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En juillet 1996, trois jours après son arrivée à Harare, AFRICAINES D HIER ET D AUJOURD HUI. Lucy Mushita

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E

n juillet 1996, trois jours après son arrivée à Harare, une petite Française de 6 ans demandait à ses parents quand ils allaient enfin arriver en Afrique. Alors qu’ils lui assuraient qu’ils y étaient déjà, ne les croyant pas, elle ajouta : « Non, pour de vrai, quand est-ce qu’on arrive ? » Ils ne trouvèrent aucun moyen de la convaincre qu’ils étaient bien sur le continent africain, et la pauvre enfant éclata en sanglots, sûre que les adultes se moquaient d’elle. Sans pouvoir décrire ce qu’elle imaginait, le Zimbabwe de 1996 ne correspondait pas à l’idée qu’elle se faisait de l’Afrique.

Cette petite fille n’est pas la seule que l’Afrique étonne. Nom- breux sont en effet les gens qui, sans avoir jamais mis les pieds sur le continent, s’en font néanmoins une idée très précise. Si celle-ci varie selon leur génération, ou leur pays, à peu près tous ont l’air de croire que l’Afrique, du Cap au Caire, est un seul et même continent, un seul et même pays, avec une seule et même langue et une seule et même spécialité culinaire. Pour eux, l’Afrique est noire, pauvre,

AFRICAINES D’HIER ET D’AUJOURD’HUI

Lucy Mushita

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Née en Rhodésie (aujourd’hui le Zimbabwe), Lucy Mushita a été éducatrice pour enfants handicapés, réceptionniste et comptable avant de s’installer en France en 1986. Elle est formatrice dans des multinationales et professeur d’anglais dans des écoles d’ingénieurs et de commerce. Elle est l’auteur du roman Chinongwa (Actes Sud, 2012).

› lvmushita@gmail.com

chaude, sèche, malheureuse et affamée.

C’est comme si l’on voyait l’Amérique (de Barrow, en Alaska, à Ushuaia, en Argen- tine) comme un seul et même continent, un seul et même pays, abritant un seul et même peuple, avec une seule et même langue, une seule et même philosophie, religion et spécialité culinaire.

Cette image a été alimentée notamment

par la littérature et l’art coloniaux sur l’Afrique, qui ont modelé les esprits de plusieurs générations successives. Écrite principalement par des hommes, la littérature du XIXe et du début du XXe siècle foisonne de flibustiers romantiques et fanfarons, comme les héros d’Au cœur des ténèbres, de Joseph Conrad, d’Elle, de Rider Haggard, du Voyage au bout de la nuit, de Céline, ou de Tintin au Congo, d’Hergé. Et même quand les auteurs désapprouvaient leurs person- nages, l’Afrique, pour une grande majorité de lecteurs, restait un lieu homogène, infesté d’insectes et peuplé de sauvages geignards et primitifs.

L’Africain de cette époque était dépeint comme quelqu’un de paresseux et d’insolent, qu’il fallait briser par une discipline de fer et parfois par le fouet. Dans son autobiographie, Doris Lessing écrit à propos de la manière dont les Rhodésiens parlaient de leurs domestiques :

« Ce fut peut-être la première fois que j’entendis ces cli- chés. Ils ne comprennent que le fouet. Ce ne sont que des sauvages. Ils sont tout juste descendus de l’arbre. Il faut les tenir à leur place. (1) »

Décrit comme inoffensif et stupide, l’indigène semblait accepter sont état d’esclave ou d’être inférieur : il chantait en construisant la voie ferrée de son maître, ou le portait avec bonheur et courage sur une natte à travers la jungle tropicale :

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« Quant aux Nègres, on se fait vite à eux, à leur lenteur hilare, à leurs gestes trop longs, aux ventres débordants de leurs femmes. La nègrerie pue sa misère, ses vanités interminables, ses résignations immondes ; en somme tout comme les pauvres de chez nous mais avec plus d’enfants encore et moins de linge et moins de vin rouge autour. (2) »

