à l’obéissance formelle qui fait que la personne concernée agit « comme si, par pur respect de l’ordre en tant que tel, elle avait fait de son contenu la maxime de sa conduite, et cela simplement en vertu du rapport formel d’obéissance, sans tenir compte de ce qu’il pense personnellement de la valeur ou de la non-valeur de l’ordre comme tel » (1922 : 123).

Weber évoque aussi, à côté des motifs rationnels et traditionnels qui viennent d’être mentionnés, pour fonder une domination stable (1922 : 475) le fait que la règle ait besoin d’implication de la part des acteurs qui la mettent en pratique.

Dans le premier paragraphe consacré aux « Types de domination », Weber (1922 : 286) ajoute le motif à l’ensemble des raisons qui déterminent l’obéissance, et résume ainsi son propos : « Lorsque l’alliance entre le détenteur du pouvoir et la direction adminis- trative repose sur des motifs purement matériels et rationnels du point de vue téléolo- gique, cela signifie qu’elle est relativement instable. Généralement, d’autres motifs – affectifs ou rationnels – s’y ajoutent. Quand on sort du quotidien, ces derniers peuvent être, à eux seuls, décisifs. Dans le quotidien, la coutume et, avec elle, l’intérêt matériel dominent cette relation comme tant d’autres. Mais la coutume ou l’intérêt, pas plus que les motifs d’alliance purement affectifs ou purement rationnels du point de vue axiolo- gique, ne peuvent constituer des fondements fiables pour une domination. »

La banque présente par bien des aspects, un fonctionnement proche du modèle We- berien. Chaque acteur dispose de sa fonction, de ses clients, de ses attributions. Ceci bien aidé par des systèmes informatiques dans lesquels les droits des utilisateurs cloi- sonnent chacun et donnent à d’autres des possibilités de contrôle.

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Cette volonté de rationalité a deux conséquences : d’abord, elle rattache la Banque au secteur des organisations hautement fiables dans lesquelles les processus et les régula- tions doivent permettre une sécurité. Les exemples introductifs prouvent qu’il n’en est rien et qu’il faut probablement chercher la fiabilité ailleurs que dans les règles.

La pensée wébérienne se développe donc de la manière suivante : la domination ration- nelle est la domination d’un ordre impersonnel et systématique, d’un droit qui fonctionne

« comme une machine techniquement rationnelle » (1922 : 164). La bureaucratie n’est pas seulement, dans l’esprit de Weber, un instrument de réalisation de la domination rationnelle. Elle obéit aussi à une logique qui lui est propre et, dans certaines circons- tances, elle peut entrer en collision avec la domination rationnelle ou avec le maître de l’organisation. Les mêmes caractéristiques qui fondent la supériorité de la bureaucratie sur toute autre forme d’administration peuvent conduire à ce que, de simple moyen, elle devienne une fin en soi. La « supériorité de celui qui dispose d’un savoir professionnel » (1922 : 671) c’est-à-dire du savoir spécialisé et du savoir de service acquis dans l’exer- cice de ses fonctions, met la bureaucratie en position de se soustraire au contrôle poli- tique et de suivre ses propres intérêts, quel que soit, souligne Weber, le régime politique en vigueur.

Il y a cependant un certain cap au-delà duquel l’accumulation de règles confine à l’excès.

C’est ce que nous allons, à présent, étudier avec la dérive bureaucratique décrite par Weber.

Elle se manifeste dans le secteur privé de l’économie capitaliste dont les plus grandes entreprises sont « normalement des modèles inégalés d’organisation bureaucratique ri- goureuse » (Weber (1922 : 661)). On la retrouve dans chaque atelier d’usine « où la discipline, de son côté, ne se distingue plus essentiellement de celle qui régit un bureau d’État ni, en définitive, de celle qu’exige une autorité de commandement militaire » (Weber, 1922 : 605).

