M ARCEL -P AUL S CHÜTZENBERGER Pour le monoïde plaxique
Mathématiques et sciences humaines, tome 140 (1997), p. 5-10
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POUR LE
MONOÏDE PLAXIQUE
Marcel-Paul
SCHÜTZENBERGER
RÉSUMÉ - Cet article est probablement le dernier texte de mathématiques écrit en vue de sa publication par M. P.
Schützenberger,
décédé en juillet 1996.Il était offert par son auteur en hommage à André Lentin, à l’occasion d’un colloque tenu en l’honneur de
celui-ci le 23 février 1996 ; M.P.
Schützenberger,
déjà très malade, n’avait pu participer à cette rencontre, mais avait tenu àrédiger,
non sans souffrances, une contribution scientifique qui témoignât de son amitié pour A. Lentin.Lorsque je lui dis que certains des articles élaborés pour la "Journée Lentin", et le sien en particulier,
seraient ultérieurement publiés dans Mathématiques, Informatique et Sciences humaines, il en montra de la satisfaction.
Voici la
publication
promise.SUMMARY - A vote for the plactic monoid
This paper is most likely the last mathematical article published by the late M.P.
Schützenberger,
who died in July 1996.It was writen in view of the celebration of André Lentin’s jubilee, held in February 1996. M.P. Schützenberger, actually too sick, did not attend that scientific meeting. But he had the will
despite
distressing suffering, toprepare the present work and to offer it to his friend ; and did it.
He expressed to us his satisfaction to know that this work would be
published
in Mathématiques, Informatique etSciences humaines.
Here it is.
Ce texte est une brève
réponse
à unequestion posée
il y a bienlongtemps
par mon ami André Lentin etplus
récemment par Gian-Carlo Rota :"Quelles
raison as-tu decpnsidérer
le monoïdeplaxique
comme un des monoïdesfondamentaux
del’algèbre
?".Les
origines
et lespropriétés
de ce monoïde étant la théorie despermutations,
sous diversaspects plantés
ou cultivés dans ledépartement
oùs’accomplit
lapart
laplus
universitaire de tamultiple carrière, je
m’enhardis à te faire unhommage
de maréponse.
Trois sont les raisons de la faiblesse que
j’ai
pour le monoïdeplaxique.
D’abord
quelques
notations ou conventions destyle.
ligne WI - W2 -
wn.Les
lignes (resp. colonnes)
sont enbijection
avec la base dePol(A),
c’est-à-dire les monômes(resp.
avecl’algèbre
distributivelibre,
c’est-à-dire lesparties
deA).
La congruence
plaxique
* est définie par les relations suivantes dont le mérite de la découverte revient à D. Knuth :Pour tout :
De
façon équivalente, d’après
Kazhdan etLusztig,
si w est un mot delongueur 3,
on aw --_ w’ où w’ = w si w est une
ligne
ou unecolonne,
etoù,
dans le cascontraire,
w’ estl’unique
motayant
cette mêmepropriété qui
se déduise de w parpermutation
de deux lettresadjacentes.
L’algorithme
de Schensted est uneapplication
directe des relationsprécédentes.
P.Moszkowski en a donné une
présentation originale qui
rend extrêmement faciles les calculs à la main(un hommage
à André Lentin!).
PREMIÈRE
RAISONSoit,
dansZ (A *), Ak
la somme des colonnes delongueur k (= 1, 2,
...,card(A».
Lesimages
dansPol(A)
desAk
sont les fonctionssymétriques
élémentaires des lettres de A etforment donc un ensemble minimal de
générateurs
de lasous-algèbre Sym(~)
despolynômes symétriques.
Par
conséquent,
si - est une congruence sur A * commutant avec l’évaluation telle que lesimages
de~k
dans2 (A *
/-)
commutent deux àdeux,
lasous-algèbre de ~ ( A~ *
/-) qu’elles engendrent
estisomorphe
àSym(~).
Or cette condition sur - admet deux solutions extrémales :
. l’une est la congruence
plaxique ;
. l’autre
peut
être récusée pour mille excellentesraisons,
laplus simple
étantpeut-être
que le nombre de ses classes croît(avec
lalongueur
desmots) beaucoup
moins vite que pour la congruenceplaxique.
La valeur de cette
première
raison etappuyée
par le faitqu’une
variante des calculsprécédents s’applique
utilement à certainesalgèbres
de Hecke(je
fais ici allusion au monoïdenilplaxique
dont les relations de définition sont à peuprès
les mêmes que les relationsplaxiques).
