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Des restrictions médicales aux prescriptions du travail : une orientation de l ergonome pour le développement individuel et collectif

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Texte intégral

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ème

congrès international.

Société d’Ergonomie de Langue Française.

Archivé électroniquement et disponible en ligne sur :

www.ergonomie-self.org www.informaworld.com/ergo-abs Texte original*.

Des restrictions médicales aux prescriptions du travail : une orientation de l’ergonome pour le développement individuel et collectif

Olric MARTINOT-LAGARDE, David MAMERI et Célia QUERIAUD

ID Ergonomie - 5 place du Colonel Fabien 75010 Paris - CREAPT - CéE - CIH ergonomie des systèmes complexes Univ. Bordeaux, IMS, UMR 5218 o.martinot-lagarde@idergonomie-areram.fr

d.mameri@idergonomie-areram.fr c.queriaud@idergonomie-areram.fr

Résumé. Cette communication présente une intervention de maintien dans l’emploi d’une magasinière, souffrant d'un handicap moteur important, au sein d’une parapharmacie. Le souci essentiel de l'employeur est la préservation de la santé de cette dernière, ce qui a abouti à la redistribution au collectif des tâches physiques, rendant ainsi la salariée dépendante de ses collègues. Au cours de cette communication, seront détaillées les stratégies développées par l’ergonome qui ont permis d’expliciter les contraintes engendrées par cette nouvelle organisation du travail mais pas seulement. L'objectif de l'ergonome est de construire une situation future de travail permettant le développement individuel de la salariée, mais aussi celui du collectif. Tenant compte des restrictions médicales et de leur compréhension par l'entreprise, l'ergonome a choisi de travailler graduellement, avec l'employeur, sur la redéfinition progressive des tâches pour la salariée mais aussi pour ses collègues.

Mots-­‐clés  :  Aptitude,  Affectation  de  fonctions,  charge  physique,  observation  participative   et  prise  de  décisions  collective  

From medicals restrictions to workings dictates: an ergonomist advice for the individual and collective development.

Abstract. This communication presents an intervention for up-keeping a storekeeper suffering from a real motor disability in her job in a pharmacy. The main trouble for the employer is to preserve her health, which has led to redistribute in the community physical tasks and which made the employee dependent on her colleagues

During this communication, strategies developed by the ergonomist which allowed explaining ties created by this new working organization but not only, will be detailed. The ergonomist aims at building a future working situation, to help the individual development of the salary, but the collective one too. Taking into account medical restrictions and their understanding by the company, the ergonomist chose to work step by step with the employer regarding the gradual redistribution of tasks for the employee but also for her colleagues.

Key words: Aptitude, Allocation of functions, physical workload, participative observation and group decision making.

*Ce texte original a été produit dans le cadre du congrès de la Société d’Ergonomie de Langue Française qui s’est tenu à La Rochelle du 1er au 3 octobre 2014. Il est permis d’en faire une copie papier ou digitale pour un usage pédagogique ou universitaire, en citant la source exacte du document, qui est la suivante :

Martinot-Lagarde, O., Mameri, D. & Quériaud, C. (2014). Des restrictions médicales aux prescriptions du travail : une orientation de l’ergonome pour le développement individuel et collectif.

Aucun usage commercial ne peut en être fait sans l’accord des éditeurs ou archiveurs électroniques. Permission to make digital or hard copies of all or part of this work for personal or classroom use is granted without fee provided that copies are not made or distributed for profit or commercial advantage and that copies bear this notice and the full citation on the first page.

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INTRODUCTION

En tant que consultants dans le champ du maintien dans l’emploi, notre approche de l’ergonomie ne peut être seulement palliative, ou préventive (Teiger et Vilatte, 1983, cité par Falzon, 1996) mais aussi et surtout orientée sur le développement individuel.

Nous nous intéressons de prime abord au développement individuel mais nous verrons au cours de notre exemple que cet intérêt pour le développement individuel va aboutir à travailler sur le développement collectif et organisationnel.

L’approche de l’ergonome, en l’occurrence notre approche dans cette communication vise le développement individuel, au sens de Falzon (2013), avec la mise en place de situations d’actions, qui favorisent la réussite et l’acquisition ou la construction de savoir-faire, de connaissances et de compétences. Dans ce cadre, la performance, et ce à différents niveaux, mais aussi le bien-être tant collectif qu’individuel sont deux points d’attention de l’ergonome consultant.

