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Ce n'est plus du cinéma :

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Texte intégral

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Nestle

La passion d e la vie

G o o d F o o d G o o d Life

Raffinement ou barbarie ? L'amour chez les araignées Les araignées déclenchent des phobies : noires, poilues, véloces, elles sont probablement les plus redoutées de toutes les arthropodes. Mais que sait-on de leurs mœurs? Avec la fin de l'été, qui voit sortir les plus gros spécimens, l'occasion se présente de prendre sa curiosité à deux mains, de surmonter son dégoût et de les regar- der de près. Courage, ça en vaut la peine. La Iode M t'uue en page 12

Sommaire

Le virus informatique, arme des nouveaux vandales

Hold-up numérique, vandalisme informatique, attaque «bactério- logique-, chantage à la bombe logique, etc.. Cette forme de criminalité est toujours plus importante, explique Jean Menthonnex, enseignant à l'Ins- titut de police scientifique et crimino- logie de l'Université de Lausanne.

Offrez-ivu.i une plongée ilano la zoologie virale en page 35

IMPRESSUM

Allez savoir!

Magazine de l'Université de Lausanne

№ 1 2 , octobre 1998 Tirage 20'000 ex.

Rédaction:

Service de presse de l'UNIL

Axel-A. Broquet resp., Florence Klausfelder BRA, 1015 Lausanne-Dorigny

Tél. 021/692 20 71 Fax 021/692 20 75

Internet: http://www.unil.ch/spul uniscope@unil.ch

Rédacteur responsable:

Axel-A. Broquet

Conception originale et coordination:

Jocelyn Rochat, journaliste iL'Hebdo Ont collaboré à ce numéro:

Sonia Arnal, Michel Beuret,

Patricia Brambilla, Jean-Bernard Desfayes, Alexandra Rihs

Photographe: Nicole Chuard Dessins: Enrico

Correcteur: Albert Grun

Concept graphique: Richard Salvi, Chessel http://www.swlsscraft.ch/salvi/

Imprimerie et publicité:

Presses Centrales Lausanne SA Rue de Genève 7,1003 Lausanne Tél. 021/317 51 51

Photos de couverture:

(Photomontage Richard Salvi) Vaches: Nicole Chuard Comète: Deep Impact/Dreamworks Moïse: Dreamworks

Edito page 2

Ce n'est plus du cinéma :

les (petites) météorites arrivent

page 3

Le précédent de 1966 page 4 Un trou de 20 kilomètres de profondeur page 7 L'irruption du néocatastrophisme page 11

Entre raffinement et barbarie,

l'amour chez les araignées

page 12

La filière de la soie page 13 Tenues de camouflage page 15 Une mygale en Suisse page 17 L'araignée: étalon écologique page 18 L'araignée, sauvée par la mythologie page 19

IISTOIRE DES RELIGIONS Moïse : de l'Egypte à Hollywood,

en passant par le désert.

page 20

Un mythe fondateur de l'Amérique page 21 Moïse sur le divan page 25

«Vaches, moutons, chats fous... L'homme tremble.

Mais que risque-t-il vraiment, Dr Ghika?»

page 28

Si on résume brutalement, 50 millions d'Anglais sont contaminés page 29

IATIQUI

Le virus, arme des nouveaux vandales

page 35

Contamination et destruction page 36 Sera puni page 38 Zoologie de l'Internationale virale page 39

«Le vrai problème, c'est la malveillance informatique» page 40 Typologie de virus page 41

Racisme: ce que la loi condamne

page 42

L'article 261 bis du Code pénal page 42 Un pamphlet allemand décortiqué page 45 L'exemple du libraire page 46

!E QU'ILS E N PENSENT...

«Pu'iS'je me fier à mes sens ?»

Par Pierre Feschotte, en souvenir du professeur Dominique Rivier page 50

FORMATION CONTINUE

Demandez le programme page 53

Abonnez-vous, c'est gratuit! page 56

(3)

Edito

LA VACHE DE MALADIE

E p i d é m i e

«anecdoti-

que» ou ca- tastrophe à l ' é c h e l l e e u r o p é e n - ne? Victi-

mes

p a r

di-

zaines, comme

c'est le cas depuis la découverte de la maladie en 1987, ou p a r millions?

Le plus insupportable,

en cette époque où la folie gagne la viande au point de faire trembler l'homme, c'est qu'il faut s'attendre à survivre quelques années, et peut-être même quelques décennies dans l'incertitude. Comme l'a confié à Atlezjavoir! le Docteur Joseph- André Ghika, médecin au Service de neurologie du C H U V de Lausanne :

«Nous ne pouvons, à l'heure actuelle, ni déceler la maladie avant qu'elle ne se développe, ni la soigner après». Et la recherche d'un éventuel traitement n'en est qu'à ses débuts (voir son inter- view en page 28)...

Le plus pénible,

dans cette affaire, c'est que nous sommes deux fois vic- times de la gestion ultra-économique du monde qui prévaut depuis quelques années. La maladie a pu progresser parce que des fabricants anglais ont cherché à faire des économies sur leurs frais de production de farines alimen- taires. Q u a n t à l'absence de traitement à la maladie de Creutzfeld-Jakob, elle découle également d'une politique d'investissement calculée au centime près. Avant que l'épidémie ne se déclare, il n'y avait «que» 10 à 15 per- sonnes touchées p a r cette maladie chaque année en Suisse. Pas de quoi former un marché suffisant p o u r inci- ter l'industrie pharmaceutique à inves- tir dans la recherche d'un médicament.

Le plus para-

doxal dans cette

é p i d é m i e , c'est qu'elle nous trans- forme en moutons, bœufs, porcs ou agneaux, qui attendent de savoir s'il

seront condamnés à l'abat- toir. En priant pour que le prion nous épargne, nous nous retrouvons coupables de n'avoir, indi- rectement, pas été assez responsables dans notre gestion de la cohabitation délicate de la science et de l'économie.

Le plus ennuyeux

avec ce scandale, c'est qu'il s'inscrit dans une série de dérapages scientifico-industriels. Or, plus les affaires comme la vache folle ou le sang contaminé seront nom- breuses, et plus l'opinion publique accordera de crédit a u x rumeurs les plus fantaisistes. La recherche a déjà suffisamment de peine à faire com- prendre et admettre au grand public le bien-fondé ou l'utilité d'expériences toujours plus complexes (voirie récent débat sur les aliments transgéniques).

Elle a donc tout à craindre d'une telle accumulation.

Enfin le plus délicat

dans cette affaire de vache folle, c'est que la science a davantage de doutes que de réponses à offrir. Malgré cela, mais aussi à cause du flou qui entoure les conséquences de cette épidémie. L'information sans alarmisme et sans nier le problème reste la moins mauvaise des réponses à apporter aux questions qui se bouscu- lent. Voilà pourquoi nous avons solli- cité l'interview du D r Ghika. Parce que la franchise et la transparence restent les seuls remèdes pour éradiquer non pas le prion, mais les épidémies de fan- tasmes.

JoceLyn Rocbat

P 7 < 2 / M / n i o l / M ° 1 Q D n T n o n c • N

S C I E N C E S

Ce n'est plus du cinéma :

les (petites)

météorites arrivent

! tellation du Lion, croi- jent la trajectoire de la planète Terre. Cej poujjièrej cojinujiied,

coin d'autre J «oi je Li ce leJ teJ po tentici-

leinent dangereux»,

(4)

S C I E N C E S : L e s [ p e t i t e s ) m é t é o r i t e s a r r i v e n t

A

p r è s les films Deep Impact et Armageddon, voici la réalité qui a p p r o c h e : ce 17 n o v e m b r e , la t r a - jectoire de la T e r r e c r o i s e r a celle des L é o n i d e s , u n e t r a î n é e de p o u s s i è r e s c o s m i q u e s qui, p a r effet de p e r s p e c - tive, p a r a î t d é b o u l e r de la constella- tion du Lion, d'où leur n o m . «En fait, il s'agit de r é s i d u s a b a n d o n n é s p a r la c o m è t e T e m p e l - T u t t l e qui revien- n e n t d a n s nos p a r a g e s t o u s les 3 3 ans», explique P i e r r e N o r t h , de l'Ins- t i t u t d ' a s t r o n o m i e de l ' U n i v e r s i t é de L a u s a n n e .

