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LA SIBERIE JAPONAISE RETOUR DU HOKKAIDO

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Academic year: 2022

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LA SIBERIE JAPONAISE

RETOUR D U HOKKAIDO

Ce court extrait du nouveau livre d'Armand Bérard (le quatrième et dernier tome de ses Mémoires) illustre tout le pittoresque du Japon d'il y a vingt ans. Il fait res- sortir la diversité du pays, la différence entre le Hokkaido, la grande île continentale du Nord, et le vieux Japon, le Hondo, bouleversé par le volcanisme, compartimenté et surpeuplé.

J E A N J A U D E L

Au Hokkaido, l'île du Nord

La localité de Tamakomai est en plein essor. Elle comptait 35 000 habitants en 1950; elle en a déjà 50 000 en 1957. L a partie ancienne est bâtie en bois, la plus récente en moellons de cendre agglomérée comme en Allemagne dans la région de Coblence. Des immeubles d'appartements aux formes géométri- ques ont été édifiés pour les ingénieurs et la maîtrise. Les jutons colorés s'aèrent à toutes les fenêtres. Si même l'habitation change, une mentalité nouvelle devrait se développer dans ce pays neuf, dans cette petite ville où, sur la rue principale cons- truite en ciment, sont installés de grands cinémas.

Préservé pour les touristes, le village ainu (1) de Shirane se réduit à deux huttes à carcasse de bois couverte de roseaux sans colonne de soutien intérieur ; un sol de tatami grossier, au centre Vhibachi ; pendues à des clous, les robes ainus dont,

(1) Population ancienne du Japon, n'existant plus qu'au Hokkaido.

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pour les étrangers, se vêtent les figurants ; quelques objets de laque reçus par le chef ; un appareil photographique à pied du début du siècle. L a case n'a de fenêtres qu'à l'est, du côté où s'adorait le soleil levant. Un vieux chef barbu, sa femme portant dessinée en noir autour de la bouche une moustache à crocs, se laissent photographier contre un billet de 100 yen. Une voiture publique peinte en blanc, rouge et bleu, tirée par deux poneys, ajoute à ce spectacle un aspect de cirque. L a race se meurt. Les villages, les coutumes qu'avait observés l'académicien André Bellessort au début du siècle ont disparu. A plus forte raison ceux qu'avait décrits L a Pérouse. Comme les Indiens d'Amérique, la race a été évincée, combattue. Elle s'éteint sans que sa trace, sa civilisation ni sa langue soient conservées.

Noboribetsu n'est qu'à quelques kilomètres. Dans une rue de ville d'eau, bordée de magasins et de bazars, bondée de monde, la voiture ne se fraie un chemin qu'avec peine. Des deux grands hôtels, le plus vaste, le japonais, comprend tout un complexe de maisons. C'est le plus grand hôtel thermal du Japon et, affirme notre guide, du monde entier. Deux cent vingt chambres, mais chacune héberge sur ses tatamis quatre à six personnes, parfois plus. Derrière l'entrée neuve en ciment, les bâtiments sont pour la plupart en bois, avec des couloirs et des escaliers sans nombre. Ici, une salle de télévision ; là, un bar ; ailleurs un billard. A u premier étage, un grand bazar. O n en domine le hall d'entrée, deux cents parapluies de papier huilé et, stockées contre une colonne, plusieurs centaines de valises de plastique toutes semblables, bleues ou grises. Des souliers numérotés s'accumulent sans cesse dans les réserves à l'arrivée de nouveaux clients. Des centaines de paires de hautes getas de bois attendent les promeneurs.

C'est le vaste bain du rez-de-chaussée qui attire les visi- teurs ; dans une haute salle soutenue par des colonnes s'alignent seize bassins d'eau chaude de températures diverses. On laisse ses vêtements à l'entrée dans des paniers d'osier. Le bain est commun. On s'y promène, une serviette autour des reins. O n la quitte pour se savonner. Les Japonaises, presque sans seins, ont des hanches fines, des dos droits, des cous élégants, des corps de garçons. Certaines femmes s'accroupissent ensemble autour d'un bassin éloigné pour se savonner mutuellement ; d'autres se baignent mêlées aux hommes, en général moins

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beaux. Les pères se font masser et savonner par leurs fils. On dîne à 6 heures, quand tombe la nuit, puis l'on boit. A 8 heures, commence la danse dans une salle où deux projecteurs, l'un rouge, l'autre bleu, aux lumières renvoyées par un prisme tour- nant, répandent sur le plafond, le sol et les murs des étoiles colorées sans cesse mouvantes. Quelques couples dansent en yukatas, car tout cet hôtel, cette foule d'un millier de personnes au moins, est nue, ou très peu s'en faut, sous les peignoirs.

