DANS LA CLASSE
Livrei
Annette Wieviorka, directeur de recherches au CNRS développe dans L’ère du témoin les relations entre le témoignage et l’histoire en distinguant trois phases dans l’histoire du témoignage.
Durant les premières années d’après-guerre, les témoins veulent rappeler ce qui s’est passé, mais ne sont guère entendus. À partir du procès Eichmann, les témoignages sont au contraire sollicités, dans une perspective judiciaire.
Enfin, à l’ère du témoin, le témoignage relève d’un véritable impératif social et non plus d’une nécessité intérieure.
Elle plaide néanmoins pour une écriture de l’histoire lucide, afin que coexistent témoignages et œuvres historiques.
Citationi
« Le témoignage de survivants est un des moyens
pédagogiques les plus propices à l’implication personnelle des élèves qui se trouvent face à un être humain, un
protagoniste des années sombres. Toutefois, l’approche exige une réflexion préalable des enseignants et surtout une préparation adéquate. » Conseil de l’Europe
Datei
2001
Le Conseil de l’Europe est à l’initiative de la mise en place de la « Journée de la mémoire de l’Holocauste et de prévention des crimes contre l’humanité ». Il inclut dans cette journée toutes les victimes (Juifs, Roms et Sinti, homosexuels, résistants, témoins de Jéhovah…).
MON OPINION
“Une vision différente mais complémentaire”
Paul, élève de Première S, lycée du Haut-Val-de-Sèvre, Saint-Maixent-l’École (79) Il vient confirmer le sens de la leçon ou alors, placé en début
de cours, éveiller l’intérêt des élèves pour un fait historique, le témoignage occupe une place importante dans de nombreux projets pédagogiques.
TÉMOIGNER EN CLASSE
“On ne vit pas après Auschwitz, on vit avec Auschwitz”
Supplément au no727 du 26 janvier 2013-US MAGAZINE- 17
Nous sommes « à l’ère du témoin »écrit Annette Wie- viorka, qui considère que le témoignage historique relève
« d’un véritable impératif social et non plus d’une nécessité inté- rieure ». Elle montre que, pour leurs auteurs, « témoigner est un acte de résistance ».
Ida Grinspan, déportée à l’âge de 14 ans à Auschwitz, revendique ce militantisme. « Je n’oublie pas que j’ai reçu une mission sacrée.
Je revois les femmes qui me l’ont confiée, en partant pour le Revier, antichambre de la mort : “Si vous rentrez, il faudra leur dire. Ils ne vous croiront pas, mais il faudra leur dire”. »
Au-delà de la Shoah
Militante infatigable de la mémoire, à 84 ans, elle parcourt la France sans relâche pour parler aux jeunes et à leurs enseignants, dans les établissements scolaires, du sens de son engagement et de l’actualité des valeurs de Shoah.
Car « comprendre la Shoah, c’est aussi lutter contre toutes formes
de discrimination et d’intolé- rance, c’est reconnaître que l’autre doit être doublement res- pecté dans sa différence ».
Et les mots sont forts. « On ne vit pas après Auschwitz, on vit avec »glace la salle. Elle relate son arrestation, sa déportation puis la libération. Le discours cap- tive, impressionne les élèves. Le témoignage mêle horreur et drames mais aussi anecdotes plus légères – « comme les soldats américains étaient beaux ! » – dévoilant une période sombre de sa vie qu’elle aurait pu taire.
La portée du témoignage Quel intérêt à faire venir un témoin en classe ? S’agit-il de confronter les élèves aux sources orales de l’Histoire, d’en faire des
« témoins des témoins » ? S’agit- il seulement de les motiver ? Beaucoup de ceux qui ont tra- vaillé avec des témoins soulignent l’impact très fort, l’intérêt, la motivation des élèves. L’ensei- gnant va pourtant jouer le rôle difficile de perturbateur dans le
désir légitime de l’élève d’adop- ter l’histoire de son interlocuteur comme la Vérité. Le témoignage ne rend pas compte des faits mais du vécu des faits. Il est important que les élèves le sachent et l’in- tègrent dans leur réflexion sur le sens et l’apport du témoignage.
Il peut dès lors être demandé aux élèves de réfléchir librement sur ce qui est important, d’exprimer leur ressenti et pour aller ensuite vers une historisation. Il ne s’agit pas de réduire la valeur du témoi- gnage mais de dépasser l’émo- tion, tout en la prenant en consi- dération. Analyser la validité d’un témoignage, son intérêt, ce qu’on peut y trouver et ce qu’on n’y trouve pas reste toujours fructueux. ■
© Claude Szmulevicz
A« vant cette rencontre, j’avais vaguement entendu parler de l’histoire d’Ida Grinspan, je pensais que son témoignage allait être très dur à entendre car il témoignait des camps de concentration, mais l’impression que j’ai ressen- tie a été différente. En effet, la façon dont elle raconte ce qu’elle a vécu est très naturelle, donc je n’ai pas ressenti de pitié.
Parmi toutes les anecdotes dont elle nous a fait part, certaines m’ont particulièrement marqué. Elle nous a raconté que pendant le trajet entre Paris et Ausch- witz, tous les déportés devaient faire leurs besoins dans un seau qui était placé au milieu du wagon et que l’odeur était insupportable. À ce moment-là, Ida s’est dit que rien ne serait pire que cela. Elle ne savait pas alors que ce détail serait insignifiant par rapport à ce qu’elle allait endurer par la suite. Ce
témoignage, si émouvant, touchant et riche en pré- cisions m’a ouvert les yeux sur des détails que j’igno- rais, sur la façon dont étaient traités les déportés.
Cette rencontre nous a apporté un témoignage vivant des camps de concentration. Écouter une personne encore en vie donne une vision différente de celle d’un professeur ou d’un reportage à la télévision. Son point de vue est réel, elle a vécu ce qu’elle raconte.
Le discours d’Ida Grinspan n’a pas particulière- ment changé ma vision de cette période de l’Histoire, mais les événements de la déportation sont mainte- nant plus précis pour moi.
Selon moi, recourir à ce genre de témoignage est posi- tif pour le cours d’histoire et pour la compréhension des élèves des événements historiques car un témoignage vivant est bien plus explicite qu’un cours théorique. »■
Rubrique réalisée par Thierry Pétrault