L'espace d ' u n e ou d e u x h e u r e s , q u e l q u e s - u n s de ces microbolides, cent mille ou d a v a n t a g e , e n t r e r o n t d a n s l ' a t m o s p h è r e . Ils p r o v o q u e r o n t en se c o n s u m a n t u n e pluie d'étoiles filantes, les m é t é o r e s . L'un ou l'autre résistera à l ' é p r e u v e et p a r v i e n d r a j u s q u ' a u sol. Ces fragments, les mété- orites, g é n é r a l e m e n t de petite taille, ne p r é s e n t e n t g u è r e de r i s q u e s .

Pierre North, de l'Institut d'astronomie de l'Université de Lausanne

Le précédent de 1966

La d e r n i è r e r e n c o n t r e , p a r t i c u l i è - r e m e n t intense, avec les L é o n i d e s s'était p r o d u i t e en 1966, et la petite c e n t a i n e de satellites lancés p a r l ' h o m m e qui g r a v i t a i e n t a u t o u r de la T e r r e à l'époque n ' a v a i t a p p a r e m - ment pas t r o p souffert de la r e n c o n t r e a v e c cette pluie sèche et potentielle- m e n t mortelle.

Il en ira p e u t - ê t r e a u t r e m e n t p o u r les 4 0 0 ou 500 satellites artificiels o p é r a t i o n n e l s a u j o u r d ' h u i . S i t u é s selon d e u x c o u c h e s c o n c e n t r i q u e s - e n t r e 300 et 1500 km p o u r la p r e - mière et à 36 000 km p o u r la s e c o n d e - ces e n g i n s de t é l é c o m m u n i c a t i o n , de prévision météorologique ou d ' o b -

s e r v a t i o n de la T e r r e et de l'espace p r o f o n d ne s o n t p a s p r o t é g é s p a r l ' a t m o s p h è r e et p o u r r a i e n t être désé- quilibrés, e n d o m m a g é s ou d é t r u i t s p a r l'impact d i r e c t d ' u n e p a r t i c u l e d'un d i a m è t r e inférieur au millimètre mais p r o j e t é e à d e s vitesses vertigi- neuses de 20 k m / s e c ou p l u s . L'éner- gie c i n é t i q u e formidable e n g e n d r é e p a r cette collision est de n a t u r e à p e r - forer e t / o u d é t r u i r e les p a n n e a u x solaires, les circuits i n t é g r é s , les sys- t è m e s de c o m m a n d e ou les lentilles d e s o p t i q u e s . Bref, la c a t a s t r o p h e est q u a s i m e n t p r o g r a m m é e , c o m m e d a n s les films h o l l y w o o d i e n s . . .

«Nous avons rendez-vous tous les étés

avec les Perséides»

P r i s isolément et v u s p a r u n béo- tien, ces p h é n o m è n e s p e u v e n t p a r a î - tre terrifiants. Ils laissent p r e s q u e de

4 A L L E Z S A V O I R ! / № 1 2 O C T O B R E 9 8

Cet été, les amateurs de cinéma ont été massivement bombardés, comme dans «Armageddon»..

... et dans «Deep Impact»

m a r b r e les a n a l y s t e s professionnels d u ciel. « N o u s a v o n s r e n d e z - v o u s t o u s les étés avec les P e r s é i d e s , note P i e r r e N o r t h . N o t r e r o u t e croise l'orbite d ' u n e c o m è t e qui se désa- g r è g e et sème ses d é b r i s d e r r i è r e elle.

E n f r a n c h i s s a n t la b a r r i è r e a t m o - s p h é r i q u e , ces d e r n i e r s laissent au p a s s a g e u n e t r a î n é e p r o v o q u é e p a r l'ionisation de l'air. O n c o m p t e p a r nuit claire de dix à cent de ces étin- celles f u l g u r a n t e s d a n s le ciel de la m i - a o û t . L e u r origine p e u t être u n e p o u s s i è r e de q u e l q u e s dixièmes de millimètre qui a r r a c h e d e s é l e c t r o n s a u x molécules d'air qui se t r o u v e n t s u r son passage.»

E n p r o l o n g e a n t les t r a c e s lumi- n e u s e s qu'ils a b a n d o n n e n t d a n s le ciel - à la m a n i è r e de l'effet de p e r s - pective o b t e n u en r o u l a n t en v o i t u r e p a r u n e t e m p ê t e de neige - on p e u t d é t e r m i n e r le r a d i a n , c'est-à-dire la direction d'où ils p r o v i e n n e n t d a n s

l'espace, et r e c o n s t i t u e r leur o r b i t e a p p r o x i m a t i v e .

M a i s il ne faut p a s c r o i r e q u e c e t t e p l u i e c é l e s t e soit r é s e r v é e a u x s o i r é e s d e s a o û t i e n s en v a c a n c e s . M ê m e si elle le fait p l u s d i s c r è t e - m e n t q u e d u r a n t les n u i t s estivales, c'est à l o n g u e u r d ' a n n é e q u e la m a t i è r e i n t e r s i d é r a l e s ' a b a t s u r n o s t ê t e s .

34'000 impacts de toutes sortes

« G r â c e au satellite a m é r i c a i n L D E F ( L o n g D u r a t i o n E x p o s u r e Facility) q u i est r e s t é 68 mois d a n s l'espace d a n s les a n n é e s 1980 et d o n t l ' e n v e l o p p e a é t é c o n s t e l l é e d e 34 000 i m p a c t s d e t o u t e s s o r t e s ( m i c r o m é t é o r i t e s o u r é s i d u s d ' e n g i n s e n v o y é s p a r l ' h o m m e d a n s l ' e s p a c e ) , on a u n e assez b o n n e sta- t i s t i q u e d u flux q u i s ' a b a t s u r n o t r e

A L L E Z S A V O I R ! / № 1 2 O C T O B R E 9 8 5

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S C I E N C E S : L e s ( p e t i t e s ) m é t é o r i t e s a r r i v e n t

p l a n è t e : s'il n ' y a v a i t p a s d ' a t m o - s p h è r e , c h a q u e a n n é e , c h a q u e m è t r e c a r r é d e la s u r f a c e t e r r e s t r e s e r a i t p i q u é , s a n s t r a c e visible, p a r a u m o i n s 24 i m p a c t s de m i c r o m é t é o - rites de p l u s d e 2 0 0 m i c r o n s (0,2 m m ) de d i a m è t r e » , r e m a r q u e P i e r r e N o r t h .

Ce n'est p a s le ciel qui n o u s t o m b e dessus mais p r e s q u e : la masse a n - nuelle qui a t t e i n t le sol du globe se situe e n t r e 2 0 ' 0 0 0 et 6 0 ' 0 0 0 t o n n e s p a r an. La m a r g e d ' e r r e u r p a r a î t i m p o r t a n t e mais, quoi qu'il en soit, c'est u n e belle q u a n t i t é . C e r t a i n s a u t e u r s v o n t m ê m e j u s q u ' à l'estimer à plus de ÎOO'OOO t o n n e s . L a q u a s i - totalité des T e r r i e n s ne s'en r e n d p a s c o m p t e et le p h é n o m è n e n'a fait ni victime ni d é g â t s majeurs à ce q u e l'on sache d u r a n t ce siècle - à u n e e x c e p t i o n p r è s , la c a t a s t r o p h e de T o u n g o u s k a , en Sibérie, d o n t il s e r a q u e s t i o n plus loin.

