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Les garanties indépendantes devant les tribunaux suisses

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Les garanties indépendantes devant les tribunaux suisses

THÉVENOZ, Luc

THÉVENOZ, Luc. Les garanties indépendantes devant les tribunaux suisses. In: Journée 1994 de droit bancaire et financier . Berne : Stämpfli, 1994. p. 167

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:8255

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>.

Luc Thévenoz

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Les garanties indépendantes devant les tribunaux suisses

Bien que les controverses animées que les garanties bancaires suscitent n'aient plus les charmes de la nouveauté, toutes ne sont pas encore tran- chées de façon convaincante et durable, tant s'en faut. Il suffit d'étudier la jurisprudence publiée, et peut-être plus encore de consulter celle qui ne l'est pas, pour constater que l'incertitude prévaut encore sur plusieurs ques- tions juridiques importantes.

Un réexamen de quelques questions récemment traitées par la juris- prudence se justifie d'autant plus que les Règles uniformes relatives aux garanties sur demande (RUGD), publiées en avril 1992 par la Chambre de commerce internationale l, promeuvent - sans l'imposer - la garantie dite «â demande motivée) ou (à demande justifiée», une figure moins familière aux banques et aux juristes suisses que les garanties à première demande. Sans pouvoir prédire si ces nouvelles Règles seront reçues par la pratique bancaire, on profitera de cette rétrospective partielle pour s'in- terroger sur la place systématique qui revient aux garanties à demande motivée.

C'est pourquoi l'on traitera d'abord de la distinction entre les garan- ties indépendantes et le cautionnement, une opération de qualification dont trop souvent dépend la validité de l'engagement du garant (1). On discutera ensuite la jurisprudence du Tribunal fédéral qui, contre l'avis de la doctrine majoritaire, autorise le donneur d'ordre à faire séquestrer la garantie lorsqu'il rend vraisemblable que le rapport de base a été mal exécuté et qu'il dispose d'une créance contre le bénéficiaire de la garantie (II).

Les banques se trouvent alternativement «aux deux bouts», des con- trats de garantie: bénéficiaires de l'engagement d'un tiers qui vient garan- tir la dette d'un client ou garantes elles-mêmes à l'égard d'un tiers pour le

* Avant de s'atteler à "édition des textes réunis dans cet ouvrage, Me Alix FRANCOTTE

CONUS a rassemblé la documentation utilisée pour la rédaction de cette contribution. Je l'en remercie chaleureusement.

Publication CCI nO 458.

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compte d'un client. On ne parle bien sûr de garanties bancaires qu'à pro- pos des secondes, mais cette contribution ne se désintéressera pas des premières, au sort desquelles les établissements financiers ne sont certes pas indifférents.

1. Indépendance et accessorité:

de la qualification des contrats de garantie

A u sens générique, <des contrats de garantie sont tous ceux par lesquels le garant promet à son partenaire, avec effet irrunédiat mais pour le cas où surviendrait (ou ne surviendrait pas) un événement déterminé mais incer- tain (espéré ou redouté) qui présente pour lui un intérêt patrimonial, une prestation indépendante, mesurée à cet intérêt.»2 C'est donc une famille aux larges contours. «En vertu de la liberté contractuelle, une partie qui entend fournir une garantie, couvrir un cocontractant contre Wl risque ou partager ce risque avec lui fi'est pas 1imitée au choix entre cautionnement et porte-fort.»3 A côté de ces deux contrats spéciaux, auxquels il convient d'ajouter l'aval cambiaire (art. 1020 ss CO) et le contrat d'assurance" la liberté contractuelle consacrée par l'art. 19 CO permet de façonner un nombre indéterminé de types contractuels innommés, qui couvrent des

2 Georges ScYBOZ, Le contrat de garantie el le cautionnement, Fribourg (Ed. Univer- sitaires) 1979 [Traité de droit privé suisse, VII, 2], p. 13.

3 ATP du 29.9.1987, n.p., cause C 440/1986 (actionnaire contre-garantissant un autre actionnaire pour 22,5% des sommes que ce dernier pourrait devoir payer en vertu de divers cautionnements en faveur de banques créancières de la société). La liberté des types contractuels en matière de garanties est unaniment admise, cf. notamment Beat

KLEINER, Bankgarontie, 4e éd., Zurich (Schulthess) 1990, §§ 2, 4 et 12; Jürgen DOHM,

Les garanties bancaires dans le commerce international. Berne (Stampfli) 1986.

NN. 68 ss; ScYBOZ (n. 2), pp. 12, 13-16 (typologie) et 25-34 (distinction d'avec d'autres sûretés personnclles).

4 Le regroupement ici fait est certes inusuel, comme si le droit des assurances pri- vees ayant depuis longtemps acquis un statut de spécialité, son objet échappait aux contrats de garantie traditionnellement étudiés en droit des obligations. La distinction paraît néanmoins artificielle. On sait qu'aux Etats-Unis, le monopole des assureurs s'étend aux garanties, dont l'émission est interdite aux banques. Celles-ci ont partielle- ment réinvesti ce terrain prohibé en émettant des stand-by letters of credit qui, sous J'habit de crédits documentaires, constituent le plus souvent une forme particulière de garantie. Parmi une littérature plus qu'abondante. voir Marc R. RICHTER, Standby Lelter of Credit. Eine systematische Darslellwlg u.b.B. des US-Amerikanischen Reclus, thèse, Zunch (Schulthess) 1990; Jacqueline LIPTON, «Unifonn Regulation of Standby Letters of Credit and Other First Demand Security Instruments in International Transactions,}, Journal o/International Banking Law 1993 402-409; Michel CABRlLLAC 1 Christian MOULY, Droit des sûretés, 2e <d., Paris (Litec) 1993, NN. 397 ss et NN. 448-455 (sur l'applicabililité des Règles et U$anees uniformes de ta CCI en matière de crédit docu- mentaire); Anthony PIERCE, Demand Guarantees in International Trade, Londres (Sweet

& Maxwell) 1993, pp. 32-34 et 111-112 (specimen); Raeland F. BERTRAMS, Bank

Guarantees in Internalional n'ade, Amsterdam (Nibe), Deventer (Kluwer) 1990, pp. 30-32 et 404 (specimen).

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situations aussi diverses que la garantie de déficit d'une manifestation sportive ou la garantie bancaire à première demande.

Plus souvent que pour n'importe quels· autres contrats, les plaideurs qui s'affrontent à propos d'une sûreté personnelle viennent à en disputer la qualification. La jurisprudence publiée par le Tribunal fédéral montre, presque rimellement, que le garant tente de répudier sa signature en pré- tendant que son engagement, dûment interprété, n'aurait qu'un caractère accessoire, qu'il tomberait ainsi sous le coup des dispositions impératives du cautionnement et serait donc nul de nullité absolue, faute d'en avoir respecté les conditions de forme et de capacité (art. 493 et 494 CO).

