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Commentaire de l'article 34 - Ratification

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Commentaire de l'article 34 - Ratification

BOISSON DE CHAZOURNES, Laurence, MBENGUE, Makane Moïse

BOISSON DE CHAZOURNES, Laurence, MBENGUE, Makane Moïse. Commentaire de l'article 34 - Ratification. In: Kamto, Maurice. La Charte africaine des droits de l'homme et des peuples et le protocole y relatif portant création de la Cour africaine des droits de l'homme : commentaire article par article . Bruxelles : Bruylant, 2011.

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:43366

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RATIFICATION

PAR

LAURENCE BOISSON DE CHAZOURNES

PROFESSEUR À LA FACULTÉ DE DROIT DE L'UNIVERSITÉ DE GENÈVE

ET DIRECTRICE DU DÉPARTEMENT DE DROIT INTERNATIONAL ET D'ORGANISATION INTERNATIONALE

ET

MAKANE MoïsE MBENGUE

DoCTEUR EN DROIT À LA FA CUL TÉ DE DROIT DE L'UNIVERSITÉ DE GENÈVE.

1. Le présent Protocole est ouvert à la signature, à la ratification ou à l'adhésion des Etats parties à la Charte.

2. Les instruments de ratification ou d'adhésion au présent Protocole sont déposés auprès du Secrétaire Général de l'OU A.

3. Le Présent Protocole entre en vigueur trente ( 30) jours après le dépôt de quinze instruments de ratification ou d'adhésion.

4. Pour chacun des Etats parties qui le ratifient ou y adhèrent ultérieurement, le présent Protocole prend effet à la date du dépôt de l'instrument de ratification ou d'adhésion.

5. Le Secrétaire Général de l'OU A informe les Etats membres de l'entrée en vigueur du présent Protocole.

6. A tout moment à partir de la ratification du présent Protocole, l'Etat doit faire une déclaration acceptant la compétence de la Cour pour recevoir les requêtes énon- cées à l'article 5(3) du présent Protocole. La Cour ne reçoit aucune requête en application de l'article 5(3) intéressant un Etat partie qui n'a pas fait une telle déclaration.

7. Les déclarations faites en application de l'alinéa ( 6) ci-dessus sont déposées auprès du Secrétaire Général de l '0 UA qui transmet une copie aux Etats parties.

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INTRODUCTION

La Cour africaine des droits de l'homme et des peuples augure t-elle d'une nouvelle ère pour les droits de l'homme en Afrique? (1l L'analyse de l'article 34 du Protocole portant création d'une Cour africaine des droits de l'homme et des peuples (ci-après le Protocole)(2l, est un para- mètre essentiel pour évaluer la possibilité d'un tel changement. Dans le cadre de l'article 34, les clartés s'imposent d'elles mêmes étant donné que ses dispositions couvrent les aspects procéduraux relatifs à la rati- fication du Protocole. Aucune des dispositions relatives au dépôt des instruments de ratification ou d'adhésion ainsi qu'à l'entrée en vigueur du Protocole ne posent de problèmes (S).

La disposition de l'article 34 qui mérite l'attention du commen- tateur, est l'alinéa 6 aux termes duquel il est précisé qu'<< à tout moment à partir de la ratification du présent protocole, l'Etat doit faire une déclaration acceptant la compétence de la Cour pour rece- voir les requêtes énoncées à l'article 5 (3) du présent protocole. La Cour ne reçoit aucune requête en application de l'article 5 (3) inté- ressant un Etat partie qui n'a pas fait une telle déclaration>>.

Il est légitime de croire que la première ombre de l'article 34 est de nature rédactionnelle. En effet, l'alinéa 6 en même temps qu'il vient perturber la clarté des autres (4l alinéas de l'article 34 semble

Ill J. ALLAIN and A. O'SHEA, <<African Disunity: Comparing Human Rights Law and Practice of North and South African StateS>>, Human Rights Quarterly, vol. 24, n° 1, February 2002, pp.

86-87. Selon ces auteurs, <<wh en the Protocol to the African Charter on the Establishment of the African Court on Human and Peoples' Rights cornes into force, it will provide for an African court having the responsibility to hold states to their obligations and to establish continent - wide standards. Thus within the domain of human rights, the states will take a step closer to realizing common norms worthy of a continent which has, as its fundamental underpinning and ethos, the notion of African Unitp.

121V. texte du Protocole sur http://www.lexana.org/f/traites(98cadh protocole.htm.

131 L'alinéa 1 de l'article 34 prévoit que <<le présent protocole est ouvert à la signature, à la ratification ou à l'adhésion des Etats parties à la Charte>>; aux termes de l'alinéa 2, «les instru- ments de ratification ou d'adhésion au présent protocole sont déposés auprès du secrétaire géné- ral de l'OUA>>; quant à l'alinéa 3, il prévoit que <<le présent protocole entre en vigueur trente (30) jours après le dépôt de quinze instruments de ratification ou d'adhésiom; les alinéas 4 et 5 dis- posent respectivement que <<pour chacun des Etats parties qui ratifient ou y adhèrent ultérieu- rement, le présent protocole prend effet à la date du dépôt de l'instrument de ratification ou d'adhésion>> et que <<le Secrétaire général de l'OUA informe les Etats membres de l'entrée en vigueur du présent protocole>>; enfin l'alinéa 6 prévoit que «les déclarations faites en application de l'alinéa (6) ci-dessus sont déposées auprès du Secrétaire général de l'OUA qui transmet une copie aux Etats parties)).

141 Autant l'article 34 fait référence à l'article 5, alinéa 3, autant ce dernier fait référence à l'article 34: <<La Cour peut permettre aux individus ainsi qu'aux organisations non gouverne- mentales (ONG) dotées du statut d'observateur auprès de la commission d'introduire des requêtes directement devant elle conformément à l'article 34 (6) de ce protocole>>.

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devoir mériter un statut spécifique en tant qu'article du Protocole.

Du moins, l'alinéa 6 de l'article 34 aurait dû dans un premier temps trouver une énonciation dans l'article 5, alinéa 3 du Protocole avec lequel il jouit d'une filiation légitime (S).

Tout au contraire, l'emplacement de l'alinéa 6 dans l'article 34 révèle un certain malaise des rédacteurs du Protocole à avoir soumis les requêtes des individus et des ONG à une déclaration d'accepta- tion de la compétence de la Cour africaine des droits de l'homme et des peuples de la part de l'Etat ratificateur du Protocole, alors que tel n'est pas le cas pour les requêtes étatiques. Le lecteur du proto- cole doit procéder à une certaine gymnastique intellectuelle (28 articles) pour découvrir que la principale conditionnalité affec- tant la recevabilité de cette catégorie de requêtes consiste en une déclaration préalable d'acceptation de la compétence de la Cour.