D’après Falzon (2013), « L’être humain a un appétit naturel pour l’acquisition de compétences. » et précise ensuite que « les opérateurs développent des savoir- faire, des procédures, des techniques au cours et du fait du travail ». Notre approche du développement individuel est la suivante : confier des tâches à l’opérateur qu’il maitrise et peut faire en autonomie en préservant sa santé. L’objectif étant de permettre à l’opérateur de retrouver une place dans le collectif de travail mais aussi d'affirmer une identité professionnelle et d'envisager des perspectives d’avenir au sein de l'entreprise.

Nous rejoignons l’idée de bien-être au travail en orientant notre intervention sur le fait de « donner aux salariés des moyens de se réaliser dans leur travail ».

Ceci fait partie des 10 propositions formulées en 2010 dans un rapport destiné au Premier ministre, pour améliorer la santé psychologique au travail (Lachmann, Larose, Pénicaud, 2010).

Au travers de la présentation d’une intervention ergonomique menée dans le cadre du maintien dans l’emploi d’une personne ‘‘reconnue en qualité de travailleur handicapé’’, nous allons examiner et analyser comment cette étude a pu devenir un outil, un moyen de développement individuel mais aussi collectif, à partir d’une réflexion sur la prescription du travail et l’attribution des tâches pour cette salariée.

Dans ce cadre, nous reprenons le terme de prescription, défini par Daniellou, Grall, Martin et Six (2000) « comme une injonction de faire, émise par une autorité ». En général, « la prescription concerne toujours un salarié donné, pour désigner ce qui lui est explicitement symbolisé, dit, écrit, dessiné ». (Berthet et Cru, 2003). La prescription du travail se construit au travers de prescriptions descendantes émanant de l’autorité, mais aussi de prescriptions remontantes relatives à l’activité du collectif de travail (Six, 1999).

Dans notre exemple, le moyen d’action de l’ergonome

que nous avons choisi de vous présenter se retrouve tout à fait dans l’espace social de construction de la prescription selon Six (1999). En effet, l’ergonome doit « contribuer à promouvoir des espaces sociaux de négociation de la prescription » (Daniellou, Grall, Martin et Six, 2000). Il faut savoir qu’une part de la prescription est subjective et individuelle, de la part du salarié concerné : « savoir sauvegarder sa santé, son identité, tenir des valeurs, développer des relations intersubjectives, s’insérer dans un collectif, dans un tissu social, dans une culture, respecter les règles de métier, réaliser les projets personnels, etc… » (Six, 1999), ce qui rejoint également la notion de développement individuel.

CONTEXTE DE L’ÉTUDE

Pour vous situer le contexte d’intervention, la demande (prescrite par un chargé SAMETH à la demande du médecin du travail) spécifie de nombreux arrêts de travail pour la salariée en raison de son handicap et d’un poste non adapté. En effet, la demande porte sur l’acquisition de matériel et sur l’aménagement des postes occupés par la salariée.

Nulle part n’est demandé de réfléchir sur le travail lui- même ni sur les tâches et encore moins sur l’organisation du service.

Cette intervention se déroule dans une pharmacie, parapharmacie employant 14 salariés. Elle est implantée dans les locaux qui comportent trois niveaux accessibles par escalier.

Madame Riou, la salariée pour laquelle nous intervenons, est née en 1967. Elle a été embauchée en mai 2010 comme magasinière au sein du service de la Parapharmacie après avoir travaillé en mission intérim pendant six mois. Elle travaille en équipe avec un collègue et un responsable. Elle souffre d’un handicap moteur important entraînant des douleurs aux cervicales, à la nuque, aux bras, aux jambes, au dos et au col du fémur ainsi qu’une faiblesse musculaire engendrant une impossibilité à maintenir la station debout prolongée, des difficultés à la marche ainsi qu’à la montée et la descente des escaliers surtout avec du port de charges. Cela caractérise des difficultés plutôt physiques.

I. L’ACTIVITÉ DE MAGASINIÈRE ET LES TÂCHES RETIRÉES À PARTIR DES RESTRICTIONS MÉDICALES

Lors de la première rencontre organisée par l’ergonome en présence de la salariée et du médecin du travail, le gérant de l’entreprise a décrit l’ensemble des tâches confiées aux magasiniers et a expliqué celles qui lui avaient été retirées.