La summa divisio en matière de garanties, c'est donc la ligne de par- tage entre les multiples formes de garantie indépendante, où la liberté contractuelle règne en maître, et les garanties accessoires qui, en raison de la protection que le législateur a accordée à la caution en 1881 et très sensiblement renforcée en 1941', s'inscrivent nécessairement dans les ca- tégories des art. 492 ss CO (cautionnement simple ou solidaire, caution- nement conjoint, certificateur de caution et arrière-caution) et ne peuvent déroger aux nombreuses dispositions impératives du titre vingtième du code.

La question ne se pose pas pour les garanties qui ont pour objet un pur fait, par exemple la garantie du déficit d'une kermesse. La dette du garant nait, existe et disparaît indépendamment de tout autre rapport d'obliga- tion. Le problème n'apparaît que pour les garanties qui poursuivent une fonction analogue au cautionnement (bürgschafisiihnliche Garantien), c'est-à-dire qui se rapportent à une prestation à laquelle un tiers s'est obligé.

Le (vrai) garant promet sa prestation indépendamment de l'existence, de l'étendue et des effets du rapport de base en vertu duquel la prestation principale est due, alors que la caution promet sa prestation seulement dans la mesure où la dette principale existe et subsiste. I.:accessorité, c'est ainsi <de lien de dépendance de l'engagement du garant à l'égard de l'obli- gation du débiteur principal. Alors qu'avec le cautionnement le garant assure la solvabilité du débiteur ou l'exécution d'un contrat, la garantie dite indépendante assure une prestation comme telle, promise au créancier indépendamment de l'obligation du tiersé.

La jurisprudence présente deux traits saillants:

• Elle considère la relation entre la dette du garant et la dette garantie comme une variable qui reçoit deux valeurs mutuellement exclusives:

5 Les art. 492 55 CO ont été profondément remaniés par la loi fédérale du 10 décem~

bre 1941, RO 1942279.

6 ATF 1201134 (1), c. Sb non publié au Recueil officiel; cf. déjà ATF 113 II 434 c. 2c, JdT 19881 185, 188.

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indépendante ou accessoire. Tertium non datur: il n'est apparemment ni degrés, ni tierce possibilité. «Le critère de distinction est l'accessorité. S'il y a accessorité, on a un cautionnement; sinon, un contrat de garantie.»7

En interprétant à chaque fois l'engagement litigieux pour déterminer s'il est ou non indépendant du rapport de base, la jurisprudence re- connaît implicitement que les parties exercent librement un choix, celui de se soumettre ou non aux règles contraignantes du cautionne- ment. C'est là l'expression de la liberté contractuelle, dont le Tribu- nal fédéral reconnaît qu'il s'applique également aux contrats de ga- rantie". Le caractère impératif de nombreuses dispositions sur le cau- tionnement n'a pas pour effet d'interdire la constitution d'autres sûre- tés personnelles, mais il impose un cadre restrictif aux sûretés person- nelles que les parties ont voulues accessoires.

La première affirmation est discutable: elle postule ce que RosSI ap- pelle <de dogme de l'accessoriété>> et relève d'une Begriffsjurisprudenz9 aujourd'hui désuète (B). Quant à la seconde, qui consacre une saine appli- cation du principe de la liberté contractuelle, elle se trouve singulièrement affaiblie par la méthode d'interprétation que le Tribunal fédéral semble privilégier, procédant d'un «cumul des indices" sur lequel il convient de s'interroger (A).

A. Cumul des indices, sécurité juridique et liberté contractuelle

Pour déterminer si l'engagement d'un garant est ou non accessoire à la dette garantie, il convient de rechercher la réelle et commune intention des parties (art. 18 al. 1 CO). Ce n'est que lorsque celle-ci ne peut être déterminée que le juge doit recourir à l'interprétation du contrat, gouverné en Suisse par le principe de la confiance. En matière de garanties, la lan- gue de tous les jours, et même celle des affaires, sont assez peu précises.

Les passages de l'anglais au français jouent de mauvais tours puisque le premier préfère utiliser le terme de «guarantee» pour désigner ce qui chez nous relève du cautionnementlOLe code des obligations ne définit pas le contrat de garantie et n'utilise ce terme que pour définir certaines obliga-

7 ATF 113 II 434, 437 c. 2b (trad. personnelle de l'allemand), JdT 19881185. Cf.

notammentATF 101 II 323 c. 1 (d), JdT 19761537,539; ATF 111 II 276, 279 (f); ATF du 25.7.1988, SJ 1988 550, 552 c. 1; ATF 111 II 76, 78 c. 6b (f).

8 Cf. citation supra ad note 3.

9 Tutto ROSSI, La garantie bancaire à première demande, thèse de Fribourg, Mont- sur-Lausanne (Méta Ed.) 1990, pp. 97-102.

10 Cf. ATF 113 II 434 c. 3a, JdT 19881189 etT. commerce Zurich 7.4.1992: ZR 1992 143, 146 n" 39.

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LES GARANTIES INDÉPENDANTES DEVANT LES TRIBUNAUX SUISSES 171

tions du vendeur, de l'entrepreneur, du bailleur ou du cédant. La lettre du contrat ne revêt donc qu'une importance relative et le Tribunal fédéral, en accord avec la doctrine Il , a développé deux techniques auxiliaires d'inter- prétation destinées à faciliter les décisions des juges.

D'une part, afin de «se fonder sur le contexte de la déclaration [du garant] ainsi que sur l'ensemble des circonstances dans lesquelles elle a été faite»'2, notre Haute cour recherche un certain nombre d'indices dont le cumul doit lui permettre de décider de la nature indépendante ou acces- soire de l'engagement du garant. Par exemple, l'intérêt propre du garant à l'opération garantie représentait pendant longtemps, aux yeux des juges de Mon Repos, un indice revêtu d'un poids tout particulier13 D'autres indices reçoivent aussi une grande pondération: (des obligations de garan- tie assumées par des instituts bancaires expérimentés et les sûretés accor- dées aux contrats internationaux» font pencher en faveur d'une garantie indépendante'4 . D'un tel procédé par accumulation d'indices, il résulte une casuistique dont les résultats sont parfois surprenants et peuvent met- tre en péril la sécurité juridique.

D'autre part, le Tribunal fédéral présume que, «dans le doute, le juge doit cependant opter en faveur du cautionnement, en raison du but protec- teur de la législation édictée sur ce contral»15 En l'absence d'une base légale, il s'agit d'unepraesumplio Jwminis qui, parce qu'elle est réfragable, n'intervient que lorsque l'interprète ne peut tirer des déclarations des par- ties, du but visé, du contexte et de l'ensemble des circonstances aucune conclusion sûre quant à la portée véritable de l'engagement disputé.

