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La politique americaine au temps de Trump

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Academic year: 2022

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La politique americaine au temps de Trump

Dr. Peter Wolson

La politique américaine est, de nos jours à mon avis, alimentée par deux tendances psycho-

dynamiques principales. Ce sont : 1) Le danger psychologique représenté par l’« autre » en tant qu’il menace le « soi », et 2) la défense contre l’ « autre » par la haine et la dévalorisation afin de protéger l’intégrité et la cohésion du « soi ». On peut soutenir que de telles défenses sont la manifestation d’un narcissisme pathologique. Il en est ainsi, par exemple, de la haine entre Démocrates et Républicains, de la haine des femmes, des immigrants, des minorités telles que les Noirs, les Mexicains, les autres Latinos, les Juifs, les Musulmans, les Asiatiques, les personnes LGBTQ et les Amérindiens.

L’Amérique a connu, au cours des vingt dernières années, une régression narcissique conduisant à une politique clanique et identitaire. Le point culminant en est l’élection d’un président dont on peut dire qu’il présente un trouble narcissique de la personnalité, défenseur d’une politique auto-centrée de « l’Amérique d’abord » ou du « moi d’abord ». Nombre des choix politiques du Président Trump reflètent la défiance narcissique classique de la dépendance. En témoignent son retrait des accords internationaux sur la protection, le commerce et le changement climatique, etc., ainsi que sa

propension à agir « au-dessus des lois », qui a conduit à sa mise en accusation par la procédure d’impeachment, visant à sa destitution.

Comment expliquer cette guerre clanique entre Démocrates et Républicains qui aboutit à la polarisation radicale du Congrès et à sa paralysie ?

Cette polarisation remonte au Président Clinton et au blocage qui a suivi la victoire de George W.

Bush sur Al Gore. Pour moi, le succès du compromis politique entre Clinton et les Républicains a déclenché cette impasse car il impliquait un affaiblissement de l’identité politique originelle de ces partis.

Ce compromis, sorte de zone grise, a conduit ces partis à renoncer à une part de leur soi idéologique noir et blanc. J’ai expliqué cette dynamique psychologique remarquable dans un article op-

ed[1] publié dans Los Angeles Times, en janvier 1999, intitulé « Hating The Politician In The

Mirror[2] ». Dans cet article, je me suis demandé pourquoi Bill Clinton, le plus conservateur de tous les présidents démocrates, était si violemment haï par les Républicains, bien plus encore que les présidents démocrates libéraux précédents. Les Républicains ne devraient-ils pas préférer un Démocrate partageant leurs valeurs ?

Clinton était un « Républicrate » de centre-droit, si vous voulez. Il a voulu privatiser la protection sociale, a soutenu la mondialisation avec l’ALENA (accord de libre-échange nord-américain) qui, jusqu’à la présidence de Trump, était une pièce maîtresse de la politique des Républicains. Il a demandé aux bénéficiaires de l’aide sociale de travailler pour recevoir leurs prestations et a même défendu une politique d’économies qui privait les élèves pauvres de l’argent de la cantine. De nombreux Démocrates le détestaient pour ces options politiques.

Dans cet article j’expliquais la surprenante intensité de la haine des Républicains envers Clinton par le concept freudien du « narcissisme des petites différences ».

En mettant en œuvre le programme républicain, Clinton, s’appropriait, de fait, leur identité politique.

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Devant cette menace existentielle, je soutenais, qu’inconsciemment, les Républicains étaient déterminés à détruire Clinton politiquement afin de survivre en tant que parti. Mais même après sa mise en accusation par la procédure d’impeachment, ils restaient désireux de transiger pour aboutir à un compromis sur leur programme conservateur, faire adopter une législation bipartisane

conséquente, et un budget en équilibre.

Clinton a quitté la présidence en laissant un large surplus dans les finances publiques, et non pas avec les 21 milliards de dollars d’une dette nationale qui continue de grimper de nos jours.

