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Sociétal N° 34 4etrimestre 2001

L’Etat contre l’emploi ?

C LAUDE V IMONT *

PROSPECTIVE

Repères

et tendances

E En matière d’emploi, le « modèle français » est en péril. La fonction publique exerce aux dépens du secteur productif un double effet d’éviction : financier, par son coût ; et humain, par la ponction qu’elle effectue sur les jeunes, notamment diplômés, qui seront de moins en moins nombreux à entrer dans la vie active. En même temps, la réglementation et la pratique juridique enracinent une conception rigide de l’emploi, inadaptée à une ère de changement technologique intense.

Enfin, le financement par l’Etat d’emplois non qualifiés risque de montrer rapidement ses limites. Deux urgences : un Etat plus léger et moins coûteux, un système de formation conti- nue encourageant la mobilité.

L

’économie française a enregistré depuis quatre ans une croissance continue du nombre des emplois : 500 000 ont été créés en 2000, et les dernières prévisions publiées par le ministère de l'Emploi prévoient un rythme annuel moyen de 400 000 créations jusqu’en 2005. A la date de ces travaux, le retour au plein

emploi était devenu une perspective d'autant plus réaliste que plusieurs pays développés, notamment les Etats-Unis, la Grande-Bretagne, les Pays-Bas connaissaient déjà une telle situation.

Selon une conception assez courante en France, une véritable situation

de plein emploi n’implique pas seulement la création de nombreux postes nouveaux, mais aussi leur stabilité et leur sécurité. L'emploi public paraîtrait l’instrument le mieux adapté à un tel objectif. Il devrait donc être préservé, même si son poids dans la société fran- çaise paraît déjà considérable. De plus, les mouvements des effectifs salariés au sein du secteur privé devraient être contrôlés et freinés.

Enfin, l'emploi non qualifié, qui se développe dans les services, devrait être consolidé, pour éviter la pré- carité croissante qui lui est liée.

A la limite, dans une telle société, aucun emploi ne devrait « bouger ».

La seule évolution admise serait l’addition d’effectifs supplémentaires.

Une telle conception n’est évidem- ment pas réaliste, même si elle crée un sentiment d’euphorie dans l’opinion publique. Génératrice de rigidité, elle entraîne des risques d’asphyxie au sein du corps social, empêchant l’adaptation des emplois à l’évolution des besoins. C’est pourtant elle qui inspire la politique de l’emploi mise en œuvre depuis 1997. Mais cette politique a été appliquée au moment où la crois- sance économique redémarrait en France, comme dans l’ensemble du

*Conseil Emploi Formation.

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Sociétal N° 34 4etrimestre 2001 monde développé, facilitant la

création d’emplois nouveaux et la résorption du chômage. La population active employée a pu augmenter, sans qu’apparaissent des goulots d’étranglement par insuffisance de main-d’œuvre disponible, si l’on excepte des difficultés de recrutement dans un nombre limité de professions.

Or, pour les années à venir, le taux de croissance économique que nous avons connu depuis quatre ans n’est nullement garanti : même si le monde développé échappe à une crise économique majeure, la croissance pourrait bien adopter un rythme durablement plus mo- déré. De plus, nous allons entrer dans une période de mutations sociales brutales : départs en retraite des générations nombreuses nées après la dernière guerre mondiale ; réduction des effectifs de la popu- lation active disponible ; vieillisse- ment de cette population en cours de carrière, les 40-60 ans devenant majoritaires dans les effectifs des entreprises ; diminution du nombre des jeunes entrant sur le marché du travail.

La politique de l’emploi menée jusqu’ici ne permet pas d’assumer les conséquences de tels change- ments. Les difficultés sont d’ores et déjà prévisibles. Leur combinaison risque de mener à de redoutables impasses :

– le poids de la fonction publique, au sens large, entravera le déve- loppement de l’économie, non seulement en lui imposant des charges fiscales trop lourdes, mais aussi en prélevant un nombre trop élevé de jeunes diplômés entrant dans la vie active.