Lorsque l'on connaît les réticences qui ont accompagné la création d'une Cour africaine, il est clair que l'article 34, alinéa 6 est une marque de ces dernières (6l.

Dans l'analyse de l'article 34, alinéa 6 du Protocole, l'accent sera particulièrement mis sur des éléments de comparaison avec les sys- tèmes de la Cour européenne et de la Cour inter-américaine des droits de l'homme. Non point pour déclarer une universalité du sys- tème de protection des droits de l'homme qui ne dirait pas son

(51 Il est généralement admis en droit international que la juridiction d'un tribunal ou d'une Cour doit résulter de l'acceptation préalable de l'Etat partie à un litige. V. par exemple l'article 32, § 6 du Statut de la Cour internationale de justice aux termes duquel <<les Etats parties au présent Statut pourront à n'importe quel moment déclarer reconnaître comme obligatoire de plein droit et sans convention spéciale à l' égard de tout autre Etat acceptant la même obliga- tion, la juridiction de la Cour sur tous les différends d'ordre juridique ayant pour objet:

a) l'interprétation d'un traité; b) tout point de droit international; c) la réalité de tout fait qui, s'il était établi, constituerait la violation d'un engagement international; c) la nature ou l'éten- due de la réparation due pour la rupture d'un engagement international>>.

(61V. M. MuBIALA, «La Cour africaine des droits de l'Homme et des Peuples: Mimétisme ins- titutionnel ou avancée judiciaire?>>, R.G.D.IP., 1998-3, p. 765. Selon Mr. Mubiala, «lors de l'éla- boration de la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples, deux tendances s'étaient dégagées à propos de la création d'une Cour africaine des droits de l'homme et des peuples. Le courant majoritaire, qui l'emportait à l'époque, militait en faveur du rejet de l'idée de la création d'une Cour. L'argument principal des partisans de cette thèse était axé sur le respect des tradi- tions juridiques africaines, qui privilégient la conciliation sur le règlement judiciaire des litiges, tendance reflétée du reste dans le système du règlement pacifique des différends inter étatiques en Afrique ... Il.

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nom (7), mais pour déceler les lacunes du Protocole et contribuer au perfectionnement du fonctionnement de la Cour africaine.

Deux traits de caractère interpellent tout lecteur de l'article 34.

D'une part, les ombres qu'il comporte quant à l'accessibilité de la Cour (I) et d'autre part, les ombres qu'il fait planer sur l'efficacité de la Cour (II).

1. - ÜMBRES SUR L'ACCESSIBILITÉ DE LA CouR

La déclaration d'acceptation de la compétence de la Cour comme condition sine qua non ou prima jacie de la recevabilité des requêtes des individus et des ONG prévue à l'article 34, alinéa 6 du Proto- cole illustre un renouveau de la tutelle étatique dans le domaine de la protection des droits de l'homme au niveau africain. Alors que le continent est traversé par un vent de démocratisation et de libéra- lisation tant au plan politique qu'au plan socio-économique, le pro- cessus de juridictionnalisation et de judiciarisation de la mise en œuvre de la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples à travers l'institution d'une Cour, démontre des résistances structu- relles et conjoncturelles sur le rôle actif à conférer aux individus en la matière. L'Etat <<démiurge du développement>> reste le seul maître à bord du cargo affrétant les droits de l'homme. La foi en l'étatisme éclairé s'impose dans le cadre du Protocole au détriment de la confiance en l'individu sujet de droits (8).

L'article 34, alinéa 6 du Protocole en ne prévoyant pas la néces- sité d'une déclaration d'acceptation pour que la Cour puisse accep-

171 P. SoB, <<Le principe d'universalité des droits de l'homme: mythe et limites», Revue Afri- caine de Droit International et Comparé. 1996, na 8, pp. 89-110; Bo IBHAWOH, <<Between Culture and Constitution: Evaluating the Cultural Legitimacy of Human Rights in the African State», Human Rights Quarterly, vol. 22, N°3, August 2000, pp. 838-860.

181 T. MALUWA, <<Discourses on Democracy and Human Rights in Africa. Contextualising the Relevance of Human Rights to Developing Countries>>, Revue Africaine de Droit International et Comparé, 1997, na 9, p. 55. Selon l'auteur, cîtant Peter Anyang' Nyong'o, <<there is, indeed, a case to be put for democracy in Africa toda y; it is a philosophical and moral case bef ore it becomes a political and economie one. Philosophical and moral because questions of why people should subject themselves ta some form of authority have always been ethical and moral. Social contract theories [ emphasise] the importance of the individual in society and the whole purpose of social existence as being that of promoting the greatest good of the grea test number. This is done, not by submerging the individual interest within sorne kind of mass interest defined by sorne social or political power external ta the individual, but by making the individual an active participant, consenter and creator of the total whole>>.

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ter les requêtes étatiques met en exergue le désir de bon nombre d'Etats d'aboutir à une situation de contentieux exclusivement interétatiques (9l. Or étant donnée la sacralisation de la non-ingé- rence et de la non-intervention dans les affaires intérieures d'un Etat sur l'espace africain, l'on peut douter d'une soudaine attracti- vité et d'un soudain dynamisme des Etats africains à introduire devant une Cour régionale des plaintes portant sur des violations systématiques des droits de l'homme par un autre Etat. L'expé- rience de la Commission africaine des droits de l'homme et des peuples (lO) a démontré la propension à la politisation excessive et à une certaine inertie des Etats dans le processus de dénonciation des atteintes aux droits de l'homme (ll). Le protocole portant création de la Cour aurait dû être l'occasion d'une post-modernisation de la protection des droits de l'homme dans l'espace régional africain. Les individus et les ONG auraient pu être un substitut ou un remède à l'absence concrète d'action étatique (l2). L'article 34, alinéa 6 du Protocole en privilégiant le pouvoir discrétionnaire des Etats sur la juridiction obligatoire de la Cour laisse planer des ombres sur l'accessibilité de la Cour. En effet, la condition préalable de l'accep- tation de la compétence de la Cour limite tant l'action potentielle des individus (A) que celle des ONG (B).