A la suite de la victoire de George. W. Bush sur Al Gore, le Congrès s’est divisé, entre Républicains et Démocrates, dans la proportion de 50/50. Il était très important de savoir si ces partis allaient continuer dans le compromis, pour le bien du pays, ou s’affronter entre clans, menant à l’impasse.

J’ai écrit, sur cette question, dans le Los Angeles Times, du 26 novembre 2000, un article

intitulé « America’s State of Mind : Healthy and Divided[3] », dans lequel j’émettais des hypothèses sur les représentations des objets internes de la psyché démocrate, en comparaison avec l’état d’esprit des Républicains.

Pour moi, la conception du gouvernement était, en gros, pour le parti Démocrate, celle d’une figure maternelle puissante, réconfortante, protégeant et prenant soin des nécessiteux et des opprimés. Au contraire l’idéal des Républicains s’incarnait dans une figure paternelle forte qui récompense ceux qui prennent la responsabilité de leur vie et soutient l’initiative indépendante. La « mère-sein » du gouvernement démocrate satisferait le besoin fondamental de tout humain d’être soigné par un parent aimant et tolérant tandis que le personnage du père des Républicains répondrait à la

nécessité de se dégager du joug de la domination parentale et ainsi d’assumer sa propre existence et de suivre son chemin.

Citons cet article :

Psychologiquement, l’attention maternelle dont a besoin l’être humain entre souvent en conflit avec le besoin d’autonomie. [...] Dans le domaine politique, les Américains essayent de résoudre ce conflit, au plan personnel, en votant pour le parti qui répond à leur aspiration intérieure dominante.

Les Américains qui sont traditionnellement davantage en demande d’aide ou d’assistance sociale, la classe ouvrière, les personnes âgées, les handicapés, certaines minorités ethniques et religieuses, les homosexuels, etc. et les Américains qui les soutiennent, votent plus vraisemblablement pour les Démocrates. Pour ces électeurs, libéral implique la générosité d’une structure gouvernementale protectrice. Ils considèrent les Républicains comme non protecteurs, ayant le cœur dur et avide, parti des riches et des puissants, qui veut, à toutes forces, que le gouvernement soutienne leurs

exigences agressives et égoïstes (souvent d’ordre entrepreneurial).

Pour les Démocrates libéraux, le conservatisme équivaut le plus souvent à priver les plus démunis et les pauvres du soutien du gouvernement, grâce à la fraude fiscale, en payant les salariés le moins possible, en tirant bénéfice de l’exploitation de « la terre-mère », au risque de la violence armée des machos amateurs de chasse.

Ils considèrent la position des Républicains contre l’avortement comme la volonté de détruire la vie des femmes au profit du droit du fœtus à la vie, comme un soutien aux intérêts vitaux d’un « enfant » contre une autorité maternelle « meurtrière ».

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Au contraire, les Américains qui adoptent l’éthique de la confiance en soi et souscrivent au droit pour un individu de contrôler sa vie, son argent et sa propriété avec des interférences minimales, voteront plus vraisemblablement pour un gouvernement républicain paternel. Pour ces électeurs, le

gouvernement est une figure parentale puissante, qui, mal nécessaire, exerce un contrôle, et menace potentiellement l’autonomie individuelle en « volant » l’argent obtenu par des impôts excessifs. La gouvernance républicaine idéale ne gâte pas et n’infantilise pas les individus en les soutenant par des subventions protectrices, mais leur demande d’être responsables d’eux-mêmes. Elle soutient l’initiative individuelle par des réductions d’impôts. (Wolson, 2000)

Malheureusement, et c’est historique, c’est une impasse politique qui se fait jour et paralyse le gouvernement américain aujourd’hui. Comme nous venons de le suggérer, la zone médiane, centriste et modérée du compromis, situation d’équilibre et de maturité est une menace potentielle pour l’identité politique de chaque parti, ce qui explique qu’il y ait si peu de Républicains modérés de nos jours. Comme les centristes auxquels ils s’apparentent, ils tendent à se perdre dans des

tergiversations, contrairement aux positions claires des extrêmes, comme le Tea Party républicain et les Démocrates radicaux tels AOC[4] et Bernie Sanders.