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La dérive de la règle et la bureaucratisation de l’Allemagne apparaissent aux yeux de Weber comme un exemple de rupture de la rationalisation, de développement qui prive le droit et l’administration de leurs propriétés les plus importantes : leur automaticité et leur caractère instrumental. Mais il ne faudrait pas penser que la perte de cette qualité tient à ce que le droit et l’administration s’émancipent des normes matérielles. En fait, elle tient à ce qu’ils ont brisé le « ressort » qui alimentait le mécanisme : l’autorité d’un

« chef » politique conçu comme n’étant pas soumis, quant à lui, à l’ordre bureaucratique.

En conséquence, l’antidote envisagé par Weber ne consiste pas, d’abord, à diffuser des normes matérielles (bien qu’il ne fasse, à cet égard, pas preuve de retenue dans ses écrits politiques), mais à créer des conditions qui renforcent la position du maître, le mettant dans une position d’un « tyran imposant la rationalisation ». Toute la théorie politique de Weber tourne autour du problème de savoir comment engendrer suffisamment d’énergie pour maintenir la bureaucratie dans une fonction de simple instrument, et pour canaliser sa dynamique régressive propre.

La dérive de la règlementation aboutit à un « phénomène bureaucratique », pour re- prendre l’expression de Crozier (1964). La bureaucratisation est un phénomène univer- sel. Saint Exupéry dans Pilote de guerre la décrit ainsi : « À 10 000 mètres d’altitude, les commandes gèlent de même que les mitrailleuses. On pourrait dire au moins qu’à cette hauteur on est en sécurité. Oui mais voilà, à cette altitude les mitrailleuses et les commandes des Messerschmitt 109 ne gèlent pas elles. »

Saint-Exupéry évoque alors la persistance de l’administration française qui par son ca- ractère anonyme et paralysant, engendre des échecs. Cette même administration est in- capable de faire adapter les avions. Elle décide aussi la réquisition du bétail pour nourrir les troupes. Elle a ordonné l’abattage des génisses pleines, encombrant les abattoirs de cadavres de veaux, en pleine guerre.

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Pour la période récente, on pourrait également faire mention des travaux de Crozier (1964) sur le phénomène bureaucratique observé à la SEITA et à la CNAM, deux orga- nisations étatiques et monopolistiques. Les commentaires faits de cet ouvrage par J. D.

Reynaud (1964 : 337-340) sont particulièrement intéressants. Nous y trouvons des thèmes qui ressortiront plus tard dans ses ouvrages. Il précise que les attitudes relevées ont une valeur collective. En dépit de ce que Reynaud appelle une « constellation de comportements individuels », il y déchiffre des attitudes communes à des groupes. C’est flagrant lorsque Reynaud écrit qu’ « une organisation n’est ni une machine bien montée dont l’analyse relève seulement de critères d’efficacité, ni un « système social » (…).

Ou plutôt, elle est les deux à la fois ». Il met alors en évidence que l’organisation est composée de règles et d’individus qui les mettent (ou non) en application. Cette attitude est aussi vraie dans les bureaucraties que dans les autres organisations.

Reynaud suggère ainsi que l’apport principal de Crozier à la compréhension du phéno- mène bureaucratique tient dans son éclairage sur les règles et leur mobilisation par les acteurs dans des logiques de protection. Empêchant celles-ci de se modifier et de s’adap- ter, elles amènent ensuite l’organisation à ne plus évoluer que par crises et non constam- ment. La régulation devient inerte. L’analyse de Crozier porte, par ailleurs, sur les dif- férences de bureaucraties prises selon les cultures. Effectivement, en France, elle se ca- ractérise par des liens interpersonnels faibles, un pouvoir centralisé faible, alors même qu’aux Etats-Unis, les rapports sont nettement judiciarisés et divisés fonctionnellement.