– la limitation des mouvements de main-d’œuvre dans le secteur privé, sous l’effet de la loi sur les 35 heures et de la loi de modernisation sociale en cours de discussion, empêchera les mutations nécessaires de l’appareil

économique et la création d’activi- tés nouvelles.

– les emplois non qualifiés des services ne pourront continuer à se développer, par financement public, sans obérer de façon insupportable les budgets de l’Etat et des collectivités locales. Les discussions actuelles sur l’avenir des « emplois-jeunes » montrent combien leur avenir dépend, dans l’immédiat, d’un financement public, si l’on veut maintenir les effectifs en place.

LE DOUBLE « EFFET D’ÉVICTION » DE LA FONCTION PUBLIQUE

L

a France aura manqué au moins trois occasions de réformer son Administration et ses grandes entreprises publiques : sous le gouvernement Rocard d’abord, la politique de « modernisation des services publics » a été rapidement abandonnée ; en 1995 ensuite, le long et dur conflit social engendré par les projets du gouvernement Juppé a mené à la même situation ; plus récemment, enfin, l’échec du plan de réforme des administra- tions financières a conduit au remplacement du ministre de l’Economie qui l’avait défini. Pour 2002, le projet de budget annonce une nouvelle augmentation du nombre total des fonctionnaires : la tendance reste toujours la même.

Un poids financier dangereuse- ment croissant. Entre 1980 et 1996, le nombre total des fonction- naires est passé de 4,6 millions à 5,37 millions.A cette dernière date, les fonctionnaires représentaient 25 % de la population active, contre 13,2 % en moyenne dans les pays du G7. L’application de la loi sur les 35 heures n’a fait qu’accentuer cette dérive. Le cas de la fonction publique hospitalière met le gouvernement dans le plus grand embarras : le service doit être assuré de façon continue,

avec la même qualité de soins, ce qui suppose des recrutements nombreux. La fonction publique territoriale, de son côté, applique ce texte « dans la douleur ». De plus, la population des fonctionnaires, ceux de l’Etat tout au moins, est nettement plus âgée que celle des salariés du privé. D’où, dans les prochaines années, un taux de départ en retraite plus élevé.

Le résultat le plus visible est d’accroître très rapidement la part des dépenses de personnel dans les budgets de l’Etat, des collectivités territoriales, des hôpitaux. Pour la seule fonction publique d’Etat, entre 1990 et 2000, les dépenses ont augmenté de plus de 43 %. La part de ce poste dans le budget est passée de 56 % à 66 %.

Le problème des retraites est encore plus redoutable. Entre 1990 et 1999, le nombre des fonctionnaires retraités de l’Etat a augmenté de 17 %. Leur âge de départ est particulièrement jeune, comparé au secteur privé, même si l’on prend en compte les prére- traités de ce secteur. 20 % des femmes fonctionnaires de l’Etat partent avant l’âge de 56 ans. A l’Education nationale, notamment, dans beaucoup de couples d’ensei- gnants, quand l’un des conjoints atteint le maximum de ses droits, l’autre anticipe son départ. L’arrivée à l’âge de la retraite des baby- boomers à partir de 2005, ainsi que la fin de carrière précoce des enseignants recrutés en masse dans les années 60 et 70, vont fortement accélérer ce mouvement. Au total, près de la moitié des fonctionnaires civils en service actuellement seront partis en retraite en 2012.

Selon les déclarations du ministère de l’Economie à la Cour des Comptes, le coût actualisé des pensions des seuls fonctionnaires de l’Etat (retraités actuels et à venir) serait de 3 900 à 4 500 milliards de francs (594 à 686 milliards d’euros) :

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il s’agit de la charge à venir des retraites dans l’état actuel du nombre des pensionnés et compte tenu des départs des fonctionnaires actuellement en cours d’activité.

L’importance de la fourchette s’explique par l’incertitude sur l’âge exact des départs et sur l’espérance de vie des fonctionnaires, qui serait, semble-t-il, supérieure à la moyenne nationale.