Ce portait ethnocentrique devait réconcilier deux idées program- matrices contradictoires : le pillage du continent et la croyance selon laquelle les Blancs apportaient la civilisation et le christianisme aux indigènes, comme dans le poème de Kipling intitulé « Le fardeau de l’homme blanc » :

« Endosse le fardeau du Blanc : Expédie là-bas les meilleurs des tiens, Enchaîne tes fils à l’exil

Pour servir les besoins de tes captifs, Et, lourdement équipé, veiller Sur ces errants muets et sauvages, Tes peuples récemment conquis, Mi-enfants et mi-diables… »

S’il est vrai que quelques Européens ont porté un regard critique sur la colonisation, il était plus confortable de croire, pour la plupart des lecteurs, que la bonne Europe allait civiliser l’Afrique païenne. Dans les arts, la femme africaine apparaissait souvent lascive, sexuelle et membre d’un harem (voir Femmes d’Alger, de Delacroix, ou Mina, marchande de piments, de Jacques Majorelle) ; sans oublier la sensationnelle conclusion

« scientifique » de Georges Cuvier qui, après avoir disséqué la dépouille de Sarah Baartman, la « Vénus hottentote », femme jugée « anormale » au regard de la « normalité » de la Caucasienne, écrivait qu’elle était

« plus proche des grands singes que des humains, car ses petites oreilles étaient similaires à celles de l’orang-outang, et sa vivacité, quand elle était vivante, à la rapidité du singe… (3) »

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L’image a peut-être persisté parce que ces tableaux et ces gravures ornent toujours nos musées, et que nos bibliothèques et nos librairies ploient encore sous le poids de la littérature de cette époque. Après tout, le corps de Sarah Baartman a été exposé au musée de l’Homme jusque dans les années soixante-dix.

L’héroïne de la Ferme africaine (Out of Africa), qui n’est autre, en réalité, que Karen Blixen, affirme « aimer » les indigènes mais n’en res- pecte pas moins une hiérarchie solidement établie. Au-dessus de tout se trouve Dieu, suivi de l’aristocratie blanche à laquelle elle appartient, puis des autres « Blancs ». Après eux, la hiérarchie passe directement aux animaux. Les indigènes, comme sa ferme, sont sous sa « respon- sabilité ». Elle compare avec tendresse son cuisinier Kamante à « un chien civilisé qui a longtemps vécu avec des humains », élevant ainsi la position de l’employé dans la hiérarchie au rang de l’animal. La femme africaine n’y figure même pas (4).

Aujourd’hui, des émissions comme « Rendez-vous en terre incon- nue », de Frédéric Lopez, où l’on montre des enfants massaï mal nourris et des femmes africaines à moitié nues, continuent d’avoir beaucoup de succès. Le grand public aime à pleurer collectivement en apprenant que la femme du désert qu’ils ont vue sourire a mis toute seule ses enfants au monde, et que l’un d’entre eux est mort dans le désert. En même temps, le « politiquement correct » oblige d’invoquer la « générosité », la

« force » et la « beauté » des Africains et, surtout, le fait qu’ils « sourient » même dans l’adversité (tout cela étant comparé à notre individualisme et à notre rapacité). Après la diffusion de l’émission, l’intelligentsia peut discuter du mérite de l’Occident qui va, en Afrique, souiller « des tra- ditions plus pures et peut-être plus nobles ». Les mots sont soigneuse- ment pesés mais, nonobstant l’usage fréquent du mot « respect », il est impossible de dissimuler le fait que ce sont « eux » sur lesquels s’apitoie et « nous » qui nous apitoyons ; ce qui vient confirmer le conseil que donne Binyavanga Wainaina sur la manière d’écrire sur l’Afrique :

« Il faut toujours utiliser dans le titre les mots ‘‘Afrique’’

et ‘‘ténèbres’’[…] et ne jamais mettre en couverture un Africain bien habillé, à moins qu’il ait gagné le prix