Trois sources importantes de problèmes

« P o u r t r o u b l e r c e t t e belle t r a n - quillité, dit l ' a s t r o n o m e , il y a d a n s n o t r e s y s t è m e solaire t r o i s s o u r c e s i m p o r t a n t e s de p r o b l è m e s : u n e cein- t u r e d ' a s t é r o ï d e s et d e u x r é s e r v o i r s à comètes. La C e i n t u r e d'Astéroïdes, r é s i d u de la f o r m a t i o n d u s y s t è m e solaire, est c o m p o s é e de q u e l q u e s millions d e blocs p i e r r e u x qui t o u r - n e n t t r a n q u i l l e m e n t a u t o u r d u Soleil s u r u n e o r b i t e s i t u é e à e n v i - r o n 3 fois la d i s t a n c e T e r r e - S o l e i l , g r o s s o m o d o e n t r e M a r s et J u p i t e r . L a p l u p a r t de ces cailloux o n t m o i n s de 1 kilomètre de d i a m è t r e , q u e l q u e s c e n t a i n e s d e milliers o n t u n e taille a p p r o x i m a t i v e de 1 à 3 k m , q u e l q u e s c e n t a i n e s a t t e i g n e n t 100 k i l o m è t r e s et t r o i s s e u l e m e n t d é p a s s e n t les 300 k i l o m è t r e s . O n p o u r r a i t i m a g i n e r q u ' e n a c c o r d avec les lois de la méca-

n i q u e céleste, ils p o u r s u i v e n t l e u r r o n d e s a n s n o u s inquiéter. Il n ' e n est r i e n . D e s p e r t u r b a t i o n s g r a v i t a - t i o n n e l l e s m u t u e l l e s ou d u e s à d e g r o s s e s p l a n è t e s v i e n n e n t d é v i e r la c o u r s e d e ces a s t é r o ï d e s et les o r i e n - t e n t s u r d e s t r a j e c t o i r e s i m p r é v i - sibles. L'un ou l ' a u t r e d e ces a s t é - r o ï d e s p e u t ê t r e a t t i r é h o r s de sa t r a j e c t o i r e h a b i t u e l l e et, à p a r t i r de là, t o u t est p o s s i b l e , y c o m p r i s u n e collision a v e c la T e r r e . Le p r e m i e r r é s e r v o i r à c o m è t e s , la c e i n t u r e d e Kuiper, à la p é r i p h é r i e d u s y s t è m e solaire, c o n t i e n t u n e c e n t a i n e d e mil- lions de ces é n o r m e s c a i l l o u x e n r o - b é s de glace q u ' o n a p p e l l e c o m è t e s . C e n ' e s t rien à côté d u n u a g e d ' O o r t qui en c o n t i e n d r a i t . . . mille milliards;

mais il se s i t u e à 5 0 ' 0 0 0 fois la d i s - t a n c e T e r r e - S o l e i l . Le d a n g e r v i e n t à n o u v e a u d e ce q u e d e s c o r p s célestes, u n e étoile ou un n u a g e de g a z et de p o u s s i è r e s , v i e n n e n t o c c a -

6 A L L E Z S A V O I R ! / № 1 2 O C T O B R E 9 8

... à la réalité. Ici les effets de l'impact d'un astéroïde à Meteor Crater, Arizona, et la reconstitution de l'impact

s i o n n e l l e m e n t d i s t r a i r e la sieste d e ces g i g a n t e s q u e s b o u l e s d e neige sale.»

U n trou de 20 kilomètres de profondeur

C'est un de ces h a s a r d s qui fit plonger, il y a 65 millions d ' a n n é e s , u n a é r o l i t h e d ' u n e q u i n z a i n e de kilo- m è t r e s de d i a m è t r e d a n s l'océan au s u d - e s t d u M e x i q u e . Le c h o c , équi- v a l e n t à l'explosion de p l u s i e u r s mil- l i a r d s de b o m b e s d ' H i r o s h i m a , c r e u s a u n t r o u de 20 k i l o m è t r e s de p r o f o n d e u r et 200 k m de d i a m è t r e d o n t u n e p a r t i e des b o r d s se r e t r o u - v e n t d a n s la p é n i n s u l e du Y u c a t a n ; il est c o n n u a u j o u r d ' h u i sous le n o m de c r a t è r e de C h i x c u l u b . R a z de m a r é e , projection de m a t i è r e d a n s la h a u t e a t m o s p h è r e , pluies acides, i n c e n d i e s , n u a g e s de p o u s s i è r e o p a q u e r e c o u v r a n t t o u t e la p l a n è t e ,

ces c a t a s t r o p h e s en c h a î n e p r o v o - q u è r e n t - on en est m a i n t e n a n t p r e s q u e sûrs - la disparition des trois- q u a r t s d e s espèces v é g é t a l e s et des d e u x tiers des espèces animales, d o n t les f a m e u x d i n o s a u r e s . P o u r le plus g r a n d profit d e s m a m m i f è r e s de l ' é p o q u e d o n t n o u s s o m m e s issus.

D e Meteor Crater à Toungouska

B e a u c o u p plus r é c e m m e n t , p u i s - q u e cela s'est passé il y a à peine 50 000 a n s , un a s t é r o ï d e ferreux de 50 m de d i a m è t r e a e m b o u t i le d é s e r t de l'Arizona, c r e u s a n t le f a m e u x M e t e o r C r a t e r d'un kilomètre de dia- mètre (toujours le facteur 20, r a p p o r t e n t r e la taille du bolide et sa t r a c e s u r le sol), s a n s d o u t e le m i e u x c o n s e r v é s u r la p l a n è t e . La p u i s s a n c e explo- sive d u choc c o r r e s p o n d à 75 b o m b e s de H i r o s h i m a . . . mais on ne c o n n a î t

A L L E Z S A V O I R ! / № 1 2 O C T O B R E 9 8 7

(6)

S C I E N C E S : L e s ( p e t i t e s ) m é t é o r i t e s a r r i v e n t

Fragment d'une météorite découverte en Angleterre près de Tenbam

pas les effets sur les espèces végétales et animales de la région.

Enfin, le 30 juin 1908, soit il y a t o u t j u s t e 90 ans, ce fut l ' é v é n e m e n t de T o u n g o u s k a . «La cause, e x p l i q u e P i e r r e N o r t h , est à r e c h e r c h e r d a n s la d é s i n t é g r a t i o n explosive à e n v i r o n u n e dizaine de k i l o m è t r e s d ' a l t i t u d e d ' u n e masse p i e r r e u s e de 50 à 80 m de d i a m è t r e , r e n t r é e d a n s l'atmo- s p h è r e à u n e vitesse de 15 k m / s sous u n angle de 4 5 ° . Là aussi, l'explosion fut é q u i v a l e n t e à p l u s i e u r s dizaines de b o m b e s de t y p e H i r o s h i m a . L'onde s o n o r e fut e n t e n d u e à 800 km et la c h a l e u r ressentie à 20 k m . Plus de 1600 k m2 de forêts furent entiè- r e m e n t d é t r u i t s et des t r o u p e a u x de r e n n e s a n é a n t i s . O n dit q u ' i l y eut un m o r t mais ce n'est p a s p r o u v é c a r c'est en 1927 s e u l e m e n t q u e fut orga- nisée la p r e m i è r e e x p é d i t i o n scienti- fique s u r les lieux de la c a t a s t r o p h e . Il n'y avait p a s de t r a c e s d ' i m p a c t , ce

qui a u t o r i s a p e n d a n t l o n g t e m p s les i n t e r p r é t a t i o n s les plus fantaisistes s u r la n a t u r e de l'événement.»

Les probabilités d'accident

Le d a n g e r potentiel a été m e s u r é p a r les spécialistes des calculs de p r o - babilité: j u s q u ' à u n e taille de 10 m, la f r é q u e n c e d ' i m p a c t est d ' e n v i r o n u n e v i n g t a i n e p a r an. Il n'y a p a s de dégâts puisque la désintégration d a n s l ' a t m o s p h è r e est p r e s q u e c e r t a i n e . P o u r un bolide e n t r e 10 et 100 m, la f r é q u e n c e oscille e n t r e 10 et 1000 a n s . Les plus v o l u m i n e u x sont en m e s u r e de d é t r u i r e la surface équi- valant à u n e petite ville. Un aérolite de 1 ou 2 km de d i a m è t r e p o u r r a i t

t o m b e r s u r la Terre t o u s les 3 0 0 ' 0 0 0 à 1 million d ' a n n é e s et p r o v o q u e r j u s q u ' à cent millions de m o r t s . S'il a u n e taille de p l u s de 5 km, c'est l ' h u m a n i t é t o u t e n t i è r e qui d i s p a r a î - trait, mais la f r é q u e n c e passe alors à des dizaines de millions d ' a n n é e s (100 millions p o u r un a s t é r o ï d e m e s u r a n t 10 k m de d i a m è t r e ) .