Sans doute cette dépense sera- t- elle répartie sur une vingtaine d’années. Mais il y aura des

« pointes » brutales, notamment de 2005 à 2010. Il ne reste qu’à espérer qu’elles inter-

viendront dans des périodes de forte croissance économique – hypothèse sous- jacente, sans être toujours explicitée, de toutes les projections sur l’avenir du finance- ment de la fonction publique et de ses

retraités. C’est donc la bonne marche du secteur privé qui sera garante du maintien du train de vie des fonctionnaires.

Le principe, retenu par le gouver- nement, de remplacer nombre pour nombre les agents de la fonction publique dans les années à venir a une conséquence délibé- rément ignorée pour le moment, mais lourde à terme. En effet, le financement des retraites de la fonction publique étant assuré par le budget de l’Etat, la dépense est double : un fonctionnaire de plus, avec sa perspective de carrière, un retraité de plus avec son espérance de vie à la charge des finances publiques. Ce méca- nisme est d’autant plus pervers qu’il est apparemment indolore, puisqu’il n’existe pas de « Caisse autonome des retraites des fonctions publiques », dont le déficit pourrait être politique- ment voyant. La charge n’en retombera pas moins sur le contribuable.

Les mêmes analyses pourraient être étendues aux deux autres fonctions publiques, territoriale et hospitalière, et, avec des méca- nismes quelque peu différents, aux grandes entreprises publiques, notamment à la SNCF.

Une ponction excessive de jeunes diplômés. Les vingt-cinq dernières années ont été domi- nées par les difficultés d’insertion professionnelle des générations nou- velles. La situation va s’inverser, du fait de la diminution d’environ 10 % du nombre de jeunes se présentant sur le marché du travail, mais aussi d’une concurrence accrue du secteur public et du secteur privé. L’Education nationale va être le facteur le plus impor- tant de cette concur- rence : un très grand nombre d’enseignants va partir dès les prochaines années, mais surtout vers 2005-2010, précisément au moment où la population active totale va dimi- nuer. Le remplacement nombre pour nombre et l’augmentation des effectifs dans certains corps, demandée par le ministère, pro- duiront alors un effet de ciseau : la ponction de la fonction ensei- gnante dans les effectifs des jeunes diplômés atteindra un niveau particulièrement élevé. Ce phénomène s’étendra ensuite à l’ensemble de la fonction publique d’Etat, avec un peu moins d’ampli- tude. En 2000, l’Etat a embauché 13,7 % des jeunes diplômés. Cette part devrait monter à 20 % en 2010, à structure de recrutement inchangée.

Quelques chiffres pour fixer les idées. Dans les années 2008 à 2010, les départs de la fonction publique d’Etat seront supérieurs de 50 % à leur niveau de 2000 : 70 000 par an contre 46 000.

D’ici à 2005, le ministère de l’Education nationale prévoit de

recruter 165 000 à 185 000 enseignants. La fonction publique hospitalière devrait recruter en trois ans 160 000 personnes, pour faire face à l’application de la loi des 35 heures dans des conditions jugées à peine satisfaisantes par les organisations syndicales.

L’inconvénient majeur de ces recru- tements est qu’ils ne répondent à aucune dynamique de croissance économique et de productivité. Il s’agit de fournir, en principe, un meilleur service. Mais cet objectif est illusoire, faute de méthode et de critère fiables pour mesurer la productivité et la qualité du service.

Ainsi, les services publics se dotent d’équipements informatiques sans prévoir en contrepartie d’économie de personnel, alors que les banques et les compagnies d’assurances, qui font un travail comparable, ajustent leurs effectifs. Des structures administratives obsolètes, créées dans le passé pour faire face à des besoins qui ont sensiblement diminué, se maintiennent par inertie : le cas des douanes reste, à cet égard, symptomatique, même si la lutte contre la drogue a nécessité des actions nouvelles.

Concurrence et dépendance.