J’avais pu voir ce réflexe bureaucratique dans le cas cité plus haut du client ayant pris de grosses positions à l’achat avant le 11 septembre. L’effondrement de tours, la sus- pension des cours à Wall Street rendait tout calcul automatisé impossible. On était alors revenu à la machine et au papier… en excluant des valeurs de premier plan qui ne pou- vaient coter (Philip Morris, ou General Electric). Le cadre règlementaire était sujet à caution et pourtant, le réflexe bureaucratique fonctionna. Chacun se repliant sur soi en essayant de faire porter la responsabilité de cette position à l’autre. Plus d’interrelation, ni de recherche de sens. Je restais moi-même cloisonné dans mon bureau avec pour seul interlocuteur mon client. Chaque jour gagné à maintenir nos positions face aux questions des contrôleurs, pressé de surcroît par mon supérieur hiérarchique qui me trouvait tout à coup bien embarrassant.

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Le Directeur de l’établissement lui-même, conscient de l’importance de ce client dans le microcosme local était lui aussi pressé par sa hiérarchie de voir ce problème traité : la règle devait être appliquée. Il fallait que les ratios redeviennent ce qu’ils auraient dû toujours être, quitte à vendre à perte. Chacun se réfugiant derrière cette règle. L’explo- sion de l’usine AZF6 le 21 Septembre faisait encore baisser les marchés financiers et achevait de convaincre les contrôleurs qu’il fallait définitivement en sortir et vendre. Le client vendit son portefeuille, au plus bas du marché. La règle l’avait emporté, matéria- lisée par un courrier intimant l’ordre au client de régulariser sans délai par la vente ou l’apport d’une somme conséquente.

Etait-il possible, dans ce contexte vraiment spécifique de donner un sens à des règles manifestement dépassées par des circonstances exceptionnelles afin d’éviter cette crise?

Dans ces circonstances, les règles sont-elles le seul moyen de réguler une organisation?

Nous allons à présent étudier la convention chez Weber.

Pour Weber (1922), cité par Orléan (1995)), un ordre est légitime quand se manifeste une incitation à s’y conformer d’un type particulier « A notre sens, la légitimité d’un ordre signifie quelque chose de plus qu’une simple régularité dans le déroulement de l’activité sociale, conditionnée par une coutume ou par une situation commandée par l’intérêt » (64). Pour Weber, la légitimité est liée avec l’obligation ou l’exemplarité.

Ainsi, l’ordre légitime est perçu par les acteurs comme « devant être ». La légitimité a donc des conséquences sur la stabilité de l’ordre : « C’est un fait que l’orientation de l’activité d’après un ordre a normalement lieu, chez les participants, pour des motifs très divers. Cependant, le fait que, à côté des autres motifs, l’ordre apparaisse au moins à une partie des agents comme exemplaire ou obligatoire, et par conséquent comme de- vant valoir, accroît naturellement la chance qu’on oriente l’activité d’après cet ordre, et souvent dans une mesure très considérable. L’ordre que l’on respecte uniquement pour des motifs rationnels en finalité est … incomparablement moins stable que celui qui s’affirme grâce au prestige de l’exemplarité et de l’obligation, je veux dire de la légiti- mité ».

6 « Le monde », 22 Septembre 2001 : «au moins 10 morts et plus d’une centaine de blessés lors d’une explosion dans une usine de Toulouse »,

« le figaro », 24 Septembre « les mystères du drame de Toulouse »,

« le figaro », 4 Octobre : « Toulouse : l’hypothèse terroriste »,

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En conséquence, Weber distingue deux ordres légitimes : la convention et le droit. « Nous entendons par « convention » la « coutume » dont la (« légitimité ») est approuvée au sein d’un groupe humain et qui est garantie par la réprobation de tout écart ». Dans le cas du droit, la légitimité « est garantie extérieurement par la chance d’une contrainte (physique ou psychique), grâce à l’activité d’une instance humaine, spécialement insti- tuée à cet effet, qui force au respect de l’ordre et châtie la violation ». Ce qui signifie que dans les deux cas, la contrainte est omni présente. Cependant, dans le cas de la con- vention, elle n’est pas identifiable : « L’observation de la convention … est « exigée » de façon absolument sérieuse des individus comme quelque chose d’obligatoire ou d’exemplaire, et n’est nullement laissée à leur discrétion - comme dans le cas simple de la « coutume ». Le manquement à une convention est donc durement ressenti, et même avec plus de dureté que ne le ferait une contrainte, du fait des conséquences d’une sanc- tion sociale.