La jurisprudence fédérale des dix dernières années paraît marquée par diverses hésitations. Elle commence pourtant par deux arrêts de 1985 fon- dés sur des bases solides. Une laconique promesse de garantie rédigée en italien amena le Tribunal fédéral à réaffirmer la primauté du texte d'un engagement, cas échéant dûment interprété, sur toute présomption ou tout indice extrinsèque'6 M. Ley-Ravello ayant en l'espèce déclaré intervenir

Il Cf. surtout KLEINER (n. 3), NN. 5.13 ss.

12 ATF lOI " 323 c. l, JdT 1976 1 537, 539.

13 Loc. cit., avec de nombreux renvois à la jurisprudence antérieure. Néanmoins, (que le garant ait un intérêt personnel à J'exécution du contrat principal n'empêche nulle- ment les parties de conclure un cautionnement» cf. ATF 111 TI 276, 280 (f). Sur cet indice, voir aussi MERZ, RJB 1989 228-230.

14 Cf. ATF du 25.7.1988, SJ 1988 550, 552, et références.

15 ATF 111 II 279 c. 2b, commenté notamment par ROSSI, «Garantie ou cautionne- ment?», SJ 1986 405-413. La présomption trouve des origines lointaines dans la juris- prudence fédérale, cf. ATF 66 II 26,28, JdT 19401551-553; ATF 81 11 520, 525 c.3, JdT 19561462,465; ATF 101 11323 c. Id, JdT 19761541.

16 ATF J Il Il 276, 279 (f), avec renvois à la jurisprudence antérieure.

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<<en qualité de garant dè la bonne fin des paiements contractuels •• dus par la société dont il était l'administrateur, les juges estimèrent qu'il avait clairement exprimé rintention d'assumer une obligation accessoire à celle de la débitrice principale.

Deux mois plus tard, l'afTaire Negresco fournit à notre Haute cour l'occasion de rappeler que, <<lorsque le texte d'un contrat est clair, il n'y pas lieu d'en dénaturer le sens par la recherche d'une interprétation fondée sur des éléments extrinsèques, sauf circonstances particulières» 17 Celles- ci n'existaient pas en l'espèce, et les juges prirent au mot quatre débiteurs - dont Eli Pinkas - qui avaient conjointement souscrit une reconnaissance de dette pour le prêt accordé à l'un d'eux en se désignant eux-mêmes comme «débiteurs solidaires», un libellé «dépourvu de toute équivoque».

Plus surprenante est la décision rendue en 1987 à propos d'un prêt bancaire d'un million de dollars accordé à une société sous la garantie de son administrateur-délégué et vraisemblablement actionnaire. Bien que la sûreté consentie fut, selon son texte, «inconditionnelle» et «principale», et que le garant renonça expressément à toutes exceptions et objectionsl8, la [ère Cour civile recourut à un faisceau d'indices pour retenir le caractère accessoire de la garantie, qu'elle déclara nulle parce que ne satisfaisant pas aux exigences de forme posées à la validité du cautionnement. Cet arrêt, approuvé par le professeur NOBEL, fut vivement critiqué par les pro- fesseurs M ERZ et HaMBURGER 19.

En des termes moins caractéristiques d'un engagement abstrait que dans l'affaire précédente, une banque garantissait le paiement de factures adressées par une société yougoslave à une société suisse de production cinématographique. Son engagement, qui ne comportait pas le montant maximum qui aurait été nécessaire à sa validité comme cautionnement (art. 493 al. 1 CO), fut reconnu valable comme garantie indépendante.

Dans cet arrêt Jadran Films de 1988, le Tribunal fédéral ne paraît pas appliquer de la même manière que dans l'arrêt précédent les indices sur lesquels il fonde cetle qualification. Les seuls distinguos convaincants résident probablement dans le caractère international de l'opération et dans la qualité de banque du garant, deux indices dont on a déjà vu qu'ils pè- sent considérabiement20

17 ATF 111 II 284, 287 (f).

18 Sans que cela figure dans l'extrait de la garantie citée dans sa partie en fait, le Tribunal féderal relève que cette renonciation ne s'étendait pas aux exceptions d'inexi~

gibilité et d'inexécution (<<mit Ausnahme derjenigen der fehlenden Fii.lligkeit und des nicht erfUlltenVcrtrage".), ATF 113 Il 440 c. 3d, JdT 1988 1 190. Curieusement, et suivant la [onnulation effective de cette renonciation limitée, on aurait pu trouver là un argument considérable en faveur de l'accessorité, qui ne fut pas développé.

19 WuR 1988 72; RJB 1989228; SAS 1988 134.

20 Cf. supra ad note 14; voir déjà ATF 113 Il 434 c. 2c, JdT 1988 1 189 et références.

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Nouvelle surprise, sinon quant au résultat, du moins quant au raison- nement, avec l'arrêt Riihrer c. L SA de 199121: .une banque s'y était enga- gée «au sens de l'acceptation d'une assignation» à verser à la recourante le montant de la garantie. Au début du considérant 6, notre Haute cour dé- clare ne pas devoir trancher entre contrat de garantie et assignation: puis- que tous deux donnent naissance à une créance dont la validité et l'éten- due sont indépendantes du rapport de base, l'admission de la mesure con- servatoire disputée est soumise dans les deux cas aux mêmes conditions22•

On pourrait penser que la volonté clairement déclarée par la banque d'ins- crire son engagement dans le cadre du droit de l'assignation ne laissait place à aucun doute sur la nature abstraite de son engagement. Néanmoins, le jugement se poursuit par une pesée des nombreux indices. En faveur d'une garantie indépendante, les juges de Mon Repos retiennent notam- ment: qu'elle a été émise par une banque et dans le cadre d'un contrat international; qu'elle est payable à première réquisition; qu'elle comporte une renonciation à «opposer une quelconque exception ou objection»;

qu'elle se réfère expressément à l'assignation, gouvernée par ,<l'art. 468 al. 1 CO [qui] a pour effet de créer une dette nouvelle abstraite à la charge de l'assigné)}23 C'est la phrase concluant le considérant 6 qui suscite pour- tant l'étonnement: <<Pris isolément, aucun des éléments de la garantie liti- gieuse ne permet de conclure à l'existence d'un engagement indépendant.

21 ATF 117 III 76 (1), SJ 1991 677, reproduit plus extensivement in JdT 1993 II 169, note GILUERON.

22 Dans son arrêt Banca A. c. C.-Bank du 22.3.1987, reproduit in Peter NOBEL, Praxis zum offentlichen und privaten Bankenrecht der Schweiz, Berne (Stampili) 1979, p. 387 55, le Tribunal fédéral qualifia comme assignation une garantie bancaire dont la fonction, un peu particulière au cas d'espèce, était celle d'un pur moyen de paiement. La distinc- tion entre garantie et assignation n'est pas évidente. Elle tient d'une part au but pour- suivi, cf. SCYBOZ (n. 2), p. 29, et d'autre part à la manière dont naît l'obligation abs- traite: l'assigné est déjà obligé par la notification de son acceptation à l'assignataire, art. 468 al. 1 et 470 al. 2 CO, alors que le garant n'est lié que par l'acceptation de son offre de contracter, art. 1 al. 1 CO, dont on pourrait envisager qu'elle puisse en certai- nes circonstances résulter du silence, art. 6 CO. Quoi qu'il en soit de la qualification juridique, une banque fit justement remarquer à son client qu'économiquement par-

lant, son <<ordre de garantie, vu la clause 'payable à la première demande du bénéfi- ciaire', est un ordre de paiement différé». SJ 1984459.