Elle ne fait d'ailleurs que passer ; elle ne reste qu'un jour.

Seuls les paysans aisés viennent, l'hiver, se reposer ici une semaine ou deux. Affairement de collégiens et de collégiennes amenés par autocars, que l'on baigne, puis que l'on couche dans des salles étroites. Va-et-vient des yukatas comme sur une plage ; mais l'eau ici est à l'intérieur. On s'enferme dans l'hôtel et l'on n'en sort pas.

Samedi 24 août. — Dès le matin ont commencé à la radio les crissements du shamisen. L'hôtel baigne littéralement dans la musique. Des haut-parleurs sont installés sur le bord opposé des chemins de terre entourant les divers bâtiments et, face à ceux-ci, de manière qu'aucune chambre ne puisse échapper à ce concert qui ne cesse pas de tout le jour. Dans le hall fonctionne un vaste service de radiodiffusion : plusieurs tourne-disques, des tableaux électriques de commandes, des dizaines de manettes actionnant les différents amplificateurs, véritable centrale de grande station.

A u coffee room, les clients aspirent déjà bruyamment leurs bols de nouilles au soba en buvant une tasse de thé vert. Dans le petit théâtre voisin de télévision, d'autres attendent déjà le spectacle. Tout le jour, ils circuleront en pantoufles et en yukatas entre leurs chambres et le bain commun, la télévision, le bazar, pour quelques-uns le billard. L a cure de repos et de campagne est dans l'hôtel. Le site, la vue, ne comptent pas. Les eaux chaudes et le bain d'abord.

Dans le hall fonctionne déjà le service de ramassage des chaussures et de distribution des pantoufles : vertes pour les clients habituels, brunes et plus communes pour les collégiens et les collégiennes, qui vont coucher les uns ici, les autres là, dans une grande pièce, à autant de corps qu'il y a de place sur les nattes. L'hôtel recevra aujourd'hui 1 500 personnes. Dans le sous-sol auprès de la piscine, ne prenant air et lumière que

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par des vasistas, une autre salle commune est aménagée pour recevoir les baigneurs qui viennent profiter des eaux chaudes sans passer la nuit. Sur des tapis, sur des nattes, ils s'accrou- pissent, s'étendent, sortent leurs provisions, déjeunent, somno- lent, parqués par dizaines, assommés par la chaleur du bain.

C'est le traitement hôtelier par masse, par foule, qui convient à cet Extrême-Orient surpeuplé, où i l faut s'occuper non plus d'individus mais de groupes innombrables.

E n nous indiquant le chemin de la Vallée de l'Enfer et de ses jaillissements d'eau chaude, le gérant nous montre avec fierté des ours de deux ans qu'il recueillit oursons et qui tiennent maintenant difficilement dans leurs cages trop petites. Ce sont de gros plantigrades noirs, non plus ces petits ours de quelques mois des bords du lac A k a n . Ils vont grandir encore dans les deux ans qui viennent. Ce seront alors des bêtes redoutables.

Leur tête, qui, par son museau allongé et sauvage, par la peti- tesse des oreilles, rappelle celle du sanglier, est démesurément longue par rapport à leur corps alerte, au beau pelage. Les plantes de leurs pattes sont garnies d'un cuir noir et souple qu'enserre un poil épais qui foisonne même entre la paume et les doigts. De tels ours abondent dans le parc national de Shikotsu. Leurs traces dans la neige permettent de trouver leurs tanières l'hiver.

D u fond de la vallée boisée, un autocar nous a descendus jusqu'à la gare de Noboribetsu. A Higashi Muroran, on détache la partie du train qui ira jusqu'au port au bout de son cap.

De grandes usines sidérurgiques sont établies au fond de la baie, au bord d'un bassin aménagé pour leur ravitaillement. Le golfe que l'on contourne est rempli de grands cargos ancrés en rade.