On retrouve chez Weber (1922) la description d’une famille dominée par la convention.

Il décrit comment la famille comme consommant sa production et à ce titre n’a pas né- cessité à acheter ou vendre. Il s’attarde ensuite sur le développement du commerce, ex- cédents non consommés des campagnes et objets de luxe.

Nous allons à présent nous attarder sur les travaux de Tönnies sur la convention, et son opposé, le contrat. Il traite spécifiquement des conséquences organisationnelles de cha- cune d’elle. Le fait notamment de l’intériorisation de la règle et de ces conséquences en termes de sanction est un facteur important sur la forme que prend l’organisation.

F. Tönnies, la concorde et le contrat

En 1887, F. Tönnies publie « communauté et société », livre dans lequel il distingue deux formes d’organisation distincte : la « communauté » et la « société », la première étant basée sur l’échange, la deuxième sur le contrat. Ce sont ces deux notions que nous allons à présent étudier.

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La communauté est caractérisée par l’échange réciproque qui régit les relations entre les habitants des villages et entre les villages entres eux. On ne retrouve cependant pas dans cette description les apports de Mauss (1925), et la valeur symbolique de l’échange. La symbolique de l’échange renvoie aussi à de l’informel qui dépasse largement la valeur marchande des biens. Comme le rappelle Alter (2000 : 295), il comporte trois phases : donner, recevoir, rendre. Sans cette dernière phase, la nature de l’échange est par défi- nition brisée, ce qui aura des conséquences en terme organisationnelle, ce que nous al- lons à présent étudier. Il apparaît par ailleurs clairement que la nature de l’échange et de la régulation utilisée ont une incidence sur la forme organisationnelle.

En termes d’organisation, Tönnies (1887) formalise dans l’idéal-type de la communauté, l’organisation berceau de la convention. Elle est centrée sur la concorde ou le consensus (selon la traduction de terme allemand « Verständnis ») entre les membres, c'est-à-dire sur une adhésion spontanée aux règles. Cette harmonie ne se produit pas à la suite d'une entente préalable, d'un contrat antérieurement débattu et portant sur des points détermi- nés. Mais elle est un produit nécessaire de la nature des choses, de l'état des esprits.

Quand les conditions sont favorables et que le germe d'où elle naît est donné, elle croît et se développe. Le type le plus parfait de l'espèce de communauté est la famille. Chacun travaille, non en vue d'une rétribution, mais parce que c'est sa fonction naturelle, et il reçoit en retour une part de jouissance que déterminent, non la loi de l'offre et de la demande, mais la tradition, le sentiment du groupe représenté généralement par la vo- lonté du chef.

Puisqu'il n'y a pas d'échange, mais don, il ne saurait y avoir de contrat. Le contrat sup- pose deux individus en présence, dont chacun a sa volonté, ses intérêts, sa sphère d'ac- tion, d'une part, et de l'autre un objet qui passe des mains de l'un dans celles de l'autre.

Or, on vient de voir que ces conditions ne sont pas réalisées dans la pure communauté.

Au sein du groupe il n'y a pas de mouvements, pas de changements dans la distribution des parties, puisqu'il n'y a pour ainsi dire pas de parties. La vie du groupe n'est pas l'œuvre des volontés individuelles, mais elle est tout entière dirigée par les usages, les coutumes, les traditions. Opposant le mot de « statut » au mot de « contrat » et d'une manière générale à toute relation qui résulte d'une entente, l'auteur se sert de la première expression pour caractériser la communauté.

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