23 ATF III Il 79. Le texte de l'art. 468 al. 1 CO est pourtant trop étroit: il, dit claire- ment que l'assigné ne peut opposer à l'assignataire que les objections ct exceptions résultant du contenu même de l'engagement de l'assigné et celles résultant de leurs rapports personnels. Cela exclut toute autre objection ou exception tirée du rapport de base (entre l'assignant et l'assignataire) comme du rapport de couverture (entre l'assi- gnant et l'assigné), mais la loi ne l'exprime que pour celui-ci, et pas pour celui-là.

L'indépendance de l'engagement de l'assigné à l'égard du rapport de base - sous ré- serve, bien sûr, de l'abus de droit- n'est pas discutée, et c'est sur elle que repose le mécanisme des crédits documentaires de même que, en vertu de dispositions plus dé- taillées, le droit eambiaire.

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Mais leur réunion permet de l'admettre, du moins primajacie.»24 En faut- il autant pour que la volonté, ici pourtant clairement exprimée par les parties, de constituer un engagement abstrait soit admise et reconnue en cas de litige subséquent?

La jurisprudence des cours cantonales paraît heureusement moins hé- sitante. Les garanties bancaires qui se donnent pour indépendantes sont prises au pied de la lettre en énonçant clairement une renonciation aux objections et exceptions relatives au rapport de base; je n'ai pas lu dans la jurisprudence publiée que les tribunaux supérieurs bâlois, fribourgeois, genevois, tessinois et zurichois pondèrent longuement les indices qui pen- chent dans l'un et l'autre sens25

A répéter que les termes utilisés par les parties peuvent être inexacts, qu'ils pourraient ne pas refléter leur volonté véritable (art. 18 al. 1 CO), l'on doit s'interroger sur la sécurité juridique qu'offre au bénéficiaire un engagement dont le libellé est clair et précis. Le risque paraît exister que le juge ne se satisfasse pas de manifestations de volonté pourtant inambiguës et émanant de personnes accoutumées aux affaires et, n'y voyant qu'un indice, le mette en balance avec d'autres circonstances pour trancher à l'encontre de ce que les parties ont déclaré vouloir.

Le Tribunal fédéral, dans un considérant malheureusement inédit de son tout récent arrêt J. SA du 12 janvier 199426, rappelle une bonne doc- trine. Une gérance immobilière, agissant «au nom et pour le compte» d'une

«Résidence» qui n'était pas encore constituée en copropriété, avait loué des machines à laver et s'était, en autant de termes, portée fort de l' exécu- tion du contrat. Recherchée en paiement par le créancier, elle n'avait pas songé à contester la portée de son engagement au cours des deux instances cantonales. Devant le Tribunal fédéral, elle en plaida la nullité en préten- dant qu'il s'agissait en réalité d'un cautionnement nul faute d'indiquer le montant maximum pour lequel elle était tenue. La 1ère Cour civile rejeta l'argument. «Lorsque le texte d'un contrat est clair, il n'y a pas lieu d'en

24 Loc. cit., soulignements ajoutés.

25 T. appel Bâle-Ville 19.5.1989: BJM 1991 182; T. cantonal Fribourg 2.6.1993: RFJ 1993 296; C. justice Genève 24.6.1983: SAS 1984 175, 17.5.1984: SJ 1984457, 12.9.1985: SJ 1985609; T. app. Tessin 14.3.1985: Rep. 198684, rés. RSDA 198996 r63; T. supérieur Zurich 9.5.1985: ZR 198644 nO 23, SAS 1986 130, 1.11.1988: ZR 1989 183 n° 60; T. commerce Zurich 19.6.1986: ZR 1987 89 nO 40. Seule exception: T.

commerce Zurich 7.4.1992: ZR 1992 143 nO 39, qui toutefois retient comme «critère concluano) la renonciation du garant aux objections et exceptions affectant le rapport de base.

26 Seul le considérant 6d est reproduit aux ATf 120 Il 34 (f), relatif à l'obligation du mandant de libérer son mandataire du porte-fort que celui-ci a contracté dans l'exécu- tion régulière de son mandat. Cette obligation résulte de l'art. 402 al. l CO en l'ab- sence d'une disposition semblable à l'art. 506 CO applicable au porte-fort.

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dénaturer le sens par la recherche d'une interprétation fondée sur des élé- ments extrinsèques, sauf circonstances particulières, ainsi lorsque le sens d'une convention, tel qu'il apparaît à première' vue, semble contraire au but qu'une partie devait normalement se proposer.>,27Ces circonstances n'existaient pas: le texte du contrat était inambigu, et l'on pouvait attendre des organes ou représentants d'une régie qu'ils en comprennent le sens.

Un porte-fort paraissait d'autant plus indiqué qu'au moment de la signa- ture du contrat, la «Résidence» que la gérance déclarait représenter n'avait aucune personnalité juridique alors que le propriétaire du bien-fonds à l'époque n'apparaissait d'aucune manière.

Ainsi, à tout le moins lorsque le garant est une société commerciale ou une personne physique familière de la vie des affaires, on ne saurait aisément s'écarter du texte d'une garantie qui se donne pour indépendante du rapport de base. Pour la disqualifier en un engagement accessoire et lui appliquer les règles du cautionnement, il y faut des circonstances extraor- dinaires indiquant que la réelle et commune intention des parties contredi- sait en fait le libellé de leur accord.

Espérons que notre Haute cour fera preuve de la même rigueur dans d'autres circonstances. A défaut, elle risque bien de devoir entendre une fois l'argument d'un cabinet d'avocats, personnes physiques et non so- ciété commerciale, plaidant la nullité comme cautionnement du porte-fort que leur stagiaire, encore inexpérimenté bien sûr, aurait oralement sous- crit devant le juge du séquestre dans le cadre d'une affaire qui ne serait ni bancaire ni internationale!

B. Indépendance de la garantie: une questian de degré A lire la jurisprudence et les auteurs28, on pourrait penser que l'indépen- dance d'une dette est comme la République: une çt indivisible. Ce «tout ou riem) peut peser lourdement sur la qualification d'un contrat d'espèce:

tout indice que l'engagement du garant pourrait être affecté par le déroule- ment de l'opération de base risque de faire naître le soupçon qu'il n'est qu'un cautionnement accessoire. Il est temps de revenir sur ce «dogme de l'accessorité>>.

Car contrairement à ce qu'on entend trop souvent, l'indépendance d'une dette, son caractère abstrait ou autonome, n'est pas absolue. Elle trouve d'abord certaines limites dans la loi; elle peut également être amoin- drie de par la volonté des parties qui l'ont fait naître. En d'autres termes, l'indépendance est affaire de degré.

