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De la nécessaire distance dans l'apprentissage d'une langue étrangère.

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Academic year: 2021

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HAL Id: hal-00943500

https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-00943500

Submitted on 7 Feb 2014

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De la nécessaire distance dans l’apprentissage d’une langue étrangère.

Peggy Candas, Nicole Poteaux

To cite this version:

Peggy Candas, Nicole Poteaux. De la nécessaire distance dans l’apprentissage d’une langue étrangère..

Distances et savoirs, Hermès Lavoisier, 2011, 8 (4 (2010)), pp.521-539. �10.3166/DS.8.521-539�. �hal- 00943500�

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Distances et savoirs. Volume 8 – n° 4/2010, pages 521 à 539

dans l’apprentissage d’une langue étrangère

Peggy Candas — Nicole Poteaux

Laboratoire Interuniversitaire des Sciences de l’Éducation et de la Communication Université de Strasbourg

7 rue de L’Université, F-67000 Strasbourg {prenom.nom}@unistra.fr

RÉSUMÉ. La « distance » est depuis longtemps au centre de nombreuses problématiques en éducation et formation. Le développement des TIC et de la formation à distance a néanmoins permis de mettre à jour des types de distance jusque-là ignorés ou sous-estimés. Notre contribution montre que les questions de distance sont centrales dans le processus d’enseignement-apprentissage, en particulier dans le cas des langues étrangères dont l’apprentissage engage encore davantage l’identité de l’apprenant. La notion de distance cognitive, fondement de l’apprentissage, permet de reconsidérer ce rapport aux différentes distances, spatiale, physique ou géographique en les dépassant. La gestion de la distance dans un dispositif original appelé le Centre de ressources de langues est discutée.

ABSTRACT. “Distance” has been a central consideration in the educational field for a long time. However, with the development of new technologies and distance learning, new or forgotten kinds of distances have been brought to the fore. This article shows that questions regarding distance are central to the processes of teaching and learning, in particular as far as foreign languages are concerned since learning a language involves even more crucial identity issues. The cognitive distance essential to learning leads us to reconsider interrelations to the other kinds of spatial, physical and geographical distances. The case of the Language Resource Centre is discussed.

MOTS-CLÉS : distance, apprentissage, langue étrangère, formation à distance, centre de ressources de langues, CRL, distanciation cognitive, réflexivité, mise à distance.

KEYWORDS: distance, language learning, foreign languages, distance learning, language resource centre, cognitive distance, reflection, reflective thinking.

DOI:10.3166/DS.8.521-539 © Cned/Lavoisier 2010

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Introduction

L’intérêt pour les questions de « distance » dans l’apprentissage des langues étrangères s’est accru depuis l’introduction des nouvelles technologies dans le champ de l’apprentissage ; en effet l’accessibilité soudaine aux ressources en langues étrangères a eu tendance à masquer les questions de fond au profit de la forme. Pourtant cette problématique n’est pas nouvelle comme en témoignent les écrits des penseurs de la philosophie de l’éducation. Dans l’éditorial du volume 1 (2003/1) de la revue Distances et savoirs, Vidal et al. placent la notion de distance au centre du processus d’apprentissage :

« Au cœur du savoir, la distance. Les connaissances ne s’enseignent ni ne s’acquièrent sans transition ni médiation. Il faut du temps pour apprendre, et du recul.

Il n’y a d’autre accès aux ressources éducatives que distancié. Indispensables autant qu’inévitables sont donc délais et étapes. En formation, l’immédiateté est une illusion, la fusion, un mirage. Abolir la distance ? C’est vouloir faire échapper l’apprentissage à la trivialité des conditions concrètes de sa réalisation. Vaine prétention ! Distance et mise à distance sont partout nécessaires, y compris en présentiel ». (p. 13)

C’est dans cette ligne de pensée que nous inscrivons notre réflexion. Mais qu’est-ce que la « distance » dans l’apprentissage des langues ? Les différentes acceptions1 du mot révèlent qu’il y a des distances physiques, qui peuvent être évaluées et éventuellement parcourues, des distances mentales, qui sont ressenties ou créées. La distance peut également désigner une différence notable entre deux choses. Toute distance est donc écart, écartement, éloignement ; c’est un espace, qui sépare. Tantôt la distance a une connotation négative, et l’écart qu’elle implique doit alors être comblé ou tout du moins réduit ; tantôt positive, quand l’espace qui sépare est bénéfique, voire salutaire.

Après avoir décrit brièvement le dispositif universitaire d’apprentissage des langues qui constitue notre terrain de recherche, notre contribution présentera les différents types de distance recensés dans le domaine de l’enseignement-apprentissage des langues étrangères. Ces écrits reflètent cette attitude ambivalente face à la distance, vue comme un problème ou un atout, et parfois comme les deux à la fois. Nous développons ensuite la notion de « distance cognitive » appliquée à l’apprentissage des langues étrangères comme élément fédérateur des autres types de distance.

La « distance » dans les Centres de ressources de langues de l’Université de Strasbourg

Pour les étudiants de l’Université de Strasbourg (UdS), spécialistes d’autres disciplines que les langues, l’enseignement-apprentissage des langues étrangères

1. Nous nous référons ici à l’entrée « distance » du dictionnaire Le Nouveau Petit Robert de la langue française 2008 (Paris, Dictionnaires le Robert).

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s’effectue dans des dispositifs originaux appelés Centres de ressources de langues (CRL). La genèse de ces centres, les principes pédagogiques sous-jacents et l’ingénierie choisie, ont été décrits ailleurs (Poteaux, 2000 ; 2003). En bref, les CRL sont des espaces pluriels, riches en ressources, multimédia et multimédiés, où interagissent enseignants2 et étudiants. Les centres ont été conçus pour rassembler tout ce qui est nécessaire à l’apprentissage des langues et des cultures étrangères : de nombreuses ressources matérielles authentiques (chaînes de télévision, internet, films et documentaires, romans, etc.), des supports didactiques (dictionnaires, grammaires, ouvrages divers, cédéroms d’apprentissage, etc.), ainsi que des ressources humaines dont des « native speakers » animant des ateliers d’expression en groupes restreints, des enseignants – experts linguistiques et culturels, mais aussi professionnels de l’apprentissage – et les pairs. Chaque étudiant est encouragé à prendre son apprentissage en main ; il en dessine la trajectoire par un processus d’essais-erreurs au cours duquel il questionne la pertinence des activités librement choisies et entreprises par confrontation et discussion avec les autres, étudiants ou enseignants, afin de tenter de découvrir comment procéder au mieux pour lui/elle à un moment donné dans une situation donnée3. La conception initiale (1995) se fondait sur les notions de développement de l’autonomie de l’étudiant et d’autoformation (Holec, 1990). Il n’était pas encore question d’enseignement à distance et les TICE étaient utilisées en présence dans ces lieux dédiés. Cependant cet environnement quoique organisé en présentiel a conduit les étudiants à utiliser des ressources à distance par les réseaux numériques. Quinze ans plus tard, les étudiants ont accès personnellement à ces nombreuses ressources : pourquoi viendraient-ils au CRL pour faire ce qu’ils peuvent faire chez eux ? Cette évolution a posé la question de la spécificité des activités nécessitant la présence physique au CRL mais aussi celle de l’évolution vers un enseignement des langues à distance sous la pression des progrès technologiques rapides et de la demande institutionnelle (Poteaux, 2007). L’analyse de la situation a souligné que l’intention première avait bel et bien été de tenter de réduire toutes sortes de distances : la distance entre l’apprenant et les ressources linguistiques et culturelles, aussi bien matérielles qu’humaines, entre l’apprenant et les sources de savoir, entre l’apprenant et les langues et les cultures ciblées, entre chaque apprenant et l’enseignant, entre les apprenants eux-mêmes. Mais ce dispositif n’était ni conçu ni nommé comme « à distance ».

