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Éléments réunis pour penser le lien social débilisé et la « post-politique »

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Academic year: 2021

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Éléments réunis pour penser

le lien social débilisé et la « post-politique »

A

RTHUR

M

ARYa, b

a

Laboratoire Interdisciplinaires Récits Cultures et Sociétés EA-3159 (Université de Nice-Sophia Antipolis)

b

Laboratoire des Cliniques Pathologique et Interculturelle EA-4591 (Université de Toulouse-Jean Jaurès)

14 novembre 2015

Prononcé devant l’Équipe de Recherche Clinique (ERC) du Laboratoire des Cliniques Psychopathologique et

Interculturelle (LCPI), Université de Toulouse-Jean Jaurès

…Je t’écoutais au menu jour gravir la croisée Où s’émiette au-dessus de l’indifférence des chiens

La toute pure image expérimentale du crime en voie de fossilisation… CHAR

Plan :

0. Liminaires méthodologiques

1. Naissance du questionnement en faisant travailler l’hypothèse d’un « discours

sectaire »

2. Carl

3. Le trésor des holophrases

4. Le concept de débilité mentale chez Jacques Lacan

5. La religion se débilise : l’incroyance des complotistes

6. Débilisation de la psychothérapie. Le cas de deux enfants débiles ericksoniens

7. Pour en revenir à la Politique

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Liminaires méthodologiques. En principe, la clinique prime sur l’édifice théorique. En fait, c’est un

mouvement de va-et-vient entre la clinique et la théorie, la première suscitant l’élaboration de la seconde, mais la seconde préfigurant toujours un peu ce que le clinicien entendra ou pas. Je rejette en tout cas la spéculation théorique autonome (presque délirante), aussi ludique et plaisante soit-elle, sauf à l’utiliser comme outil heuristique dans la rencontre de transfert. Autre façon de formuler cette articulation entre clinique et théorie : la clinique est en fonction de Nom-du-Père de la théorie au sens où elle sépare de la jouissance où la théorie nous plongerait de se compléter comme « discours qui se passerait de sujet » (façon de désigner le délire scientiste) et ce qui garantit que le clinicien-chercheur, sujet désirant s’il en est, maintienne vivante sa pulsion épistémophilique.

Le 17 octobre, Sidi Askofaré nous invitait à poursuivre une exploration que Bernard Victoria avait ouverte à la faveur de sa thèse. Pour rappel, notre champ thématique s’organise entre Sujet, Symptôme, Lien social et se problématise autour des articulations de la politique et du symptôme. L’intervention de Sidi Askofaré débusquait quelques des nombreuses difficultés sur lesquelles nous ne manquerons pas de nous casser un peu les dents cette année. Celle sur laquelle je propose de m’arrêter est la suivante : la Politique (P majuscule) serait, comme discours, celui du maître ; c’est-à-dire le discours organisé par le Signifiant premier en position d’agent et que Lacan nomme aussi « discours de l’inconscient ». Ce discours serait, en principe, politique parce que discours du signifiant maître. L’intervention de Sidi Askofaré avait, je me rappelle, soulevé discussion autour de la question de savoir s’il pourrait exister une société non-soumise au discours du S1, et si une telle société serait qualifiable de non-politique ; ou si je me souviens, la politique est-elle nécessairement coextensive au régime étatique ? Je vais légèrement détourner ces questions et demander, par exemple, si le discours du capitaliste est politique, s’il soutient « l’activité humaine qui vise à convertir l’identification, l’amour, la crainte, la confiance en obéissance et en plus-de-jouir ? » (ce que proposait grosso modo Askofaré comme une des définitions de la politique). Ce détournement relèverait de la cybernétique (au plus près de l’étymologie, kubernètès, gouverneur, commandeur) et de la suggestion.