27 Citation intégrale infra en annexe 3, page 194.

28 Jurisprudence citée supra il la note 7; cf. KlE1NER (n. 3), N. 5.10 et les références étendues figurant il sa n. 18.

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La première limite est si fréquemment invoquée, notamment pour ob- tenir des mesures conservatoires, qu'un rappel suffit. Comme toute autre institution du droit suisse, l'indépendance de la dette résultant d'un con- trat de garantie cesse lorsque son bénéficiaire s'en prévaut au mépris ma- nifeste des règles de la bonne foi. L'art. 2 al. 2 CC permet une EinwendungsdurchgrifJ. le débiteur de l'obligation abstraite peut opposer à son créancier les exceptions et les objections tirées du rapport de base, ce qui lui serait interdit s'il n'y avait abus de droit de sa partie adverse29 Cart. 492 al. 3 CO consacre une seconde exception, récemment rap- pelée par le Tribunal fédérapo La garantie d'une dette affectée d'un vice de la volonté, déjà prescrite ou encore nulle en raison de l'incapacité du débiteur principal n'est valable que si le garant connaissait ce défaut au moment de s'engager3'; elle est en outre soumise à toutes les dispositions impératives du cautionnement. I:exception est de taille. Elle fut motivée ainsi dans le message du Conseil fédéral de 1939 à l'appui du projet de révision des art. 492 ss: «dans la pratique, la délimitation du cautionne- ment et du contrat de garantie (art. Il 1 CO) a souvent donné lieu à des difficultés [ ... ). C'est pourquoi le premier projet avait tenté de faire, dans la loi même, la démarcation entre ces deux contrats. Mais, cette façon de procéder a été critiquée dans plus d'un des mémoires adressés à la division de justice. Aussi, le présent projet a-t-il adopté une solution différente, en soumettant le contrat de garantie aux mêmes conditions de forme que le cautionnement (art. 492 al. 3 CO).»32 La disposition proposée par le gou- vernement et adoptée sans modification par l'Assemblée fédérale fait à la fois plus et moins que ce qu'en dit le message. Une garantie indépendante est valable même sans revêtir la forme exigée pour le cautionnement pour autant que la dette garantie ne soit pas affectée de l'un des défauts énumé- rés. Ainsi, l'art. 492 al. 3 CO est inapplicable lorsque le rapport de base est résilié ou même résolu. En revanche, il ne vise pas seulement les pres- criptions de forme, mais aussi toutes les dispositions impératives du droit de cautionnement, dont le nombre est important (cf. art. 492 al. 4 CO).

Cindépendance d'une garantie à l'égard du rapport de droit qu'elle garantit ne trouve pas ses seules limites dans la loi: d'autres, de degré variable, peuvent aussi résulter de la volonté exprimée par les parties au

29 Pour tous les autres, cf. KLEINER (n. 3), NN. 21A1 5S; Herbert ScnONLE, «Missbrauch von Akkreditiven und Bankgarantiem>, RSJ 198353-61 et 73-78, pp. 74 s.

30 ATF 113 II 434 c. 2b 8 (d), JdT 19881 188. Cf. SCYBOZ (n. 2), pp. 54 5.; Silvio

GIOVANOLl, Berner Kommentar, t. VI/2, 2e éd., Berne (Stampfli) 1978, NN. 80-84 ad CO 492.

31 Cf. ATF 81 II 9, 15-16 (1).

32 FF 1939 II 896-897, soulignements ajoutés.

(12)

LES GARANTIES INDEPENDANTES DEVANT LES TRIBUNAUX SUISSES 177

contrat de garantie33 Si, quels que soient les termes qu'elles utilisent par ailleurs, celles-ci conviennent que le garant ne devra sa prestation que sur présentation d'un jugement ou d'une sentence arbitrale établissant une obligation à la charge du débiteur principal, l'obligation du garant devient complètement accessoire à celle du débiteur principal. La première n'existe qu'autant que la seconde a été établie judiciairement, toutes objections ou exceptions du rapport de base ayant été examinées par le juge ou l'arbi- tre3" C'était en substance ce qu'à défaut de stipulation contraire, les Rè- gles uniformes pour les garanties contractuelles publiées par la Chambre de commerce internationale en 1978 prévoyaient pour les garanties de bonne exécution et les garanties de remboursement35, Elles avaient pour effet de supprimer toute autonomie de la garantie à l'égard du rapport de base36, et cela explique sans doute qu'elles furent presque totalement ignorées de la pratique,

Si les parties peuvent supprimer toute indépendance, ce qui est l'évi- dence, elles peuvent aussi la limiter dans une moindre mesure, On sait que la résiliation du rapport de base n'entraîne pas celle d'une garantie indé- pendante, C'est notamment pour le dommage que peut lui causer une telle résiliation que le bénéficiaire souhaite disposer d'un garant. Mais les par- ties au contrat de garantie pourraient néanmoins décider d'exclure cette situation du cas de garantie, ce qui paraît peu vraisemblable, ou convenir que la garantie expirera dans un certain délai à compter de cette résilia- tion, ce qui peut présenter un certain intérê-t.

Certes rares, on trouve cependant de telles atténuations dans la prati- que, Ainsi de l'arrêt du Tribunal fédéral de 1987 rappelé plus haut, où le garant avait expressément renoncé aux objections et exceptions tirées du rapport de base à l'exception des deux expressément mentionnées37, De telles limitations conventionnelles posent néanmoins problème, et on de- vrait les éviter, D'une part, elles affaiblissent bien sûr l'intérêt de la garan- tie pour son bénéficiaire, De l'autre, elles peuvent faire basculer un enga- gement dont l'independance est par trop amoindrie dans la catégorie des

33 SCHONLE (n. 29), pp. 73-74 et exemples cités à propos de crédits documentaires.

34 Contra T. appel Tessin 11.3.91 : Rep. 1992259 à propos d'une garantie émise dans le cadre d'un litige arbitral et payable sur présentation de la sentence et d'.J.111e déclara- lion de l'arbitre qu'elle est entrée en force de chose jugée. Il convient de distinguer l'independance de la garantie (ici inexistante) relativement au rapport de base et les conditions formelles de mise en oeuvre, cf. infra

l.e.

35 Paris (ICC Publishing) 1978 [Publication CCI n' 325], reproduites in DOIIM (n, 3), pp. 225-227, avec une note critique en pp. 228-229; de même KLEINER (n. 3), pp, 273-275,

36 Dans le même sens, VASSEUR (n. 54), p. 249.

37 Cf supra note 18.

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cautionnements. La ligne de démarcation est imprécise et la sécurité juri- dique s' en trouve considérablement compromise.

