La Lettre du Neurologue • Vol. XX - n° 9 - novembre 2016 | 303
CAS CLINIQUE
Mots-clés
Scotome cæcocentral – Atrophie optique dominante – Pâleur papillaire – Glaucome
Keywords
Centrocecal scotoma – Dominant optic atrophy – Optic disc pallor – Glaucoma
Scotome bitemporal
et IRM cérébrale normale
Bitemporal scotoma with normal brain MRI
C. Lamirel*
* Fondation ophtalmologique Adolphe-de-Rothschild et hôpital Bichat-Claude- Bernard, Paris.
O b s e r v a t i o n
Une patiente, âgée de 65 ans, est adressée pour un second avis sur un glaucome à pression normale atypique.
Cette patiente a comme antécédents une hypertension artérielle, une hypercholestérolémie et un diabète non insulinodépendant, découverts il y a 3 ans et traités depuis. Ses antécédents familiaux comprennent une mauvaise vision chez son père et chez sa fille, sans diagnostic. Son traitement comprend metformine, olmésartan médoxomil, simvastatine, brimonidine et trimétazidine.
Elle décrit avoir une mauvaise vision aussi loin qu’elle se souvienne, avec une acuité visuelle entre 4 et 5/10. Compte tenu d’une forte hypermétropie, celle-ci est prise pour de l’amblyopie. C’est en consultant un ophtalmologue pour revoir sa correction optique que celui-ci aurait remarqué des nerfs optiques pâles (figure 1).
Son champ visuel (CV) montre un déficit d’allure bitemporale (figure 2). Une IRM cérébrale, effectuée pour rechercher une compression du chiasma optique, ne montre pas de compression du chiasma, mais une “atrophie opticochiasmatique bilatérale”
conduisant le radiologue à évoquer le diagnostic de glaucome à pression normale (figure 3). La patiente est traitée par brimonidine, et un avis spécialisé est demandé.
Son acuité visuelle est de 5/10 P2 avec + 7,50 (– 0,75 à 35°) à l’œil droit et de 4/10 P3f avec + 6,75 (– 0,75 à 165°) à l’œil gauche.
L’oculomotricité est normale. Les pupilles sont de même taille, sans déficit du réflexe pupillaire afférent. L’examen à la lampe à fente est normal. La pression intra-oculaire est de 13 mmHg aux
2 yeux. Le fond d’œil montre une pâleur de la partie temporale de la papille sans excavation, bilatérale et symétrique (figure 1).
La macula et la périphérie rétinienne sont normales aux 2 yeux.
Le CV 24.2 montre un déficit bitemporal, qui semble respecter le méridien vertical. Le CV 10.2 montre qu’en fait le déficit ne respecte pas complètement le méridien vertical, ce qui suggère un scotome bilatéral cæcocentral (figure 4). Il y a une forte pertur- bation de la vision des couleurs, principalement dans l’axe tritan (figure 5).
La fille de la patiente a pu être examinée en consultation de neuro-ophtalmologie : elle présente une mauvaise acuité visuelle depuis l’enfance, avec un scotome cæcocentral bilatéral, une vision des couleurs très perturbée et une pâleur papillaire temporale bilatérale.
Une analyse du gène OPA1 est demandée pour la mère et la fille : elle retrouve une mutation hétérozygote pathologique c.2569C>T de l’exon 25, confirmant le diagnostic d’atrophie optique dominante.
D i s c u s s i o n
Devant l’aspect bitemporal du déficit campimétrique, il était
tout à fait logique de demander une IRM cérébrale pour éliminer
la possibilité d’une compression du chiasma optique. L’aspect
atrophique des nerfs optiques et du chiasma a conduit le radio-
logue à évoquer le diagnostic de glaucome à pression normale ;
cela n’est pas justifié, car une telle atrophie des nerfs optiques sur
l’imagerie n’est pas du tout spécifique du glaucome et suggère
simplement une neuropathie optique chronique. La présentation
clinique n’évoque pas une neuropathie optique glaucomateuse :
mauvaise acuité visuelle depuis l’enfance, pâleur papillaire plutôt
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CAS CLINIQUE
Œil droit Œil gauche
◀ Figure 1. Photos des nerfs optiques montrant une pâleur papillaire bilatérale, notamment dans la partie temporale. On retrouve égale- ment des anomalies du calibre artériel en rapport avec les antécédents cardiovasculaires de la patiente.