Je veux d’abord formuler une hypothèse que j’amène ainsi : La clinique psychanalytique ne fait jamais la rencontre du capitaliste (dont on tient de Lacan qu’il ferait discours de maîtrise, à une torsion près) car aussitôt qu’elle le rencontre, elle découvre ce qu’elle suscite : une névrose de transfert. (Se trahit implicitement alors que je ne conçois pas la psychanalyse hors amour ou haine de transfert ; et par voie de conséquence, le capitaliste n’est analysable qu’à ne pas rejeter les « choses de l’amour » et ne pas être indifférent à la parole.) Pour autant, nous ne croyons pas que la théorie du discours du capitaliste soit (seulement) une spéculation théorique dans la mesure où les embarras des cliniciens face aux sujets contemporains semblent attester qu’il y a bien malaise propre à notre modernité (début XXIe siècle) ; en témoignent les foisonnements théoriques pour penser ce que Freud ne semble jamais avoir rencontré (foisonnements théoriques aussi bien dans les cercles lacaniens qu’en dehors de ces cercles). Voici l’hypothèse : ces embarras ne trouvent-ils pas leur cohérence si on les rapporte au détissage du lien social ou à sa débilisation ? Cette hypothèse d’un lien social débile, je ne saurais dire si elle est en concurrence avec le concept de discours du capitaliste (au sens où ce serait ou l’un, ou l’autre) ; ou si elle en est un prolongement, une reformulation, une contrepartie (au sens, par exemple, où le discours du capitaliste comme structure discursive idéale ne se rencontrerait historiquement que comme relâchement débile des quatre discours)… Toujours est-il que le chemin parcouru pour attraper cette idée de lien social débile s’est tracé par la clinique et, je le redirai mieux ensuite, cette piste m’a été

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3 suggérée par Cabassut. Ça nous permettra de problématiser des Questions de société par un angle original : l’incroyance (Unglauben) des partisans des théories du complot, ou encore, l’effet des thérapies molles sur le lien à l’Autre (mais je laisserai sans doute ce deuxième point un peu de côté, faute de pouvoir tout dire).

1.

Mes principaux appuis cliniques sont au nombre de deux. D’une part, ma thèse (sous la direction de Cabassut) portait sur ce que j’ai appelé le « discours sectaire » (c’est moins un concept qu’une hypothèse de travail au service d’une heuristique, pour prendre les choses sous un autre angle que celui exploré d’abord à savoir, l’hypothèse selon laquelle les sectes sont des manifestations du discours du capitaliste, ou du moins des dispositifs au service du formatage de l’individu dont le capitalisme a besoin). Pour travailler cette hypothèse d’un « discours sectaire », j’ai fait feu de tout bois. Notamment, j’en suis passé par la rencontre clinique d’adeptes, par ce que j’empruntais à l’ethnologie de l’observation participante (toujours armé de l’hypothèse de l’inconscient et d’une attention aux enjeux de transfert), ainsi qu’à l’observation depuis un point extérieur en écoutant les témoignages des uns et des autres d’une expérience en secte. Je me suis confronté à ce que Freud pointait de « l’énigme de la constitution libidinale d’une foule » et tout spécialement, quand le lien social s’institue par et autour du délire d’un psychotique. Comment chacun pouvait-il loger la singularité de son symptôme dans le groupe ou dans la masse (c’est-à-dire sa façon de mettre à distance la jouissance intolérable qu’il y aurait à quitter l’humanité en passant outre les prohibitions structurantes qui ne tiennent qu’à se ranger sous la filiation symbolique au père mort) ?

Alors, où est la débilité ? Le fondateur de la secte se nomme Tang. Il délire psychotiquement. Ses adeptes se trouvent eux délirer un délire qui n’est pas tout à fait le leur, ils délirent comme « par procuration », ils prélèvent dans le discours-délire de Tang des signifiants sous lesquels ils se rangent comme sujets mais aussi des « aspects de structure » qui les organisent comme collectif. Par exemple, Tang suggère que chaque adepte est représenté par un pays du monde. Dès lors, les relations géopolitiques entre les pays se répètent dans les relations entre adeptes (selon Tang, c’est plutôt l’inverse : la guerre froide est la conséquence des tensions entre deux adeptes…). On imagine qu’un problème se pose pour un adepte tout le long de la dislocation en plusieurs pays du pays qui le représente, la Yougoslavie. En un sens, Tang est lacanien et totémiste : un pays, c’est ce qui représente un adepte auprès d’un autre pays. (Entre parenthèse et puisqu’il est question de Yougoslavie, Slavoj Žižek proposait sous forme de witz que si l’inconscient est structuré comme un langage, « l’inconscient européen est structuré comme les Balkans »1.)

