RÔLE DU CONTACT PHYSIQUE
DANS LA MANIFESTATION
DES RELATIONS HIÉRARCHIQUES CHEZ LES BOVINS.
CONSÉQUENCES PRATIQUES
Marie-France BOUISSOU
Colette LAVENET P. ORGEUR Station de Physiologie de la Reproduction,
Centre de Recherches de Tours, 37 - Nouzilly
Institut national de la Recherche agronomique
RÉSUMÉ
L’étude des signaux de dominance-soumission chez les Bovins domestiques a mis en évidence
le rôle important de la possibilité d’un contact physique entre les animaux.
L’absence de cette possibilité permet d’effacer les conséquences défavorables de l’existence de la hiérarchie sur le temps d’alimentation des animaux dominés lors d’une compétition avec un
dominant.
Une étude expérimentale de cette « notion de protection » a permis de montrer que la pro- tection au niveau de la tête en était l’élément essentiel.
INTRODUCTION
Les
phénomènes
de hiérarchie sociale sontlargement répandus
dans le monde animalparmi
lesespèces
vivant naturellement ou étant artificiellement maintenuesen groupe, et ont été
également
trouvés chez les Bovinsdomestiques (S CHEIN
etFOHRMAN, I955 ; CrU H I,
etATYESO N ,
1959 ; B!.II,HARZ etM YI , R EA, I gG 3 ; BOUISSOU, I9
6 5
; P ORZI G, 19 65 ;
DICKSON etal., 19 65, Ig67...).
Par hiérarchie
sociale,
il faut entendre la subordination de certains individus à certains autres, à la suite decombats,
de menaces, de soumissionpassive
ou de lacombinaison de ces trois éléments.
Pour
un observateur,
cette hiérarchie se traduit par desluttes,
des coups, des attitudes de menace, despréséances lorsqu’il
y acompétition
ouplus simplement
par le faitqu’un
animal s’écarte àl’approche
d’un autre et lui cède le pas.L’ordre social une fois établi conduit à un
équilibre
et des manifestations rela- tivement inoffensivesremplacent
les luttesproprement
dites.Cependant,
même dansces
conditions,
l’existence des animaux dominés est affectée dans un certain nombre dedomaines ;
leurtemps
d’alimentation enparticulier
est considérablement réduit parrapport
à celui des animaux dominants(Bomssou, 19 6 41
POPZ,G,19 6 5 ; Bosc, Bomssou, SiGrroRET, 19 68),
et leurproduction
laitièrepeut également
être affectée(P
ORZIG
etW ENZ E L , ig6g ; D A rrmo, ig6g).
I,’étude
expérimentale
dessignaux
intervenant dans la manifestation des rela- tions de dominance-soumission est nécessaire pourprévenir
lesconséquences
défa-vorables de l’existence d’une
hiérarchie,
et y remédier dans lapratique
del’élevage.
Nous avons tout d’abord cherché à
préciser
le rôle dessignaux
visuels et ducontact
physique ;
eneffet,
l’extériorisation de la hiérarchie existanten’implique
pasforcément un contact
physique
entre les animaux et dessignaux agissant
à distanceinterviennent souvent seuls
(S CHEIN
etF’o HRM nrr, 1955 ;
GUHL etATK!sorr,
1959 ;Bomssou, 19 6 5 ).
Il semblait donclégitime
d’attribuer un rôleimportant
à la vue ;le contact
physique,
aucontraire,
semblaitjouer
un rôle moindre. Les résultats(Bomssou, 19 68,
nonpubliés)
ont montré que la vue, si elleapporte
uneinformation,
n’est pas nécessaire à la manifestation des relationshiérarchiques.
Par contre, lecontact
physique
bien que n’intervenant pasobligatoirement,
doit êtrePossible : l’interposition
entre deux animaux d’uneséparation
leurpermettant
néanmoins de se voir et de sesentir, perturbe
totalement les manifestations de la hiérarchie et efface sesconséquences
sur letemps
d’alimentation lorsd’épreuves
decompétition,
au contraire de ce
qui
se passe chez certainesespèces,
mêmeplus évoluées,
comme lesPrimates
(W ARD E N
etGALT, 1943).