Le programme Spacewatch

Il n'y a, objectivement, p a s de quoi s'affoler et, en fait, p e r s o n n e ne s'est v r a i m e n t inquiété du p h é n o m è n e d u - r a n t ce siècle, sinon q u e l q u e s a u t e u r s de science-fiction. D e p u i s q u e l q u e s a n n é e s toutefois, d e s a s t r o n o m e s , a- m a t e u r s et professionnels, g u e t t e n t d a n s le ciel l'apparition d e s c o m è t e s et des a s t é r o ï d e s qui p o u r r a i e n t p r é - s e n t e r u n e trajectoire collisionnaire avec la T e r r e . D e p u i s le d é b u t de la d é c e n n i e , l ' U n i v e r s i t é d ' A r i z o n a

8 A L L E Z S A V O I R ! / № 1 2 O C T O B R E 9 8

s o u t i e n t un p r o g r a m m e b a p t i s é S p a - c e w a t c h qui dispose n o t a m m e n t d'un b o n i n s t r u m e n t à l ' o b s e r v a t o i r e de Kitt P e a k en A r i z o n a . Ce télescope de 90 cm fut le p r e m i e r à voir, il y a q u a t r e a n s , u n a s t é r o ï d e p i e r r e u x de 15 m d e section. «1994 X M 1 » , c'est son nom, s'est a p p r o c h é j u s q u ' à ÎOO'OOO k m de la Terre, soit le tiers de la d i s t a n c e T e r r e - L u n e , s a n s p r o - v o q u e r d ' a u t r e s e n t i m e n t q u ' u n e é m o t i o n d i s t r a i t e . U n télescope d o t é d ' u n miroir d'1,80 m est en c o n s t r u c - tion au m ê m e e n d r o i t .

Le frisson «1997 XF11»

E s t - c e l'effet d e s images saisis- s a n t e s d e s v i n g t et un m o r c e a u x de la c o m è t e S h o e m a k e r - L e v y p e r c u - t a n t la planète J u p i t e r ? Toujours est- il q u e l'on a c o m m e n c é l'année sui- v a n t e s e u l e m e n t à se p r é o c c u p e r du p h é n o m è n e c o m m e d ' u n d a n g e r

Début mars de cette année, de.) calcuLi sérieux laLi.ient entendre que l'astéroïde «1997XF11»

pourrait heurter la terre le 26 octobre 2028 à 19h50. Vérification faite, on /aperçoit que le bolide se contentera de frôler la Planète bleue

A

i m m i n e n t . O u i c h e r c h e , t r o u v e , c'est bien c o n n u , s u r t o u t si c'est p o u r se taire peur. L'objet q u e S p a c e w a t c h r e p è r e en d é c e m b r e de l ' a n n é e p a s - sée (d'où son nom « 1997 X F 1 1 ») est m o n s t r u e u x , 1600 m de d i a m è t r e e n v i r o n , soit 30 lois le bolide de T o u n g o u s k a .

S'il t o u c h e la Terre, c'est 100 mil- lions de m o r t s et p e u t - ê t r e plus, s a n s c o m p t e r les d e s t r u c t i o n s matérielles.

O r la trajectoire calculée est p r e s q u e en «collision course» avec n o t r e pla- n è t e . D e s a s t r o n o m e s tout à fait q u a - lifiés c r o i e n t m ê m e p o u v o i r p r é c i s e r q u e la r e n c o n t r e est p r o g r a m m é e p o u r le 26 o c t o b r e 2028, à 19h30 h e u r e suisse. Ce n'est p a s t o u t à fait le « G r a n d Boum» mais un frôlement

à moins de 50'000 k m de d i s t a n c e , à p e i n e p l u s loin q u e la c e i n t u r e de satellites g é o s t a t i o n n a i r e s de télé- c o m m u n i c a t i o n s ( 3 6 0 0 0 k m ) . Il y a malgré tout de quoi se faire u n e petite sueur. Elle a d u r é 24 h e u r e s , le t e m p s de refaire les calculs et d'y a d j o i n d r e q u e l q u e s p r é c i s i o n s recueillies chez les p l u s fins limiers d u ciel. Verdict r a s s u r a n t : X F 1 1 d e v r a i t p a s s e r à 1 million de k m de la T e r r e . O u f !

125 «objets célestes

potentiellement dangereux»

L'alerte a eu ceci de b o n qu'elle a p e r m i s la mise en place d u réseau N E A T ( p o u r N e a r - E a r t h Asteroïd T r a c k i n g ou t r a q u e a u x a s t é r o ï d e s p r o c h e s de la Terre) sous l'égide du J P L , de P a s a d e n a e n Californie. E n l'espace de q u a t r e mois, les m e m b r e s du réseau o n t d é t e c t é au moins d e u x astéroïdes qui p o u r r a i e n t croiser l'or-

A L L E Z S A V O I R ! / № 1 2 O C T O B R E 9 8 9

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S C I E N C E S : L e s ( p e t i t e s ) m é t é o r i t e s a r r i v e n t

bite de la Terre : « 1998 O H » et « 1998 O R - 2 » , d ' u n d i a m è t r e c o m p r i s e n t r e 1 et 3 kilomètres, s'ajoutent à un cata- logue de q u e l q u e 125 «objets célestes p o t e n t i e l l e m e n t d a n g e r e u x » , s u r - veillés en p e r m a n e n c e p a r le réseau N E A T . O H et O R - 2 ne d e v r a i e n t p a s s ' a p p r o c h e r de la Terre a v a n t plu- sieurs dizaines d ' a n n é e s et ne d e - v r a i e n t p a s n o u s chatouiller à moins de 5 millions de k m de d i s t a n c e .

Avec le projet N E A T , l ' h o m m e t é - m o i g n e de sa v o l o n t é de t o u t savoir, t o u t prévoir, et de s ' a s s u r e r de s u r - croît q u ' u n e c o m è t e ou un a s t é r o ï d e ne lui t o m b e p a s au coin de la figure.

O r l'imprévisible, p a r définition, ne se p r é v o i t p a s .

Jean-Bernard Desfayes •

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L'irruption

du néocatastrophisme

N

eil Forsyth, professeur d'anglais à l'Université de Lausanne, cultive une double passion: l'une pour la poésie anglaise, surtout Milton, et l'au- tre pour les phénomènes célestes.

L'une n'exclut pas l'autre puis- qu'on trouve chez l'auteur du

«Paradis perdu», tragédie cos- mique, l'image des catastrophes cométaires mises en parallèle avec la chute des anges.

Le professeur lausannois veut rapprocher le monde de la science et celui de l'imagination :

«Ce qui m'intéresse, c'est de lire dans l'ima- ginaire de mes contemporains. Derrière les théories millénaristes ou apocalyptiques, il y a l'histoire. Il y a aussi, et je dirais sur- tout, l'oppression et l'impuissance, comme j'ai tenté de le montrer dans mon histoire du diable, The Olà Enemy.»

«Je me considère comme un néo-catas- trophiste, optimiste de nature et pessimiste par réflexion», explique Neil Forsyth.

L'approche est relativement nouvelle et rompt résolument avec l'idéologie scienti- fique qui a régné sans partage de Newton à Darwin et au-delà. Pour ceux-ci, tout changement est lent et graduel, obéissant à des lois déterminées et rigides. Tous les mouvements dans l'univers, de l'infiniment grand à l'infiniment petit, sont sans sur- prise et en relation directe avec leur cause.

Or la réalité n'est de loin pas si simple.

«Il est très impor- tant, poursuit le pro- fesseur-écrivain, que le monde des scien- ces ait pu se dégager au cours du X V I Ie

Le public...

baisse led bras au lieu de se dire:

«Il y a quelque chose à faire»

Neil Forsyth, professeur d'anglais à l'Université de Lausanne

siècle de la pensée biblique, de sa chrono- logie, de son système de cause à effet, de l'apocalyptique en somme. Mais on a perdu de la sorte l'idée que les catastrophes peu- vent toujours se produire, même si elles ne sont plus envoyées par un Dieu vengeur...»

Un «néo-catastrophiste» pense, par exemple, qu'il y a eu d'autres cataclysmes majeurs, comparables ou supérieurs à ceux de Chixculub ou Toungouska. Par exemple vers 2300 avant J.C., lorsque plusieurs civilisations anciennes ont disparu. Or, des fouilles effectuées au Proche-Orient ten- draient à démontrer qu'ily a eu une catas- trophe écologique de grande ampleur, soit par un impact venu d'ailleurs, soit par un tremblement de terre, voire les deux.

Autre exemple : le «grand mur blanc destructeur» des aborigènes d'Australie.

On l'a interprété jusqu'à récemment comme une vision allégorique de leur des- truction par l'Européen. Or, l'an passé, des recherches ont mis au jour des traces d'un

«tsunami», d'un ras-de-marée infiniment plus destructeur que celui qui vient de ravager la côte de Papouasie-Nouvelle- Guinée cet été.

«Il n'y a pas que l'astrophysique qui nous intéresse», poursuit Neil Forsyth. Ily a en- core l'histoire, l'archéologie et la mytholo- gie, même s'il faut traiter des mythes avec beaucoup de circonspection. Sans oublier

l'imaginaire: «Il est certain que pour l'imaginaire, la lutte entre les anges (les astres) est un phé- nomène de longue durée, qui façonne toujours notre concep- tion du monde. Surtout à la fin d'un siècle ou d'un millénaire...