2. Dans les CRL de l’UdS, il y a différents types de personnels : des moniteurs étudiants (linguistes ou non), des enseignants (PRAG ou PRCE de langue à l’université) ou des personnels formés au conseil (Gremmo, 1995).

3. Tout étudiant a au moins un module de langue obligatoire par an et est évalué soit sur son parcours d’apprentissage (L1), soit sur sa compétence à réaliser des tâches particulières (L2, M1 et M2) ou passe la certification CLES 2 (L3).

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Or, nous observons4 actuellement que les trajectoires d’apprentissage abolissent le plus souvent les frontières du centre de ressources de langues proprement dit : en effet, la dynamique d’apprentissage des étudiants s’ouvre naturellement sur l’extérieur et le monde au sens large, principalement grâce à l’internet où les étudiants trouvent de multiples ressources matérielles, mais aussi des ressources humaines. Le dispositif CRL les y incite en proposant des activités collaboratives sur des projets (disciplinaires ou non), ou encore des tandems5. Ils exploitent ces ressources dans leurs activités quotidiennes, hors du cadre institutionnel, souvent parce qu’ils sont curieux, aiment la langue ou trouvent des informations qui ne sont pas disponibles en français. Mais ce faisant, leur objectif n’est pas l’apprentissage de la langue ; si la langue est travaillée et si des apprentissages en découlent, il semblerait qu’il s’agisse davantage d’apprentissages incidents qu’intentionnels. Il s’avère que la frontière entre espace institutionnel et espace personnel devient mouvante, ainsi que celles entre travail présentiel et travail à distance. Nous nous trouvons dans un dispositif où ces notions se mêlent et se confondent.

La pertinence globale du dispositif n’est pas remise en cause car les étudiants ne sont pas encore tous équipés et connectés à internet chez eux. Il y a aussi des étudiants qui n’aiment pas travailler uniquement sur des ordinateurs et qui apprécient de rencontrer d’autres étudiants dans un environnement convivial et varié. Le CRL reste ainsi un lieu privilégié de rencontre au sens large, rencontre de l’Autre, des pairs, des

« native speakers » et des enseignants, en chair et en os. Si nous admettons la distinction que fait Linard (2001) – sur laquelle nous reviendrons ultérieurement – entre les apprentissages plus ou moins automatiques s’inscrivant dans l’action pratique et les apprentissages conceptuels abstraits, il est parfois, et même souvent, nécessaire pour l’étudiant de faire le point, de changer de perspective en se confrontant à l’avis d’autrui, de dépasser les connaissances spontanées pour généraliser. Le processus d’abstraction pour passer de l’empirique au conceptuel a généralement besoin d’être accompagné. Nous situons pleinement le rôle de l’enseignant dans ce rôle de passeur qui accompagne la transition, sachant que ces dernières activités se pratiquent tout aussi bien à distance dans des dispositifs d’e-learning.

Se côtoient ainsi dans les Centres de ressources de langues différents types de distance liés tantôt au dispositif et à ses finalités, tantôt aux usages qu’en font les étudiants, sans oublier les distances liées à l’objet d’apprentissage très spécifique que constituent les langues étrangères. À ce stade des observations empiriques, une compréhension fine des activités des étudiants devenait nécessaire. Mais avant de rendre compte des résultats obtenus sur ces questions dans une étude originale, nous

4. Ces observations proviennent de l’examen des feuilles de suivi, sur lesquelles chaque étudiant note les supports qu’ils utilisent et les activités qu’il effectue, dans et en dehors du CRL, dans le cadre de son apprentissage d’au moins une langue étrangère qu’il a choisi d’étudier à l’université.

5. Des tandems franco-allemands sont organisés avec des universités partenaires ; ils mettent en relation des étudiants de même discipline et les étudiants organisent leurs échanges dans les deux langues.

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ferons ici un rapide recensement des différents types de distance que nous avons pu trouver dans la littérature de l’enseignement-apprentissage des langues étrangères.

Ceux-ci nous serviront ensuite de cadre pour l’analyse des activités d’apprentissage d’étudiants apprenant une langue étrangère dans un Centre de ressources de langues de l’Université de Strasbourg.

La notion de « distance » dans la littérature Dans le champ de l’enseignement à distance

Le développement des TIC et de la formation à distance a conduit les chercheurs et praticiens en éducation et formation à s’emparer pleinement de la notion de

« distance », mettant à jour des types de distance jusque-là ignorés ou sous-estimés.

Ces distances sont de natures diverses et permettent d’entrevoir la fécondité de la notion pour la recherche sur les processus d’apprentissage des langues étrangères.

Dans cette perspective, le court recensement qui va suivre montrera qu’il y a des distances « bénéfiques » et des distances « préjudiciables » pour l’apprentissage, selon les termes de Soubrié (2008, p. 121).