Des dépôts de bois prêt à être embarqué cèdent bientôt la place à un entrepôt d'essence, à une distillerie neuve de la Standard Vacuum. U n port pétrolier est en cours d'aménagement. Tour- nant le dos à l'Asie russe, aujourd'hui fermée, ouvert vers

l'océan et l'Amérique toute-puissante, Muroran grandit à la vitesse du Nouveau Monde et devient le deuxième port du Japon après Yokohama-Tokyo. Sur toutes les plages sont récol- tées, séchées, empaquetées en ballots dans des nattes, de gran- des lanières de varech. U n champ de tournesols étale l'œil noir et étonné de ses larges fleurs. A chaque halte descendent des pêcheurs, gens du peuple, employés ou ouvriers, avec leurs lignes

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et leurs lampes à acétylène, qui vont se livrer de nuit au surf fishing. De longs trains de filets s'étalent sur la mer calme.

Après un brusque et pathétique embrasement du couchant, ce semi-express aux dures banquettes d'un velours fané poursuit dans la nuit tombée sa route cahotante. Les Japonais voyagent à peu près sans bagages, avec une simple chemise de rechange, mais i l faut qu'ils aient un appareil photographique et son pied replié, une radio portative, une caméra. Le train est plein, le filet à bagages est vide.

Retour du Hokkaido, Sibérie japonaise

A 8 heures du soir, nous changeons à Oshamambe pour prendre le grand express Sapporo-Hakodate. C'est la plus grande ligne nord-sud, de Sapporo à Tokyo par Aomori. Dans ce train rempli jusqu'à la dernière place, nous trouvons difficilement les deux fauteuils à dossier renversable qui ont été retenus pour

nous depuis plus de quinze jours. Atmosphère lourde et peu respirable toutes fenêtres fermées. Dans ce wagon de deuxième classe, tous les hommes qui ne dorment pas couchés sur le plancher sale des plates-formes, ont quitté leurs chemises et restent en sous-vêtements, les bras nus jusqu'à l'épaule, les jambes de pantalon relevées, les mollets et genoux nus au-dessus des chaussettes courtes. U n gros homme a quitté son pantalon et est vautré en caleçon flottant sous les réclames de whisky japonais qui ornent les murs. A 10 heures, on approche. Les hommes renfilent leurs chemises blanches et se lissent les cheveux à l'huile de camélia.

Hakodate enfin. Précipitation sur le quai. Des femmes gagnent le ferry-boat ployant sous les paquets de leurs furoshiki.

L'embarquement donne lieu à un curieux spectacle. Coiffé de sa casquette rouge à bandeau d'or, le chef de gare a fait contenir par ses adjoints le flot des voyageurs, les a organisés en cortège, a placé à leur tête trois de ses employés et a fait conduire à pas lents cette procession jusqu'au portillon de contrôle des billets ; mais, au-delà, quelle ruée, quelle presse et quelle bous- culade ! Dans les cabines mixtes, les hommes s'empressent de se mettre en caleçon et en sous-vêtements, puis attendent leur tour pour le bain chaud. Sans égards pour les femmes, ils fument et laissent éclairé le plafonnier tant qu'il leur plaît. L a courtoisie

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envers le sexe faible était tenue dans l'ancien Japon pour un manque de virilité. Indiscrets, les garçons de cabines, toute la nuit, entrent sans frapper, ne vous laissent jamais seuls et tran- quilles. Quand on les en prie, ils sont abasourdis et froissés.

Traversée calme. Agnès, le premier typhon de l'année qui, épargnant le K i u Shu de justesse, s'en est allé mourir en mer du Japon, n'a pas encore fait sentir ici son contrecoup. Réveil à 4 heures, trente minutes avant l'arrivée. A u x lavabos, c'est le concert bruyant d'hommes qui se raclent la gorge, crachent, se gargarisent, se lavent les dents. Sur le pont, la foule se presse, anxieuse de se précipiter vers le train ; dès la passerelle jetée, dans l'habituelle bousculade, i l n'y a de respect ni pour les femmes ni pour les enfants. L a vie est une constante compétition dans ce pays où il n'y a pas de place pour tout le monde. Sur le quai, on assiège les marchands de bentos, de poissons, d'algues séchées sous papier transparent. O n achète dans des paniers de bambous tressés les pommes toujours vertes de l'Aomori. E n attendant le départ du train dans une heure, on a de nouveau quitté les chemises, laissé reparaître les sous-vêtements. On fait sécher aux fenêtres les serviettes de toilette. De l'extrémité du wagon arrivent des lavabos le bruit des raclements de gorge et celui des crachats sonores.