Tang délire psychotiquement au sens où il enchaîne des holophrases. Pour rappel, l’holophrase est un usage illicite du signe linguistique au sens où l’holophrase, en faisant bloc du signifiant premier et d’un autre signifiant, se représente elle-même et forclôt ainsi que le sujet puisse être représenté dans le langage dans l’écart irréductible que recèle la différence entre les signifiants (là où Lacan parle d’holophrase, les linguistiques préfèreraient peut-être dire qu’il y a autonymie). Dans le séminaire la

psychanalyse à l’envers, Lacan a pointé que le signifiant peut bien représenter tout et n’importe quoi,

mais certainement pas lui-même (l’holophrase est un usage illicite du signifiant) : [être identique à son

1

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4 propre signifiant] est strictement intenable, [cette position] constitue une infraction à la règle, au regard de la fonction du signifiant, qui peut tout signifier, sauf assurément lui-même »2. Nous nous demandions

le mois dernier si une société peut s’organiser sans l’institution d’un signifiant-maître ; je me suis demandé si cette petite société sectaire ne s’était pas organisée sous la référence à une holophrase.

Le délire s’inaugure d’une manifestation de Dieu à Tang qui lui délivre l’injonction suivante : « Donne-le-message-à-qui-peut-l’entendre ». Fin du message. Cette injonction d’un seul bloc a la particularité d’être sui-référentielle, tautologique. Le message à donner à qui peut l’entendre est « Donne-le-message-à-qui-peut-l’entendre ». Ce message n’a pour contenu qu’une référence à lui-même, qu’une auto-désignation vertigineuse, et une adresse non moins tautologique : celui qui entend le message est justement celui qui l’entend (ou bien, le message serait lettre morte). Au passage, je relève que cette formule d’adresse – « à qui peut l’entendre » – s’inscrit dans une tradition d’écrits néotestamentaires où la formule que celui qui a des oreilles pour entendre, entende est récurrente.

Tang en instituant un groupe autour de sa personne s’accommodera plutôt bien des manifestations réelles de Dieu. Ses adeptes inventeront autant de façons de nouer par le symptôme ce qui se présente à eux comme un discours psychotique où ce ne sont pas des signifiants qui circulent mais des holophrases.

Tang prélève chez l’Autre divin autre chose que des signifiants. L’Autre de Tang est moins un trésor de signifiants qu’un trésor d’holophrases. [formules au tableau] Question : que prélèvent chez l’Autre (chez Tang) les membres du groupe ? Les éléments de doctrine par exemple qu’ils tiennent de leur gourou sont-ils des signifiants (les représentent-ils auprès d’autres signifiants ?) ou bien sont-ils des holophrases (dans la mesure où ils se présentent d’abord ainsi à Tang) ?

On conçoit généralement la secte comme un dispositif qui alimente une aliénation puissante au discours (les théories de psychologie sociale et psychologie cognitive à propos des manipulations mentales vont dans ce sens ; quelques auteurs à partir de la psychanalyse également), voire une aliénation si forte que nulle objection du sujet ne saurait émerger. Les parcours de nombreux anciens adeptes y apportent un démenti. En particulier, certains adeptes passent d’une secte à l’autre avec une étonnante facilité (une sociologie cognitive s’applique d’ailleurs à inventer une psychologie de ces électrons libres qui papillonnent d’une secte à l’autre et semblent faire leur miel d’un peu toutes les doctrines qui y circulent). Et si la secte de Tang, plutôt que d’instituer un discours contre quoi nul sujet ne saurait objecter, ne participait pas plutôt d’une débilisation du rapport du sujet à l’Autre par l’introduction d’holophrases (sous forme de truismes, de banalités, etc.) ? [discours du maître

holophrasé au tableau]. Cette question s’est déduite d’un travail minutieux du doctorant autour de la

circulation des « signifiants » (s’agit-il de signifiants ?) dans le discours institué par Tang (institution de l’holophrase ou institution du signifiant) mais n’a trouvé à s’énoncer qu’à la faveur de la soutenance de thèse et à une proposition de Cabassut d’explorer dans cette direction.