Après Henri et al. (1985), Jacquinot (1993) rappelle que l’une des caractéristiques principales de la formation à distance (FAD) est d’inscrire la distance comme fondement de la relation pédagogique, l’opposant par là même à la forme traditionnelle appelée présentielle. Ce mode de formation est une tentative pour apprivoiser deux distances : la distance spatiale, en ce que la FAD ne nécessite plus de déplacement physique pour se rendre dans l’institution de formation, et la distance temporelle, parce que la FAD se caractérise par la liberté de choix du moment et du rythme d’apprentissage, mais aussi parce qu’elle réduit le temps de réponse de l’institution aux demandes des participants, permettant ainsi d’améliorer la qualité de l’encadrement et du suivi des apprenants. Toutefois, d’autres distances émergent dans le même temps qui semblent plus difficiles à apprivoiser. Tout d’abord, la distance technologique : Jacquinot soulève le problème de l’accessibilité des matériels à tous, mais aussi la question de la nécessaire adaptation des matériels aux besoins pédagogiques pour une réelle pertinence. Il y a aussi la distance socioculturelle et socio-économique : l’auteur fait remarquer que, malgré les intentions louables visant l’accès à la formation par les exclus (la « seconde chance ») et le droit à l’éducation pour tous, il s’avère que les expériences d’enseignement à distance déjà mises en place ont davantage profité à des populations différentes (plus aisées) que celles initialement visées. Jacquinot attribue cet échec à la spécificité même des problèmes d’apprentissage chez les personnes visées et à la prégnance du milieu socioculturel, traditionnellement sous- estimée. Enfin, l’auteur consacre la deuxième partie de son article à ce qu’elle appelle la distance pédagogique, une distance a priori considérée comme problématique :

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« Car la distance la plus difficile à apprivoiser, et que prédéterminent toutes celles que nous venons d’évoquer, dans un système d’enseignement à distance, c’est bien la distance qui sépare celui qui veut ou doit apprendre et celui qui sait et veut ou doit enseigner, c’est-à-dire la distance pédagogique. (…) Supprimer l’absence (…) tel semble bien être le défi spécifique de l’enseignement à distance, comparé à celui que l’on appelle justement, par opposition, présentiel ». (p. 60)

Paradoxalement, si l’on considère l’adjectif « pédagogique » caractérisant cette distance, l’absence à supprimer, pour Jacquinot, n’est pas l’absence physique de l’enseignant ou du tuteur, « médiateur du savoir ou de l’apprentissage » (p. 60), ou même des autres apprenants, mais bien l’absence symbolique de l’autre et de la médiation humaine indispensable à l’apprentissage (Vygotsky, 1997 ; Bruner, 1983).

Car, sans tiers social, « il est facile de dériver dans un tête-à-tête avec sa propre activité cognitive » (Linard, 1992, citée par Jacquinot, 1993, p. 60). La réponse empirique des responsables de formations à distance est de réintroduire des sessions de regroupement ou sessions dites présentielles. Pour Jacquinot au contraire, il faudrait plutôt pallier l’absence des autres par des technologies appropriées en se donnant les moyens de :

« “penser” leur spécificité, de les inscrire dans le champ des relations sociales et de chercher à étudier les nouvelles formes d’interactivité “symbolique”, et pas seulement

“machinique” que, bien utilisées – c’est-à-dire sans chercher à reproduire les formes de la communication face-à-face – elles permettraient de créer ». (p. 61)

Linard (2001)6 fait une analyse relativement similaire. Si la distance géographique devient de moins en moins gênante pour les nouvelles générations avec la mondialisation et internet, la distance socio-économique est beaucoup plus difficile à surmonter et les inégalités tendent même à se creuser avec les TIC. Les TIC sont le plus souvent intégrées essentiellement dans les groupes sociaux qui en ont les moyens économiques et culturels ; et si des populations plus défavorisées y ont accès, on ne pense pas à leur apprendre les moyens cognitifs de les utiliser de façon positive.

Linard fait ainsi le lien avec une distance plus subtile, qu’elle décrit comme étant de type cognitif :

« Cette distance est paradoxale : c’est plutôt une absence de capacité à se distancier. Elle est souvent une conséquence de la distance socio-économique mais elle peut aussi relever de caractères strictement individuels (forme et niveau de l’intelligence). Cette absence de capacité mentale à prendre du recul par rapport à soi- même empêche de se distancier par rapport à sa propre action, de prendre conscience des mécanismes de sa propre pensée et donc de les améliorer et de les piloter de façon autonome. »

6. Ne disposant que de la version publiée en ligne (et non de la version papier) de Linard (2001), nous ne sommes pas en mesure de préciser les références de pages pour les citations. URL : http://rhrt.edel.univ-poitiers.fr/document.php?id=431. (consulté le 26/10/2010).

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Cette capacité de distanciation cognitive est, pour Linard, un mode supérieur de conduite intégrée ou une métaconduite, qui ne fait pas naturellement partie du répertoire de la plupart des personnes et doit donc être apprise. Se plaçant résolument dans le cadre du constructivisme interactionniste, Linard définit la connaissance comme un processus interactif de structuration réciproque entre sujets et environnement, en partie automatique, en partie intentionnel, et qui s’auto- organise (Varela, 1989) à partir de son propre fonctionnement et de ses propres résultats. Puis, elle s’appuie sur la psychologie du développement pour distinguer différents stades de l’accès à la connaissance : la connaissance humaine commence par s’enraciner dans l'action pratique spontanée – la biologie nous ayant dotés de toute une série de mécanismes automatiques auxquels on n’a pas besoin de penser – en relation avec le milieu, mais elle n’évolue vers l’abstraction (de type savant) et ne se formalise qu’à condition de dépasser ce stade.

Ainsi, si certains apprentissages, dans le premier stade, sont le résultat de processus non intentionnels, la distanciation cognitive est absolument nécessaire pour acquérir des connaissances de stade supérieur, conceptuelles et/ou abstraites.

La transition « de la pensée naturelle à la pensée conceptuelle (Vygotsky), de l’abstraction empirique à l’abstraction formelle (Piaget) » (Linard, 2001) doit souvent être soutenue, accompagnée, par exemple, par un enseignant pour que l’apprenant ne reste pas bloqué dans les limites étroites d’un mode particulier de représentation, pour qu’il change de perspectives (décentration) et les dépasse pour accéder à la généralisation (recombinaison cognitive).

Tout comme Jacquinot (1993), Linard (2001) voit une réelle chance dans les TIC et le développement de la formation à distance parce qu’ils nous obligent à tenter d’« apprivoiser » cette distance de type cognitif. En effet, plus encore que dans d’autres modalités de formation, il faut penser l’acte d’apprendre, ou plus précisément les processus d’apprentissage, afin d’instrumenter l’action ; il faut actualiser et exploiter le potentiel des outils pour les mettre au service de la construction effective par les apprenants de leur propre connaissance.

Dans le champ de l’apprentissage des langues

Pour concentrer notre attention sur le domaine de l’apprentissage des langues étrangères, ces acceptions de la notion de distance dans l’apprentissage en général demandent à être complétées par celles du champ des recherches en sociolinguistique et en psycholinguistique.

En effet, la spécificité de l’apprentissage des langues ne fait aucun doute, la langue étant à la fois objet d’apprentissage et moyen de l’apprentissage. Des distances spécifiques au domaine des langues ont été identifiées comme pouvant être de redoutables freins à l’apprentissage. Esch (1995) nous en donne un rapide aperçu.