191L'article 5 alinéa 1 du Protocole prévoit qu'ont qualité pour saisir ipso jure la Cour: «la Commission; J'Etat partie qui a saisi la Commission; J'Etat partie contre lequel une plainte a été introduite; J'Etat partie dont le ressortissant est victime d'une violation des droits de l'homme;

les organisations inter-gouvernementales africaines>>. A ce niveau, l'expression <<Etat partie>> n'est pas claire. Est-ce tout Etat partie à la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples ou uniquement un Etat partie au protocole? Il semblerait qu'il s'agit plutôt d'un Etat ayant ratifié le protocole. Mais la formulation de la disposition reste tout de même vague.

1101 Organe institué par la Charte africaine des droits de J'homme et des peuples afin de pro- mouvoir les droits de J'homme et des peuples et d'assurer leur protection en Afrique. V. article 30 à article 61 de la Charte. Texte disponible sur http:(/www .unhcr.ch/refworld/refworld/legal/

instrumejwomen/afr-f.htrn.

1111 Pour une présentation de certaines activités de la Commission africaine des droits de l'homme et des peuples, v. F. ÜUGUERGOUZ, «La Commission africaine des droits de l'homme et des peuples: présentation et bilan d'activités (1988-1989)», A.F.D.I., 1989, vol. 35, pp. 570-571.

V. aussi, E.A. ANKUMAH, The African Commission on Human and Peoples 'Rights: Practice and Procedures, Kluwer Law International, The Hague, 1996, p. 179. Selon l'auteur, <<the principle of confidentiality, has, to a large extent, undermined the effectiveness of the work of the African Commission>>.

1121 Comment expliquer par exemple que pendant le génocide rwandais, aucun Etat n'ait saisi la Commission africaine des droits de l'homme et des peuples des violations flagrantes et systé- matiques des droits de l'homme? Comment expliquer que d'anciens dictateurs africains aient trouvé refuge sur le territoire d'autres Etats africains sans être inquiétés par des poursuites judiciaires?

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A. - Ombres sur l'action des individus devant la Cour

Aux termes de l'article 34, alinéa 6 du protocole, <<à tout moment à partir de la ratification du protocole, l'Etat doit faire une décla- ration acceptant la compétence de la Cour pour recevoir les requêtes énoncées à l'article 5 (3) du protocole>>. En ce qui concerne les indi- vidus, l'article 5, alinéa 3 leur donne la faculté d'introduire des requêtes directement devant la Cour si la condition prévue à l'article 34 est satisfaite. Ce système d'introduction de requêtes individuelles existe dans le régime de la Commission africaine des droits de l'homme et des peuples sous la terminologie de

<<communications>> individuelles (l 3). Toutefois la confidentialité qui caractérise la procédure au niveau de cette Commission a freiné le suivi effectif de ces communications et dés lors une protection adé- quate des droits de l'homme (14l.

La déclaration d'acceptation de la juridiction de la Cour prévue à l'article 34, alinéa 6 du Protocole, existe aussi dans les systèmes américain et européen. Aux termes de l'article 62, paragraphe 1 de la Convention américaine des droits de l'homme, <<Tout Etat partie peut, au moment du dépôt de son instrument de ratification ou d'adhésion à la présente Convention, ou à tout autre moment ulté- rieur, déclarer qu'il reconnaît comme obligatoire, de plein droit et sans convention spéciale, la compétence de la Cour pour connaître de toutes les espèces relatives à l'interprétation ou à l'application de la Convention>>. De même, l'article 46, paragraphe I de la conven- tion européenne dispose que <<chacune des Hautes Parties contrac- tantes peut, à n'importe quel moment, déclarer reconnaître comme obligatoire de plein droit et sans convention spéciale la juridiction de la Cour sur toutes les affaires concernant l'interprétation et l'application de la présente convention>> (l 5).

La faculté pour un individu de saisir directement la Cour sans l'intermédiaire d'une commission ou d'un Etat constitue une grande

1131 La Charte africaine des droits de l'homme et des peuples n'utilise pas spécifiquement le concept de communications individuelles mais plutôt de <<communications autres que celles des Etats>>. V. l'article 55 de la Charte en vertu duquel «avant chaque session, le Secrétaire de la Commission dresse la liste des communications autres que celles des Etats parties à la présente Charte et les communique aux membres de la Commission qui peuvent demander à en prendre connaissance et en saisir la Commission)~.

ll 41E.A. ANKUMAH, op. cit., p. 179.

1151V. texte de la convention dans L. PETTITI, op. cit., p. llll.

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avancée pour le système africain de protection des droits de l'homme. Au niveau européen ce n'est que récemment que la Com- mission des droits de l'homme a été supprimée. Depuis lors, en vertu de l'article 34 du Protocole II à la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales (ci-après Convention européenne des droits de l'homme), <<la Cour peut être saisie d'une requête par toute personne physique [ ... ] qui se prétend victime d'une violation par l'une des Hautes Parties contractantes des droits reconnus dans la Convention ou ses Protocoles>> (l 6).

Dans le système amencain des droits de l'homme, un individu n'est pas autorisé à saisir directement la Cour interaméricaine des droits de l'homme. Comme le prévoit l'article 61, paragraphe 1 de la Convention américaine des droits de l'homme, <<seuls les Etats parties à la présente Convention et la Commission ont qualité pour saisir la Cour (17). Le problème est de déterminer le contenu de la notion de requêtes <<d'individus>> à laquelle fait référence l'article 34, alinéa 6 du protocole en renvoyant à l'article 5, alinéa 3. Ni l'article 34 ni l'article 5 ne sont précis sur ce point. Faut-il concevoir strcito sensu les individus comme des personnes agissant individuel- lement ou lata sensu comme des personnes agissant collectivement?

Le protocole II à la convention européenne des droits de l'homme fait référence à des termes plus clairs. En effet, il est prévu que «la Cour peut être saisie d'une requête par toute personne physique[ ... ] ou tout groupe de particuliers ... >> (l8). La convention américaine des droits de l'homme, quant à elle prévoit que <<toute personne ou tout groupe de personnes, toute entité non gouvernementale et légale-

1161V. Protocole n° Il (entré en vigueur le le' novembre 1998) à la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales, Strasbourg, in L.-E. PETTITI, E. DEOAUX, P.-H. IMBERT, La Convention Européenne des droits de l'Homme: Commentaire article par article, Economica, Paris, 1995, p. 1145.