J e trouve passionnant que des disciplines très différentes - l'his- toire, l'archéologie, l'astronomie, par exemple - doivent se mettre ensemble pour interpréter des mythes anciens ou récents.»

Neil Forsyth fait sien le pro- pos de l'astronome vietnamien Trinh Xuan Thuan: «Au cours du X Xe siècle, la dimension historique entra en force dans nombre de disciplines scienti- fiques. (...) Le Réel n'était plus seulement déterminé par des lois naturelles (...) il était aussi modelé et façonné par une suite d'évé- nements contingents et historiques. Cer- tains (...) étaient à l'origine même de notre existence. Ainsi celui du bolide rocailleux venu percuter la Terre il y a 65 millions d'années. En provoquant la disparition des dinosaures et en favorisant ainsi la proli- fération de nos ancêtres les mammifères, ce choc fut responsable de notre émer- gence.» Aucune loi fixée dans le bronze de la connaissance ne pouvait prévoir un tel événement.

Aux Etats-Unis, le film Deep Impact a entraîné dans le public une réaction d'im- puissance. «Le public, note Neil Forsyth, est fataliste et baisse les bras face à la me- nace que présente un astéroïde. Nous, les néo-catastrophistes, nous voudrions qu'on finance au moins la recherche. Il faut connaître le phénomène aussi bien dans l'espace que dans l'histoire de la Terre. Il faut savoir ce qui nous menace et comment s'en défendre. Ceux qui ne connaissent pas l'histoire sont destinés à la répéter et donc à répéter les catastrophes.»

Et tant pis si l'on donne l'impression de se chercher un ennemi cosmique parce qu'on a perdu un ennemi terrestre...

J.-B. Ds.

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Z O O L O G I E

Entre raffinement et barbarie,

l'amour chez les araignées

Cornelia Neet, chargé de cours à l'Institut de zoologie et d'écologie animale

de l'Université de Lausanne

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Voici la phase dangereuse ou le mâle approche la femelle araignée : ici (photo de gauche) la phase distante de la parade nuptiale de M e t a segmentata,

où le mâle signale sa présence par des vibrations sur le fil, et l'accouplement chez Tetragnatha e x t e n s a (photo de droite)

J^Jed araignéed dé- clenchent ded phobied:

noired, poilued, véloced, elles à ont probable- ment led plud redoutées de tous led arthropoded.

Maid que dait-on de leurd mœurd? Avec la fin de l'été, qui voit d or-

tir led pàid grod dpéci- mend, l'occadion de prédente de prendre da

curiodité à deux maind, de dur mon ter don dégoût et de led regarder de plud prèd.

Courage !

A

utant le dire tout de suite : les arai- gnées ont des m œ u r s barbares.

Voilà qui ne va pas arranger leur cas.

Déjà que cet ordre des arachnides n'est pas des plus aimés : à tout prendre, on préférerait presque partager son salon avec un acarien plutôt qu'avec une Pisaure. Question de physique. Les araignées n'ont rien pour plaire:

longues pattes, au nombre de huit, cro- chets à venin et des poils partout. Qui dit mieux?

Mais, alors que l'on croyait l'affaire entendue, là voilà qui bascule. Là où un coup de talon allait réduire en miet- tes ce monstre de laideur - et l'article journalistique qui l'accompagne - , se faufile l'œil du spécialiste: «Une fois qu'on les connaît, je vous assure que l'on a du plaisir à observer et à expli- quer les m œ u r s très variées des 34 000 espèces d'araignées qui existent dans le monde». Pour Cornelis Neet, chargé de cours à l'Institut de zoologie et d'écologie animale de l'Université de Lausanne et conservateur de la faune du canton de Vaud, l'araignée a d abord été l'objet d'un travail de recherche et puis, comme il le dit, «il y a pris goût».

Un prototype du libéralisme

Mais l'arachnophilie n'aveugle pas notre homme qui reconnaît que «c'est effectivement un animal qui mène une vie extrêmement sauvage». Ainsi, l'a- raignée est un prototype du libéralisme pur et dur : individualiste, égoïste et Car- nivore. Cannibale, si besoin est. A l'exception de quelques espèces d'Amé- rique du Sud, telle YAnclo/unuueximiuà de Guyane, qui mènent une vie com- munautaire, partageant toile et tech- niques de chasse, l'araignée est donc un prédateur solitaire, une spécialiste du guet-apens, un forçat de l'embrouille.

La filière de la soie

Méfiante de surcroît. D ' u n e mé- fiance aussi aiguisée que sa vue est courte. Malgré ses quatre paires d'yeux, qui lui font une tête en forme de gyrophare, la bête est quasiment myope, distinguant à peine le jour de la nuit. Normal qu'elle ait développé une nature aussi peu amène. Normal aussi qu'elle ne sorte jamais sans son fil de survie: tisseuse de toile ou chas- seuse à l'affût, t o u t e s d i s p o s e n t d'un

— • p . 14

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Z O O L O G I E : E n t r e r a f f i n e m e n t e t b a r b a r i e , l ' a m o u r c h e z l e s a r a i g n é e s

véritable arsenal de soie. P o u s s e z s u b r e p t i c e m e n t u n e a r a i g n é e en b a s d e la t a b l e , q u e ce soit u n P h o l c u s , u n e T h o m i s e ou u n e M y g a l e v e l u e , t o u t e s r e s t e r o n t p e n d u e s , p e t i t s a l p i n i s t e s p r é - v o y a n t s , au b o u t de leur c o r d e d e s é c u r i t é .

Rencontres à hauts risques

Une vie de méfiance et d'intransi- geance. Tel est le sort de l'octopode. Au point que même les relations amou- reuses deviennent une rencontre à hauts risques: «Le principe même de l'accouplement chez l'araignée, c'est que le mâle doit arriver à ses fins sans être mangé. Cela dit, la prise de risques est quand même limitée, l'efficacité de la reproduction de l'espèce devant être garantie», rassure le spécialiste.

Alors que la saison des amours dans le règne animal évoque spontanément de belles parades nuptiales et de soyeux envols, la rencontre des araignées tient davantage de la ruse et du tour de force.

Il faut imaginer la femelle, deux fois plus grosse que le mâle, trônant sur sa toile telle une sombre marâtre, mi-

m mm

Cornell) Neet et son attirail pour la chasse aux araignées.

Le chercheur utilise la perche pour faire tomber les insectes de l'arbre.

Puis il les aspire dans son tube transparent et les dépose dans une éprouvette

en soufflant

raude, mais l'es- tomac en éveil, prête à bondir à la m o i n d r e v i - bration.

L'art

du pédipalpe

P e n d a n t ce t e m p s , le m â l e , lui, vaque de-ci de-làet sent venir l ' h e u r e d e l ' a c - c o u p l e m e n t . Il prépare ses ou- t i l s , r é v i s e la mobilité de ses membres. Lâche une goutte de sperme sur une feuille, et l'absorbe aussitôt de son pédipalpe, sorte de seringue qu'il a, fichée sur le sommet de la tête. Très précieux, le pédipalpe. C'est lui qu'il faudra sortir au bon moment, qu'il fau- dra introduire, telle une clé dans une serrure, dans l'orifice de la femelle savamment conquise. Mais l'heure est encore loin.

D e fil en femelle

Le mâle va donc, petit baladin en quête d'une promise. Il arpente son bio- tope, t r a q u a n t le moindre fil qui le conduira à l'antre de la dame. Un allié inestimable, le fil. Bourré de phéro- mones, ces indices chimiques qui lui indiquent de quelle espèce d'araignée

-+.p. 16

1 4 A L L E Z S A V O I R ! / № 1 2 O C T O B R E 9 8

Voici comment l'araignée Orbitèle tisse sa toile :

avec patience et systématique

TENUES

DE CAMOUFLAGE

M

yope mais pas sotte,

l'araignée. A défaut d'être une grande baroudeuse, elle a développé des techniques de camouflage efficaces. Certaines Tho- mises ont la faculté de changer de couleur : blanche, jaune, verte, la M'uuniena vatia, que l'on trouve en

Suisse, assortit sa cuirasse de chitine à la fleur du mo- ment, son lieu de résidence. Comme cet arthropode ne fabrique pas de toile, la tenue de camouflage est à la fois un mode de dé- fense et une excel- lente technique de chasse pour sur- prendre abeilles et guêpes de passage.