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2. Carl

2.1. Je vais témoigner d’un suivi emprunté à ma pratique clinique. Qu’on ne s’y trompe pas : la vignette clinique ne fait valoir ici aucune puissance argumentative ou illustrative de la théorie. Sous couvert de parler d’autrui, il n’en demeure pas moins que c’est bien moi qui parle. « L’analyse est toujours celle de celui qui dit » (Stein, 1989, p. 20) Prenez-le comme un récit : je raconte ma rencontre avec un discours qui a produit chez moi un mouvement dans la pensée. Comme ailleurs, Ulysse raconte sa rencontre avec Polyphème dont il ne faut pas oublier que le nom signifie le Bavard.

2.2. Quand Carl me parle, c’est sous la forme du fleuve puissant mais tranquille. Des séances éprouvantes car il n’agence que très peu de pauses pour respirer (et laisser respirer l’appareil à penser la clinique). Courageusement, j’encaisse un discours qui semble me tenir pour rien tant il ne ménage pas l’interlocuteur (mais à qui s’adresse-t-il au juste ?). Je dis « courageux » car je redoute un peu nos rencontres – j’ai d’ailleurs été bien inspiré de refuser sa demande initiale que nous nous voyions plusieurs fois par semaine, je n’aurais pas pu le supporter –, j’y vais d’abord comme on va au-devant de l’angoisse (boussole par quoi je sais que je fais effectivement l’épreuve d’une rencontre). Les quelques interventions que j’arrive à frayer dans le discours tombent comme autant de cheveux sur la soupe : interprétations, scansions, augmentation du prix des séances, mon sursaut quand je risquai de m’endormir…, Carl continue à dire ce que de toute évidence je n’arrive pas à entendre. Que dit-il ? Plusieurs choses : beaucoup de banalités empruntées à ce qui circule dans le champ social, aux théories du complot, empruntées à la littérature des psychothérapies new age notamment (je n’ai rien contre la banalité, sauf que Carl semble refuser que cela puisse le représenter singulièrement de quelque façon et est pris de perplexité quand je prends ce qu’il me dit au sérieux) ; et puis, son roman familial (ce qui n’est pas rien), roman de son clan dont il est le plus jeune d’une vaste fratrie, le « petit dernier » ; enfin, une plainte qui a à peu près la forme d’un ras-le-bol de sa mère (psychotique pour ce que j’en comprends) qui déverse sur lui parce que petit dernier le torrent de ses angoisses, puis ras-le-bol de chacun de ses frères qui en fait autant parce que dernier des frères du clan ; (à cette série s’ajoute qu’il n’avait que son corps de petit dernier sur lequel exprimer sa participation à la haine collective.) La mère s’y prend ainsi : elle répète à l’identique jusqu’à obtenir, jusqu’à ce que la réalité plie sous ce qu’elle dit, elle vous aura à l’usure.

Un détail récurrent retient mon attention toute flottante : je reconnais que des segments entiers d’énoncé se répètent à l’identique d’une séance à l’autre me donnant l’impression d’un monologue intérieur s’énonçant obsessionnellement, monocorde, à la recherche de je ne sais quel fin mot, tournant autour de je ne sais quelle représentation absente ; parfois, ces segments relèvent du discours rapporté direct mono-vocal sans que soient précisés ni guillemets, ni dixit me plongeant parfois dans une confusion que je ne parviens pas à dissiper faute de pouvoir l’interrompre le temps d’une question. Cette découverte, je la fais quand je me surprends à lui adresser pour la seconde fois la même interprétation que celle que j’avais faite la séance précédente (les mêmes causes entraînant les mêmes effets à la faveur de mon oubli). A ceci près que l’on ne peut jamais dire deux fois la même chose pour la

première fois (par quoi la propriété différentielle des signifiants est mobilisée malgré la redite). Ce qui

parviendra finalement à déplacer un peu le discours, c’est l’interprétation désespérée en réponse à son énième plainte que sa mère le soûle : « à qui le dites-vous ? », énoncé banal, signifiant généralement la complicité, mais qui néanmoins est parvenu depuis sa banalité à faire apparaître un moment analytique.