Au rez-de-chaussée de plain-pied se situe à l’entrée : l’espace de vente et d’exposition de la Parapharmacie et au fond : les comptoirs de réception des clients pour la Pharmacie. Au sous-sol ainsi qu’à l’étage sont stockées les réserves de la Parapharmacie. Les

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produits encombrants et non lourds sont préférentiellement entreposés à l’étage.

Les cartons de produits sont réceptionnés au niveau du rez-de-chaussée par Madame Riou qui vérifie que le nombre de cartons livrés est le même que celui indiqué sur le bon de livraison. Pour lui éviter de porter des charges dans les escaliers (restrictions du médecin du travail), l’employeur a prévu que ce soit ses collègues qui descendent les cartons au sous-sol.

Dernièrement, l’employeur a décidé de ne plus lui confier le contrôle du contenu des cartons, ayant remarqué des erreurs de comptage.

Ensuite, Madame Riou effectue le rangement dans les rayonnages de la réserve au sous-sol. Pour garnir les rayonnages de l’espace de vente, elle regroupe dans des seaux en plastiques les produits. En tenant compte de l'état de santé de la salariée, l’entreprise prévoit que les seaux plastiques préparés en sous-sol soient remontés par ses collègues.

À ce moment de l’intervention, l’ergonome pressent que l’organisation du travail mise en place par l’entreprise implique des compensations d’ordre collectif.

II. DES TÂCHES RETIRÉES, UN

IMPACT COLLECTIF, UNE SITUATION

« INTENABLE »

Suite à l’observation de l’activité de travail, l’ergonome constate différents points déterminants sur l’organisation du travail :

• Pour respecter les restrictions médicales et pour permettre à la salariée d’être maintenue dans son emploi, l'organisation mise en place lui retire une partie de son autonomie et la rend tributaire de ses collègues pour effectuer les tâches qui lui sont confiées. En effet, elle doit demander que les cartons soient descendus pour qu’ils ne restent pas dans le passage des clients dès qu’elle a réalisé le comptage. Ensuite, elle doit attendre que le contrôle soit fait pour récupérer les cartons afin de ranger les produits dans la réserve. Pour finir, elle doit attendre qu’un collègue lui remonte les seaux plastiques pour remplir les rayons.

• Toutes ces tâches reportées sur ses collègues la rendent dépendante des autres et l’oblige à demander et/ou attendre l’intervention d’un tiers qui passe par là car elle ne peut le couper dans son activité. Cela implique une sur-sollicitation du collectif pour la salariée avec tous les problèmes relationnels que cela peut engendrer.

• Les collègues expriment des difficultés lors du déplacement des cartons vers la réserve car l’escalier comporte des marches supérieures tournantes et que depuis que Madame Riou ne les manipule plus, ils réalisent que cette tâche est physique et ressentent une certaine fatigue qui n’existait pas au préalable. Les difficultés deviennent alors collectives pour l’ergonome.

De plus, pour la remontée des produits, Madame

Riou dispose de seaux de plastique qui sont de contenance importante. Il arrive à ses collègues de lui dire de dédoubler les seaux car ils ne peuvent les soulever et les monter vu leur poids.

Au final, cette organisation avec plusieurs intervenants pour le déroulement des différentes tâches de magasinage crée des interdépendances entre les personnes, génératrices de tensions et d’exaspération au sein du collectif. Les collègues ne souhaitent pas que cette situation perdure. Le handicap de Madame Riou est alors vécu comme un alourdissement des tâches des autres, ce qui souligne son manque d’autonomie.

III. DES STRATÉGIES

D’INTERVENTION REQUESTIONNANT À LA FOIS L’ORGANISATION DU TRAVAIL ET SA PRESCRIPTION

Les restrictions médicales

En fonction des restrictions d’aptitudes médicales émises par le médecin du travail, l’employeur les a appliquées sans mesurer l’impact à la fois sur le collectif et par ricochet les conséquences sur le positionnement de la salariée elle-même vis-à-vis de l’organisation du travail. En effet, l’employeur a respecté le premier sens de la « prescription » (Daniellou et al., 2000).

Leduc et Vernhes (2009) précisent que « l’avis formulé par le médecin du travail revêt un caractère majeur dans la gestion de l’inaptitude puisqu’il va d’une certaine manière prescrire les injonctions managériales à l’origine du positionnement de l’opérateur dans l’organisation ».