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Nobel […] Un AK47, des côtes saillantes, des seins nus : voilà ce qu’il faut montrer. Et si vous voulez mettre la photo d’un Africain, qu’il soit en habit massaï, zoulou ou dogon. (5) »

Ceux qui ne font pas partie des intellectuels « politiquement cor- rects » n’ont pas de temps à consacrer à l’Afrique et ne l’évoquent même pas : « Qu’on laisse ces Barbares s’entre-tuer et le problème sera définitivement réglé. » Quand ils ne parlent pas d’un ton de résigna- tion paternaliste, comme le fit mémorablement, en juillet 2007, un président français en exercice :

« Le drame de l’Afrique, c’est que l’homme africain n’est pas entré dans l’histoire […]. Jamais l’homme ne s’élance vers l’avenir. Jamais il ne lui vient à l’idée de sortir de la répétition pour s’inventer un destin. (6) »

Comme la plupart des aventuriers étaient des hommes, qui n’avaient déjà pas de temps à consacrer à leurs épouses euro- péennes, ils n’ont guère écrit sur la femme africaine, et quand ils l’ont fait, celle-ci apparaissait soit comme une victime qu’il fallait plaindre (elle était l’épouse numéro dix ou vingt) ou comme une tentatrice qu’il fallait craindre et un objet de curiosité ; la femme du maître épiait sa rivale derrière un rideau, et les autres femmes européennes en parlaient tout bas et plaignaient leur sœur soumise à cette humiliation. Mais la plupart du temps, dans une société où les relations interraciales étaient soit fortement désapprouvées soit franchement prohibées, on préférait détourner les yeux quand une

« madone noire » entraînait hors du droit chemin un notable euro- péen, jusqu’à ce que la venue au monde de petits métis ne conduise l’épouse légitime à faire ses valises et à rentrer au pays. (Le baronnet Bror von Blixen-Finecke a sans doute couché avec des femmes mas- saï supposément infectées par la syphilis, qu’il transmit à sa femme, laquelle fut contrainte d’aller se faire soigner en Europe.) La femme africaine était surtout traitée comme une servante dépravée : « Sa

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Négresse, installée derrière la table, tripotait ses pieds et les grattait avec un bout de bois (7). » Même quand on la voyait travailler dans la maison du maître et qu’elle s’occupait des enfants avec un amour maternel, elle restait sans visage et sans pouvoir, comme un fantôme errant et muet.

Quelques femmes de la période coloniale, comme Marguerite Delorme ou Lucie Cousturier (toutes deux contemporaines de Majo- relle), ont entretenu des relations avec des Africaines et peint, dans les deux sens du mot, une image positive des Africains. Leurs tirailleurs sénégalais sont majestueux et fiers, et leurs femmes nord-africaines sont des mères et des épouses dignes, c’est-à-dire des femmes ordi- naires. Malheureusement, une vision négative du colonialisme était, en France, tout à fait découragée : le rapport de Lucie Cousturier a ainsi été censuré parce que l’on jugeait qu’il était déplorable et dan- gereux de diffuser sur le territoire français des conclusions politiques et économiques susceptibles de trouver un terreau favorable « chez les indigènes de nos colonies » (8). Au Tchad, Denise Savineau cite cet avertissement d’un fonctionnaire français : « Vous êtes blanche et vous devez être solidaires des Blancs (9). » Le travail de ces femmes reste aujourd’hui méconnu, et l’on peut se demander si l’image de la femme africaine aurait été différente si ces esprits critiques avaient pu écrire et dire ce qu’ils pensaient.

Comme on a très peu écrit sur la femme africaine, nombre d’hé- roïnes ou de dirigeantes demeurent totalement inconnues : Amina, reine de Zaria ; Yaa Asantewaa, reine d’Ejîsu (au Ghana) ; Mbande Zingha, reine d’Angola ; Nandi, reine du Zululand ; Nehanda, au Zimbabwe (10).

La déstabilisation que les femmes ont subie pendant la coloni- sation est, pour l’essentiel, passée inaperçue ou a été minimisée.