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6 Jusqu’à la mise au jour de la scène transférentielle et de l’interlocuteur impossible à qui s’adresse son discours : il me parle comme à un petit frère, comme au petit frère du petit dernier, soit le point de fuite de sa fratrie clanique, horizon paradoxal où je me reconnais comme dernier terme de la logique des dépotoirs en vases communicants (objet petit a n’ayant pas voix au chapitre du clan). Effet de l’interprétation sur les discours : il me ménage (comme il lui arriva parfois de ménager son corps) et les répétitions des énoncés s’estompent, ou du moins, les récits d’un même évènement laissent la place à des variations, des contradictions parfois, par où le sujet réinvestit le site de la langue et du récit comme ressources d’équivoques ; les discours rapportés d’autrui délimitent mieux les imagines qui prennent la parole et Carl se met à imiter les voix de ses personnages permettant ainsi de mettre un peu à distance l’Autre clanique dans la folie duquel il s’était soûlé pendant plusieurs décennies.

Alors, où est la débilité ? Où est la faiblesse de l’inscription dans le lien social, c’est-à-dire la difficulté à rencontrer autrui, ou de l’Autre ? Je la repère en divers endroits : l’effet d’abrutissement du discours de la mère qui se répète ad nauseam, les énoncés qui se redisent sous transfert, l’extrême banalité d’énoncés enchaînant des truismes où finalement tout se vaut (tout le monde veut être heureux, c’est bien d’être gentil, un chat est un chat3, il n’y a pas de sot métier, etc.), où être ou ne pas être, quelle

différence ?... Sa présence à chaque rendez-vous pourrait me faire penser que n’est pas débile sa rencontre avec le discours du petit frère du petit dernier (autre nom, plus juste, pour le discours du psychanalyste, ou discours de l’objet a). Ceci dit, il vient par habitude et parce que ça structure son emploi du temps en l’obligeant un peu à sortir et que c’est bien de sortir – alors que chaque séance se termine sur ma question : « alors, que faisons-nous ?, reprenons-nous rendez-vous ? » question qui a bien fini par se ritualiser, bien qu’elle se pense comme invitation faite au sujet à se mouiller un peu. « Oui, si vous voulez, lundi ou mardi, c’est pareil… ah, vous serez absent, bon la semaine prochaine, c’est bien… » Pour dire son autodiagnostic dans ses termes : il fusionne, il se fusionne avec les autres, j’adhère aux autres. J’entends que le Même et l’Autre, c’est du pareil au même.

En fait, au moment où je rencontre Carl, celui-ci semble renoncer à accomplir un certain nombre d’actes administratifs (symboliques) auprès de pôle-emploi, de la sécurité sociale, de la caisse d’allocation familiale, de la maison départementale des personnes handicapées (il est sourd d’une oreille suite à une maladie pour laquelle il a été pris en charge tardivement). De fait, il est sans domicile fixe et occupe pendant quelques années les canapés d’un ami, puis d’un frère – eux aussi en situation de décrochage social, dans une moindre mesure. Il se satisfait d’une vie sans interaction sociale, ni rencontre.

3.

Pour introduire le trésor des holophrases. Détours facultatifs…

On trouvera cet article écrit pour et présenté à un colloque de linguistique qui reprenait et condensait quelques chapitres de ma thèse (p. 183-196) – j’y expose ma proposition d’un « trésor des holophrases ».

Autre = {S1, S2, S3…, Sn}: le trésor des signifiants est l’ensemble des signifiants (dans leur positivité)

3

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7 S1 = {S2, ∅}: le signifiant se définit de n’être pas l’autre signifiant.

Autre = {S1, S2, S3…, ∅}: le trésor des signifiants est l’ensemble des signifiants (dans leur articulation

différentielle), le trésor inclut donc la place vide que les signifiants peuvent occuper ou non.