On peut se demander, à l’inverse, si la fonction publique ne sera pas dans l’incapacité de recruter des fonctionnaires nouveaux en aussi grand nombre. Elle peut elle-même souffrir d’un « effet d’éviction », si le secteur privé fait preuve d’un grand dynamisme, notamment en termes de salaires d’embauche et de perspectives de carrière. Mais dans ce cas de figure – celui d’une économie dynamique – la crois- sance engendrerait aussi des recettes fiscales supplémentaires, permettant à la fonction publique de se montrer plus généreuse, donc plus attractive…

Si l’on tient compte, dans ce contexte, de la tendance à la baisse de la population active, on peut craindre des tensions inflationnistes

PROSPECTIVE

Les retraites des fonctionnaires n’afficheront pas de déficit visible.

La charge n’en retombera pas moins sur le contribuable.

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Sociétal N° 34 4etrimestre 2001 d’origine salariale, dues à une

concurrence malsaine entre sec- teur public et secteur privé. C’est une hypothèse évoquée par le dernier travail de prévision de l’emploi pour la prochaine décennie, récemment publié par la Direction des études du ministère de l’Emploi.

Mais il faudrait faire aussi une dernière hypothèse, celle de l’effondrement de la croissance économique, qui entraînerait la chute des recettes fiscales et sociales et l’impossibilité pour l’Etat, les collectivités locales et les organismes de Sécurité Sociale de supporter la charge double des retraites supplémentaires et des recrutements nouveaux dans la fonction publique. Dans tous les cas, une double conclusion s’impose : d’une part, le dynamisme du secteur privé sera le facteur prédominant ; d’autre part, quel que soit le niveau de la croissance future, la réforme et la baisse des coûts du secteur public se révèleront nécessaires.

LES CONTRAINTES SUR LE SECTEUR PRIVÉ

Une pénurie de jeunes candidats.

La baisse des effectifs de la popu- lation active va placer le secteur privé devant un dilemme : soit accepter un taux de croissance moins rapide, soit se doter des moyens nécessaires (programmes de formation continue, immigra- tion de travailleurs qualifiés) pour faire face à la pénurie de main- d’œuvre. Ce choix s’imposera d’autant plus que les prélèvements du secteur public sur la population jeune disponible auront été plus importants. Le risque d’asphyxie dans ce secteur ne va pas venir de l’excès d’emplois à financer, comme ce sera le cas dans la fonction publique, mais de l’éven- tuelle insuffisance du nombre des candidats. C’est d’ailleurs pour cette raison que les prévisions récentes de la Direction des études du ministère de l’Emploi, citées plus

haut, ramènent le taux de croissance de l’économie française de 3,2 % à 2,4 % entre 2005 et 2010. Cet avenir est d’autant plus inquiétant que le secteur privé productif exerce un effet d’entraînement sur l’ensemble de la société d’un pays développé, affiche la plus forte productivité et distribue, de ce fait, les revenus les plus élevés.

Au cours des dernières années, d’après les évaluations de l’Apec, les entreprises du secteur privé cotisant aux Assedic ont recruté environ 70 000 diplômés de l’enseignement supérieur long (essentiellement bac + 4) par an, soit environ 45 % du total. Il est difficile de déterminer quel sera le chiffre correspondant à partir de 2006, lorsque des cadres de haut niveau, en grand nombre, prendront chaque année leur retraite – on peut cependant retenir une estimation de 20 000 à 30 000 recrutements supplémentaires du secteur privé.

Les besoins de la fonction publique d’Etat, au même niveau de qualifi- cation, seront passés à cette date d’environ 30 000 à quelque 50 000 à 70 000, sans augmentation du nombre total des fonctionnaires.

Or, compte tenu de l’évolution des effectifs par âge des jeunes dans les années à venir et de la répartition actuelle, par niveau d’études, des générations en cours de scolarisation, il n’est pas envi- sageable que le nombre global de diplômés de l’enseignement supé- rieur long augmente sensiblement.