La petite araignée sauteuse Syna- geles préfère l'infiltration. En simu- lant des antennes avec sa première paire de pattes, c'est à la fourmi qu'elle essaie de ressembler. Un mi- métisme très élaboré et très réussi, puisqu'il lui permet de vivre inco-

gnito dans la fourmilière. L'intérêt de cette vocation myrmécophile?

«Bénéficier de l'aversion dont sont l'objet les fourmis chez beaucoup d'espèces insectivores», explique Cornelis Neet, chargé de cours à l'Institut de zoologie et d'écologie animale de l'UNIL.

Quant à Pholciu phalangioided,

petite araignée aux longues pattes frê- les, elle excelle dans l'art de la dis- parition. Souvent nichée sous les é- viers, dans les re- coins, sous les ar- moires, elle tisse des toiles compli- quées. Se sent-elle en danger, là voilà qui, au bout de son fil, se met à osciller si vite qu'elle disparaît. Un peu à la manière des rayons d'une roue de bicyclette qui, pris par la vitesse, finissent par échapper à la vue.

P.B.

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Z O O L O G I E : E n t r e r a f f i n e m e n t e t b a r b a r i e , l ' a m o u r c h e z l e s a r a i g n é e s

il s'agit. Pas question de s'aventurer auprès de n'im- porte qui : «Il n'y a pas d'ac- couplements interespèces entre les araignées pour des raisons de morphologie ou de différences comporte-

mentales», précise le spécialiste. Le tout est donc de trouver le fil d'une congé- nère. Et de le suivre jusqu'au bout.

Les amants maudits

Arrivé auprès de l'élue, tout est en- core à faire. L'approche est délicate et le moindre faux pas peut être fatal. Q u e le message soit mal compris, le signal chimique insuffisant, que la météo ne soit pas favorable ou qu'une proie tombe entre les amants au mauvais moment, et le pire peut a r r i v e r : la fe- melle se rappelle soudain de son gar- gantuesque appétit et, clac, voilà le mâle ligoté, ficelé jusqu'à la gauche, mordu et immobilisé par le venin et aus- sitôt recouvert de sucs gastriques. C'est comme ça qu'il sera consommé, l'arai- gnée digérant toujours ses proies à l'extérieur. Objet d'une funeste mais si délectable méprise, le mâle sera ensui- te vidé de son jus.

M a l

i n comme u n m

a i e

Mais le mâle sait aussi être malin.

Et a développé toute une panoplie de stratégies pour éviter de finir en purée de nectar. Adeptes de la force et du machisme, les Tetragnathes ne s'era-

I.a Thomise M i s u m e n a vatia, adopte ta couleur de la fleur ,mr laquelle elle a

élu domicile

barrassent pas de c o u r b e t t e s : le mâle pince et immobilise les chélicères (cro- chets à venin) de la femelle pendant tout l'accouplement.

Une précaution que la Thomise, petite araignée en forme de crabe, prend à sa façon. Plutôt que de risquer un bras de fer, elle préfère jouer du lasso: le mâle emballe sa belle de son (plus beau?) fil de soie, lequel est aussi solide qu'un fil de nylon du même calibre. Une fois la femelle neutralisée, le mâle peut œ u v r e r à sa guise. Et s'en aller, un peu goujat, une fois sa tâche accomplie. Cornelis Neet: «Il est diffi- cile de savoir dans quelle mesure cette technique tient davantage du rituel que de la nécessité. Une chose est sûre : la femelle parvient à se libérer d'elle- même après l'accouplement.»

Un ballet pour se plaire

L a P i s a u r e , g r a n d e a r a i g n é e d e s p r a i r i e s , m e t u n p e u p l u s d e raffi- n e m e n t à l'affaire. A y a n t c o m p r i s

qu'il s'agit d ' o c c u p e r la femelle affamée, le mâle lui offre en p r é l u d e u n c a d e a u a l i m e n t a i r e . P e n - d a n t q u e la d a m e se repaît, le p r é t e n d a n t offi- cie. U n e c o p u l a t i o n clan- destine qui d u r e le t e m p s d ' u n r e p a s .

Mais toutes les araignées ne prati- quent pas l'assaut terroriste de la Tho- mise ou celui quelque peu mesquin de la Pisaure. A l'art du muscle et de la fourberie, les Lycoses et les Salticides, dites araignées sauteuses, préfèrent l'art du ballet. Dotées d'une vue plus développée, elles se repèrent donc à distance, ce qui leur permet de se faire des signes avec les pattes. Agitant les bras, tapant des pieds en des séquences spécifiques, mâles et femelles dessinent ainsi un petit menuet visuel de recon- naissance. Et finissent p a r s'adonner à un accouplement consenti.

Le chant d'outre-toile

Plus lyriques, les araignées O r b i - tèles (celles qui tissent de belles toiles géométriques) sortent le grand jeu. Le mâle s'avance prudemment dans l'antre de la femelle, y tisse son propre fil et entame sa sérénade. Chanter? Inutile, l'araignée n'entend pas les sons qui pro- viennent de l'air. P a r contre, ses mil- liers de poils perçoivent la moindre vibration à hauteur de toile.

Le mâle déploie alors tout son savoir-faire : le voilà, tel un guitariste

p. 18

1 6 A L L E Z S A V O I R ! / № 1 2 O C T O B R E 9 8

Le.) filière.) à ,ioie d'une araignée Orbitèle vues au microscope électronique

N e m e s i a dubia, une mygale suisse qui se cache dans un terrier

UNE MYGALE EN SUISSE

^

ssez primitive, la mygale vit dans des terriers, dans des toiles rudimentaires à même le sol ou dans les arbres. Son signe distinctif: ses crochets à venin disposés verticalement - et non latéralement - sur le devant de la tête.

« Qui dit mygale voit grosse araignée poilue et

mortelle. C'est exact...»

Qui dit mygale voit grosse araignée poilue, exotique et mortelle. C'est exact, mais in- complet. D'abord parce que les mygales (2000 espèces dans le monde) ne sont pas toutes do- tées du venin fatal, cette neuro- toxine qui bloque les transmis- sions nerveuses et promet une mort par étouffement. Si i ' A t r a x r o b u s t u s d'Australie est effectivement assez irascible et

dangereuse - une simple vibration la fait bondir -, d'autres espèces, comme la B r a c h y p e l m a , par ailleurs très colorée et très spectaculaire, est d'un calme olympien et

totalement inoffensive.

Toutes ne sont pas exotiques non plus puisque, parmi les quelque 850 espèces

d'araignées que l'on trouve en Suisse, trois sont des mygales.

Mais pas de panique! Non seulement elles sont minus- cules (corps d'environ deux centimètres), mais en plus elles sont sans danger. Rencontrer une A t y p u s a f i n i s dans les prairies maigres du pied du Jura ou du bassin lémanique n'a donc rien d'un coup de malchance, c'est un honneur:

les mygales suisses sont en voie de disparition.

P.B.

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Z O O L O G I E : E n t r e r a f f i n e m e n t e t b a r b a r i e , l ' a m o u r c h e z l e s a r a i g n é e s

Une jeune Dolomède sur le feuillage des arbres entourant un marais

enfiévré, qui se met à pincer, frapper, tirer la corde p o u r moduler les sons.

Pattes, pédipalpes et a b d o m e n , tout est bon p o u r g r a t t e r cet instrument de fortune et séduire la d a n g e r e u s e élue.

La composition est-elle belle? Nulle oreille d ' h o m m e ne le sait. «Grâce à un système de laser qui p e r m e t de lire les vibrations p a r un codage visuel, on a pu les enregistrer. Elles forment des séquences spécifiques, variées, avec des phases très intenses.» U n e chose est s û r e : la femelle se laisse p r e n d r e à cet é t r a n g e c h a n t du mâle a m o u r e u x .

Un cocon sur le dos

Etat de grâce. Vite passé. La vie des araignées retombe alors dans les tra- vers du pragmatisme le plus carnassier.

Quand la femelle se remet de son étour- derie, le mâle a déguerpi. N o r m a l : après les ébats, il redevient une vulgaire proie. D'ailleurs, ayant perdu toute uti- lité, il meurt souvent pendant ou peu de temps après la copulation.

Ainsi la femelle fait son nid toute seule avec plus ou moins de sollicitude.

L'Epeire diadème suspend son cocon quelque part, y pond ses œufs et les abandonne. La Lycose le trimballe par- tout avec elle jusqu'à éclosion des petits, lesquels s'agrippent alors au dos de leur mère, formant une véritable pelote d'individus qui, après quinze jours, finissent par tomber un à un.