Pour cet auteur explorant le concept de distance dans l’apprentissage des langues, l’implémentation des TICE a eu pour conséquence de reléguer au second plan les

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questions primordiales sur la complexité des processus impliqués dans l’apprentissage des langues, au profit des questions techniques et organisationnelles découlant de l’accroissement de la distance physique entre apprenants et enseignants. Or, d’autres types de distance peuvent se révéler être de puissants obstacles à l’apprentissage. Sur un plan linguistique (syntaxique, morphologique, lexical, etc.), elle évoque tout d’abord la distance structurelle entre la langue maternelle de l’apprenant et la langue étrangère qu’il apprend. Mais, selon elle, cette distance n’est rien en comparaison des distances sociale, psychologique et culturelle :

“Second language learning is a very complex process which involves much more than learning a new system and overcoming the structural distance between languages. Second language learning requires that social distance, psychological distance and cultural distance are overcome.” (p. 5)

Dans la littérature sur l’acquisition des langues secondes, la distance sociale (Shumann, 1978) est l’un des facteurs les plus importants qui renforce ou inhibe la solidarité sociale entre groupes. En conséquence, elle affecte la manière qu’un groupe particulier a d’apprendre la langue d’un autre groupe particulier. La distance psychologique est l’autre facteur majeur pouvant empêcher une personne d’apprendre une langue. Les facteurs qui sont à l’origine de la distance psychologique sont essentiellement affectifs : il s’agit, par exemple, du choc linguistique ou culturel provoqué par l’entrée dans une autre communauté ou culture, créant désorientation et stress (ibid) ; de l’orientation

« instrumentale » (visant des apprentissages à valeur utilitaire), contrairement à l’orientation « intégrative » (visant une meilleure connaissance de la communauté culturelle ou même son intégration), des motivations de l’apprenant (Gardner et al., 1972) ; ou encore des traits de personnalité comme l’autoritarisme ou l’ethnocentrisme. La distance culturelle affecte l’acquisition de la langue seconde indirectement et seulement chez des apprenants ayant déjà un niveau élevé dans cette langue.

Au terme de ce rapide recensement, nous posons les questions suivantes : comment les différents types de distance identifiés, notamment ceux qui sont spécifiques aux langues étrangères, interfèrent-ils dans l’apprentissage ? Comment les interactions avec l’enseignant, les interactions avec d’autres apprenants de langue ou encore le discours intérieur de l’apprenant lui-même interviennent-ils dans la prise de distance ? En nous référant aux différentes acceptions de distance abordées ci-avant, nous proposons quelques éléments d’analyse issus d’une étude originale.

Analyse d’écritures réflexives d’étudiants sur l’apprentissage d’une langue inconnue en Centre de ressources de langues

Méthodologie et résultats

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Ces données sont le résultat d’une analyse de contenus de rapports écrits, rédigés en français par des étudiants de Master 2 (M2) dans le cadre d’une UE intitulée

« Apprentissage d’une langue inconnue à alphabet non latin en autoformation ». Pour cette UE d’un semestre, l’étudiant fait le choix de la langue qu’il souhaite apprendre et s’engage ensuite dans un parcours d’apprentissage en autoformation accompagnée dans un Centre de ressources de langues. Le travail de l’étudiant est « en double piste » puisqu’il lui est demandé à la fois d’essayer d’apprendre la langue dans ce dispositif et de s’observer en train d’apprendre en consignant ses activités, ses impressions et réflexions dans un carnet de bord personnel. Le rapport final, rédigé en fin de semestre, est présenté à l’ensemble du groupe qui échange sur ces rapports réflexifs courts (entre deux et six pages). Pour les besoins institutionnels, l’enseignant responsable de l’UE note les rapports sur des critères de capacité à la distance réflexive.

Les rapports étudiés datent de janvier 2010. Deux populations distinctes d’étudiants sont concernées : 13 étudiants (Et1 à Et13) en M2 de Sciences de l’éducation « Apprentissages et Médiation » (AM) et 7 étudiants (Et14 à Et20) en M2 Conseiller Formateur Multilingue (CFM) au Département de didactique des langues étrangères de l’Université de Strasbourg. Cette diversité nous permet de faire porter notre étude sur des rapports écrits par des étudiants spécialistes des langues, ainsi que par des étudiants spécialistes des sciences de l’éducation.

Le premier élément cité est celui de la distance structurelle entre la langue maternelle et la langue étrangère, souvent mentionnée comme source de difficultés (dans 10 rapports sur 127 de AM et 2 rapports sur 7 de CFM), très majoritairement sur les plans typographique, phonologique et prosodique. Par exemple :

Et4 (russe) : « il est très troublant de débuter l’apprentissage d’une langue à alphabet non latin, nous perdons tous nos repères. Certains ouvrages nous paraissaient hors de portée, il nous était même impossible d’en lire le titre. »

Et3 (arabe) : « malgré les écoutes réitérées, attentives, j’ai de grandes difficultés à construire l’identité du son (…) ce que je reconnais comme étant un raclement de gorge ou un bruit se transforme en son. »

Les étudiants mentionnant la distance structurelle le font soit tout simplement pour exprimer leur désarroi, soit pour justifier les difficultés importantes qu’ils rencontrent pour apprendre, l’énergie et le temps qu’ils ont dû y consacrer – parfois à leur grande surprise. En outre, la distance structurelle semble constituer pour eux un – parfois même le – frein majeur à l’apprentissage :

Et7 (grec) : « A la différence de l’italien ou de l’allemand une des difficultés a été la mémorisation. Je suis très visuelle et d’habitude je fais confiance à ma mémoire qui est plutôt bonne notamment en langue mais là je me suis heurtée à cette difficulté.

7.Un étudiant a été exclu de l’étude car son rapport ne portait pas sur l’apprentissage d’une langue inconnue de lui en début de semestre.

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Difficile de « photographier » des mots aux lettres si différentes et de pouvoir les restituer alors que la lecture me paraît finalement assez facile. J’avoue ne pas avoir trouvé de solution et ce problème m’a laissée perplexe et a ralenti mon travail. »

Cette distance a-t-elle été surmontée par les apprenants ? Il semble plutôt que les étudiants aient reconnu le problème rencontré en insistant bien sur les conséquences sur leur progression, puis soient allés de l’avant en s’en accommodant. Il y a deux exceptions notables, Et3 et Et9, deux étudiantes ayant choisi l’arabe : en grande difficulté, elles ont abandonné les contenus purement linguistiques au profit de contenus plus culturels, ce qui peut-être un détour pertinent pour revenir ensuite à la langue comme objet d’apprentissage.