C. Conditions et formalités de mise en oeuvre

Du caractère accessoire ou indépendant d'une garantie à l'égard du rap- port de base, il convient de distinguer les conditions de sa mise en oeuvre, et notamment les formalités de l'appel à garantie et les éventuels docu- ments qui doivent l'accompagner. On trouve là une grande variété de mo- dalités, sur laquelle le Tribunal fédéral a récemment attiré l'attention dans un considérant, publié aux ATF 119 Il 132, dont il est difficile de saisir la portée sans connaître l'ensemble de l'arrêt. Celui-ci porte en fait sur une letter ofindemnity (lettre de garantie) délivrée par une banque d'ordre de l'un de ses clients en faveur d'un transporteur maritime qui acceptait de détourner le bateau et la cargaison d'Abidjan à Douala sans que le client soit en mesure de présenter de connaissement maritime.

Comme il est usuel dans ce genre de documents38, la banque prenait l'engagement de remettre à l'armateur le connaissement et de l'indemni- ser de toutes réclamations qui pourraient être présentées à celui-ci par le porteur d'un original du connaissement et de tous autres pertes, frais, dom- mages et dépens. C'est ce qui se produisit, et l'armateur appela la garan- tie, sans pouvoir chiffrer d'emblée le montant de sa prétention. La banque déclina tout paiement et attendit le sort d'une procédure arbitrale entre le client et l'armateur qui se dénoua, six ans plus tard, en faveur du second.

I.:armateur demanda alors paiement à la banque, qui refusa derechef au motif que l'appel à garantie formé avant l'échéance n'était pas valable parce que le montant des prétentions n'y était ni justifié, ni documenté. Le Tribunal fédéral, à la suite des deux juridictions genevoises, rejeta l'argu- ment et confirma l'obligation de la banque d'honorer son engagement.

Au considérant 4, inédit, le Tribunal fédéral qualifie la letter of indemnity de garantie indépendante39, non sans avoir relevé qu'un tel en- gagement <m'est cependant jamais totalement 'dégagé' du contrat de base de sorte qu'une référence à ce dernier ne permet pas à elle seule de con- clure toujours à l'existence d'un engagement accessoire». C'est donc parmi les garanties indépendantes que le considérant 5, seul paru au Recueil officiel, distingue «selon leurs modes de mise en oeuvre ou de réalisation,

38 Cf. Jürgen DOHM, «Les «Traders' Letters oflndemnity», notamment dans le négoce du pétrole», RSDA 1992245-255; Herbert SCH6NLE / Luc THEVENOZ, «La lettre de ga- rantie pour connaissement (letter of indemnity) dans les opérations de crédit documen- taire», RDS 1986147-78. Cf. notamment Aix-en-Provence 10.9.1991: Dalloz 1993 SC 105; T. féd. [Allemagne] 15.6.1987: WM 1987 1198; BOHZ 36 329.

39 Sic SCHONLE / THEVENOZ (n. 38), pp. 58 s.

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LES GARANTIES INDEPENDANTES DEVANT LES TRIBUNAUX SUISSES 179

soit la manière dont le bénéficiaire peut obtenir le paiement de la somme garantie»4o. Notre Haute cour en esquisse une ,typologie,

i) Elle mentionne d'abord la garantie à première demande, en vertu de laquelle <<le garant doit honorer son engagement sans égard à un éventuel litige relatif au contrat de base, aussitôt après l'appel du bénéficiaire.»41 Le mode de mise en oeuvre - un simple appel sans même l'ébauche d'une quelconque motivation - reflète complètement l'indépendance de la ga- rantie. Aussi formaliste, aussi détachée des circonstances matérielles que soit cette mise en oeuvre, l'indépendance de la garantie ne s'étend pas au- delà des limites fixées par la loi. En particulier, l'appel est inopérant s'il constitue un abus de droit du bénéficiaire. Est en revanche parfaitement opérant un appel qui, sans atteindre à l'abus de droit, n'est qu'injustifié.

La somme obtenue par le bénéficiaire aux dépens du donneur d'ordre re- présente un enrichissement illégitime dont ce dernier pourra exiger la res- titution conformément aux art. 62 ss C042.

ii) Selon le Tribunal fédéral, une garantie à première demande peut être assortie d'une «clause d'effectivité, soit une clause indiquant par exemple que le paiement interviendra à première demande lorsque le dommage se produil». Il y a ici une contradiction, évoquée en ces termes: «La banque [ ... ] doit payer, d'une part, à la seule demande du bénéficiaire et, d'autre part, le paiement est subordonné à la réalisation du cas de garantie.»43 Le Tribunal fédéral mentionne les théories divergentes émises par la doctrine suisse et étrangère quant aux conditions dans lesquelles l'appel est valable et doit être honoré par le garant, sans trancher la controverse puisque la letter of indemnity ne contenait pas de clause «à première demande».

Ui) Notre Haute cour mentionne ensuite la garantie documentaire44, «qui ne peut être mise en oeuvre que par la présentation par le bénéficiaire d'un

40 ATF 119 Il 132 (1), U.O.B. c, A, SA.

41 ATF 119 Il 133. C'est à propos des garanties bancaires à première demande que la Cour de cassation française a proclamé sa définition des garanties autonomes: «Cons- titue une garantie autonome, interdisant au garant d'invoquer les exceptions qui appar- tiendraient au débiteur, le contrat par lequel la banque s'engage à effectuer, sur la de- mande d'un donneur d'ordre, le paiement d'une somme à concurrence d'un montant convenu, sans que l'établissement financier puisse différer le paiement ou ~ulever une contestation pour quelque motif que ce soit.>} Corn. 2.2.1988: lCP 1988 IV 133, Dalloz 1988 Somm. 239 obs VASSEUR, 1988271 obs AVNES.

42 Cf. SCHONLE (n. 29), p. 75.

43 Loc. cil.

44 «[ ... J ou conditionnelle}), ajoute le Tribunal fédéral. Ce deuxième qualificatif est inadéquat, car le paiement des montants garantis est toujours soumis à la réalisation d'une condition (cas de garantie) dont le contenu varie d'un simple appel par le bénéfi- ciaire (i.e. condition potestative unilatérale) à la preuve d'un dommage (comme dans le

(15)

ou de plusieurs documents mentionnés dans le contrat de garantie,,45 Les parties peuvent stipuler que les documents émaneront du seul bénéficiaire ou de tiers. [;examen par le garant de~ documents qui lui sont présentés doit être rigoureux46 et tend à rapprocher cette garantie d'un crédit docu- mentaire.

En principe, la clause documentaire ne nuit pas à l'indépendance de la garantie. Toutefois, la nature des documents exigés peut l'abolir com- plètement: c'est le cas lorsqu'un jugement doit être produit qui comporte condamnation du débiteur principal47

iv) A raison, le Tribunal fédéral jugea que la letter of indemnity qui lui était sownise relevait d'une autre catégorie: ses modalités de mise en oeuvre n'étaient pas précisées, sinon que l'appel devait intervenir avant la date d'expiration convenue. Les parties n'ayant pas stipulé que l'appel serait assorti de pièces justificatives et le délai d'expiration étant d'ailleurs as- sez bref, les juges de Mon Repos estimèrent que le bénéficiaire avait vala- blement mis en oeuvre la garantie en l'appelant avant l'échéance pour un montant de 380'000 USD qu'il ne pouvait encore justifier.