Les Pisaures et les Dolomèdes cons- truisent, elles, une vraie toile poupon- nière: un dôme à l'intérieur duquel elles installent leur cocon et veillent sur leur progéniture.

Ainsi se termine ce petit conte de la sauvagerie ordinaire : la mère Théri- diidé qui a nourri ses petits, parfois bouche à bouche, leur a p p o r t a n t suc d'insecte et coulis de mouche, finit mangée par les siens. Les jeunes, deve- nus indépendants, n'auront d'autre égard que de boire, grâce à leur jabot aspirateur, toute la substance vitale de leur mère. J u s q u ' à la lie.

Patricia Bramlulla

L'ARAIGNÉE :

ÉTALON ÉCOLOGIQUE

"T" 'Y'ne chose est sûre: il y a des I / araignées partout, mais ce ne

sont pas partout les mêmes.

Dans les fissures de rocher, dans les grottes, en forêt, dans les caves, sous les ponts d'autoroute, dans les zones de marées et même à 3000 mètres d'altitude, l'araignée, toujours spar- tiate, fait son lit de rien.

Une constance fort pratique en écologie appliquée qui a besoin de repères faciles à identifier:

«Contrairement au papillon, très mobile, l'araignée est sédentaire et donc facile à observer. Comme on la trouve partout en quantité consi- dérable, environ 130 par mètre carré de pré, elle est un critère témoin très pratique pour évaluer la qualité d'un biotope», commente Cornelis Neet.

La qualité d'un biotope est-elle traduite par la qualité de sa faune?

La densité du cerf appauvrit-elle, par l'effet du broutage, les commu- nautés animales dans les prairies de montagne? Une forêt est-elle proche de son état naturel?

Autant de questions résolues en suivant la faune arachnéenne, sa diversité ou sa densité donnant des indications

précieuses sur la qualité d'un milieu.

P.B.

1 8 A L L E Z S A V O I R ! / № 1 2 O C T O B R E 9 8

A LIRE:

«Les Araignées», de Cornelis Neet, Ed. Atlas visuels Payot Lausanne, 1987.

« F u n c t i o n a n d s t r u c t u r a l v a r i a b i l i t y of t h e s t a b i l i m e n t a of Cyclosa insulana» par Cornelis R.

Neet, in Bulletin Br. arachnol. Soc.

8 (5), 1990, p p . 161-164.

« S p i d e r s as i n d i c a t o r species:

lessons from t w o case studies » par Cornelis R. Neet, in Revue suisse de zoologie, vol. hors série, août 1996, pp. 501-510.

« I n v e n t a i r e d e s a r a i g n é e s épigées du d o m a i n e de C h a n g i n s » in Revue suisse Agric. 29 (A), 1997, pp. 189-194.

« Q u a l i t é d e s surfaces de c o m p e n s a t i o n écologique: un outil d ' a p p r é c i a t i o n à la p o r t é e de c h a c u n » in Revue suisse Agric. 30 (3), 1998, p p . 107-117.

Spider rock (le rocher de l'araignée), lieu sacré des Indiens Navajos, Canyon de Chelly, Arizona

L'ARAIGNÉE, SAUVÉE PAR LA MYTHOLOGIE

L

, araignée paie cher son

commerce avec le poison: on la craint, on l'abhorre et on la chasse à coups de balai. Un sentiment

incoercible de peur et de dégoût, typiquement occidental, que

«Dans les mythologies anciennes, l'araignée inspire le respect»

n'éprouvaient pas forcément les populations primitives. Au contraire: «Dans les mythologies anciennes, l'araignée est

considérée comme un noble architecte et inspire le respect. A cause de sa toile, qui symbolise

la source de la création origi- nelle, elle est encore une figure cosmogonique et spirituelle de la plus haute importance en Inde et chez certains peuples d'Afrique», explique Cornelis Neet.

Une fascination que l'on retrouve chez les Indiens Navajos, qui considèrent l'araignée comme la mère de tous les dieux. La légende veut que ce soit elle, Spider Woman, qui leur a appris à tisser et à construire les hogans (maisons). Lesquels sont toujours bâtis, aujourd'hui encore, d'après une forme polygonale, semblable à une toile d'araignée.

P.B.

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H I S T O I R E D E S R E L I G I O N S

s o A L L E Z S A V O I R ! / № 1 2 O C T O B R E 9 8

^~\^u moment où Led dtu- diod Dreamworkd de Steven Spielberg n 'héditent pad à mettre La vie du prophète et législateur en imaged

(le deddin animé «Le Prince d'Egypte» arrive dur led écrand romande quelqued jourd avant Noël), led

chercbeurd d'in terrogen t : Moue a-t-il deulement existé?

La Bible transformée en film d'animation par Dreamworks,

les studios de Steven Spielberg

Y

L

J histoire inspire décidément des ' projets démesurés à Steven Spielberg. Après avoir dénoncé la Shoah dans La Liste de Schindler, pro- testé contre l'esclavage (Amistad) et avoir mis en scène les batailles de la Seconde Guerre mondiale (Saving Pri- vatcRyari), voilà que le cinéaste produit un dessin animé consacré à la vie de Moïse. Quelques jours avant Noël, un film d'animation intitulé Prince d'Egypte sera donc projeté sur les écrans romands.

Pour Allez savoir!, c'est encore l'occa- sion de faire le point sur cette figure qui intéresse les théologiens, les histo- riens de l'Antiquité, mais aussi les psy- chanalystes (lire en page 25). Après consultation, il s'avère que la tentative du studio hollywoodien D r e a m w o r k s

est d'autant plus audacieuse que - contrairement à ce que nous laissent croire nos souvenirs de catéchisme — cette histoire est contradictoire et embrouillée au point que certains dou- tent de l'existence de l'homme Moïse.

Un mythe fondateur de l'Amérique

Pour le professeur de théologie lau- sannois et spécialiste de l'Ancien Tes- tament Thomas Römer, cette fascina- tion américaine p o u r Moïse est frappante: «Un livre très intéressant, Les mythes fondateurs de la nation améri- caine (de Elise Marienstras, Paris, Mas- péro, 1976, ndlr.), montre à quel point les colons européens d é b a r q u a n t aux Etats-Unis ont pu s'identifier aux

A L L E Z S A V O I R ! / № 1 2 O C T O B R E 9 8

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R E L I G I O N : M o ï s e : d e l ' E g y p t e à H o l l y w o o d , e n p a s s a n t p a r l e d é s e r t

Israélites qui ont traversé la M e r Rouge et qui sont arrivés dans une terre vierge. Ce n'est donc pas un hasard si le ciné- ma a mis en scè- n e , n o t a m m e n t dans Les Dix Com- mandements, un Moïse très amé- ricanisé qui s'op- posait à l'ancien pouvoir.

C e t t e c o n s - cience très améri- caine d'être un peuple élu trouve encore ses racines dans ce modèle d'un peuple guidé

par Moïse à travers les sables du désert.

Et le moralisme américain découle d'une stricte application des Dix commande- ments. L'identification a pourtant ses limites, voire ses dangers: «Ce type de j u s t i f i c a -

tion peut mener à t o u t e s

d ' E g y p t e , fit s'écarter les eaux de la Mer Rouge, passa des années à errer dans le désert avec son peuple, fit brûler le Veau d'or et e n t e n d i t Dieu (qu'il appelait Yahvé) lui énu- mérer les Dix commandements sur le Sinaï avant de s'éteindre, âgé de 120 ans, après avoir épousé d e u x femmes étrangères et sans d e s c e n d a n c e connue? Le point en sept questions.

Thomas Römer, prof de théologie et spécialiste de l'Ancien Testament

à l'Université de Lausanne

sortes d'horreurs, nuance Thomas Römer. On a par exemple pu justifier

e massacre des Indiens en rappelant que J o s u é en avait fait de même avec

es Cananéens et d'autres peuples.»

Un dépoussiérage s'impose

Mais avant de polémi- quer à propos des récupé- rations politiques ou ciné- m a t o g r a p h i q u e s de l'œuvre de Moïse, un dépoussiérage s'impose:

que sait-on en effet de 'homme qui, selon les Textes, permit aux Hébreux de sortir

Charlton Heston

dans «Les Dix commandements»

de CécilB. De Mille (1956)

1. Moïse a-t-il existé?

Son existence n'étant pas attestée avec certitude sur des stèles ou textes égyptiens contemporains, le doute est permis. Pour le professeur Thomas Römer, «il y a tout de même beaucoup de probabilités que oui, même s'il reste difficile d avancer des preuves. Le constat est encore valable pour des figures telles qu'Abraham ou David, comme pour toute la préhistoire d'Israël, puisque notre seul témoin tex- tuel est l'Ancien Testament, qui, ne l'oublions pas, ne se veut pas un docu- ment historique, mais un document de foi et de doctrine.»