Ce ne sont alors plus les différences entre la langue cible et les langues connues qui étonnent ces étudiants mais les similitudes ! Ainsi, 4 étudiants sur 7 en CFM, dont 3 n’ayant pas mentionné la distance structurelle, mettent l’accent sur les nombreuses similitudes entre la langue étudiée et les langues qu’ils connaissent déjà :

Et14 (grec) : « nous pensions n’avoir aucune connaissance dans la langue cible.

(…) Très vite, nous nous sommes aperçue que notre perception sur nos connaissances n’était pas adéquate avec ce que nous pensions « ne pas savoir » (…) A titre d’exemple, nous réussissions à certains moments à mettre en place des stratégies de compréhension, induisant le sens des mots par leur préfixe, dont la signification est identique à certains mots du langage français et/ou italien. Les langues latines ont hérité du grec, nous le savions déjà mais nous ne l’avions pas pris en considération, et réciproquement, le grec s’est enrichi au contact des langues latines. C’est ainsi que nous avons pu mettre en place certaines stratégies mnémotechniques dans l’apprentissage lexical mais aussi grammatical (…) (le grec comme le slovaque utilise des déclinaisons, le grec ne mentionne pas systématiquement le pronom personnel avec ses verbes tout comme l’italien et l’espagnol…). »

L’étudiante Et16 dit en avoir pris conscience grâce à une UE sur l’intercompréhension dispensée dans le cadre de son master :

Et16 (russe) : « Le cours sur l’intercompréhension m’a aussi aidée dans mon apprentissage de la langue russe car il m’a permis de comprendre des mots russes en utilisant les autres langues que je connaissais. J’ai trouvé cela très intéressant. On pense souvent que les langues sont très différentes entre elles, mais finalement elles ont beaucoup de similitudes. »

Il est probable que la prise de conscience de la présence de similitudes, facteur facilitant les apprentissages, permet de réduire les sentiments négatifs dus à la distance structurelle en la relativisant. A contrario, deux autres étudiantes en AM apprenant le russe, Et1 et Et4, disent avoir été très gênées par les apparences de similitudes entre l’alphabet cyrillique et l’alphabet latin :

Et4 (russe) : « l’alphabet russe est on ne peut plus complexe, il ne se prononce pas comme il s’écrit : ainsi le « b » se prononcera « v », ou encore le « p » se prononcera « r ». C’est une réelle gymnastique de l’esprit. »

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Cette dernière citation apparaît refléter un degré certain d’ethnocentrisme, que Esch (1995) classe parmi les facteurs sources de distance psychologique. Nous allons voir que ceci n’est pas le seul cas où distance structurelle et distance psychologique apparaissent intimement liées.

Comme la distance structurelle, la distance psychologique paraît elle aussi présente dans de nombreux rapports, notamment par le fait qu’en découvrant l’alphabet ou en entendant de nouveaux phonèmes, certains étudiants ont manifestement fait l’expérience d’un choc linguistique, plus ou moins marqué selon les cas. Nous donnerons ici deux exemples qui sont assez semblables quant à l’apparente violence du choc (quoique les raisons soient différentes) mais diffèrent significativement quant à la manière de le gérer. Tout d’abord, l’étudiante Et3 en AM :

Et3 (arabe) : « Le livret obéit à un code de lecture qui m’est étranger : l’arabe se lit et s’écrit de droite à gauche. Mes habitudes de lectrice sont mises à mal, mes repères se sont plus valides, d’emblée, le code m’échappe.

(…) Ma première difficulté est mon incapacité à retrouver le son dans le mot qui l’utilise (surdité phonologique). Je suis aussi mal voyante puisque je n’arrive pas à repérer le graphème : le mot est une entité opaque. De plus, la lecture de la droite vers la gauche est à chaque fois une épreuve à affronter (…) »

A-t-elle réussi à dépasser les difficultés rencontrées ? Oui en partie, dirions-nous, mais seulement de manière provisoire en transformant certaines situations d’apprentissage en des sortes d’expériences artistiques :

Et3 (arabe) : « Cette expérience de l’étrangeté se métamorphose en plaisir de jouer avec les sons, indépendamment de leur rattachement à une réalité phonétique ou phonologique. Je produis et j’écoute une musique, celle de sons articulés pour le plaisir de les expérimenter : une langue, dans son expression physique me fait entrer dans une culture. Elle est ainsi une facette de l’altérité.

(…) Comment écrit-on ? Le geste, la posture sont à créer, à réinventer. (…) je vais de la droite vers la gauche ou de la gauche vers la droite ? Le mouvement de la main doit être ample ou resserré ? Puis, je finis par céder au plaisir esthétique que me procurent ces signes. Depuis cette expérience, je comprends mieux ce qu’apprendre à écrire veut dire (…) »

L’apprentissage de la langue est au moins partiellement un échec, comme le souligne l’étudiante elle-même dans sa conclusion :

Et3 (arabe) : « Je n’ai pas réussi à m’inscrire dans un apprentissage de la langue qui prenne place dans une durée, dans une progression. »

Ce discours témoigne d’une distanciation cognitive de l’étudiante sur son parcours d’apprentissage et ses échecs, mais elle reste au niveau du constat, sans réelle réflexion sur la recherche de solutions ou de possibilités non explorées. Par exemple, à part pour le choix de l’apprentissage de l’alphabet au tout début du semestre, elle ne fait pas référence à autrui, que ce soit au conseiller multilingue, au

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professeur de langue, aux animateurs d’ateliers ou à d’autres apprenants ; il semble que face aux difficultés rencontrées, aucune aide ou conseil n’ait été sollicité.

Notre second cas, l’étudiante Et20 en CFM ayant choisi le russe, montre une distance psychologique maximale en début de semestre : le mot « blocages » surgit dès la ligne 2 de son rapport et se succèdent ensuite dans les trois premières pages les termes « impossible », « surhumain », « peur », « angoissée », « terrifiant »,

« étranger ». Elle explique très bien comment des expériences d’apprentissage en langues assez négatives par le passé, une légère dyslexie, et un manque manifeste de confiance en elle l’ont conduite à ressentir une angoisse profonde face à cet apprentissage qu’on lui demande, et qui la paralyse. Elle s’en sent tout simplement incapable, à tel point qu’après quelques tentatives infructueuses elle pense changer de langue pour le grec, puis s’inscrit à un cours de portugais… :

Et20 (russe) : « je me suis rendu compte que je m’éloignais du russe et que je faisais tout pour éviter de travailler sur cette langue. »