Les «clauses d'effectivité" sont-elles vraiment une simple modalité des garanties à première demande, comme le Tribunal fédéral semble le penser? Une certaine confusion paraît régner dans la doctrine suisse48, comme parmi les auteurs étrangers cités dans l'arrêt. L'on doit, me sem- ble-t-il, opérer une distinction que l'on pourrait illustrer avec les deux exemples cités par ROSSI49:

«[ .. ] nous [ ... ] nous engageons par la présente d'une manière irrévocable indépendamment de la validité et des effets juridi- ques du contrat de base à première réquisition de votre part et sans faire valoir d'exception ni d'objection résultant dudit con- trat à vous payer tout montant jusqu'à concurrence de [ ... ] contre remise d'une demande de paiement écrite de votre part attestant

cas d'espèce), voire à la preuve de l'existence et de l'étendue de la dette garantie et l'accomplissement de diverses formalités (cautionnement).

45 Loc. cil.

46 Cf. T. comm. Zurich 19.6.1986: ZR 1987 nO 40 p. 91 (qui parle de Garantiestrenge);

Casso corn. [France} 24.3.1992: Dalloz 1993 SC 99 obs. VASSEUR; Oberlandesgericht Karlsruhe 21.7.1992: WM 1992 2095, rés. Dalloz 1993 Somm. 101; Howard N. BENETT,

«The Formai Validity of Dcmands under Performance Bonds)), Journal of International Banking Law 1991 207-211.

47 Cf. supra ad note 35.

48 Cf. DOHM (n. 3), NN. 85 et 200; KLEINER (n. 3), NN. 5.18. 17.04,21.02. et 21.26;

LOGoz (n. 77), pp. 108-110; ROSSi (n. 9), NN. 241-245.

49 ROSSi (n. 9), N. 243.

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LES GARANTIES INDÉPENDANTES DEVANT LES TRIBUNAUX SUISSES 1 a 1

en outre que l'importateur n'a pas retiré les marchandises se- lon les conditions du contrat ci-dessu$ mentionné et que le montant que vous nous réclamez sous cette garantie vous est dû par l'importateur et est resté impayé.»

«Nous nous engageons [ ... ] à première réquisition de votre part et sans soulever d'exception ni d'objection résultant du contrat de base à vous payer la somme de [ ... ] dans le cas où l'exporta- teur ne remplit pas son obligation de vous livrer la documen- tation technique mentionnée au point 3 dudit contrat.)}

Ces deux garanties se réfèrent chacune à une défaillance du donneur d'or- dre à l'égard du bénéficiaire: le fait de ne pas retirer les marchandises et de ne pas les payer dans le premier cas, de ne pas délivrer une documentation technique dans le deuxième. Le caractère indépendant de l'engagement du garant est nettement affirmé par les deux textes: celui-ci devra payer sans pouvoir opposer au bénéficiaire les exceptions et les objections dont dis- pose le débiteur principal. Ce qui change entre l'une et l'autre formules, ce sont les modalités de mise en oeuvre: la première est purement for- melle, documentaire, et l'activité du garant se limite à la vérification du contenu d'une déclaration qui lui est soumise avec le texte de son engage- ment; la seconde est matérielle et suppose que le garant vérifie la réalisa- tion d'un état de fait qui se produit «hors de son horizon» ou que le béné- ficiaire le prouve à satisfaction' du garant.

Pour reprendre la typologie du Tribunal fédéral, la première ressortit aux garanties documentaires, la seconde - comme la letter of indemnity examinée dans l'arrêt - à celles dont les conditions formelles de mise en oeuvre ne sont pas précisées. La première, qui est en fait une clause docu- mentaire, est compatible avec la notion de première réquisition: elle vise une première demande revêtant une certaine forme. La seconde est incom- patible avec la notion de première demande: avant tout paiement, le garant doit s'assurer que la documentation technique n'a pas été délivrée de la même manière que, dans l'arrêt du Tribunal fédéral, la banque doit s'assu- rer (mais aussi se contenter) de la réalité et de l'étendue du dommage de l'armateur qu'elle avait accepté de garantir. DOHM propose de résoudre cette difficulté en considérant que le garant n'a pas à vérifier II! réalité du cas de garantie et devrait se contenter d'une attestation écrite du bénéfi- ciaire que les conditions matérielles de l'appel à garantie sont réalisées C'est là une question d'interprétation des termes de la garantie ou de re- cherche de la réelle et commune intention des parties, et on ne saurait y

50 DOHM (n. 3), N. 200.

(17)

voir une solution générale aux clauses d'effectivité. KLEINER relève àjuste titre que celles-ci sont mal adaptées à la pratique bancaire et devraient être évitées' 1, mais il y a gros à parier que ce ne sera jamais complètement le cas, ce qu'atteste la fréquence des lei/ers of indemnity.

Bien que toutes deux indépendantes par nature, une garantie de bonne exécution émise à première demande à hauteur de 5% du prix de vente se distingue sensiblement d'une let/er of indemnity à hauteur de 100% ou de 130% de la valeur des marchandises pour garantir l'armateur qui accepte de décharger ou de détourner la cargaison sans que lui soit remis le con- naissemenl. I.:acheteur peut mettre en oeuvre la première sans même de- voir estimer le montant du dommage que lui cause une livraison défec- tueuse, alors que l'armateur doit certainement chiffrer et documenter pré- cisément son dommage avant d'obtenir un quelconque paiement de la ban- que, même s'il ne peut fournir la documentation et la preuve du dommage qu'après l'appel à la garantie pourvu que celui-ci ait été formulé avant l'échéance. Pourquoi ces deux types de garantie subsistent-elles dans la pratique bancaire? Ne pourrait-on les réduire à un mécanisme unique?

On relèvera d'abord que la première ne porte que sur une fraction du prix de la transaction de base, alors que la seconde porte sur tout le prix voire même un multiple. I.:importance de l'enjeu explique que la mise en oeuvre de la première soit aisée pour le bénéficiaire, alors que le paiement de la seconde exige des vérifications plus étendues.

Mais surtout, cette différence de mise en oeuvre tient aux fonctions propres à chacune de ces deux garanties. La garantie à première demande est un substitut récent au dépôt en numéraire ou à la retenue d'une fraction du prix de vente que le fournisseur se trouvait souvent tenu de concéder à son client dans le commerce international'2 A cette fonction de consigna- tion peut s'ajouter l'idée d'une indemnisation forfaitaire'3 Elle doit donc conserver le caractère liquide du dépôt d'espèces, ou s'en approcher le plus possible. A l'inverse, la letter ofindemnity est très proche du porte- fort: elle garantit à l'armateur qu'il aura un débiteur solvable au cas où il subirait un dommage pour avoir délivré la marchandise sans se faire re- mettre le connaissemenl. La diversité des modalités de mise en oeuvre est le reflet d'une configuration différente des intérêts des parties.