1171V. texte de la Convention sur http://wwwl.umn.edu/humanrts/oasinstr/zoas3con.htm. Cer- tains juges de la Cour inter-américaine des droits de l'homme ont ouvertement critiqué cette absence de possibilité pour un individu de saisir la Cour. V. par exemple, A.A. CANÇADO TRIN- DADE, <<The Inter-American Human Rights System at the Dawn of the New Century: Recom- mendations for Improvement of its Mechanism of Protectiom>, in The Inter-American System ofHuman Rights, Harris and Livingston ed., 1998, p. 417. Selon le Juge Cançado Trindade:

<<From the locus standi injudicio of the individuals before the Inter-American Court one ought to evolve towards the recognition in the foreseeable future of the right of the individuals to lodge a case directly with the [future] Inter-American Court, as the sole organ of protection of the InterAmerican system of tomorrow».

1181 Article 34 du Protocole Il à la Convention européenne de Sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés Fondamentales.

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ment reconnue dans un ou plusieurs Etats membres de l'Organisa- tion peuvent soumettre à la Commission des pétitions contenant des dénonciations ou plaintes relatives à une violation de la présente Convention par un Etat partie>> (19).

Il peut paraître paradoxal que le Protocole n'ait pas fait men- tion de la faculté par un groupe d'individus d'introduire des requêtes devant la Cour africaine. L'une des spécificités de la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples est le souci d'accorder une dimension collective aux droits et obligations qui y sont énumérés par l'introduction de la notion de <<droit des peuples>> (20l.

Une autre ombre concerne le fait de savoir si oui ou non, l'indi- vidu qui saisirait la Cour doit être victime d'une violation de droits de l'homme. Dans le système européen, la Cour européenne des droits de l'homme ne peut être saisie d'une requête que par toute personne physique ou par tout groupe de particuliers <<qui se prétend victime d'une violation par l'une des Hautes Parties contractantes des droits reconnus dans la Convention ou ses Protocoles>> (21). Au contraire dans le système américain, la per- sonne ou le groupe de personnes saisissant la Commission n'ont pas besoin d'être victimes pour se plaindre de violations de droits de l'homme (22 ).

1191 Article 44 de la Convention américaine des droits de l'homme. Il faut relever que dans le cadre américain la référence à la notion de <<personne>> est également floue. Parle t-on de

<<personnes physiques" et de <<personnes morales" ou uniquement de <<personnes physiques" 1 La Commission interaméricaine des droits de l'homme a eu à se prononcer sur ce point, en refusant de considérer une plainte alléguant la violation du droit de propriété d'une entreprise. La Com- mission a déclaré que la plainte était irrecevable ratione personae << given the lack of jurisdiction of the Commission over the rights oflegal entities and over operations or legal acts ofa commer- cial nature>>. La Commission expliqua que <<the Preamble of the American Convention on Human Rights as weil as the provisions of article I (2) resolve that "for the purposes of this Convention, 'persan' means every human being>>, and that consequently the system for the protection of human rights in this hemisphere is limited to the protection of natural persans and does not include juridical persans,. (Cf. Report W 47/97, lnter-Am.G.H.R., 231, §§33-39, OENSer. LN/II.

98, doc. 7 rev (1997).

1201Sur la question du peuple comme titulaire de droits, v. F. ÜUGUERGOUZ, La Charte afri- caine des droits de l'homme et des peuples. Une approche juridique entre tradition et modernité, PUF/IUHEI, Paris/Genève, 1993, pp. 131-139.

1211 Cf. Article 34 du Protocole Il à la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés Fondamentales.

1221 Cf. Article 44 de la Convention américaine des droits de l'homme : <<toute personne ou tout groupe de personnes, toute entité non gouvernementale et légalement reconnue dans un ou plu- sieurs Etats membres de l'Organisation peuvent soumettre à la Commission des pétitions conte- nant des dénonciations ou plaintes relatives à une violation de la présente Convention par un Etat partie>>.

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L'article 34, alinéa 6 reste silencieux de même que l'article 5, ali- néa 3 sur la question de l'intérêt à agir(23l. Faut-il interpréter ce silence comme une volonté des rédacteurs du Protocole de per- mettre à toute personne de saisir la Cour de violations des droits de l'homme qu'elle soit ou non victime directe ou indirecte de ces violations? Ce serait renforcer l' actio popularis dans le régime juri- dique et juridictionnel de protection des droits de l'homme en Afrique (24l.

Ces diverses ombres montrent les défis que la Cour africaine des droits de l'homme devra relever lors de la confection de son Règle- ment intérieur mais aussi de l'élaboration de sa Jurisprudence. Il s'agira essentiellement pour elle de préciser le champ ratione perso- nae de sa compétence en ce qui concerne les requêtes des individus.

Cependant des doutes persistent sur la réceptivité des Etats afri- cains à l'idée d'accepter la juridiction de la Cour et d'être par là même confrontés à des plaintes ou accusations multiples de parti- culiers sur des violations de droits de l'homme (25l.

Pour s'en convaincre, il suffit d'observer la lenteur et la réticence des Etats à ratifier le protocole (26). L'effort d'ouverture des Etats africains serait un simple vœu pieux si le protocole n'est pas ratifié par un grand nombre d'Etats et si ce même nombre ne reconnaît pas la juridiction de la Cour. L'individu se trouverait ainsi priver d'une garantie réelle et objective à la protection de ses droits fon- damentaux. Ce serait un grand recul pour le système africain de protection des droits de l'homme si les individus n'arrivaient pas à

1231 Tout le système de protection des droits de l'homme institué par la Convention européenne des droits de l'homme repose sur l'idée selon laquelle il faut offrir des voies de recours même aux personnes qui ne sont pas directement lésées. La Commission européenne des droits de l'homme l'a souligné: <<En concluant la Convention, les Etats contractants n'ont pas voulu se concéder des droits et obligations réciproques utiles à la poursuite de leurs intérêts nationaux respectifs, mais réaliser les objectifs et les idéaux du Conseil de l'Europe tels que les énonce le statut et ins- taurer un ordre public communautaire des libres démocraties d'Europe ... Il en résulte que les obli- gations souscrites par les Etats contractants dans la convention ont essentiellement un caractère objectif du fait qu'ils visent à protéger les droits fondamentaux des particuliers contre les empié- tements des Etats contractants plutôt qu'à créer des droits subjectifs et réciproques entre ces Etats>>. (Aff. Fall, Ahn., p. 141).

1241 Il n 'y a pas non plus de référence à la nationalité des individus qui pourraient saisir la Cour dans le Protocole.

1251 Ch. A. ÜDINKALU, 11Analysis of Paralysis or Paralysis by Analysis? Implementing Econo- mie, Social and Cultural Rights Under the African Charter on Human and Peoples' Rights>>, Human Rights Quarterly, vol. 23, na 2, May 2001, pp. 327-369.