Avant la colonisation, les hommes avaient pour activités, entre autres, de chasser, de pêcher, de bâtir des abris, de défricher des champs ou de faire la guerre ; les femmes fabriquaient des vête- ments et des outils, cuisinaient, élevaient les enfants et travaillaient aux champs. En plus du lopin familial qui appartenait à toute la famille, les femmes avaient leur propre lopin de terre, plus petit, où

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elles faisaient pousser des cultures « féminines » riches en protéines – légumes, arachides, haricots, pois, etc. –, mais aussi du millet (qui tolère des sols pauvres, peut être récolté dans les deux à quatre mois, résiste à la sécheresse et peut être conservé, sec, pendant vingt ans) et du manioc (que l’on peut laisser au sol jusqu’à deux ans après la plantation, et qui peut être récolté à la demande). À l’époque de la colonisation, l’abandon forcé des terres fertiles et l’introduction de cultures de rapport ont détruit ce statu quo, déstabilisant les hommes et les femmes, et les obligeant à créer de nouveaux dispo- sitifs domestiques. Les femmes ont perdu leur parcelle de terre au profit de cultures telles que le maïs, le cacao, le café, le thé, la jute, la canne à sucre, le tabac ou le coton. Les hommes assumaient la responsabilité financière, et quand ces cultures de rapport ont été défaillantes ou que les prix ont chuté, les femmes, qui étaient jadis des « greniers en dernier ressort », se sont trouvées incapables de se nourrir et de nourrir leurs enfants. De plus, la disparition du bétail familial a fait que le lait et la viande ont disparu du régime ali- mentaire quotidien. Les hommes employés au défrichage, devenus inutiles en raison de la déforestation, ont été contraints de chercher du travail dans les mines, dans des exploitations agricoles ou dans des usines, laissant de ce fait aux femmes d’énormes responsabilités sociales et économiques.

Le droit coutumier et le droit colonial n’incitaient pas les femmes à occuper les emplois créés dans le secteur minier, l’administration, l’industrie ou l’agriculture. Les quelques emplois proposés, tels que le ménage chez les colons ou dans les hôtels, étaient mal rémunérés, et les rares femmes qui les prenaient étaient obligées d’arrêter de travail- ler une fois mariées, à moins que leur mari ne leur donne l’autorisa- tion de continuer.

Dans les pays d’apartheid, comme le Zimbabwe (l’ancienne Rhodésie du Sud) ou l’Afrique du Sud, les hommes travaillant en ville devaient avoir un livret en règle pour pouvoir être logés dans des quartiers qui leur étaient réservés ; leurs épouses et leurs enfants n’y étant pas les bienvenus, les familles ne voyaient les hommes adultes qu’une ou deux fois par an quand ils rentraient quelques

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jours, en général pour Pâques et pour Noël. L’administration colo- niale n’introduisit l’eau courante et l’électricité que dans les villes, si bien que les femmes devaient passer l’essentiel de leur temps à chercher de l’eau et du bois pour faire du feu, en plus de travailler dans les champs, de s’occuper des animaux, d’assurer l’éducation des enfants et de prendre soin des membres les plus âgés de la famille ou du clan. Dans les villages, les écoles étaient peu nombreuses, éloi- gnées et coûteuses, de sorte que les familles devaient choisir quels enfants bénéficieraient d’une instruction ; il s’agissait, en général, des garçons, ce qui condamnait à l’analphabétisme les générations suivantes de femmes.

Mais si les femmes étaient piégées par la « nécessité », elles n’ont jamais renoncé. Pendant les luttes pour l’indépendance au Mozam- bique, en Namibie, au Zimbabwe ou en Afrique du Sud, nombre d’entre elles se sont battues pied à pied aux côtés des hommes, et ont, comme eux, été jetées en prison, torturées et tuées.