C’est un entretien-conseil avec la conseillère qui a débloqué la situation : cette dernière a écouté ses difficultés, l’a encouragée dans son choix du russe et lui a suggéré quelques ressources pour commencer à travailler. Et20 fait une analyse très fine de sa progression dans son rapport, semble considérer son apprentissage du russe comme une réussite et conclut que c’est la distance qui lui a permis d’avancer : Et20 (russe) : « Cette expérience m’a également conduite à me questionner sur la place de l’apprentissage de langues dans mon parcours personnel. Je me suis rendu compte que si je n’avais jamais eu l’intention d’étudier une autre langue c’était plus par peur de ne pas réussir que par désintérêt, c’est aussi quelque chose qu’avec la distance j’ai compris. »

Outre le choc linguistique, un autre facteur de distance psychologique apparaît de manière prépondérante dans les rapports. En effet, les étudiants sont très nombreux à s’exprimer sur une question qui leur semble fondamentale : celle de la motivation. Même s’ils ne le verbalisent pas tous aussi explicitement, ils cherchent souvent ce qui leur a manqué pour être plus efficaces ou assidus dans leur apprentissage. Paradoxalement, dans cette UE, chaque apprenant choisit la langue qu’il va étudier. Les explications détaillées dans lesquelles les étudiants entrent pour justifier leur choix montrent d’ailleurs l’importance qu’ils accordent à la liberté qui leur est donnée. En outre, ce choix, souvent très affectif, s’inscrit profondément dans l’histoire personnelle de chacun d’entre eux. Mais parallèlement, ils expliquent souvent très bien pourquoi ils n’étaient pas « 100 % motivés », comme l’écrit Et16, pour l’apprentissage de la langue : certains, étant salariés, disent avoir choisi l’UE pour la grande souplesse qu’elle offrait ; d’autres étaient davantage intéressés par l’expérience d’autoformation que par l’apprentissage de la langue choisie en particulier ; d’autres encore avouent ne jamais avoir ressenti de besoin d’apprendre cette langue, choisie uniquement parce que l’UE imposait d’en choisir une. Il semble donc qu’il ne faille pas confondre l’attrait pour une langue et la motivation personnelle, plus profonde, nécessaire pour de réelles et durables acquisitions.

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Constatant qu’elle passe beaucoup de temps à rêvasser dans le CRL, l’étudiante Et5 montre comment elle a dû s’approprier la demande institutionnelle pour que l’apprentissage fasse sens pour elle :

Et5 (grec) : « je ne suis pas à l’origine de la demande d’apprentissage d’une langue (…). Mon objectif premier est d’apprendre quelque chose ayant trait à l’éducation. Ce qui motive le choix de cette UE est d’apprendre quelque chose du dispositif d’autoformation. Or pendant les mois qu’ont duré l’expérience, j’étais en conflit entre ma demande « apprendre au sujet de l’éducation » et celle de l’institution qui juge que pour répondre à ma demande je dois « apprendre une langue en autoformation », or je n’avais aucune envie d’apprendre une langue.

Comment ai-je résolu cette tension ? (…) Pour cela, je me suis racontée des histoires : celles de la Grèce, orient proche, étrangère voisine ; celle des contes mythologiques de mon enfance. Ainsi, à travers ses histoires, je commençais à m’approprier la demande institutionnelle : cela avait du sens pour moi. Que le projet de l’autre devienne mon projet. Non pas son projet comme une greffe qui prend ou pas, mais dans quelle mesure je peux fabriquer un sens nouveau, qui est mien, à partir de ce qui a du sens pour l’autre ? »

Ici aussi, la distanciation cognitive paraît avoir joué un rôle majeur dans la gestion et le dépassement de cette distance psychologique.

Dans notre corpus, nous n'avons décelé aucune trace de distance sociale ou culturelle. Si la distance sociale est très certainement inscrite dans l'inconscient collectif d'un groupe social et donc difficilement accessible et verbalisable, nous notons aussi que les étudiants inclus dans l’étude présentent tous une ouverture culturelle importante et voient l’apprentissage d’une langue comme une occasion de découvrir une nouvelle culture – ce qui laisse à penser que peu d’exemples de ces distances allaient être exprimés par cette population.

En revanche, l’une des distances identifiées par Jacquinot (1993) dans le cadre des dispositifs de formation à distance nous apparaît, à la lumière de notre étude, tout à fait pertinente pour l’analyse de l’activité d’étudiants en Centre de ressources de langues, et, par extension, pour l’étude de toute situation éducative, qu’elle se déroule en présentiel ou à distance : il s’agit de la distance pédagogique. En effet, même en classe, la distance ressentie ou même instaurée par l’élève avec son enseignant peut être grande alors même que tous deux se trouvent à quelques mètres l’un de l’autre ! De même, l’enseignement à distance peut générer une grande proximité entre enseignants ou tuteurs et apprenants. Dans les CRL, une certaine distance pédagogique est inhérente au dispositif puisque les conseillers et enseignants sont présents mais qu’il appartient à l’apprenant d’aller vers eux, de prendre l’initiative du dialogue. Cette attitude n’est pas coutumière des étudiants français notamment, très probablement en raison de la représentation qu’ils se font de leur rôle d’apprenant et du rôle de

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l’enseignant. Un travail de recherche mené dans le cadre d’un mémoire de master8 a ainsi montré que la représentation qu’ont les étudiants du rôle de l’enseignant influence fortement leur façon de travailler dans le CRL.

Dans notre étude, les rapports révèlent que même pour ceux qui ont sollicité le conseiller, la démarche était loin d’aller de soi : plusieurs récits décrivent une première phase d’errance assez longue – période difficile, parfois douloureuse – avant le premier contact avec une personne compétente. Plusieurs étudiants mentionnent plutôt une rencontre fortuite avec le conseiller, un conseil obtenu en fait par hasard. Certaines descriptions de rencontres sont si vagues qu’il est impossible de savoir si elles entrent dans l’une ou l’autre des catégories, ce qui nous laisse supposer qu’il y a peut-être davantage de rencontres fortuites que de rencontres réellement sollicitées par l’apprenant... Le déblocage d’une situation est imputé plus fréquemment à un conseil obtenu lors d’une discussion avec un pair apprenant la même langue qu’avec le conseiller pendant un entretien-conseil. Mais l’étudiant choisit-il consciemment de procéder ainsi ? Il est certes plus facile pour lui d’aller vers un autre étudiant ; une autre hypothèse serait qu’il valorise davantage le conseil du pair ayant connu les mêmes difficultés.