1261 Entre le 9 juin 1998, date de l'adoption du Protocole et mars 2000 (soit deux ans après), seulement trois pays signataires ont ratifié le Protocole: le Sénégal, la Gambie et le Burkina Faso.

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jouer un rôle actif dans le processus juridictionnel de contrôle du respect par les Etats de la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples et des autres instruments internationaux de protec- tion des droits de l'homme.

Comme le dit Robert Kolb, <<tout le droit international est en passe d'être repensé et réorganisé autour d'un nouveau pôle ordon- nateur. C'est l'homme. Ce droit international nouveau est un droit humanitaire, un droit général des droits de l'homme. L'esprit géné- ral du temps ne semble pas accorder au droit international de valeur et de justification que pour autant qu'il se voue à la protec- tion des hommes, des minorités, des ethnies, des groupes vulné- rables, des libertés, de la démocratie, des droits sociaux, des causes humanitaires. Ce nouveau pôle ordonnateur noyaute toutes les branches parfois séculaires du droit international. Il tend progressi- vement à constituer un complexe de normes à part qui s'oppose à l'ancien corps de règles d'un droit chichement inter étatique>> (27 ). La redéfinition du véritable sujet en droit international des droits de l'homme mériterait qu'il soit accordé moins de force à la volonté uti singuli de l'Etat et que les intérêts de l'individu soient mis en avant pour assurer une protection efficace de ses droits.

B. - Ombres sur l'action des ONG devant la Cour

L'article 34, alinéa 6 du protocole est une bonne illustration de la complexification de l'espace public international (28l. En effet, en plus des individus, les ONG bénéficient eux aussi d'un droit de sai- sir directement la Cour. Seulement dans le cadre africain, c'est une complexification relative et contrôlée. Relative, en ce sens que comme le prévoit l'article 34, alinéa 6 l'accession des ONG à la Cour dépendra prima facie de la déclaration d'acceptation de la juridic- tion de la Cour par l'Etat visé dans la requête. Contrôlée en ce sens que l'article 34, alinéa 6 contient une limitation découlant de l'article 5, alinéa 3 aux termes duquel la Cour ne peut permettre qu'<<aux organisations non gouvernementales (ONG) dotées du sta-

(271 R. KoLB, «Du droit international des Etats et du droit international des hommes>>, Revue Africaine de Droit International et Comparé, 2000, No 12, p. 226; v. aussi sur la question, A. CAR- RILLO-SALOEDO, «Droit international et souveraineté des Etats,, RCADI, vol. 257, 1996, p. 146.

(281L. BOISSON DE ÜHAZOURNES, <<Le Panel d'Inspection de la Banque Mondiale: A propos de la complexification de l'espace public international», R.G.D.I.P., 2001, N° 1, pp. 145-162.

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tut d'observateur auprès de la commission d'introduire des requêtes directement devant elle>>. La condition fonctionnelle d'un statut d'observateur auprès de la commission dénote une volonté des Etats africains de contrôler les ONG qui seront susceptibles de saisir la Cour.

Comme pour les individus, il était déjà prévu en vertu de l'article 55 dans la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples que la Commission africaine des droits de l'homme et des peuples puisse recevoir des communications des ONG (29). La condi- tion du statut d'observateur à la Commission semble être arrivée dans le corps du Protocole comme un OVNI. En effet, aucune dis- position de la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples n'a prévu cette condition pour l'examen par la Commission d'une communication qui émanerait d'une ONG (30). En outre, l'analyse des Règles de procédure de la Commission africaine des droits de lhomme et des peuples, révèle que l'exigence du statut d'observa- teur est limitée à la participation aux délibérations de la Commis- sion (31) et à la représentation et aux relations avec des organisations non-gouvernementales (32). Rien ne permet de dire en outre quels sont les critères pris en considération pour attribuer ou non le sta- tut d'observateur à une ONG. Est-ce la nationalité? La représentativité? La reconnaissance par tous les Etats ou par une majorité d'Etats de l'ONG en question? Pourquoi avoir introduit une telle limitation dans le Protocole portant création de la Cour africaine des droits de l'homme et des peuples? En plus de la décla- ration d'acceptation de la juridiction de la Cour n'est-ce pas là un moyen d'obstruer l'accès des ONG à la Cour?

Les systèmes européen et américain sont beaucoup plus souples en la matière et plus illustratifs du rôle que jouent aujourd'hui les ONG dans la société internationale. Le Protocole II a la convention européenne des droits de l'homme, prévoit que la <<Cour peut être saisie d'une requête par [ ... ] toute organisation non gouvernemen-

129liJ s'agit d'une interprétation téléologique de la Charte. V. MUBIALA, op. cit. , pp. 775-777.

130l Cf. Articles 55 et 56 de la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples. Cet article porte sur le contenu d'une communication n'émanant pas d'un Etat et ne contient aucune règle relative au statut d'observateur.

131l V. Règles 72 et 74 des Règles de procédure de la Commission africaine des droits de l'homme et des peuples adoptées le 6 octobre 1995. Texte disponible sur http:/(www 1. umn.edu/

humanrts instree africancomrules. html.

32 Idem, Règles 75 et 76.

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tale [ ... ] qui se prétend victime d'une violation par l'une des Hautes Parties contractantes des droits reconnus dans la Convention ou ses Protocoles>> (33 ), La convention américaine des droits de l'homme quant à elle accepte que <<toute entité non gouvernementale et léga- lement reconnue dans un ou plusieurs Etats membres de l'Organi- sation des Etats américains>> peut saisir la Commission interaméri- caine des droits de l'homme (34). La condition est plus souple que dans le cadre africain étant donné que les ONG n'ont pas besoin de bénéficier d'un statut d'observateur pour saisir la Commission. Il suffit juste qu'elles soient reconnues dans un ou plusieurs Etats membres de l'Organisation des Etats Américains (35l. L'exigence du statut d'observateur à la Commission africaine des droits de l'homme et des peuples pour qu'une ONG puisse saisir la Cour afri- caine pose le problème de la relation entre la Cour et la Commission.