▲ Figure 2. Le champ visuel Humphrey 24.2 SITA standard montre un déficit bitemporal qui respecte le méridien vertical en inférieur à gauche et sur la partie centrale à droite. Le seuil fovéolaire est anormalement bas à gauche.
Fovéa : 30 dB Fovéa : 34 dB
Déviation totale Déviation individuelle Déviation totale Déviation individuelle
THG Hors limites normales VFI : 76 % MD : –7,18 dB p < 0,5 % PSD : 9,83 dB p < 0,5 %
THG Hors limites normales VFI : 82 % MD : –5,12 dB p < 0,5 % PSD : 8,68 dB p < 0,5 %
< 5 %
< 2 %
< 1 %
< 0,5 %
< 5 %
< 2 %
< 1 %
< 0,5 %
Œil gauche Œil droit
▲ Figure 3. IRM en coupes coronales fines pondérées T2
montrant des nerfs optiques fins sur l’image du haut (cercles) et l’absence de compression chiasmatique sur l’image du bas. L’aspect du chiasma (ellipse) a été considéré comme un peu fin par le radiologue, qui a évoqué le diagnostic de glaucome à pression normale.
▲ Figure 4. Le champ visuel Humphrey 10.2 SITA Fast permet de mieux visualiser l’aspect du scotome
qui ne respecte pas réellement le méridien vertical. Il s’agit en fait d’un déficit cæcocentral bilatéral, qui oriente vers une neuropathie optique non glaucomateuse.
Fovéa : 32 dB Fovéa : 34 dB
Déviation totale Déviation individuelle Déviation totale Déviation individuelle
MD : –14,96 dB p < 1 %
PSD : 14,27 dB p < 1 % MD : –13,28 dB p < 1 %
PSD : 13,97 dB p < 1 %
< 5 %
< 2 %
< 1 %
< 5 %
< 2 %
< 1 %
Œil gauche Œil droit
◀ Figure 5. L’étude du sens coloré par
le test de Lanthony 15 hues désaturé retrouve de nombreuses erreurs aux 2 yeux et plutôt dans l’axe tritan.
Pastille référence de
Pastille référence de
P 1 2 3 4 5
6
P 1 2 3 4 5
6 7
8
9
7
8
9
11 10 13 12
14 15
11 10 13 12
14 15
OD OG
Tritan Tritan
Deutan
Pr otan Deutan Pr otan
DÉSATURÉ
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CAS CLINIQUE
qu’excavation, vision des couleurs très perturbée. L’absence de compression du chiasma doit faire revoir la localisation du processus pathologique. Le déficit campimétrique est en réalité un scotome cæcocentral mis en évidence sur le CV 10.2 (un CV de Goldmann aurait aussi permis de lever le doute). C’est l’espacement important tous les 6° des points du CV 24.2 qui peut donner l’apparence d’un scotome bitemporal. Il s’agit donc d’une neuropathie optique bilatérale chronique, présente proba- blement depuis l’enfance, avec des antécédents familiaux de malvoyance compatibles avec une transmission autosomique dominante : il faut évoquer le diagnostic d’atrophie optique dominante, qui sera confirmé par l’examen clinique de la fille et par l’analyse génétique.
C o n c l u s i o n
Un scotome cæcocentral bilatéral peut passer pour un scotome bitemporal sur le CV 24.2, mais sans lésion chiasmatique à l’IRM.
Un CV 10.2 ou un CV de Goldmann redresse le diagnostic topo - graphique en montrant que le déficit ne respecte pas le méridien vertical. Cette présentation suggère une neuropathie optique chronique non glaucomateuse, et un bilan neuro-ophtalmologique à la recherche d’autres causes de neuropathie optique doit être
réalisé. ■
C. Lamirel déclare ne pas avoir de liens d’intérêts.
• Fraser JA, Biousse V, Newman NJ. The neuro-ophtal- mology of mitochondrial disease. Surv Ophthalmol 2010;55(4):299-324.
• Lamirel C. Neuropathies optiques glaucomateuses. In : Vignal C, Milea D, Tilikete C, eds. Neuro-ophtalmologie.
2 e édition. Issy-les-Moulineaux : Elsevier Masson, 2016.
• Biousse V, Newman NJ. Neuro-ophthalmology illus- trated. 2 e édition. New York: Thieme, 2016.
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Neuropathies optiques
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