Il semble donc exister chez les Bovins ce que nous nommerons une « notion de
protection
» vis-à-vis de l’animal dominant.Étant
donnél’importance pratique
de cephénomène
dans laconception
desinstallations destinées aux animaux
d’élevage,
il nous a paru nécessaire d’étudierexpérimentalement
cette « notion deprotection
» ensimplifiant progressivement
laséparation
dont l’efficacité a été démontrée.MATÉRIEL
ETMÉTHODES
A. - Les animaux
Cette étude a porté sur six génisses de race Française Fvisonne Pie-Noire, âgées de 3 ans, entretenues ensemble en stabulation libre depuis l’âge de six mois.
B. -
Epreuves
de compélitionNous avons utilisé une méthode de compétition alimentaire par paire (Bomssou, 1970)
en nous plaçant dans les conditions de l’alimentation à l’auge.
Un aliment concentré était proposé à un couple de génisses dans l’auge où elles recevaient habituellement leur repas ; l’aliment était placé dans un compartiment de 70cm de long, de telle
sorte que les deux animaux puissent s’alimenter en même temps, mais en étant en contact physique
étroit. Le temps d’alimentation de chaque animal était mesuré au cours d’un test de trois minutes.
Quatre situations expérimentales, définies par le type de séparation interposée entre les animaux, ont été comparées à la situation « témoin u, c’est-à-dire sans séparation.
- Séparation de 2,50m de long, constituée de barres horizontales distantes de 20cm, placée
au-dessus et en arrière de l’auge.
- Séparation de même type, de 2m de long, placée en arrière de l’auge.
- Séparation de même type, de 50cm de long, placée au-dessus de l’auge et limitée à celle-ci.
- Enfin, une seule barre de 50cm de long, placée à 20 cm au-dessus de l’auge.
Ces différents dispositifs sont schématisés par la figure i.
Les 15paires, constituées à partir des 6 animaux expérimentaux, ont été réparties en 5 grou- pes de 3, de telle sorte qu’un animal ne soit testé chaque jour qu’avec un seul partenaire. L’ordre
dans lequel étaient testés les groupes, donc l’ordre dans lequel un animal rencontrait les autres, était déterminé au hasard.
Chaque paire a été testée trois fois dans chacune des situations précédemment décrites. Pour
une paire donnée, un test témoin était de nouveau effectué pour chaque série expérimentale.
La position de ce test par rapport aux trois tests expérimentaux était déterminée au hasard.
RÉSULTATS
Lorsque
les animaux ne sont passéparés,
l’animal dominant s’alimentepratique-
ment seul
pendant
la totalité du test(tabl. i).
Dans lamajorité
des cas, le dominén’essaie même pas de
s’approcher
de l’aliment.L’interposition
de laséparation
de 2,50 m réduit notablement lapossibilité
de contact
physique
entreanimaux,
bien que la vache dominante aittoujours
lapossibilité
de la contourner pour chasser la dominée. Dans cesconditions,
letemps
d’alimentation des animaux dominésaugmente
considérablement et passe de 7 se- condes à 2 mn r3(tabl. i).
I,’efficacité
de cetype
deséparation
étantdémontré,
nous avons ensuite cherchéà
préciser
si laprotection
devaitporter
sur l’ensemble du corps ou si certaines zonesprivilégiées pouvaient
être mises en évidence.Les résultats ont montré que la
séparation
au niveau du corps seul n’aguère
d’effet : la dominée ne mange en moyenne que 41 secondes. Par contre, la
sépara-
tion au niveau de la tête conduit à une
augmentation
dutemps
d’alimentation des animaux dominés de même ordre que laséparation complète. Enfin,
unesimple
barreau niveau de la tête
permet également
une sensible amélioration dutemps
d’alimen- tation des animaux dominés parrapport
à la situation témoin(tabl. i).
Alors que
précédemment
nous avionsenvisagé
letemps
moyen d’alimentation des dominantes et des dominées dechaque paire,
nous pouvons calculer letemps
moyen d’alimentation de
chaque
animalopposé
à tous les autres, afin d’avoir une esti- mation de la situation au sein du groupe(fig. 2 ).