Voici que l'on retrouve les rizières plates, morcelées et vertes, les bois de pins rouges aux formes maniérées, les monta- gnes abruptes et courtes surgissant brusquement de la plaine ou de la mer, les vergers de pommiers aux arbres sulfatés, les catalpas étalant auprès des fermes leurs larges feuilles, les étangs à lotus, charmants aux yeux, pestilentiels au nez, les longues feuilles de tabac sous les toits avançants. Des groupes serrés de collégiens, de paysans, encombrent de nouveau les gares.

Chaque faubourg, chaque localité est dominée par le grand toit rouge ou vert à double pente de son temple bouddhiste ou shinto. Hondo, c'est le shintoïsme triomphant, c'est le Japon traditionnel, compartimenté, restreint, resserré, surpeuplé. Dans les champs, les femmes se protègent du soleil cuisant par leurs grands chapeaux ronds de roseaux ou de bambous tressés, en forme de paniers renversés qui les couvrent jusqu'aux épaules.

Signe que l'on est entré dans des régions plus peuplées et plus riches, les godan, les « trésors », deviennent fréquents dans les villages après Sukushima. Volaille et bétail sont désormais enfer-

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mes dans le minimum de place. Toute la terre disponible est réservée au riz, à la subsistance d'une population pléthorique.

Le compartimentage et les facettes des montagnes donnent de nouveau à un paysage limité un aspect plus grand que sa mesure. Ces collines très découpées paraissent des montagnes, comme les banzai paraissent des arbres. Tout est précieux, gra- cieux, charmant ; rare est le grandiose. Aucune culture sur les versants pourtant en pente douce, pas de rectangles jaunes des seigles ou des avoines comme au Hokkaido ; seulement l'épais tapis vert clair des bambous nains. Vers le milieu du jour, les rizières désertes baignent dans la chaleur lourde et la vapeur d'eau de leur sol inondé et boueux. Des épouvantails de toutes sortes les protègent soigneusement des oiseaux. Dans les canaux d'irrigation, les enfants bruns se baignent nus comme de jeunes buffles. A u x stations, accroupis sur leurs talons dans une pose bien asiatique, les mécaniciens de locomotives se reposent sur l'étroite plate-forme de leur machine. Toutes fenêtres ouvertes, on s'évente, dans le train, à coups précipités d'éventails. Une heure après le départ, le wagon, au sol jonché de papiers et de détritus (on ne jette rien par les portières), est un dortoir d'hom- mes vautrés sur les fauteuils et à moitié dévêtus. Dans le train d'une ligne secondaire croisé en gare de Nihonmatsu, la plupart des voyageurs sont en sous-vêtements, en caleçons flottants et en pantoufles. Sur leurs bras et leurs jambes nus, qu'ils exhibent si libéralement, la plupart portent des cicatrices de moxa, de ces morceaux d'étoupe enflammée qu'on applique comme vésica- toires et qui servaient jadis de punition. E n approchant de Tokyo, la chaleur devient plus humide et plus lourde. L'orage, i c i , est tombé. De nouveau, le chant des cigales est assourdissant, entê- tant ; c'est le bruit de centaines de pistons tirés et poussés avec un son strident. O n est rentré en pays tropical. L'air chaud du Sud est remonté jusqu'ici, chassant la fraîcheur des mers froides.

V o i c i cette multitude de lumières dispersées sans ordre, les trains électriques de banlieue se succédant sur les lignes avec leur pleine charge d'humanité pressée. Jamais, sous son aspect pro- vincial et campagnard, Tokyo ne m'avait autant donné l'impres- sion d'une grande métropole, de l'énorme agglomération de millions d'êtres qu'elle constitue.

A R M A N D B E R A R D

Extrait de Une ambassade au Japon par Armand Bérard, à paraître ces jours-ci aux Ed. Pion.

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