Nous retrouvons dans notre exemple, ce que soulignent Leduc et Vernhes (2009), la difficulté pour l’employeur de se projeter dans une situation future de travail pour un salarié dont les restrictions médicales ne lui permettent pas d’assurer les principales tâches de son activité.

En effet, la formulation de restrictions médicales a pour but que la santé de la personne soit prise en compte et doit être explicitée par le médecin du travail afin que les décisions prises ne compliquent pas la situation et que ces restrictions deviennent opérationnelles au sens de l’employeur. Il est indispensable de donner un sens à l’avis médical qui contient des restrictions qui ne sont pas aisées à traduire sur le terrain avec les différentes facettes de l’activité.

Au cours de son intervention, le rôle de l’ergonome doit être entre autre de redonner un sens à ces restrictions en les mettant dans le contexte de la situation de travail. Par l’analyse du travail aussi fine que possible, l’ergonome recherche à établir le lien entre les restrictions médicales, les prescriptions du travail, son organisation associée et l’activité réelle.

Un déplacement de l’engagement de l’employeur, utile pour travailler sur la prescription

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Lors de la première rencontre, l’objectif de l’employeur était que nous constations qu’il avait tout fait selon lui pour sa salariée afin de préserver sa santé. Il exprimait clairement : « J’ai fait mon possible pour la maintenir à son poste mais il faut maintenant privilégier sa santé. »

Cette attitude se retrouve souvent dans les interventions de maintien dans l’emploi. Quand l’état de santé est dégradé et que les premiers aménagements mis en place par l’entreprise ne donnent pas satisfaction, les employeurs pensent que la personne ne peut plus continuer à ce poste sans mettre en danger sa santé.

Parallèlement et sur un autre registre, nous avons saisi une réflexion de l’entreprise sur l’amélioration globale des conditions de travail en lien avec les difficultés exprimées par l’équipe. Le gérant était en train d’étudier l’installation d’un tapis roulant dans l’escalier actuel permettant ainsi à Madame Riou de mettre les cartons en haut du tapis et que ces derniers descendent par gravité. Il fallait prévoir la construction d’un nouvel escalier dans cette zone, pour des raisons de sécurité, même s’il en existe un second situé à l’autre extrémité du bâtiment.

En effet, l’employeur pense déjà à des solutions techniques qu’il présente comme envisageables mais coûteuses. De ce fait, il souhaite qu’une « validation » de notre part soit réalisée pour être bien sûr que cet investissement sera utile pour la personne concernée.

Le rôle de l’ergonome est alors de saisir cette dynamique, ce début de réflexion pour la porter.

Cependant le gérant n’est nullement convaincu du bien-fondé de toutes les dépenses à engager pour permettre le maintien dans l’emploi de la salariée concernée. Il attend de notre intervention d’avoir les éléments concrets pour décider s’il est raisonnable de la maintenir dans l’emploi, compte tenu de son état de santé, au vu des contraintes de l’activité confiée et des coûts financiers à engager.

À partir des données recueillies au cours des périodes d’observations de l’activité de magasinage réalisée par la salariée mais également des tâches de manutention reportées sur les collègues, l’ergonome a rédigé un document présentant les contraintes identifiées mais également des pistes de réflexions et des solutions envisageables. La réunion de présentation de ce diagnostic a été un moment déterminant à plusieurs niveaux dans cette intervention.

Tout d’abord, l’employeur a progressivement réalisé que pour sa salariée, il lui fallait attendre et demander l’aide d’un tiers, ce qui est difficile du fait de sa place dans la hiérarchie de l’entreprise. Cela rappelle à tous quotidiennement la situation de handicap de la salariée, ce qui ne l’aide pas à oublier ses problèmes de santé, et la stigmatise.

D’autre part, la présentation par l’ergonome des contraintes identifiées (lors des observations), suivie (de celle) des pistes de solutions, a été un moment fort pour l’employeur qui est alors passé de la position de

personne passive, voire freinante qui ne sait que faire de sa salariée, à la position d’acteur. En effet, les contraintes ainsi explicitées et des pistes de solutions proposées, lui ont permis d’exprimer son point de vue concernant les décisions prises sur la répartition des tâches. La présentation de l’activité a donné à l’employeur la possibilité de mesurer les contraintes qu’engendrent l’organisation mise en place avec une intervention successive des collègues pour lesquels le travail se trouve alors morcelé.