Dans le cas où il
n’y
a pas deséparation,
la vache dominante du groupe(ou
animaloc)
mange en moyenne, au cours de tous les tests, 2 mn5 8 ;
lestemps
d’alimentation des autres animaux serépartissent
dans un ordre décroissantcorrespondant
à l’ordrehiérarchique jusqu’à
celui de l’animal dominé(ou
animalt d ) qui
n’est que de 39secon-des. L’écart entre les
temps
d’alimentation de l’animal dominant et de l’animal dominé est donc de 2 mn ig. Cet écart est moindre pour chacune desquatre
autressituations,
enparticulier
pour laséparation
de 2,50 m et laséparation
de 50cm au niveau de latête,
où il estrespectivement
de 35secondes et 40secondes. Parailleurs,
dans le cas où la
séparation
est réduite à unebarre,
la réduction de cet écart est sur- tout sensible pour les deux derniers animaux de la hiérarchie(fig. 2 ).
La
protection
de la tête est donc l’élément essentielqui permet
au dominé unaccès à l’aliment
malgré
laprésence
du dominant.CONCLUSION ET DISCUSSION
L’étude expérimentale
du rôle de différents stimuli lors de la manifestation des relations dedominance-soumission,
nous apermis
de mettre en évidencel’impor-
tance de la
possibilité
du contactphysique
entre les animaux.Une
protection
de l’animal dominé est nécessaire pour minimiser lesconséquences
défavorables d’une
compétition
alimentaire avec un animal de rangplus
élevé. Nousavons montré que cette
protection
conservait toute son efficacitélorsqu’elle
est limi-tée à la
tête ;
il est mêmepossible
de la réduire à un niveau« symbolique
n.L’alimentation
àl’auge
des Bovins entretenus en stabulation libre crée une situa- tion decompétition qui,
si elle n’atteint pas l’intensité de celle réalisée dans nosconditions
expérimentales
estcependant importante.
Les résultatsprécédents
peu- vent remettre enquestion
l’efficacité desdispositifs
actuellementadoptés ;
les cor-nadis en
particulier, permettant
une libre interaction aux têtes desanimaux, n’empê-
chent vraisemblablement pas le dominant de contrôler une
portion plus grande
del’auge.
Ces résultats fournissent des bases à une étude rationnelle des
aménagements
àproposer pour la distribution des aliments aux Bovins. Il serait intéressant de les mettre à l’essai dans la
pratique.
Cette « notion de
protection
» estprobablement importante
dans un certainnombre d’autres situations.
Ainsi, l’augmentation
dutemps
de repos que nous avons observé dans certaines stabulations àlogettes,
parrapport
à la stabulationlibre,
està
rapprocher
des résultatsprécédents
etpeut s’expliquer
de manièreanalogue.
Cette notion de
l’importance
du contactphysique
devraitégalement
êtreprise
en considération pour l’élaboration ou
l’aménagement
de différentstypes
d’instal- lations telles que les étables àlogettes
ou les salles de traite parexemple.
Reçu pour pubtication en juillet 1970.
SUMMARY
THE ROLE OF PHYSICAL CONTACT IN THE MANIFESTATION OF HIERARCHICAL RELATIONSHIPS IN CATTLE
PRACTICAL CONSEQUENCES
The experimental study of dominance-submission signals in domestic cattle previously
indicated the important role of the possibility of a physical contact between animals. The total absence of this possibility allows to efface the unfavourable consequences of a hierarchy on the feeding time of the dominated animals to be eliminated, when in competition with a dominant.
This study attemps to determine, under the conditions of trough feeding, which device could improve the feeding time of the dominated animals and which part of the body should be protected.
During competition tests lasting 3mn and with a through lenght of 70 cm, a trellissed tra-
verse (2,5o m long) situated above and behind the through permits the mean feeding time of domi- nated animals to be increased from 7 s to 2 mn 13 s. If the separation is reduced to the
posterior part, that is at the level of the neck and the body of the animals, the arevage feeding
time of the dominated is only 4i s. This mean increases to 2 mn 2s when the separation is
limited to the anterior part, that is at the level of the head. Finally, a simple transverse bar situated at 20 cm above the through also allows a distinct improvement in feeding time
of dominated animals (I mn 24s). Thus, the protection of the head is essential.
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