Nombre d'articles du Protocole rappellent la complémentarité de la Commission par-rapport à la Cour et la nécessité pour la Cour de prendre en compte la Commission dans l'exercice de sa fonction juridictionnelle. Seulement au terme de la lecture du Protocole l'on ne saisit pas très bien la ligne de démarcation entre la Commission et la Cour (36 ). Le but recherché par les rédacteurs du Protocole est flou. S'achemine t-on vers un modèle américain où la Commission joue un rôle très important étant donné qu'elle seule et les Etats

1331 Article 34 du Protocole 11 à la Convention européenne de Sauvegarde des Droits de l'homme et des Libertés Fondamentales. L'on remarquera au passage que le Protocole africain est silencieux sur le point de savoir si l'ONG ayant statut d'observateur doit être victime ou non de violations de droits de l'homme pour pouvoir saisir la Cour. Ce qui peut être dans ce cas inter- prété comme une souplesse par rapport au régime européen.

1341 Article 44 de la Convention américaine des droits de 1 'homme. On peut regretter à ce niveau que les ONGs ne soient pas aussi autorisées à saisir directement la Cour interaméricaine des droits de l'homme

1351La Cour interaméricaine des droits de l'homme est même allée plus loin. Dans l'affaire Cas- lillo Pelruzzi, le Pérou avait objecté qu'une organisation chilienne (Christian Churches Founda- tion for Social Assistance) puisse introduire une plainte au nom de quatre prisonniers chiliens qui avaient été condamnés à la prison à perpétuité au Pérou. Selon le Pérou, cette organisation n'était pas reconnue officiellement comme une organisation non-gouvernementale au Chili. La Cour interaméricaine des droits de l'homme a rejeté l'objection du Pérou sans examiner le statut légal de l'organisation en question arguant que la Convention américaine des droits de l'homme autorise <<any group of persons to lodge petitions» et que dès lors il était inutile de savoir si le plaintif était légalement reconnu comme organisation non-gouvernementale. La Cour insista sur le fait que "certain formalities may be excused, provided that there is a sui table balance between justice and legal certainty>>. V. Caslillo Pelruzzi Case, Preliminary Objections, Inler-Am. CI.

H.R., Judgment of Septernber 4, 1998, Ser. C, W 41, §§75-78.

1361V. par exemple le dernier paragraphe du Préambule du Protocole: <<Fermement convaincus que la réalisation des objectifs de la Charte Africaine des Droits de l'Homme et des Peuples nécessite la création d'une Cour Africaine des Droits de l'Homme et des Peuples pour compléter et renforcer la mission de la Commission Africaine des Droits de l'Homme et des Peuples».

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peuvent saisir la Cour interaméricaine des droits de l'homme, et qu'ainsi de facto et de jure elle constitue une garantie pour les indi- vidus et les ONG? Ou va t-on plutôt vers un modèle européen où la Commission a disparu et la Cour Européenne des droits de l'homme est le moteur central du système de protection des droits de l'homme?

Le protocole africain semble avoir opté pour un modèle intermé- diaire où les objectifs visés sont difficilement perceptibles. Pourquoi exiger d'une ONG qu'elle ait le statut d'observateur à la Commis- sion pour qu'elle soit autorisée à saisir la Cour? N'y a-t-il pas là un risque de subordination partielle de la Cour à la Commission et de perpétuation des obstacles qui ont affecté les activités de cette dernière (37)?

Toute ONG reconnue sur le territoire d'un ou de plusieurs Etats membres de l'Organisation de l'Unité Africaine aurait du être auto- risée par l'article 34 et a fortiori par l'article 5, à saisir directement la Cour. La situation socio-économique des pays africains est telle qu'il est difficile pour des particuliers de disposer des moyens et de la connaissance nécessaire pour faire valoir leurs droits. Les ONG par l'information dont elles disposent, leur présence accrue sur le terrain sont à mieux d'introduire des actions devant la Cour et de disposer de l' arsenal juridique adéquat pour faire face aux Etats en cas de contentieux sur des violations de droits de l'homme.

La solution à cette confusion institutionnelle et fonctionnelle rési- dera dans le refus de la Cour africaine à se politiser et dans sa déter- mination à exercer pleinement son pouvoir judiciaire afin d'assurer une protection adéquate des droits garantis par la Charte africaine.

Pour l'heure, le pessimisme bat son plein.

Comme l'explique Mr. Ahmed Iyane Sow, «la Commission afri- caine n'offre aucune garantie juridictionnelle. C'est certainement ce qui a bloqué la Charte africaine, devant les atteintes massives por- tées aux droits de l'homme et aux libertés politiques. Le Protocole n'a pas répondu à toutes les attentes. Il ne comble que partielle- ment les lacunes institutionnelles de la Charte. L'autonomie des juges africains ne se manifeste que dans la composition de la Cour, son fonctionnement et le statut. La dépendance de la Cour vis-à-vis

1371 A.I. Sow, <<Les juges de la Cour africaine des Droits de l'homme et des peuples,, Revue Juridique et Politique, Indépendance et Coopération, 2001, No 1, pp. 38-40.

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de l'organisation donc des Etats membres entraîne ipso facto une dépendance politique. En effet, on admet généralement que celui

<1 qui paie détient le pouvoir». La question qu'il faut se poser est celle de savoir si la dépendance financière ne risque pas de compro- mettre les exigences d'indépendance des juges africains vis-à-vis de leurs Etats>> (38l.

Autres ombres sur l'accessibilité ... L'article 34, alinéa 6 du Protocole comporte deux autres zones d'ombre qu'il est intéressant de mentionner.

Tout d'abord, il s'agit d'une ombre terminologique liée à la réfé- rence à l'article 5, alinéa 3 du Protocole. Aux termes de cette dernière disposition, <da Cour peut permettre>> aux individus et aux ONG dotées d'un statut d'observateur auprès de la Commission d'intro- duire directement des requêtes devant elle. L'utilisation de l' expres- sion <1peut permettre>> (<1may entitle>> dans le texte anglais du Proto- cole) pourrait poser un problème d'interprétation. En effet, cela signifierait-il que même la déclaration d'acceptation de la juridiction de la Cour n'est pas un acte juridique suffisant per se pour accorder le droit aux individus et aux ONGs de saisir directement la Cour? En plus de cette condition, il faudrait que la Cour permette à ces mêmes individus et à ces mêmes ONGs de la saisir. La disposition est dénuée de tout caractère d' obligatoriété. En poussant l'interprétation a contrario, cela voudrait dire que la Cour <1peut ne pas permettre>> aux individus et aux ONGs de la saisir. Ceci exacerbe la dose d'incertitude qui entoure le régime de la saisine de la Cour par des particuliers et des ONGs et confirme l'intention minimaliste des auteurs du Proto- cole. Il semblerait que les Etats africains soient plus confortés par l'idée que ces requêtes restent dans le champ de compétence de la Commission (39l. Le seul espoir réside dans la prise de conscience par la Cour de sa mission fondamentale et du rôle historique qu'elle pour- rait jouer dans l'amélioration de la protection des droits de l'homme au niveau africain.