La dialectique de l’Universel et du Singulier est la suivante : 1°) Affirmation de l’Autre universel comme classe complète des signifiants ; 2°) Le signifiant particulier se définit de n’être aucun des signes de la classe complète, de faire exception à l’universel ; 3°) Que le singulier fasse exception à la classe universelle caractérise négativement l’universel, par contraste.

Dès qu’on a affaire à un réseau différentiel des signifiants, on doit insérer dans le réseau des différences aussi la différence entre le signifiant et son absence comme une opposition signifiante, c’est-à-dire, on doit considérer

comme une partie du signifiant sa propre absence : on doit poser l’existence d’un signifiant qui est le manque

même du signifiant, ce qui correspond avec la place de l’inscription du signifiant. Cette différence est en quelque sorte autoréflexive : le point paradoxal, quoique nécessaire, où le signifiant ne diffère pas simplement d’un autre signifiant mais de lui-même comme signifiant. (Žižek, Le plus sublime des hystériques, p. 87)

En séance, un silence (par opposition différentielle à un signifiant effectivement énoncé) ou une absence (par opposition différentielle à la présence au rendez-vous), etc. sont des signifiants malgré leur négativité apparente – car le signifiant se définit de n’être pas l’autre signifiant.

Lacan dit : « j’ai trois frère, {Paul, Ernest et moi} » (Une autoréférence aux accents russelliens)

4.

Le concept de débilité mentale chez Jacques Lacan en prolongement (au moins dans les grandes lignes) avec les conceptions de Maud Mannoni sur l’enfant arriéré.

On trouve chez Lacan un jeu de concepts permettant de penser ce qui est à l’œuvre dans le lien social sectaire institué par Tang et dans le discours ténu de Carl.

Mettons en regard trois affirmations de Lacan sur ce qui semble avoir statut de notion au fil de son enseignement : la débilité. La première date du 10 juin 1964 et indique le voisinage de la débilité à l’holophrase : « c’est précisément dans la mesure où il n’y a pas l’intervalle entre S1 et S2 […] que nous avons le modèle de toute une série de cas qui peuvent l’illustrer, encore que dans chacun le sujet n’y occupera pas la même place. C’est pour autant, par exemple, que l’enfant, l’enfant débile […], prend la

place en bas et à droite de ce S, au regard de ce quelque chose à quoi la mère le réduit à n’être plus que

le support de son désir dans un terme le plus obscur, que s’introduit dans la manœuvre de l’éducation

du débile, cette dimension psychotique ». (Prenons soin de souligner, avec Pierre Bruno, que ça n’est

pas l’holophrase qui conditionne la débilité, mais l’introduction d’une dimension psychotique dans l’éducation débilisante.)

Nous situons une deuxième balise en date du 15 mars 1972 : « J’appelle débilité mentale le fait

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8 débile. Il n’y a aucune autre définition qu’on puisse lui donner sinon d’être ce qu’on appelle un peu à côté de la plaque, c’est-à-dire qu’entre deux discours, il flotte ».

La troisième affirmation intervient durant le séminaire du 19 avril 1977 : « Il faut accepter les conditions du mental aux premiers rangs desquelles est la débilité, ce qui veut dire l’impossibilité de

tenir un discours contre quoi il n’y a pas d’objection, mentale, précisément » (nos italiques).

Pour compléter ce rapide relevé, notons que Lacan définissait encore, dans la séance précédente de son séminaire, la débilité mentale de l’homme comme le fait de ne pas savoir y faire avec le savoir, j’entends ne pas savoir y faire avec le signifiant second, c’est-à-dire avec un signifiant qui ne soit pas celui du maître.

Reprenons les choses ainsi : L’être parlant est débile de ne pas tenir « solidement installé » dans un discours ; autrement dit, sa débilité est ce qui rend son inscription dans le lien social « flottante », indécise, faible (debilis). L’éducation du débile consiste dans l’introduction d’une dimension psychotique à savoir la chute de la distance entre les signifiants et corrélativement leurs recouvrements tautologiques conduisant notamment au sentiment que tout se vaut4 (coût logique de l’effacement de la

propriété différentielle des signifiants).