Encore ces chiffres ne tiennent-ils pas compte des besoins des grandes entreprises publiques, des professions libérales, etc. On peut prévoir notamment d’importantes vagues de renouvellement du côté des médecins et, dans une moindre mesure, du personnel para-médical de haut niveau. De même dans les organismes de recherche : la pyramide des âges étant particulièrement vieillie dans ces métiers, les recrutements de nouveaux chercheurs vont devenir nécessaires.

Des personnels plus âgés à gérer.

Les tensions salariales seront nécessairement fortes sur les rémunérations des jeunes actifs diplômés. C’est dans une meilleure utilisation de la main-d’œuvre de 40 à 60 ans et dans le recours aux travailleurs de plus de 60 ans que les entreprises trouveront les res- sources humaines complémentaires nécessaires à leur développement : en matière d’emploi, elles devront faire l’inverse de ce qu’elles ont fait depuis vingt-cinq ans.

La mise en œuvre de la « logique compétences », définie par le Medef à l’occasion de son congrès sur la formation professionnelle de Deauville en 1998, et les pers- pectives ouvertes par le nouvel accord sur ce sujet, en cours de discussion entre les partenaires sociaux, devraient permettre de modifier profondément à la fois l’organisation et le contenu de la formation continue au sein des entreprises. Pour le moment, celles- ci limitent leurs efforts à leurs salariés déjà les mieux formés et ayant moins de 45 ans. Nous sommes loin d’appliquer les techniques nouvelles de gestion des compétences de la Grande- Bretagne, des pays scandinaves, ou même de l’Allemagne. Les entre- prises britanniques, qui travaillent sur ce sujet depuis une dizaine d’années (système dit NQVD), ont un mode de définition des qualifica- tions requises beaucoup plus strict.

En Europe du nord (Danemark, Suède), le diplôme à l’entrée dans la vie active importe moins qu’en France, où il détermine pratique- ment la carrière. Dans ces pays, les études supérieures sont menées en alternance avec une activité professionnelle : l’âge moyen des étudiants est de 26 ans, au lieu de 23 en France. Quant à l’Allemagne, elle cherche à dépasser son système traditionnel d’apprentissage, désor- mais obsolète, en construisant un nouveau modèle, toujours fondé sur l’alternance, mais à des niveaux de qualification plus élevés, et

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dans une perspective de carrière à long terme.

Ainsi, l’embauche ne sera plus le moment décisif de la vie d’un travailleur, fondée sur son niveau de diplôme initial, comme c’est le cas dans le système français, de type strictement « adéquationniste » entre diplôme et emploi. Ce système n’a guère évolué depuis trente ou quarante ans, époque où l’on a créé ou réformé les diplômes d’IUT, les BTS, destinés à répondre à des besoins très précis des entreprises. Au contraire, dans une société « cognitive », les tra- vailleurs doivent être à même de construire leur qualification en cours de carrière. Ce qui permet, entre autres avantages, de remédier très vite aux pénuries de main-d’œuvre pour des qualifications précises.

Des mutations brutales de l’emploi.La multiplication actuelle des réductions massives d’effectifs dans tous les pays développés préfigure les situations auxquelles les entreprises devront faire face dans l’avenir : des modifications structurelles brutales de l’écono- mie, donc des besoins en main- d’œuvre. Une plus grande mobilité des travailleurs en cours de carrière s’imposera. Encore faut-il que la réglementation du travail ne s’y oppose pas.

L’emploi au sein des entreprises ne peut être géré qu’avec la parti- cipation des partenaires sociaux.

Ceux-ci doivent pouvoir faire appel des décisions de licenciement envisagées par les directions. Mais la construction juridique, à l’édifi- cation de laquelle nous assistons depuis plusieurs années, reportant des décisions d’ordre économique à l’appréciation de magistrats, est irréaliste. Ceux-ci peuvent être de bons juristes, mais n’avoir aucune conscience pratique de l’importance des délais dans les décisions d’une entreprise. Pour eux, il s’agit, le plus souvent, dans le respect du droit au travail reconnu par nos institutions,

d’empêcher le licenciement, ou au moins d’en augmenter le coût pour l’entreprise. On entre dans une « logique de punition » : dans cette optique, seule la stabilité des effectifs ne serait pas punissable.