La balance semble, cependant, pencher en faveur du Parti démocrate dont quelques-uns des principaux aspirants à la présidence sont résolument centristes, comme Joe Biden, Pete Buttigieg et Mike Bloomberg. Plusieurs Démocrates centristes ont gagné lors des élections de 2018.[5] Ce retour vers le centre pourrait être une réaction à la politique très clivante de l’administration Trump.

L’identité d’un parti politique doit être assez forte, semble-t-il, pour risquer un compromis idéologique sans être perçu comme faible ou divisé.

La menace existentielle que représente « l’autre » est devenue une réalité effrayante lors des attaques terroristes du 11 septembre 2001. Dans une Amérique où l’intégrité nationale était en jeu, dirigée par un président au narcissisme vulnérable, George W. Bush et son administration ont réagi par une attitude défensive de grandeur outrancière, une sorte d’idéologie d’ « Amérique Uber Alles », et par une politique guerrière de prévention unilatérale. Si elle se sentait menacée, l’Amérique avait le droit de partir en guerre contre tout pays, sans aval international. Tuer ou être tué, tel était le

sentiment. L’administration Bush ne faisait confiance ni aux Nations Unies, ni à l’OTAN, ni aux relations internationales, craignant de dépendre d’autres pays qui pourraient en abuser, etc. La même mentalité narcissique guide, aujourd’hui, l’administration Trump avec l’assassinat préventif du Général iranien Quasem Soleimani. Il n’a tenu aucun compte de la fragilité nationale iranienne sur le plan militaire et économique par rapport à l’Amérique.

C’est une amplification de l’appréhension narcissique de Trump à l’égard des immigrants, « l’autre » étranger menaçant les frontières de l’Amérique, c’est-à-dire les frontières de son ego. Cette crainte alimente la nostalgie d’une barrière impénétrable faisant des Etats-Unis une forteresse contre toute exploitation par autrui et qui se retirerait dans un « splendide isolement ».

Freud donne une explication implicite brillante du pourquoi la haine de « l’autre » est endémique dans la psyché humaine. Dans une tribune pour le Huffington Post (2008) j’écrivais

Notre vie commence dans l’utérus, physiquement et psychologiquement en fusion avec notre mère, partageant la même nourriture et le même oxygène grâce à son apport sanguin. [...] Il n’y a pas de différence entre notre monde mental interne et le monde physique externe. [...] Lorsque le cordon ombilical est coupé nous sommes séparés de notre mère mais restons toujours fusionnés avec elle.

Nous considérons toutes choses y compris le monde extérieur, comme nous appartenant. Sigmund Freud appelle cela le narcissisme primaire.

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Mais, à la naissance, notre paradis intra-utérin est remis en cause, nous sommes bombardés, pour la première fois, par la lumière, le bruit, la faim et la douleur. Nous subissons des stimulations hostiles.

La première représentation de « l’autre » est une menace frustrante qui défie notre existence, notre toute-puissance et suscite notre colère. Notre haine de l’« autre » persiste inconsciemment tout au long de notre développement. Dans l’enfance nous idéalisons nos parents, ce sont les meilleurs parents du monde, et nous réagissons aux étrangers avec appréhension et rage. « Haïr l’autre » vise à protéger cette situation originelle de fusion archaïque, au sein de l’utérus, qui existe toujours dans notre inconscient.

L’antidote à notre haine de l’« autre » est l’empathie. En nous familiarisant de façon empathique avec autrui, la peur, la haine de « l’autre », les projections toxiques de malfaisances se dissolvent souvent et nous en venons à considérer et aimer l’autre comme nous-mêmes, comme faisant partie de la famille humaine. (Wolson, 2017)

Le blocage du Congrès s’est prolongé sous l’administration d’Obama car le leader de la majorité au Sénat Mitch McConnell voulait bloquer les initiatives législatives du Président. Je pense que

l’élection présidentielle, vu le collège électoral de Donald Trump[6], bigot, narcissique, blanc nationaliste et autoritaire, et la régression à une politique clanique et identitaire a été un coup de fouet en retour. Cette défense narcissique contre la menace à l’hégémonie du mâle blanc était surtout motivée par le caractère multiculturel croissant de l’Amérique (Wolson 2017).