2. Moïse était-il Egyptien ?

Freud, qui s'est intéressé au fonda- teur de la religion monothéiste, a popu-

2 2 A L L E Z S A V O I R ! / № 1 2 O C T O B R E 9 8

larisé cette thèse originale (voir en page 25). Thomas Römer, lui, se montre plus réservé. Si Moïse porte bien un nom égyptien qui vient de -nuéô et qui signi- fie enfant de, ou engendré par, le profes- seur de théologie lausannois observe qu'«un Egyptien sur deux s'appelle - truhi, un nom par ailleurs incomplet. Il manque le nom de la divinité qui l'accompagne généralement, comme Ra- dans Ramsès.»

Thomas Römer rappelle par ailleurs que l'Egypte du deuxième millénaire avant J . - C . bénéficiait d'une hégémo- nie culturelle: «Il n'est donc pas sûr qu'une personne qui porte un nom égyptien soit égyptienne. De même qu'une personne qui s'appelle Steven ou Kevin aujourd'hui n'est pas forcé- ment américaine.»

3. Y a-t-il un Moïse historique ?

Les chercheurs se sont intéressés à la carrière d'un certain Béya. Ancien esclave sémite devenu conseiller de la veuve du pharaon, il prend le pouvoir vers 1180 av. J . - C . et tente de gou- verner l'Egypte avant d'être chassé par le futur pharaon Sethnakth. Selon une stèle de Sethnakth, Béya aurait réuni autour de lui

des proches qui g ont pillé l'or | égyptien avant ; de s'enfuir, «

©

D'où un rap- p r o c h e m e n t possible avec certains versets mystérieux de l'Exode où l'on a p p r e n d que Moïse suggère

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R E L I G I O N : M o ï s e : d e l ' E g y p t e à H o l l y w o o d , e n p a s s a n t p a r l e d é s e r t

aux H é b r e u x (alors réduits en escla- vage) de demander de l'or à leurs maîtres égyptiens!?!

On apprend par ailleurs dans un autre texte que Béya portait un nom égyptien très long où l'on trouvait l'élé- ment -nuée. Faut-il en déduire que Béya est notre Moïse? La thèse est «haute- ment spéculative», mais «intéres- sante», selon Thomas Römer.

4. A-t-on mythifié la naissance de Moïse?

«A l'évidence, des motifs plus anciens et originaires d'ailleurs ont été greffés autour du personnage, remar- que Thomas Römer. O n note ainsi un parallélisme très fort entre l'histoire de la naissance de Moïse telle qu'elle est racontée dans l'Ancien Testament et le récit, antérieur, de la naissance du fon- dateur de la dynastie assyrienne Sar- gon. Selon un texte largement répandu à l'époque assyrienne, Sargon prétend être né d'une prêtresse-prostituée, et déclare avoir été déposé dans une arche flottant sur l'Euphrate avant d'être récupéré par une déesse qui 1 aurait éta- bli roi sur les nations. Difficile de ne pas voir des similitudes entre ce récit et celui de la naissance de Moïse dans l'Ancien Testament.»

5. Moïse a-t-il inventé le monothéisme?

«Non. C'est un autre fantasme lié au personnage de Moïse, sourit Thomas Römer. Personne ne conteste aujour- d'hui que, jusqu'au V Ie s. avant J . - C , des déesses et d'autres dieux étaient vénérés par les H é b r e u x à côté de

Yahvé, dieu national. O n a notamment retrouvé dans le désert de J u d é o n des inscriptions de bénédiction au nom de Yahvé et de son épouse Achéra qui remontent au V I I Ie siècle avant notre ère.»

6. Un seul Moïse, mais deux peuples d'Israël ?

Selon la présentation biblique, le peuple d'Israël est esclave en Egypte avant d'être libéré par Moïse et guidé vers la Terre promise. Une histoire bien trop linéaire pour être absolument authentique. Des recherches histo- riques et archéologiques récentes ten- dent à montrer que le peuple d'Israël aurait été formé à la suite du mélange de deux groupes distincts qui adoraient à l'origine deux dieux différents.

Cette théorie repose notamment sur l'étude du nom Israël. Il est en effet composé d'un verbe -Lira, qui veut dire lutter, et de la désignation d'une divi- nité -et, un Dieu cananéen important qui est devenu Allah par la suite. Dès le moment où ce peuple ne s'appelle pas Israyahou, en référence à Yahvé, on doit imaginer que les Israéliens ont vénéré -el avant de croire en Yahvé.

Explication possible : un groupe qui se nommait Israël a été rejoint par un autre groupe de gens fuyant l'Egypte et qui vénéraient Yahvé, une divinité qui aurait permis leur libération. Les deux groupes se seraient fondus en un seul et Yahvé serait devenu la divinité de référence de tout le peuple.

«Le groupe non-iahviste a parfaite- ment pu accepter l'idée d'un dieu anti- égyptien, vu qu'il faisait partie de ces peuplades qui vivaient en marge de la société cananéenne (contrôlée par le

pouvoir pharaonique) et qui ont tou- jours eu des problèmes avec l'Egypte, suggère Thomas Römer. Ces groupes, qui apparaissent dans les textes égyp- tiens, sont d'ailleurs appelés apirou (signifiant marginaux, outlaws), un terme qui a des sonorités proches de Hébreux.»

7. Que reste-t-il de Moïse ?

La réponse varie énormément selon les religions. «Pour un J u i t , il reste une figure centrale. Les Evangiles chrétiens montrent plutôt J é s u s comme un nou- veau Moïse, une figure tantôt dans le prolongement de son action, mais sou- vent en rupture par rapport à la loi que Moïse a instituée, estime le professeur Römer. C'est pourquoi nous invoquons plus souvent Abraham que Moïse dans les réunions interreligieuses.»

Ce qui est sûr, c'est qu'aucun per- sonnage biblique n'a un statut compa-

rable à celui de Moïse. A la fin du Pen- tateuque, on écrit même : «Un 'y a jamaid eu de prophète comme Moue, lui qui a parle' avec Yahvé bouche à bouche et quia fait totu les dignes et lesprodige,!». O r l'expression,

«faire lu signa et les prodiges» est une expression standard qui, dans tout le reste de la Bible, est seulement utilisée pour Dieu.

Jocelyn Rachat

2 4 A L L E Z S A V O I R ! / № 1 2 O C T O B R E 9 8

Sigmimd Freud s'est inté- ressé à la figure de Moïse.

Parce qu'il voulait expliquer

«la névrose» religieuse des peuples. Analyse du phé- nomène.

Moïse sur le di

Sigmund Freud

Deux scènes

du film d'animation «Le Prince d'Egypte»

M

arie Bonaparte décrit la per- te de tout sentiment religieux comme un des critères m a r q u a n t la fin d'une bonne analyse. La plupart de mes collègues psychanalystes sont athées, même s'ils s'intéressent à la religion», observe Thierry de Saussure, profes- seur extraordinaire de psychanalyse de la religion à la Faculté de théologie de l'Université de Lausanne.

Le mythe de la horde

A l'origine de cette thèse : les travaux du père fondateur Sigmund Freud, qui a décortiqué la «névrose» religieuse, principalement dans quatre ouvrages dont «L'homme Moïse et la religion monothéiste» (1939). Freud s'y inspire de l'hypothèse darwinienne selon la-

quelle «les êtres humains vécurent à l'origine dans de petites hordes, cha- cune soumise au pouvoir despotique d'un mâle d'un certain âge, qui s'appro- priait toutes les femelles et réduisait à sa merci ou écartait les jeunes hommes, y compris ses fils.» Sigmund Freud

estime que «ce système patriarcal trou- va sa fin dans une rébellion des fils, qui s'unirent contre le père, le dominèrent et le dévorèrent en commun.»

Toujours selon le fondateur de la psychanalyse, le clan totémique suc- cède à la horde. «A la place du père, un animal fut pris comme totem et passa pour l'ancêtre et l'esprit tuté- laire.» L'animal cède ensuite sa place au dieu au cours d'une série de transi- tions: le dieu humain à tête d'animal, suivi de l'animal transformé en com-

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