A court terme, elle peut paraître sécurisante. A plus long terme, elle risque de faire perdre aux individus, non seulement leurs emplois, mais aussi leur employa- bilité, faute d’une mobilité profes- sionnelle faite à temps.

DES EMPLOIS NON

QUALIFIÉS AU PRIX FORT

L

es effectifs de « non qualifiés » ont recommencé à augmenter depuis 1994, alors qu’ils avaient fortement baissé dans les cinq années précédentes. Leur part dans l’emploi salarié est en légère progression depuis cette date.

Elle représente environ 25 % du nombre total des salariés et 22 % du total des heures de travail.

Avec la crise des années 1990-1993, l’emploi non qualifié avait eu tendance à diminuer, en raison du faible niveau de la production industrielle et des délocalisations d’activités vers les pays en voie de développement. La baisse de ces emplois dans l’industrie aurait même été plus forte

sans le dynamisme du secteur automobile, dû à des mesures de soutien de la demande interne et à un fort mouvement d’expor- tation. Mais depuis 1994, l’emploi non qualifié dans l’industrie n’a progressé que de moins de 10 %, tou- jours, pour l’essentiel, dans l’industrie méca- nique.

La croissance de l’emploi non qualifié est due désormais au secteur des services : le nombre des emplois d’aide à l’enfance a été multiplié par trois depuis 1982,

celui des employés de commerce par deux. Le personnel d’entretien, les agents de sécurité ont vu également leurs effectifs fortement progresser.

Or, l’emploi non qualifié coûte cher aux finances publiques. Ce sont en effet les mesures financées par l’Etat pour abaisser son coût qui ont largement contribué à sa croissance récente. A ces crédits, considérables, il faut ajouter les aides financières et fiscales spécifiques aux familles.

De fait, le développement de ces emplois dépend étroitement de la croissance : si celle-ci est forte, ils sont alors financés sur les revenus des particuliers pour les emplois à la personne, sur la plus forte activité des entreprises pour les emplois d’entretien, et sur de meilleures rentrées d’impôts pour les emplois créés par l’Etat et les collectivités locales. A défaut de croissance économique, on ne peut escompter d’augmen- tation durable de l’emploi non qualifié.

Il ne suffit donc pas, comme le laissent croire certaines analyses, de comparer l’importance de ces emplois en France et aux Etats- Unis, et de calculer ainsi le nombre d’em- plois de service qui

« m a n q u e r a i e n t » dans notre pays. S’ils sont plus nombreux outre- Atlantique , c’est que les niveaux de vie et d’activité y sont plus élevés.

Pour arriver à une proportion compa- rable en France, il faudrait recourir, dans l’immédiat, à des mesures du type « emplois- jeunes », financées sur fonds publics. On retrouverait à terme le même problème que celui que pose la croissance du nombre des fonctionnaires.

PROSPECTIVE

Si les Etats-Unis ont créé

proportionnellement plus d’emplois de service dans le secteur privé, c’est que le niveau de vie y est plus élevé.

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Sociétal N° 34 4etrimestre 2001 La consolidation de ces emplois

à temps plein, la diminution de leur précarité, l’élévation de leur niveau de rémunération et de leur qualification sont soumis aux mêmes conditions. Il faut que le consommateur accepte de payer davantage pour promouvoir des services de meilleure qualité : il le fait quand la croissance le lui permet.

VIVE LA

« PENSÉE UNIQUE » !

P

romettre la stabilité de l’emploi de tous les travailleurs en cours de carrière – souhait exprimé spon- tanément par la majeure partie de l’opinion publique – est irréaliste.

C’est clair dans l’industrie, où les changements technologiques sont incessants et les échanges commerciaux avec l’extérieur instables. On le voit dans les industries de l’information, où des entreprises comme Lucent ou Alcatel, citées hier comme des modèles, envisagent aujourd’hui de licencier le quart ou la moitié de leur personnel, si ce n’est de vendre toutes leurs usines...