Dans la période postcoloniale, un changement positif a eu lieu ; dans la plupart des pays « en développement », cependant, le chemin reste encore bien long. Les femmes africaines occupent toujours les emplois peu qualifiés du secteur informel, où elles fournissent 70 % de la main-d’œuvre agricole et produisent environ 90 % de la nour- riture produite. Le taux d’analphabétisme est élevé : 51 % seulement des femmes âgées de plus de 15 ans savent lire et écrire, contre 67 % des hommes (11). Selon un rapport du Fonds international de déve- loppement agricole (Fida), dans la province centrale du Cameroun, les femmes travaillent 26 heures par semaine, et les hommes 12 heures ; au Burkina Faso, les chiffres sont respectivement de 14 et 8,5 heures…

par jour (12).

En 2000, les Nations unies ont adopté la résolution 1325, qui vise à protéger les femmes et les jeunes filles ; malgré cela, les vio- lences contre les femmes, comme partout ailleurs dans le monde, restent considérables. Si le viol est assimilé au « génocide » ou au

« crime contre l’humanité » quand il a pour fin de détruire ou de cibler un groupe ethnique particulier, les poursuites contre les violeurs demeurent difficiles.

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La polygamie est encore très répandue, en particulier en Afrique centrale, en Afrique du Nord et en Afrique de l’Ouest, où les filles se marient très jeunes ou sont contraintes à des unions arrangées.

Même dans les cas où elles se marient par amour, elles font face à d’énormes obstacles : une fois mariées, en effet, elles perdent tout contrôle de leur corps, subissent parfois des viols conjugaux, manquent de connaissances en matière de planning familial, n’ont aucun pouvoir sur leur vie sexuelle (elles ne peuvent pas contraindre leur mari à utiliser un préservatif ), ont un recours limité au droit au divorce, et doivent obéir à leur mari malgré les lois visant à les protéger. Quand l’homme paie un « prix trop élevé » pour sa future épouse, il attend un retour sur investissement (13). Si de nombreux pays ont depuis longtemps adopté une législation protégeant les femmes contre les violences, beaucoup de femmes croient encore qu’un mari a le droit de battre son épouse : elles sont 87 % au Mali, 86 % en Guinée, 80 % en République centrafricaine, 79 % au Soudan du Sud (14). En 2008, l’Assemblée mondiale de la santé a adopté la résolution 61.16 sur l’interdiction des mutilations géni- tales, mais cette pratique est toujours très répandue dans certaines régions ; les juges et les tribunaux familiaux doivent non seulement connaître la législation mais encore savoir comment la mettre effi- cacement en pratique.

Les autorités légales ne connaissent pas toujours le droit inter- national, quand elles ne préfèrent pas l’ignorer. En 2013, en Soma- lie, le juge Hashi Elmi Nur a condamné une victime supposée de viol à six mois de prison avec sursis pour mensonge et diffama- tion, sans jamais faire comparaître les auteurs supposés du viol. Le Mozambique n’a pas renoncé à l’idée de pardonner aux violeurs s’ils épousent leur victime, et en Égypte, des femmes ont signalé la réapparition de « tests de virginité » lors des gardes à vue dont elles font l’objet. Une jeune Tunisienne trouvée dans une « position compromettante » avec son compagnon a été emmenée et violée par deux policiers dans leur voiture, pendant que le troisième tentait de racketter le jeune homme ; ils ont ensuite accusé la jeune femme d’agression (15). Après un tollé public, les policiers ont fini par être

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condamnés, en 2014 (16). Au Nigeria, les jeunes filles doivent faire face à toutes sortes de dangers, et cela bien avant l’enlèvement de plus de 200 lycéennes le 14 avril par Boko Haram. Dans le Nord, on les marie dès la puberté, bien plus tôt que dans d’autres régions du pays, ce qui augmente le taux de fistule obstétrique (une lésion due à un accouchement trop long) : dans le Nord, 67,4 % des filles sont mariées à l’âge de 15 ans, contre 10,8 % dans le Sud. En 2008, le taux de scolarisation des filles dans le secondaire n’était, dans cette même région, que de 22 % (17).