De plus, lors de cette présentation des pistes de réflexions, l’employeur a pris conscience que les propositions formulées par l’ergonome permettaient de redonner de l’autonomie à sa salariée pour le déplacement des cartons vers le sous-sol et les seaux plastiques vers le rez-de-chaussée.

Au vu de cette prise de conscience, l’employeur est devenu alors demandeur d’accompagnement pour connaître les aménagements que l’ergonome a pressenti pour le poste de contrôle du contenu des cartons, situé au sous-sol.

Ainsi, la présentation des contraintes identifiées et l’évocation des pistes de solutions permet aux décideurs d’avoir un autre éclairage sur les contraintes que rencontre la personne concernée mais également l’équipe.

Dans cette intervention, l’ergonome utilise les temps d’observation, privilégie des échanges individuels et collectifs pour :

• donner du sens aux informations recueillies

• avoir des données précises sur l’organisation du travail et la répartition des tâches.

• Connaître et s’approprier l’historique de la définition et du choix de l’organisation du travail mise en place actuellement dans l’entreprise.

L’analyse de l’activité réelle du travail permet ainsi d’anticiper les éventuelles contraintes futures du collectif liées à la réalisation de certaines tâches, tout en permettant à la salariée concernée par l’étude de travailler dans des conditions adaptées à ses difficultés (Leduc et Vernhes, 2009).

Rendre visible aux yeux de l’employeur l’organisation réelle de son entreprise, de son service, les dysfonctionnements et des possibles sous réserve de certains arrangements ou aménagements permet à l’ergonome de se donner des marges de manœuvres pour négocier la définition du travail prescrit.

Une tâche exclue au préalable pour la salariée?

Le fait que la salariée ne réalise plus le contrôle soulève l’attention de l’ergonome dès le premier rendez-vous. Cependant, il choisit de ne pas l’aborder à ce moment précis de l'intervention car il pressent que ce questionnement est prématuré. Cela refermerait des marges de manœuvre pour son intervention et risquerait de compliquer les futurs échanges.

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Même si les restrictions médicales sont essentiellement physiques, l’ergonome s’aperçoit que l’employeur remet en cause les capacités intellectuelles et cognitives de la salariée.

L’étude a permis de mettre en exergue que le poste de contrôle demandait de la concentration et que la suppression du contrôle n’était pas due à une évolution de l’état de santé sur le plan cognitif, ce qui était exprimé implicitement lors du premier rendez- vous.

Lors de la restitution de l’analyse de l’activité réalisée au sous-sol, il a été présenté qu’il n’était pas aisé de se repérer entre les cartons d’une livraison contrôlée et ceux en attente de contrôle ou mis en attente car il n’y a pas le compte. En effet, cet espace de travail est encombré de cartons et les opérateurs ont des difficultés à s’y retrouver. Nous reprenons les propos du gérant par rapport à cette tâche de contrôle

« qui demande de la concentration et ne peut être faite si l’on est tout le temps dérangé. »

Cette restitution d’analyse a été un moment clef de l’intervention puisqu’une tâche interdite à la salariée est devenue possible, du moins envisagée. Le gérant a précisé que si le poste de contrôle était aménagé, cette tâche pourrait alors lui être confiée à nouveau.

Finalement, cette tâche de contrôle qui comporte des manipulations de cartons (port de charges contre indiqués) lui a été retirée au préalable parce qu’elle n’était plus en capacité de l’effectuer mais non pas car elle était interrompue.

Ainsi, pour permettre la reprise du contrôle par Madame Riou, il a été négocié qu’elle n’y soit plus dérangée. Par exemple, la réception des livraisons ne doit plus être effectuée exclusivement par elle, l’obligeant à remonter à tout moment du sous-sol.