Ensuite, l'article 34, alinéa 6 contient une autre zone d'ombre relative à un vide juridique. Il s'agit de l'absence de référence à une compétence ad hoc de la Cour.

1381 Ibid., pp. 44-45.

1391Pour s'en convaincre, il suffit de se référer à l'article 6 du Protocole qui prévoit que i<la Cour peut connaître des requêtes ou les renvoyer devant la commission».

(16)

L'article 34 ne prévoit que l'hypothèse de la déclaration d'accepta- tion de la juridiction de la Cour. Alors qu'il aurait été judicieux de maximiser les chances des individus et des ONG de saisir la Cour à travers la possibilité pour un Etat d'exprimer un consentement ad hoc à la juridiction de la Cour pour une affaire précise. L'a van tage d'une telle formule est qu'elle rassure les Etats quant à une multitude de requêtes individuelles contre eux en cas de déclaration d'accepta- tion. En outre, dans certains cas, la pression de l'opinion publique nationale voire internationale peut pousser l'Etat à accepter excep- tionnellement la juridiction de la Cour pour prouver sa bonne foi.

Cette compétence ad hoc existe dans la Convention américaine des droits de l'homme: <<La Cour est habilitée à connaître de toute espèce relative à l'interprétation et à l'application des dispositions de la pré- sente Convention, pourvu que les Etats en cause aient reconnu ou reconnaissent sa compétence, soit par une déclaration spéciale ... soit par une convention spéciale1> (40l. La Cour pourrait prévoir dans son Règlement intérieur une telle faculté pour les Etats.

II. - ÜMBRES SUR L'EFFICACITÉ DE LA CouR

L'article 34, alinéa 6 en exigeant la déclaration d'acceptation de la juridiction obligatoire de la Cour comme condition préalable d'acceptabilité des requêtes individuelles et des ONGs ne régit pas le contenu en tant que tel de cette déclaration. De ce fait, le pou- voir discrétionnaire des Etats en la matière est de nature à limiter ratione personae l'accessibilité de la Cour. Dans le processus juridic- tionnel de règlement des différends, les Etats sont très prompts à soulever des exceptions préliminaires (41l. La déclaration d'accepta- tion de la juridiction obligatoire d'une Cour n'est pas un facteur de soumission totale de l'Etat à une juridiction.

1401Cf. Article 62, §3. Il est intéressant de noter qu'au niveau américain la Commission peut exercer une sorte de pression sur l'Etat. V. The Regulations of the Inter-american Commission on Human rights, article 50, §3: «<f the State Party has not accepted the court's jurisdiction, the Commission may cali upon that State to make use of the option referred to in Article 62, paragraph 2 of the Convention to recognize the Court's jurisdiction in the specifie case that is the su bj ect of the report >1.

1411Sur un total de 36 saisines contentieuses sans désistement jusqu'en 1984, la Cour interna- tionale de justice a dû s'abstenir d'aborder le problème de fond dans 14 cas, soit une proportion de près de 40%. V. N. Quoc DINH, Droit international public, p. 865.

(17)

L'article 34, alinéa 6 de par son silence sur la substance de la déclaration impose à la Cour d'assumer <<la compétence de sa compétence>> (42l. Autrement-dit, d'être prise entre deux scénarios quand elle statue in limine titis sur ces objections préliminaires.

Un scénario d'assurance des Etats, en leur permettant d'appor- ter des limites à leur déclaration d'acceptation de la juridiction.

Un scénario d'assurance des individus et des ONGs, en contrô- lant la raisonnabilité du <<droit de veto>> étatique. C'est cette recherche de l'équilibre entre la volonté étatique et la protection des droits des individus qui doit guider l'action de la Cour. En attendant, l'article 34, alinéa 6 crée des ombres tant sur la com- pétence ratione materiae (A) que sur la compétence ratione tem- pori (B) de la Cour.

A. Ombres sur la compétence ratione materiae de la Cour

L'article 34, alinéa 6 est silencieux sur le point de savoir si un Etat peut exclure du champ d'acceptation de la juridiction de la Cour certains cas spécifiques'. Il s'agit concrètement d'accompagner la déclaration d'acceptation de la juridiction de la Cour de réserves ou de limitations sur des catégories de différends qui ne relèveraient pas de la compétence de la Cour. La Convention américaine des droits de l'homme, prévoit que la déclaration d'acceptation de la juridiction de la Cour <<peut être faite inconditionnellement, ou sous

<421 Cf. Article 3, alinéa 2 du Protocole: «En cas de contestation sur le point de savoir si la Cour est compétente, la Cour décide>>. C'est un principe du droit international général qu'une Cour est compétente pour décider de sa juridiction. V. par exemple, article 36, § 6 du Statut de la C.U. (<<En cas de contestation sur le point de savoir si la Cour est compétente, la cour décide>>);

de même, dans l'article 32, alinéa 2 du Protocole Il à la Convention européenne sur la sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales («). La Convention américaine sur les droits de l'homme ne contient pas de disposition similaire. Toutefois dans l'Affaire Nottebohm, la C.U.

a déclaré que le principe selon lequel <<un tribunal international est juge de sa propre compétence et a le pouvoir d'interpréter à cet effet les actes qui gouvernent celle-ci11 est <mn principe que le droit international commun admet en matière d'arbitrage>> et <<prend une force particulière quand le juge international n'est plus un tribunal arbitral constitué par l'accord spécial des parties en vue de statuer sur un différend particulier, mais une institution préétablie par un acte interna- tional qui en définit la compétence et en règle le fonctionnement ... '' (cf. Affaire N ottebohm. Excep- tion préliminaire, C. U., Recueil, 1953-1954, p. 119). La C.U a complété son argumentation en rappelant que même si son Statut ne contenait pas cette règle, «le caractère judiciaire de la Cour et la règle de droit international commun qui a été précédemment rappelée suffisent à établir que la Cour est compétente pour statuer sur sa propre compétence•> (Ibid., p. 120).

(18)

condition de réciprocité[ ... ] à l'occasion d'espèces données>>(43l. Il ne semble pas que ce soit le cas dans la Convention européenne. En effet, l'article 46, paragraphe 2 dispose que <<les déclarations [ ... ] pourront être faites purement et simplement ou sous condition de réciprocité de la part de plusieurs ou de certaines autres Parties contractantes ou pour une durée déterminée>>.