La victoire de Trump a vraisemblablement été précipitée par la présidence de Barack Obama et la campagne d’Hillary Clinton. Dans le cas d’Hillary, la crainte de voir une femme froide, assurée et ambitieuse devenir présidente de l’Amérique a provoqué une réaction de répulsion non seulement chez les Républicains, mais aussi chez les Démocrates, chez les femmes comme chez les hommes.

La misogynie nationale a prévalu. « L’altérité » d’Obama, Hillary et la montée du multiculturalisme portant atteinte à l’hégémonie de l’homme blanc américain ont débouché sur une régression narcissique vers des identifications claniques affectives et la dégradation éthique, morale et rationnelle de l’Amérique.

Même avec la procédure de destitution, les Républicains ont opté pour Trump et son soutien total à leur économie conservatrice et à leur programme social. Les Evangélistes et les Catholiques ont soutenu Trump pour s’assurer d’une justice socialement conservatrice, votant ainsi, contre leurs valeurs religieuses, pour un individu sans éthique, immoral et corrompu. Tant que la culture chrétienne, emblématique du mâle blanc hétérosexuel était majoritaire, l’« altérité » des minorités pouvait être, plus ou moins, tolérée. Mais quand Noirs, Mexicains, Asiatiques, Musulmans, etc. sont venus vivre dans des communautés américaines auparavant entièrement blanches, et ceci combiné à l’effet traumatique des attaques arabes terroristes du 9 septembre contre notre pays, un retour de manivelle blanc et protectionniste s’est produit et a fait boule de neige. Le Président Barack Hussein Obama et la désignation d’Hillary Clinton, comme candidate du parti démocrate, ont été les derniers coups sonnant le glas de l’hégémonie mâle, blanche. Elire le Président Donald Trump devint

l’incarnation concrète de cette régression narcissique.

Il semble donc que pour les Républicains et les Démocrates le compromis politique risque de créer une perte au cœur même de l’identité idéologique de ces partis, crainte qui déclenche une régression vers des clivages primaires afin de restaurer et renforcer l’identité du parti. J’espère que l’Amérique devenant de plus en plus multiculturelle et l’hégémonie blanche disparaissant dans l’ombre, les deux partis pourront développer une cohésion et une intégrité suffisantes pour progresser dans une démarche de collaboration sans nul besoin de revenir à l’affrontement entre clans.

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Références

Wolson, P. (January 24, 1999). Hating the Politician in the Mirror. Los Angeles Times OPINION Section, M.

Wolson, P. (November 26, 2000). America’s State of Mind: Healthy and Divided. Los Angeles Times OPINION Section, M.

Wolson, P. (October 16, 2009). America’s Racism: Hatred of ‘The Other’ in the 2008 Presidential Election. Huffington Post.

Wolson, P. (August 9m 2017). America’s ‘White-Lash’ and the Degradation of reason. Huffington Post.

[1] (NdT). Op-Ed, abréviation anglaise (américanisme) de « Opposite the editorial page, article ou tribune signés, exprimant l’opinions d’un auteur, sans lien habituel avec le comité de rédaction, i-e ne reflétant pas forcément le point de vue éditorial de la rédaction de la revue ou du journal.

[2] (NdT) « Je hais ce politicien dans le miroir ».

[3] (NdT) « Etat d’esprit de l’Amérique : forts mais divisés ».

[4] Initiales d’Alexandria Ocasio-Cortez. La plus jeune candidate du Parti démocrate. Elle représente le 14è district de New-York à la Chambre des Représentants. (NdT)

[5] (NdT) Elections de mi-mandat pour 33 sénateurs et 435 membres de la Chambre des Représentants.

[6] Collège électoral désigne l’ensemble des Grands électeurs, représentants du peuple américain, chargés d’élire le président et le vice-président des Etats-Unis.

Traduction: Hélène Rismondo

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