Si certains étudiants reconnaissent ne pas avoir saisi toutes les opportunités, à savoir demander un entretien-conseil ou assister à des ateliers de conversation9 faute de disponibilité ou de compatibilité d’emploi du temps, d’autres ne mentionnent à aucun moment les ressources humaines, et ce malgré un besoin explicité d’ancrer leur apprentissage dans un groupe social. Le conseiller ne doit pas s’y tromper : ce n’est pas parce qu’il est là en chair et en os qu’il n’est pas invisible ! L’étudiante Et12 répète tout au long de son rapport (quatre fois dans le corps du texte et une fois dans la conclusion) et de manière quasi identique qu'elle aurait eu besoin d'un interlocuteur ou d’une situation de communication réelle, mais ne mentionne aucune des possibilités proposées par le CRL pour en trouver. L’extrait suivant révèle sa conception de l’apprentissage d’une langue et l’acception étroite de la notion d’ « interlocuteur » :

Et12 (japonais – conclusion du rapport) : « enseignant l’anglais, je ne conçois pas l’apprentissage d’une langue étrangère sans situation de communication et sans production orale. (…) je n’avais pas d’interlocuteur. Cet aspect a constitué un obstacle dans mon apprentissage. (…) Toutes ces observations me seront utiles pour améliorer mes conditions d’apprentissage. Je pense que j’intégrerai un parcours plus balisé dans lequel j’aurai un interlocuteur. Je pourrai ainsi être en situation de communication. Sayonara ! »

Ceci la conduit naturellement à rejeter la faute sur le dispositif, sans s’interroger sur sa part éventuelle de responsabilité dans l’échec partiel ressenti. L’absence de

8. Acker P., La conception du rôle de l’enseignant chez les étudiants du Centre de Ressources de Langues de la Faculté de médecine de l’UdS, Mémoire de master en Sciences de l’Education, spécialité « Apprentissages et Médiation », Université de Strasbourg, 2008.

9. Les ateliers sont consacrés à l’interaction verbale en petits groupes de 5 à 7 étudiants pendant une heure. L’inscription se fait en ligne ; l’offre est renouvelée chaque semaine.

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distanciation est manifeste. Sur cette question de la production orale, la débrouillardise dont ont fait preuve plusieurs étudiants contraste de manière saisissante avec ce dernier exemple. Globalement, dans les rapports, les commentaires sur les ateliers étaient soit neutres, soit vraiment négatifs. Une des critiques récurrentes était qu’il s’agissait en fait de cours traditionnels déguisés. Or, les étudiants concernés ont manifestement très mal vécu cet écart entre leurs attentes et la réalité, ce qui les a tout bonnement conduits à rejeter les ateliers et à chercher d’autres occasions de parler, allant jusqu’à les créer eux-mêmes :

Et15 (russe) : « l’atelier auquel j’ai participé était fait d’une manière traditionnelle qui ne me convenait pas. Comme chaque défi n’est qu’une réussite en attente, je cherchais d’autres ressources et espaces pour répondre à mon besoin : un travail en groupe dans le centre en séquestrant la salle de télévision en plus d’un travail à l’oral à la maison. »

Discussion

L’étude de ces écrits réflexifs souligne que les différents types de distance choisis comme indicateurs de l’analyse ont comme dénominateur commun la prise de distance par rapport au processus d’apprentissage. La capacité de distanciation cognitive (Linard, 2001) était déjà au cœur de la recherche doctorale de Candas (2009) sur l’autonomie d’apprentissage. Nous l’avons d’abord rapprochée de la notion de métacognition, plus opérationnelle que celle de distanciation. Dans son acception originelle (Flavell, 1976), la métacognition est définie à deux niveaux différents, l’un comprenant des métaconnaissances ou connaissances métacognitives et l’autre, des mécanismes de régulation ou de contrôle de l’apprentissage et du fonctionnement cognitif. La notion a été largement explorée et a donné lieu à de nombreuses études empiriques en éducation et formation, mais ces dernières n’ont jamais obtenu de résultats à la hauteur des espérances que la recherche avait placées dans cette notion. Après des investigations menées sur les méthodes appartenant au courant de l’éducabilité cognitive (par exemple, Sorel, 1994 ; Loarer et al., 1995 ; Paour, 1997), Carré (2005) évoque « une relative déception » (p. 155).

Dans son ouvrage de synthèse L’Apprenance (2005), Carré liste cinq séries de compétences essentielles pour le développement de ce qu’il appelle le « savoir apprendre » dont les compétences métacognitives ne sont qu’un volet. Ces dernières sont définies comme les capacités autoréflexives de prise de conscience et d’analyse de son propre fonctionnement cognitif et de connaissance de soi en tant qu’apprenant. Les quatre autres catégories de compétences à apprendre sont les compétences cognitives (ayant trait au fonctionnement de la mémoire, en particulier), les compétences de gestion pédagogique (planification, fixation de buts, gestion du temps et de l’espace d’étude, etc.), les compétences sociales et relationnelles (capacités de relation à l’autre, de travail en groupe, de communication et de collaboration) et, enfin, les compétences de navigation et de

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traitement de l’information (en lien avec la surcharge informationnelle due au phénomène internet). En se référant à Bandura (1995), il affirme que les compétences cognitives et métacognitives nécessaires à la réalisation des tâches d’apprentissage ne sauraient suffire à déclencher un fonctionnement intellectuel compétent.

À la lumière de ces éléments, nous avons écarté la notion de métacognition, trop restrictive et incapable de rendre compte de l’ensemble des processus d’« autorégulation » ou d’« auto-influence » (Bandura, 1995), de « distanciation », dirons-nous ici, nécessaires pour apprendre. D’autres chercheurs nous ont apporté des éclaircissements quant à la nature des diverses dimensions sur lesquelles cette régulation pourrait s’exercer. Nous ne citerons ici que les recherches de Danis et Tremblay (1985) dans le champ nord-américain de l’éducation des adultes. Dans l’ouvrage de synthèse qui en a découlé, Tremblay (2003) utilise cinq notions dont celle de « méta-apprentissage » pour caractériser l’apprentissage adulte. S’inspirant des recherches de Little (1991), Candas (2009) postule qu’ils sont également ceux de tout apprenant autonome, c’est-à-dire de toute personne capable de distanciation cognitive. Tremblay (2003) définit le concept de « méta-apprentissage » comme « ce qui contient et dépasse les différentes dimensions d’un processus éducatif dans le sens d’une compréhension de sa réalité par l’adulte lui-même » (p. 146-147). Rien de nouveau à première vue… excepté la lecture fine de ce que recouvre précisément cette capacité à transcender son expérience et à comprendre le processus d’apprentissage. Ces éléments se trouvent dans les quatre autres notions caractérisant l’apprentissage adulte ou, selon Candas (2009), l’apprentissage en général : l’apprenant autonome s’engage dans une démarche heuristique malgré toutes les incertitudes qui pourraient le paralyser, sait saisir toute occasion d’apprendre que le hasard place sur sa route (notion de stochastique), ses intentions et son projet s’ajustant au gré de ses désirs, des circonstances et des ressources présentes dans son environnement (notion de cadre organisateur) et évoluant dans l’action et en fonction de l’expérience antérieure (notion de praxis), et réussit à se constituer tout un réseau de ressources, matérielles et humaines (notion de réseautage) pour réaliser un apprentissage. Cette description n’est-elle pas au fond un condensé étonnamment proche des attitudes et comportements mis en place par les étudiants de l’étude dont nous avons rendu compte dans cet article ?