Les statistiques de santé montrent que beaucoup reste à faire en faveur des femmes. En Afrique de l’Ouest, le taux de mortalité mater- nelle est ainsi extrêmement élevé : 629 mères sur 100 000 meurent en couches, contre 7 en Europe occidentale (18). En Afrique du Sud, les femmes dirigent près de la moitié des ménages. Ce système est apparu à l’époque où l’apartheid obligeait les travailleurs migrants à quitter leurs familles pour aller travailler dans les villes ou à la mine.

Et l’épidémie de sida, qui a été ignorée sous la présidence de Thabo Mbeki (1999-2008), a laissé de nombreux orphelins aux soins de parentes. Les jeunes femmes âgées de 15 à 24 ans ont deux fois plus de chances d’être contaminées que les jeunes hommes du même âge (19).

Au Rwanda, s’il y a une proportion plus élevée de filles que de gar- çons dans l’enseignement primaire et secondaire, elles ont de moins bons résultats ; quand elles atteignent l’enseignement supérieur, les filles quittent le système pour se consacrer à leur famille et à leur mari (20). Dans de nombreux pays d’Afrique, enfin, quand les femmes se mêlent d’entreprise, elles ont du mal à convaincre les banques de leur accorder des prêts, notamment en raison du fait qu’elles ne sont pas impliquées dans les niveaux de décision locaux tels que les tribunaux de village ou les conseils municipaux (21).

Cela étant dit, il y a des choses positives à souligner, car beau- coup de femmes africaines demandent et obtiennent l’égalité des droits. De plus en plus de femmes font de la politique. Au Liberia, Ellen Johnson Sirleaf est devenue en 2006 la première présidente d’un pays africain moderne. En 2012, Joyce Banda est devenue la première présidente du Malawi, et le 16 juillet de la même année,

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Nkosazana Dlamini Zuma a été élue présidente de la Commission de l’Union africaine : elle est la première femme à diriger l’organi- sation. Le 1er septembre 2013, Aminata Touré est devenue Premier ministre du Sénégal, et Catherine Samba-Panza est, depuis le 23 jan- vier 2014, présidente de transition de la République centrafricaine.

Le Rwanda est le seul pays du monde à compter au Parlement plus de femmes (60 %) que d’hommes. Il mérite d’être noté que « dans le monde, sur les 36 Chambres basses ayant atteint le seuil de 30 % jugé nécessaire pour que les femmes aient un impact sur le processus de décision, onze sont africaines ; le chiffre est encore de 23 % à la Chambre des communes britannique et de 18 % au Congrès des États-Unis. En Afrique même, les chiffres varient énormément selon les zones, l’Afrique sub-saharienne chrétienne étant bien plus repré- sentée que l’Afrique islamique. (22) »

L’Afrique est également leader mondial pour le nombre d’entre- prises créées par des femmes. En Afrique de l’Ouest, « Mama Benz » est célèbre pour son sens des affaires et sa richesse. Dans des pays comme le Ghana, le Nigeria et la Zambie, le nombre d’entreprises créées par des femmes dépasse le nombre de celles créées par des hommes (23).

Dans les années soixante, sous la présidence de Habib Bourguiba, la Tunisie a aboli les pratiques traditionnelles qui portaient atteinte aux femmes, et le roi Mohamed VI, au Maroc, a récemment décidé certains changements du Code de la famille afin d’accorder davantage de droits aux femmes (24).

Les filles des femmes nées après l’indépendance sont aujourd’hui de jeunes adultes ; elles sont généralement plus qualifiées scolaire- ment que leurs mères. Malheureusement, la télévision ne semble pas juger rentable de faire un feuilleton sur toutes les Africaines qui, loin de mourir de faim et de vendre leurs filles en échange d’une chèvre, envoient leurs enfants à l’école et exercent une activité profession- nelle – comptable, médecin, écrivain, chanteuse, avocate, infirmière, professeur ou chef d’entreprise. Elles sont indépendantes et font de la politique là où cela leur est possible. Voyant leurs propres filles se montrer aussi compétentes et performantes que les garçons, certains

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hommes ont commencé à accepter ou à comprendre que la préten- due supériorité des seconds sur les premières était imaginaire. Les choses commencent à changer.