Un autre
argument
en faveur de la congruenceplaxique
est lapropriété suivante, conséquence
triviale de ladéfinition,
maisexceptionnelle parmi
les monoïdesprésentés.
Notonsv 0 IB * la restriction du mot v au
sous-alphabet
IB(c’est-à-dire
le sous-mot de v obtenuen y
effaçant
les lettresqui n’appartiennent
pas à1B ).
Dans le monoïdeplaxique
on aidentiquement :
pour
chaque
sous-intervalle IB del’alphabet
A.DEUXIÈME
RAISONGrâce à la théorie de Curtis
Greene,
nous savons associer àchaque
mot w E A * unepartition Pk:~g pk- 1 :9
...:9 p ,
de salongueur n
par la condition que pk + pk_1 1 + ... p;+1 soit le maximum de lalongueur
des sous-mots de wqui peuvent
être obtenus eneffaçant
dans w i sous-motsqui
sont des colonnes(i
=l, 2, ...).
Notons
llwll
cettepartition
etappelons
laforme plaxique
de w.L’application
w ~
Ilwll l
est une norme, en ce sens que l’on aidentiquement :
où ® est l’addition des
partitions
au sens dePhilipp
Hall. C. Greene a observé que :Mais
réciproquement,
onpeut
caractériser la congruenceplaxique
par lapropriété
d’être lacongruence
syntaxique
de la normeIl Il,
c’est-à-dire d’être la congruence extrémale sur ~ * telle que deux éléments de chacune de ses classes aient même formeplaxique.
J’intercale ici une
digression.
Leproduit
ww’ de deux mots estfranc
si et seulement siIlww’ll
=Ilwll
E9Ilw’ll.
Un contretableau(resp. tableau)
est un motqui
est unproduit
franc decolonnes de
longueurs
non décroissantes(resp.
noncroissantes).
La construction de Schenstedmontre que
chaque
classeplaxique
contient un et un seul contretableau(et
un et un seultableau).
Enfin l’ensemble des colonnes est un treillis distributif pour l’ordre v ~ v’ défini par v « v’ si
et seulement si il existe une
injection
non décroissante des lettres de v dans celles de v’.Avec ces
notations,
un contretableau estsimplement
unproduit v 1 v2
... vk de colonnes telles1 - V2 ... -~ vk .
Comme on
peut
le penser,l’opération
de shuffle sur les motsjoue
ungrand
rôle dans la théorie du monoïdeplaxique.
Elle apermis
à A. Lascoux de donner une version noncommutative
(dans 2(A *))
des fonctionssymétriques,
avec commeconséquence
unecompréhension
meilleure de la structure de leuralgèbre.
TROISIÈME
RAISONUn
quotient
extrémalement voisin dePol(A)
del’algèbre 2 (A*)
est obtenu enposant
u = u’ pour u, u’E 2(A *)
si et seulement si up etM’ji
coïncident endegrés 2,
oùl’homomorphisme de Magnus ~
consiste àremplacer chaque
variable a E A par au = 1 +a.(calculé
dansl’algèbre commutative).
Comme P est la somme des fonctions de Schur sur
A,
c’est-à-dire la somme desimages
commutatives des"tableaux",
et comme ces derniers forment une section(=
ensembleminimal des
représentants
desclasses)
de la congruenceplaxique
=-, on voit que A* I = admet P comme fonctiongénératrice (commutative).
Les autresquotients
de A *ayant
la mêmepropriété
sont maintenant le domaine de Daniel Krob. Le monoïdeplaxique
est caractériséparmi
eux par la seule condition
supplémentaire
que, pourchaque
mot w =a{UI a2‘2 ...ah‘"
E A*,
oùl’un au moins des mi est >
2,
iln’y
aitqu’un
seul motqui
soit seul dans sa classe de congruenceparmi
tous les motsayant
même évaluation(= image commutative)
que w.Une caractérisation dont la vérification est moins fastidieuse est que la congruence
plaxique
est la seule dont une section soit l’ensemble des tableaux.Il y a certainement de meilleurs
énoncés,
mais les autresobjets
découverts par D. Krobsont fort hétéroclites et encore mal connus.
Telles étaient mes trois raisons pour affirmer la nécessité d’installer le monoïde
plaxique parmi
les structuresremarquables.