Plusieurs matières pourraient faire l'objet d'exclusion dans une telle déclaration. Toutefois, un obstacle juridique se pose étant donné qu'aux termes du Protocole <<la Cour a compétence pour connaître de toutes les affaires et de tous les différends dont elle est saisie concernant l'interprétation et l'application de la Charte, du présent protocole, et de tout autre instrument pertinent relatif aux droits de l'homme et ratifié par les Etats concernés>> (44l. Il semble difficile à la lecture de cette disposition de concevoir comment la déclaration d'un Etat pourrait limiter ratione materiae la compé- tence de la Cour.

D'autant plus que la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples ne prévoit pas la possibilité d'émettre des réserves (45l.

1431 Cf. Article 62, alinéa 2 de la Convention américaine des droits de l'homme. V. aussi, l'article 45, alinéa 3 de la Convention américaine des droits de l'homme aux termes duquel «a declaration concerning recognition of competence of the Commission may be made to be valid for [ ... ] a specifie casei)Q Il faut noter que dans le cadre américain la nécessité d'une déclaration d'acceptation de la compétence de la Commission interaméricaine des droits de l'homme concerne les cas où un Etat voudrait déposer une communication contre un autre Etat auprès de la Com- mission interaméricaine des droits de l'homme. Pour ce qui est des communications individuelles, la simple ratification par l'Etat de la Convention autorise les individus et les ONG à adresser des communications à la Commission américaine.

144143 Cf. Article 62, alinéa 2 de la Convention américaine des droits de l'homme. V. aussi, l'article 45, alinéa 3 de la Convention américaine des droits de l'homme aux termes duquel <<a declaration concerning recognition of competence of the Commission may be made to be valid for [ ... ] a specifie case>>. Il faut noter que dans le cadre américain la nécessité d'une déclaration d'acceptation de la compétence de la Commission interaméricaine des droits de l'homme concerne les cas où un Etat voudrait déposer une communication contre un autre Etat auprès de la Com- mission interaméricaine des droits de I 'homme. Pour ce qui est des communications indivi- duelles, la simple ratification par l'Etat de la Convention autorise les individus et les ONGs à adresser des communications à la Commission américaine.

1451 La Convention américaine des droits de l'homme, au contraire prévoit la faculté d'émettre des réserves. Cf. Article 75, «this Convention shall be subject to reservations only in conformity with the provisions of the Vienna Convention on the Law of Treaties>>. V., J.M. PASQUALUCCI,

<<Preliminary Objections before the Inter-American Court of Human Rights: Legitimate Issues and illegitimate Tactics>>, Virginia Journal of International Law, 1999, n° l, vol. 40, pp. 29-30.

Selon le Prof. Pasqualucci, <<Even though a right is protected by the Convention, if th at right is subject to a valid reservation by the State charged with its violation, the Court must find that it does not have jurisdiction ratione materiae o. Such reservations modify the subject matter jurisdiction of any enforcing institution as to that State. Therefore, if a State makes a valid reservation to the treaty, it cannot be brought before the Commission or the Court for violation of rights subject to that reservation, because the organs would not have jurisdiction ratione mat-

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Une interprétation souple de sa compétence par la Cour pourrait permettre de rassurer les Etats africains sur la portée de la décla- ration. Néanmoins, la Cour devra se montrer vigilante car bon nombre d'Etats pourraient être enclins au nom de la souveraineté nationale à étendre leur domaine réservé et à exclure de leur décla- ration des différends qui soit disant relèvent de la compétence nationale ou du droit national (46). La Cour jouera de ce fait un rôle de gardienne de la viabilité et de l'équilibre conventionnels. A ce titre, elle pourrait s'inspirer de l'article 19 de la Convention de Vienne sur le droit des traités en vertu duquel un Etat ne peut émettre des réserves interdites par un traité ou incompatibles avec l'objet et le but du traité en question. Dans le cadre américain, la Cour interaméricaine des droits de l'homme a été souvent confron- tée à des objections préliminaires selon lesquelles elle empiétait sur la compétence nationale de l'Etat (47 ).

B. - Ombres sur la compétence ratione temporis la Cour

L'article 34, alinéa 6 du protocole en exigeant une déclaration d'acceptation de la juridiction de la Cour pour que des requêtes individuelles puisent être introduites devant elle, ne précise pas si cette déclaration peut contenir des limites ratione temporis. Il s'agi- rait principalement pour l'Etat de limiter les effets juridiques de sa

riae over the complaint. For instance, although the American convention directs that capital punishment shall not be imposed on those who were under age eighteen at the time they com- mitted the crime, Barbados ratified the Convention directs that capital punishment shall not be imposed on those who were under age eighteen at the time they committed the crime, Barbados ratified the Convention with the reservation that <<persons of 16 years and over, or over 70 years of age, may be executed under Barbadian law>>.

(461 N. Quoc DINH, op. cit., p. 862. «Depuis 1946, non seulement les Etats multiplient les réserves [à la déclaration d'acceptation] mais ils leur donnent une formulation aussi extensive que possible. Les Etats-Unis avaient donné l'exemple avec une réserve d'une régularité douteuse (réserve dite 'automatique'), selon laquelle étaient exclus tous les conflits relevant de la compé- tence nationale 'telle qu'elle est déterminée par les Etats-Unis'>>. V. J. CRAWFORD, <<The Legal Effect of Automatic Reservations to the Jurisdiction of the International Court>>, British Year- book of International Law, 1979, pp. 63-86.

(471V. par exemple les affaires Castillo Petruzzi (Preliminary Objections, Inter-Am. Ct. H.R., Judgment of september 4, 1998, Ser. C, Na 41, §§ 100-102) et Cesti Hurtado (Preliminary Objec- tions, Inter-Am. Ct. H.R., Judgment of Januray 26, 1999, Ser. C, Na 44, §§35-45). Dans ces deux affaires le Pérou avait objecté que la cour interaméricaine n'avait pas de compétence pour sta- tuer sur une décision des cours péruviennes. Dans les deux cas, la Cour a rappelé ce qui suit :

«On be co ming a State Party to the Convention, Pern accepted the competence of the organs of the Inter-American system for the protection of human rights, and therefore obligated itself, also in the exercise of its sovereignty , to participate in proceedings before the Commission and the Court and to assume the obligation that derive from them ... >>.

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