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Quelle résilience après la «pire année de l’histoire»?

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Quelle résilience après la «pire année de l'histoire»?

NAEF, Patrick James

Abstract

L'année 2020 a vu la «résilience» fleurir dans les discours politiques et médiatiques. La crise actuelle offre un cadre pour saisir les nuances associées à cette notion et préciser ses multiples significations, parfois contradictoires.

NAEF, Patrick James. Quelle résilience après la «pire année de l'histoire»? Le Temps, 2021

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:150848

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letemps.ch

Quelle résilience après la «pire année de l’histoire»?

Patrick Naef, anthropologue*

8-10 minutes

L'année 2020, présentée en couverture de Time Magazine comme la pire de l'histoire, a vu la «résilience» fleurir dans les discours politiques. Déjà en mars 2020, quand Emmanuel

Macron s’empare de cette notion dans le cadre de la lutte contre la pandémie, il voit les médias français s’interroger sur l’usage de ce terme et la stratégie qu’il décrit. Un an plus tard, lors du dernier Forum économique mondial, le président français plaide pour une économie plus résiliente. Selon lui, le capitalisme du

«monde d’après» doit être pensé avec l’humain et le climat.

Issue de la physique, puis introduite en psychologie et en

écologie, la notion ambiguë de «résilience» a ensuite intégré les sciences sociales. Depuis un certain temps déjà, géographes, politologues et anthropologues ont développé un corpus

critique, insistant sur l’importance de préciser le sujet ou l’objet associé à cette notion. En se situant au-delà d’une approche uniquement technicienne des crises, de nombreuses voix ont ainsi démontré que la résilience n’est pas toujours désirable. Si, avant la pandémie, le terme était déjà incontournable dans les organisations internationales, il est aussi fréquemment proposé dans le discours politique comme remède à tous les maux, qu’ils soient naturels ou sociaux. Les fondations

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philanthropiques ne sont pas en reste: déjà en 2013, la Fondation Rockefeller crée le réseau des «100 villes

résilientes». Au travers de partenariats public-privé, l’implication croissante des fondations et des entreprises dans le domaine des risques alimente d’autant plus la critique. La résilience est vue comme un outil néolibéral permettant à l’Etat de se

soustraire à la gestion des crises.

Des résistances à la résilience

Aux Philippines, par exemple, l’absence de soutien des pouvoirs publics et le transfert du fardeau de la pandémie sur le citoyen sont décrits en termes de resilience porn. Critiquant l’injonction des autorités à compter sur le seul cadre familial pour toute forme d’assistance, un internaute philippin affirme sur le site Reddit: «On est telle une femme battue. On mérite mieux mais on est tellement habitué aux abus que l’on encaisse chaque coup. On fait face et on appelle ça la «résilience.»

Lire également: Aux quatre coins de la planète, un monde de résilience

La critique néolibérale de la résilience a également fortement remis en question les crises comme une opportunité de

développement. L’ouragan Katrina, qui a dévasté la Nouvelle- Orléans, et surtout le processus de reconstruction inégalitaire qui a suivi en sont présentés comme des paradigmes. La Nouvelle-Orléans devient une ville laboratoire pour un

«capitalisme du désastre» où des firmes privées doivent combler les déficits de l’action publique. Dans la Nouvelle- Orléans post-Katrina, la résilience est invoquée jusqu’à saturation. En conséquence, dix ans après l’ouragan, des affiches sont placardées dans toute la ville avec le slogan

«Don’t call me resilient», reprenant les propos de Tracie

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Washington, codirectrice de l’Institut judiciaire de Louisiane:

«Parce que, chaque fois que vous dites que je suis résilient(e), cela veut dire que vous pouvez me faire [endurer] quelque chose d’autre. Je ne suis pas résilient(e).»

La Nouvelle-Orléans devient une ville laboratoire pour un

«capitalisme du désastre» où des firmes privées doivent combler les déficits de l’action publique

Des pratiques de développement inspirées par le concept de résilience peuvent engendrer des gagnants et des perdants.

Certains groupes et individus, en raison de leur capital

socioculturel, disposent d’un meilleur accès aux ressources.