Il y en a une autreplus
ténébreuse.Il existe un monoïde
présenté
très évident dont lespropriétés
ne sontjamais
donnéesqu’à
titre d’exercices mineurs. Il
s’agit
du monoïdecycliste
Bengendré
par deux lettres a et b que relie la seule identité :Autrement
dit, b
est l’inverse àgauche
de a.Une section de B est formée des mots anbm
(n,
Ses deuxpropriétés
fondamentales sont :
. Tout
quotient
de B estisomorphe
à(par
anbm B n -m)
ou à unquotient
de 2 àtravers le
quotient précédent ;
· B n’a pas d’idéaux stricts
(c’est-à-dire
1 E B xB)
pour tout x E B bienqu’il
nepuisse
pas être
injecté
dans un groupe, et tout monoïde sans idéaux strictsqui
n’est pas un groupe contient au moins unecopie
de B.Cette deuxième
propriété implique qu’aucun
monoïdecompact
ne contient unecopie
deB,
donc que B n’admet aucunereprésentation
linéaire de dimension finie.Pour
l’anecdote, je rappelle
que Bpeut
être défini comme le monoïdesyntaxique
dusous-ensemble des mots de
{ a, b } *
dont tous les facteursgauches
contiennent au moins autant de b que de a.Pour remonter B en un
quotient
de{ a, b } * compatible
avec lemorphisme d’évaluation,
on
remplace
la relation ba = 1 par les deux relations :( * )
baa --- aba et bba * babexprimant
que ba commute avec a et b. Or ces nouvelles relations ne sont autres que celles définissant le monoïdeplaxique
sur deux lettres a et b > a(dont
une section est d’ailleursl’ensemble des tableaux
anb"’, (n, m, p
EZ)).
Revenons au cas
général
de A =lai
Ia2
...an ) .
Tenantcompte
de lapropriété rappelée
à la fin de lapremière raison,
on définit une congruence - sur A~ * par lemorphisme
envoyant chaque
mot sur leproduit
direct del’image
dans le monoïdeplaxique a;+1 ) *
---de sa restriction Le monoïde A* / - est le
quotient cycliste
dumonoïde
plaxique
A* / --_ . Il a été utilisé avec succès par A.Lascoux,
B. Leclerc et J.-Y.Thibon pour certains
problèmes
dereprésentations
modulaires.Reste à
justifier
les relationsplaxiques
élémentaires sur troislettres,
c’est-à-dire à retrouver zparmi
les congruences contenues dans -.La seule manière que
je
connaisse est d’utiliser le fait que pour toutsous-alphabet
16
c A ,
la colonne vJB contenant toutes les lettres de 1Bengendre
le centre du monoïdeplaxique
IB * / --- .J’aimerais
beaucoup
mieux une caractérisation du monoïdeplaxique employant
lesprédicats
utilisés pour énoncer lespropriétés
fondamentales du monoïdecycliste.
Maisje
ne saispas le
faire,
bien que lequotient
du monoïdeplaxique
par son centre n’ait pas d’idéaux propres.Peut-être
pourrait-on
fairejouer
le fait que pourchaque
lettre c deA, chaque
classeplaxique
admet ununique
facteurgauche
delongueur
maximale dont toutes les lettres sont ~ c ?Et demain ?
En des lieux divers
(le Japon, Strasbourg,
leM.I.T.,
Marne laVallée),
les mathématiciensqui développent
la théorie des groupesquantiques
ont retrouvé le monoïdeplaxique
ou l’un deses
quotients
comme casparticulier
de leurs constructions :quand,
dans leurpoétique,
ils fonttendre la
température q
vers zéro pour les cristalliser.J.-Y. Thibon et B. Leclerc remontent les
grands
fleuves de ce continentqu’ils
sont entrain de découvrir. A. Lascoux
organise l’expédition
queje regarde partir
de monhamac,
entredeux
palétuviers
dans l’estuaire.Inv.
Math., 53, (1979),
165-184.KNUTH, D.,
"The Art ofComputer Programming", Sorting
andSearching, vol.3,
Addison-Wesley, (1973).
KROB, D., THIBON, J.-Y., "Representations
of the Heckealgebra
oftype
A andcorepresentations
of thequantum
groupAq(n)
atq=0,
and thehypoplactic algebra", prépublication L.I.T.P., (1995).
LASCOUX, A., LECLERC, B., THIBON, J.-Y., "Crystal Graphs
andq-analogues
ofweight multiplicities
for the rootsystem An",
Letters in Math.Phys., 35, (1995),
359-374.LASCOUX, A., SCHÜTZENBERGER, M.P.,
"Le monoïdeplaxique",
Non commutativestructures in