Aider la salariée à la prise de conscience de ses possibilités

Travailler sur le prescrit, l’organisation du travail collectif et la réattribution de tâches ne peut se faire sans l’adhésion de la salariée. Ainsi, nous nous sommes intéressés à son parcours professionnel dans un premier temps. Lors de la première rencontre, Madame Riou a exprimé qu’elle ne voyait pas d’autres postes qu’elle pourrait occuper au vu de son âge et de son état de santé. En effet, elle a rappelé qu’elle était présente dans cette entreprise à l’issue d’un reclassement professionnel n’ayant pu continuer à occuper un poste de manutentionnaire dans la grande distribution. Elle est consciente qu’elle ne peut pas faire toutes les tâches du poste de magasinier du fait des douleurs articulaires qu’elle ressent. Mais elle se plait à ce poste, apprécie particulièrement le contact avec les clients, et souhaiterait que des solutions soient mises en place pour lui permettre d’être maintenue dans l’entreprise. Elle apprécie tout particulièrement le réassortiment des produits dans l’espace de la parapharmacie pour lequel son chef hiérarchique dit qu’elle est opérationnelle car elle a une mémoire visuelle des produits qu’il faut remonter et de leur quantité.

Des craintes s’expriment au niveau de l’issue de l’intervention vis-à-vis d’un affichage sans précaution de son handicap par l’employeur. En effet, la première réunion s’est déroulée dans un couloir.

Au cours des temps d’observation et d’échanges sur les gestes et postures qu’elle prenait pour les tâches d’approvisionnement des rayons même si elle redoutait au préalable l’observation de son travail, l’ergonome lui a fait prendre conscience que son maintien dans l’emploi était en partie conditionné par la mise à sa disposition d’équipements lui permettant de faciliter le déplacement des produits. Ainsi, Madame Riou a accepté d’utiliser les chariots équipés de deux paniers (prévus pour la clientèle) pour transvaser les produits placés dans les seaux plastiques afin de les déplacer ensuite en les poussant par le timon vers les rayonnages sans avoir à les trainer en marche arrière en se baissant.

Grâce à cette première étape, Madame Riou a pris confiance en elle et a compris que certains aménagements simples de ce type lui permettaient de réduire l’apparition de douleurs et de déplacer plus facilement les produits sur la surface de vente.

En effet, la santé de la salariée va se construire par un développement de son activité, en lui donnant la possibilité d’agir sur sa situation, à partir de « débats sur son propre travail » (Petit et Dugué, 2013).

L’intervention ergonomique cherche à mettre en place des moments de débats pour les opérateurs sur leur travail afin de favoriser le pouvoir d’agir qui est essentiel au développement des individus et de l’organisation (Petit et Coutarel, 2013).

CONCLUSION

Afin de pouvoir construire une situation future favorable au changement qui débouchera sur le développement de l’individu, spécialement lorsqu’il s’agit d’une intervention qui va toucher à l’organisation du travail au sein d’un collectif, l’ergonome va développer plusieurs stratégies :

• s’imprégner du contexte de l’entreprise qui est toujours singulier avec son histoire et celle des différents acteurs. Il doit également prendre le temps de saisir le niveau d’engagement de chacun vis-à-vis de la situation.

• Participer à la présentation générale par l’employeur de la situation devant tous les acteurs concernés rassemblés autour d’une même table. Cela permet à l’ergonome de se rendre compte si la problématique est partagée par tous et de s’assurer de la cohérence du projet. À l’issue, une confrontation constructive des points de vue a lieu. Une photographie est alors faite de la situation à un instant donné.

Dans cette intervention, l’ergonome a requestionné la compréhension et l’appropriation par l’entreprise, des restrictions médicales à l’origine bien souvent des

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questionnements de maintien dans l’emploi. Il a cherché à faire évoluer l’engagement de l’employeur avec une orientation vers le possible. Il a ouvert ses

« œillères » créées par la perception de l’état de santé de la salariée en le recentrant sur le travail réel de son équipe. En effet, cette intervention a permis d’identifier une situation intenable pour le collectif de travail, engendrée par le retrait de certaines tâches à une personne de l’équipe. Cela a abouti à la réattribution d’une tâche, initialement exclue, la rendant possible et faisable grâce à certains arrangements.

Au travers de l’analyse de l’activité, la redéfinition progressive des tâches et la définition d'une nouvelle répartition au sein de l’équipe est devenu un facteur de développement individuel, collectif et organisationnel.

C’est ce travail sur l’organisation qui peut constituer

« une source de développement de l’activité et être une capacité organisationnelle pour traiter ce qui n’est pas prévu, pas prescrit » (Petit et Coutarel, 2013).

Par sa démarche, l’ergonome vise non seulement la transformation de l’intenable en tenable mais la création d’une situation où le développement est le maître mot. L’intervention ergonomique peut être envisagée comme une transformation de l’organisation afin de la rendre adaptable vis-à-vis des opérateurs.

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