Le cas semble moins net dans une économie de services. C’est un argument avancé par nombre de conjoncturistes : l’économie française, comprenant une plus large part de services, résiste mieux à un creux conjoncturel, car les baisses d’emplois ne s’y impo- sent pas avec la même violence.

Du côté des services publics et des grandes entreprises privées (banques, assurances…), on écrase les « pointes » de conjoncture ; du côté des petites entreprises et des travailleurs indépendants, on accepte des baisses d’activité – et de revenus – mais tout en restant actif. Cette analyse est justifiée à court terme, mais elle ne résiste pas dans la durée : à la longue, des restructurations deviennent indispensables, et les reclassements sont incertains.

En réalité, contrairement aux débats sur des modes de dévelop- pement dits « alternatifs », il n’y a qu’un seul modèle de croissance économique. La « pensée unique » l’emporte, malgré sa mauvaise réputation. Le progrès économique et social résulte de l’innovation technologique et de la croissance de la productivité. Mais l’illusion que nous avons entretenue depuis une dizaine d’années a été de croire que l’expansion pouvait être continue, grâce à des politiques monétaires et budgétaires ha- biles. Le retour aux cycles paraît maintenant une évidence. Il ne condamne pas le mode de déve- loppement : il faut, au contraire, en accepter la dynamique.

Le mouvement sauve de l’asphyxie, la rigidité y mène. Ce principe se vérifie depuis le début de la révo- lution industrielle, mais ses modali- tés changent. Dans les années 50 et 60, le grand problème social était la déqualification du travail industriel, dû à la standardisation des processus de production. Dans les années 90, c’est la précarité de l’emploi. Autre différence : il y a quarante ans, le salarié non qualifié de l’industrie automobile gagnait plus que dans son emploi précédent de salarié agricole. Toutes les catégories sociales profitaient de la croissance. Il n’en est pas de même dans une société de renouvellement technologique rapide, exigeant des retours sur investissements plus élevés, car limités dans le temps.

Dans ce cas, il y a des gagnants et des perdants.

Cependant, s’il n’y a qu’un méca- nisme de développement écono- mique, il y a plusieurs façons de répartir le produit qu’il crée, et de remédier aux inconvénients qu’il entraîne. Le traitement des problèmes sociaux admet une pluralité de modèles. Encore faut- il que ceux-ci n’enrayent pas le mécanisme de la croissance, au point d’en supprimer les avantages.

Chaque période a son support privilégié de développement tech- nologique. Les nombreuses « start- up » créées dans les années 90 auront défriché le terrain des technologies de l’information puis, pour beaucoup d’entre elles, échoué par insuffisance de moyens et gestion désordonnée. Une nouvelle étape sera franchie avec la mise en œuvre de ces techno- logies nouvelles par de grandes entreprises. Il peut en résulter un rebond durable de la croissance.

Dans le passé, les développements des chemins de fer et de l’électri- cité ont produit, selon un schéma similaire, des phases d’expansion.

Mais ils avaient créé des structures stables – ce qui n’est pas le cas des technologies modernes, caractérisées pour l’instant par un mouvement rapide. C’est pourquoi la rigidité de l’emploi n’a pas sa place dans un tel schéma : toute politique qui cherche à l’imposer est nuisible.

Aujourd’hui, c’est la construction d’un nouveau type de « carrière professionnelle » qu’il faut favoriser.

La manifestation la plus symbolique de ce nouveau mode d’expansion pourrait être la modernisation de nos grandes administrations, à un moment où les techniques nouvelles peuvent leur permettre de réduire leur coût pour la collectivité. La réforme de l’Etat est tout aussi importante, et tout aussi efficace, économiquement et socialement, que celle des entreprises. La machine à créer des emplois se bloque par excès d’intervention de l’Etat, dans une conjoncture économique et démographique devenue moins favorable. C’est une autre politique qu’il faut mettre en œuvre, plus dynamique, moins étatiste, plus ouverte à l’innovation et à la modernisation, tant du secteur privé que du secteur public. l

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