Une dynamique qu’illustre parfaitement le qualificatif de

«champions de la résilience» souvent utilisé par des institutions comme Rockefeller ou l’UNDRR, pour décrire ceux qui

répondent à leurs modèles. Ceux-ci sont d’ailleurs contestés pour leur dimension universaliste, alors que les réponses aux crises se conçoivent souvent dans des contextes très localisés.

Le discours sur la résilience est par exemple diffusé principalement en anglais et conçu selon un paradigme

occidental. Le financement par la Fondation Rockefeller de 100 villes résilientes, réparties aux quatre coins du monde, a

d’ailleurs démontré les limites inhérentes au partage d’une vision globale de la résilience. Les praticiens locaux ont fréquemment rencontré des difficultés à proposer des

approches alternatives à celles imaginées dans les bureaux de New York. Ce fut d’autant plus le cas lorsque la résilience était envisagée au-delà de la catastrophe naturelle, pour intégrer des problématiques de violence urbaine ou de pauvreté. Des

participants à ce programme ont décrit les limites existantes à concevoir la résilience au-delà de l’ingénierie et la technologie, pour lui conférer une dimension plus politique, en se penchant

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par exemple sur les inégalités sociales.

Pour une résilience politisée

En sciences sociales, la résilience est généralement conçue entre adaptation et transformation. Guidée par une perspective sur le court ou moyen terme, une réponse adaptative consiste à construire des systèmes de rétention d’eau ou à moderniser des hôpitaux dans la perspective d’une inondation ou d’une

pandémie. Qu’il s’agisse d’absorber un choc ou de s’adapter à des contextes incertains, ces pratiques sont avant tout

techniques et dépolitisées. En revanche, la résilience comme transformation est par essence politique. Il ne s’agit pas

seulement de bâtir des infrastructures innovantes, mais d’agir sur notre mobilité ou notre consommation. Au-delà des

confinements et de l’optimisation des hôpitaux, la remise en question de l’agriculture intensive et de la déforestation participe par exemple d’une approche transformative. En limitant les

zoonoses, on prévient les risques de pandémies.

Cette résilience transformative est basée sur la notion d’équité.

En 2020, les mobilisations contre les violences policières ont contribué à renforcer la place de celle-ci dans le discours sur la résilience. Aux Etats-Unis, on a ainsi intégré le racisme

systémique et les violences policières dans des programmes de résilience, au même titre qu’un ouragan ou une vague de

chaleur. Le discours de ces praticiens et activistes est profondément ancré dans une approche transformative: ils exigent des mutations dans des villes et des institutions caractérisées par des siècles de racisme et d’inégalités.

Cependant, la pandémie a plutôt constitué un terreau pour des pratiques adaptatives, allant du confinement à la mise au point de vaccins. Alors qu’un nombre croissant de voix remet en

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question nos modes de vie, l’arrivée du «bout du tunnel» voit le business as usual prendre rapidement le dessus. Le

«nationalisme vaccinal» démontre les limites d’une résilience équitable. A l’heure actuelle, dans la course aux vaccins, c’est avant tout la loi du marché qui se montre résiliente.

Le «capitalisme résilient»

Cette pandémie contribue ainsi à mettre au jour les multiples visages de la résilience. Si les médias, les politiques et les agences internationales ont largement souligné la résilience du personnel soignant, des malades, des travailleurs essentiels et de ceux qui ne peuvent plus exercer, ils ont également fait écho à celle de certaines entreprises et industries, à l’exemple du président français qui plaide pour un «capitalisme résilient».

Certains observateurs ont même évoqué la résilience des réseaux criminels qui se sont parfaitement adaptés à la crise.

Ainsi, après la «pire année de l’histoire», si l’objectif est de générer de réelles transformations sociales pour fonder ce que d’aucuns qualifient déjà de «nouvelle normalité» ou de «monde d’après», une définition plus fine du concept s’impose. Car finalement si tout est résilience, le risque est que rien ne change.

* Patrick Naef est anthropologue au Département de géographie de l'Université de Genève

Les Opinions publiées par Le Temps sont issues de

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