Cette étude montre que, si les distances spécifiques à l’apprentissage des langues étrangères peuvent être des freins à l’apprentissage, elles ne peuvent en aucune façon être ignorées, mais doivent être comprises et dépassées. Et, de manière quelque peu ironique, il apparaît que c’est un autre type de distance, la distanciation cognitive, qui permette d’y parvenir.

Un autre résultat de recherche (Candas, 2009) qui portait sur la compréhension des activités d’étudiants en CRL avait montré que les questions du chercheur destinées à expliciter ses observations préalables avaient déclenché un processus réflexif chez deux étudiants sur onze. Ainsi, nous avions émis l’hypothèse que l’apprentissage de la distanciation passait peut-être moins par des explications

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élaborées ou par une formation ad hoc que par la mise en miroir de ses propres actions. Nous avions alors retenu dans les définitions données par Little (1991) de l’autonomie d’apprentissage, définie comme un élément fondamental dans l’acte d’apprendre, le processus de reflection (en anglais), que nous avons traduit par

« réflexion critique » ou « réflexivité », et qui nous paraît être intimement lié à la capacité de distanciation cognitive que nous essayons ici d’appréhender. Selon Benson (2001), le rôle de ce construit complexe dans l’apprentissage des langues étrangères a été peu étudié. Employant la métaphore utilisée par David Little lors d'un entretien informel en janvier 2006 à Dublin, Candas (2009) fait l'hypothèse que le processus reflection se rapproche plus de l'image renvoyée par un miroir (to reflect, réfléchir dans le sens refléter, renvoyer une image) que d’une pensée renfermée sur elle-même (to reflect, réfléchir dans le sens méditer, penser).

Cette acception de reflection nous paraît confirmée par les résultats de l’étude présentée dans cet article. Plusieurs étudiants soulignent d’ailleurs spontanément l’importance dans le processus d’apprentissage du carnet de bord, rempli tout au long de leur parcours. Contrairement à la recherche doctorale de Candas (2009) où ses actions étaient décrites à l’apprenant par le chercheur, c’est ici l’étudiant lui- même qui, en écrivant son journal de bord, se revoit en train d’agir. Comme nos recherches le suggèrent, ce simple reflet suffit parfois à déclencher prises de conscience et réorientations, sans que soit nécessaire une évaluation mentale consciente et volontaire, éventuellement difficile voire douloureuse…

Selon certains auteurs, la distance physique ou géographique pourrait favoriser la distanciation cognitive. Soubrié (2008) constate que, dans un contexte de présentiel allégé, l’analyse des rapports réflexifs de stagiaires enseignants montre une activité réflexive soutenue que les étudiants attribuent eux-mêmes aux activités dans le forum en ligne. Pour cet auteur, la distance permet de « “ralentir le temps” de l’apprentissage (Bruillard, 2003)10, de prolonger la réflexion, de prendre de la distance justement » (p. 107). Toutes ces recherches convergent vers l’idée forte que les interactions entre apprenants de langue semblent les plus à même de déclencher le processus de distanciation. Nous sommes alors conduites à poser l’hypothèse que la question fondamentale ne porte pas tant sur le choix entre enseignement à distance ou en présence mais plutôt sur les modalités de mise à distance par l’apprenant de ses activités d’apprentissage en privilégiant le processus plutôt que la forme, au-delà du type de dispositif choisi et de ses contraintes mais en tenant compte de ses atouts dans la recherche de la distanciation cognitive.

10. Le texte auquel Soubrié (2008), et nous-mêmes à sa suite, faisons référence est un compte rendu par Pierre Ginioux (IUFM de Créteil) reprenant l’essentiel d’une intervention d’Éric Bruillard (Professeur des Universités à l’IUFM de Caen) lors d’un forum sur les TIC ayant eu lieu en 2003.

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Conclusion

Pour aborder la notion de distance dans l’apprentissage des langues, nous avons tenté la mise en regard d’une étude menée auprès d’étudiants travaillant dans des dispositifs ouverts d’apprentissage des langues avec les différentes acceptions de la notion de distance dans la littérature de référence. Nous concluons en proposant une conception de la distance dans l’apprentissage des langues comme une mise à distance par l’étudiant de son processus d’apprentissage à travers toutes les activités entreprises. Il s’agit alors davantage d’une distance cognitive qui serait fondatrice de l’organisation et de la gestion de l’apprentissage pour chaque individu. Dans le domaine des langues plus particulièrement, l’interaction est première, avec les autres, pairs et enseignants, avec tous les supports disponibles et imaginables. Mais toutes les interactions et tous les supports ne sont pas identiques pour tous les individus, tous les types de distance non plus. La notion de distance se situe bien au- delà des apparences : c’est le sujet apprenant qui en joue dans la variété des situations et des interactions ; si la notion de distance à soi-même est considérée comme fondamentale dans la conception des dispositifs d’apprentissage, elle relativise les rapports convenus entre distance et présence, enseignement et autoformation et reconfigure les rôles des différents acteurs.

Bibliographie

Bandura A. (ed.), Self-Efficacy in Changing Societies, Cambridge, CUP, 1995.

Benson P., Teaching and Researching Autonomy in Language Learning, Harlow, Longman/Pearson Education, 2001.

Bruillard É., « Lorsque la distance favorise le temps et la réflexion », Medialog, n° 46, 2003, p. 53-54.

Bruner J., Le développement de l’enfant : savoir faire, savoir dire, Paris, PUF, 1983.

Candas P., Analyse de pratiques d'étudiants dans un Centre de Ressources de Langues : indicateurs d'autonomie dans l'apprentissage, Thèse de doctorat en sciences de l’éducation, Université de Strasbourg, 2009.

Carré P., L’apprenance. Vers un nouveau rapport au savoir, Paris, Dunod, 2005.

Danis C., Tremblay N.A., « Principes d’apprentissage des adultes et autodidaxie », Revue des Sciences de l’Éducation, vol. 11, n° 3, 1985, p. 421-440.

Esch E.M., “Exploring the Concept of Distance for Language Learning”, ReCALL, vol. 7, n° 1, 1995, p. 5-11.

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