Enfin, comme partout ailleurs, les femmes africaines de haut niveau ont du mal à trouver un partenaire, beaucoup d’hommes étant incapables de gérer une telle situation. Aussi certaines d’entre elles, à l’instar de la blogueuse ghanéenne Nana Darkoa Sekyiamah, pré- fèrent-elles le célibat à un médiocre compagnon (25).

Texte traduit de l’anglais par Christophe Jaquet

1. Doris Lessing, Under My Skin, HarperCollins New, 1995.

2. Louis-Ferdinand Céline, Voyage au bout de la nuit (1932), Gallimard, coll. « Folio », 1972.

3. Georges Cuvier, « Observations faites sur le cadavre d’une femme connue à Paris et à Londres sous le nom de “Venus Hotténtotte” », in Mémoires du Museum d’histoire naturelle, col. III, Belin, 1817.

4. http://postcolonialstudies.emory.edu/karen-blixen-isak-dinesen/#ixzz35YPrfP4Z).

5. Binyavanga Wainaina, « How to write about Africa », in Granta, «The View from Africa », hiver 2005.

6. News24, http://www.news24.com/Africa/News/Sarkozys-Africa-vision-under-fire-20070728.

7. Louis-Ferdinand Céline, op. cit.

8. Women’s challenge to convention, http://aflit.arts.uwa.edu.au/colonies_20e_eng.html.

9. Idem.

10. ABAFA (Africans Building Africa for Africans), « Warrior Queens » (http://www.abafa.org/

warrior-queens-cont).

11. Organisation de coopération et de développement économique (OCDE), « Poverty reduc- tion and social indicators », http://www.oecd.org/dev/poverty/womeninafrica.htm.

12. Fonds international de développement agricole (Fida), « Two aspects of xomen’s workload in West Africa », 1999, http://www.ifad.org/gender/learning/role/workload/61.htm.

13. Si les lois sont souvent intéressantes voire excellentes sur le papier, leur application pratique dans le village est tout aussi souvent difficile.

14. http://en.wikipedia.org/wiki/Marital_rape#African.

15. « En Tunisie, une femme violée est poursuivie pour “atteinte à la pudeur” » Lemonde.fr, 26 septembre 2012, http://www.lemonde.fr/tunisie/article/2012/09/26/en-tunisie-une- femme-violee-est-poursuivie-pour-atteinte-a-la-pudeur_1765985_1466522.html.

16. Isabelle Mandraud, « La justice tunisienne prononce un verdict clément pour des poli- ciers violeurs », Le Monde, 1er avril 2014.

17. Population Council Nigeria, http://www.popcouncil.org/uploads/pdfs/Nigeria_MarriedAdol.

pdf.

18. Https ://www.unfpa.org/webdav/site/global/shared/documents/publications/2012/

Trends_in_maternal_mortality_A4-1.pdf.

19. Http ://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC3065005/.

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20. Allison Huggins et Shirley K. Randell, « Gender equality in education in Rwanda : What’s happening to our girls », http://www.shirleyrandell.com.au/ftp/GenEquEdRwanda.pdf.

21. « Women in Africa », http://www.doingbusiness.org/~/media/FPDKM/Doing %20Busi- ness/Documents/Special-Reports/Women-in-Africa.pdf.

22. « “Africa’s Female Politicians” : Women on Winning », The Economist, 9 novembre 2013.

23. Teo Kermeliotis et Milena Veselinovic, CNN, 13 mai 2014, http://edition.cnn.com/2014/05/13/

business/numbers-showing-africa-entrepreneurial-spirit.

24. Http ://www.usrepresented.com/2014/05/17/moroccos-struggle-for-gender-equality/.

25. Nana Darkoa Sekyiamah, « I thought the US was the land of gold. Now I see it as rude and disrespectful », The Guardian, 29 avril 2014, http://www.theguardian.com/commentis- free/2013/nov/17/ghana-america-exchange-expats-immigration-war.

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