'1 KLEINER (n. 3), NN. 17.04 et 21.02.

52 CABRILLAC / MOULY (n. 4), N.405 p. 310; André PRÛM, Les garanties à première demande, Paris (Litee) 1994, pp. 10-13; ef. Paris 17.12.1992: Dalloz 1993 SC 98.

53 CABRllLAC / MOULY, loc.cil.

(18)

LES GARANTIES INDÉPENDANTES DEVANT LES TRIBUNAUX SUISSES 183

D. Les Règles uniformes de la CCI relatives aux garanties sur demande

Et cette diversité est reconnue par les Règles uniformes relatives aux ga- ranties sur demande publiées en avril 1992 par la Chambre de commerce internationale. Quoiqu'elles n'aient pas encore reçu l'attention de la doc- trine suisse'4, ce n'est pas ici le lieu de les présenter dans leur ensemble.

On rappellera seulement qu'elles sont le fruit du constat, par la CCI, de l'échec des règles de 1978 sur les garanties contractuelles et du désir de remettre le métier sur l'ouvrage afin d'offrir à la pratique une codification qui améliore la sécurité juridique.

Les RUGD énoncent de manière précise la nature de l'engagement du garant et de l'éventuel contre-garant, dont elles affirment fortement le caractère indépendant (art. 2 a et b) et irrévocable (art. 5). Elles définis- sent l'étendue de la diligence due par les banques (art. 9 et 15) et la répar- tition de certains risques (art. II à 14), l'obligation du garant de se déter- miner sur l'appel dans un délai raisonnable (art. 10), le principe que celui- ci doit donner avis à son mandant de l'appel à garantie (art. 17), la confir- mation que tout paiement en vertu de la garantie réduit le montant qui peut encore être appelé (art. 18) et que la non-restitution du titre de garantie n'empêche pas l' extinction de l'engagement du garant par expiration, main- levée ou paiement (art. 24). Elles indiquent une procédure à suivre en présence d'un appel «prorogez ou payez» (art. 26). Elles précisent enfin, et c'est bienvenu, que sauf stipulation contraire la créance du bénéficiaire peut être cédée, mais non pas le droit d'appeler la garantie (art. 4)55.

Les RUGD nous intéressent ici parce qu'elles définissent un cadre approprié pour toutes les garanties sur demande, qu'il s'agisse d'une pre- mière réquisition pure et nue ou d'un appel qui doit être accompagné de documents stipulés par les parties.

Comme les Règles et usances uniformes relatives aux crédits docu- mentaires'6, les RUGD ne traitent pas expressément de l'appel abusif aux

54 Cf. Roy GOODE, Guide to the ICC Unifarm Rules for Demand Guarantees, Paris (ICC Publishing) 1992 [Publication CCI nO 510J; Jean-Pierre MATTOUT 1 André PRÜM,

«Les règles uniformes de la CCI pour les garanties sur demande», Banque & Droit nO 30, juil1et~août 1993, pp. 3-7; Michel VASSEUR, «Les nouvelles règles de la Chambre de commerce internationale pour les "garanties sur demande'':», Revue dé droit des affaires internationales 1992 239-296. Rolf A. SC][ÜTZE, Bankgarantien Il.b.B. der einheitlichen Richtlinien für «(Qu! erstes Anfordern)) zahlbare Garantien der Internationalen Handelskammer, Bonn (Ekonomika) 1994.

55 La jurisprudence suisse est divergente. Comparer T. cantonal Fribourg 2.6.1993 : RFJ 1993 296 (semble admettre la cession du droit d'appeler la garantie) et T. com- merce Zurich 19.12.1988, HG86338U, n.p. (qui l'exclut et exige une modification des fonnes de la garantie).

56 «RUU 500», Paris (ICC Publishing) 1993 [Publication CCI nO 500].

(19)

garanties qui leur sont soumises. La matière est en effet régie par des règles impératives et il est généralement considéré que des stipulations contractuelles en la matière n'apporteraient pas une meilleure sécurité ju- ridique. Dans l'intention toutefois de prévenir les appels abusifs, les RUGD proposent aux parties - qui peuvent bien sûr librement y déroger - un infléchissement de la pratique actuelle. «La CCI juge raisonnable de spé- cifier qu'en vertu des principes d'équité et de bonne foi, une demande doit être écrite et doit être accompagnée au moins d'une déclaration du bénéfi- ciaire mentionnant l'existence et la nature de la défaillance du donneur d'ordre, et c'est ce que stipule l'Article 20.»57

Cart. 20 a dispose que «toute demande de paiement aux termes de la Garantie devra être faite par écrit et sera appuyée, en plus de tous autres documents que peut spécifier la Garantie, d'une déclaration écrite (que celle-ci figure dans la demande de paiement elle-même ou dans un docu- ment ou des documents distincts accompagnant la demande qui y fera référence) stipulant i) que le Donneur d'ordre a manqué à son ou ses obli- gations selon le(s) contrat(s) de base ou, en cas de garantie de soumission, aux termes des conditions de l'appel d'offres, ii) en quoi le Donneur d'or- dre a manqué à ses obligations.» Cart. 20 c précise que les parties peu- vent expressément exclure l'application de l'art. 20 a.

Là où les Règles de 1978 favorisaient des conditions de mise en oeuvre qui rendaient purement accessoires les garanties d'acompte et celles de bonne exécution qui leur étaient soumises58, les Règles de 1992 affirment clairement cette indépendance (art. 2 b et 16 RUGD) et proposent un mé- canisme purement documentaire. Le bénéficiaire est tenu d'indiquer les motifs de son appel; la banque doit s'assurer que ceux-ci sont énoncés dans ou avec la demande sans devoir ni pouvoir examiner leur réalité. La seule exigence posée à son examen figure à l'art. 9 RUGD: elle devra rejeter une déclaration du bénéficiaire qui serait incompatible avec les autres documents que le bénéficiaire lui auraient soumis confonnément aux conditions de la garantie59•

Des garanties à première demande motivée ne sont pas inconnues de la pratique. Elles ont occupé les tribunaux français depuis l'arrêt Opinler rendu par la Cour d'appel de Paris en 19816

°.

La Chambre commerciale de la Cour de cassation a affirmé à leur propos que «la demande justifiée

57 Introduction aux RUGD, p. 7.

58 Cf. supra note 36.

59 GOODE (n. 54), p. 94 N. 10.

60 Arrêt du 24, 11.1981: Dalloz 1982 Jurisp. 296 note VASSEUR, Jep 1982 Il 19876 note

SrouFFLET. Voir aussi Casso corn. [France] 20.2.1985: Dalloz 1985 IR 153 obs. VASSEUR,

19.2.1991: lep 1991 1121670 note VASSEUR.

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