À s’intéresser aux parcours des adeptes et anciens adeptes de sectes (religieuses ou psychothérapiques) tels qu’on en retrouve le tracé dans des travaux de sociologues, on s’étonne qu’un certain nombre d’entre eux fait preuve d’une étonnante facilité à passer d’un groupe à l’autre, à changer apparemment de discours sans que cela semble exiger le moindre acte, ni un particulier effort d’émancipation. Si l’on écarte l’hypothèse (raisonnable) que l’adepte ne change généralement pas de discours en passant d’une secte à l’autre, ces parcours d’une secte à l’autre ne constituent-ils pas une objection aux théories de la manipulation mentale selon lesquels l’adepte serait solidement lié à un discours par des techniques propres à maintenir l’emprise ? En fait, n’est-ce pas l’indice que les sectes n’installent pas solidement leurs adeptes dans un discours (ainsi qu’on pourrait le croire), encore moins dans un discours contre quoi le sujet ne pourrait constituer une objection (comme semblent le suggérer les tenants du modèle manipulatoire), mais au contraire nourrissent la débilité du lien social contemporain en participant du désintérêt généralisé pour la parole, voire d’une défiance, si ce n’est d’une véritable « haine de la parole » (Allione, 2013) ? Pour le dire autrement, les dispositifs sectaires « postmodernes » (par opposition aux sectes traditionnelles et au sens de Lyotard d’une mise à mal de la fonction narrative ; cf. notamment Gori, 2011) n’opèrent pas une aliénation plus grande au discours mais détisse plutôt ce qui lie le sujet au social (le sinthome !). Ainsi, ce qui fait le propre de la secte au regard du lien social, ça n’est pas la spécificité d’un quelconque discours qu’elle instituerait (comme j’ai pu l’interroger sous le terme de « discours sectaire »), mais plutôt le processus par lequel elle « débilise » le lien social et nous avons vu que la psychose et son holophrase ne sont pas loin. Si

4

Ce « tout se vaut » se décline entre autres façons en « tous pourris ! » quand les hommes politiques ne parviennent plus à faire valoir l’articulation différentielle des signes (« droite », « gauche », « socialisme », « république », « nation », etc.) qu’ils agitent.

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9 effectivement le processus à l’œuvre dans les sectes et plus largement dans nos sociétés relève de la prise en masse « holophrasante » des signifiants, la débilisation du lien social se double aussi de la mise à mal de la croyance : contre l’imagerie commune, la secte institue en fait l’impossibilité de croire (c’est-à-dire de douter, par quoi se révèle le sujet) au profit d’une certitude paranoïde.

5.

La religion se débilise : l’incroyance des complotistes

Ce segment de ma réflexion s’appuie sur une remarque de Lacan : « cette solidité, cette prise en masse, de la chaîne signifiante primitive, c’est ce qui interdit cette ouverture dialectique qui se manifeste dans le phénomène de la croyance. Au fond de la paranoïa […] règne ce phénomène de l’Unglauben qui n’est pas le « n’y pas croire », mais l’absence d’un des termes de la croyance, de cet endroit où se désigne la division du sujet » (Les quatre concepts, Paris, Seuil, p. 282-283).

Il me semble que les passions quasi-délirantes pour les théories complotistes sont adossées à la débilisation du lien à l’Autre, c’est-à-dire à la « prise en masse » des signifiants au détriment de ce que le sujet peut en faire par sa parole. Les théories du complot en effet offrent ceci de curieux qu’énoncées par des sujets qui a priori ne délirent pas (pas psychotiquement), elles s’installent dans des discours non pas contre lesquels il n’y aurait pas d’objection, mais pour lesquels l’objection que constitue le sujet (sous le masque du doute, du lapsus, de la contradiction, de la dénégation, etc.) se présente comme lettre morte ou est frappée d’un démenti (Verleugnung) qui en estompe l’effet. Question : les répétiteurs des théories complotistes peuvent-ils seulement croire ce qu’ils disent ?, ce qui impliquerait le second terme de la dialectique de la croyance, à savoir la possibilité de douter de ce qu’ils disent ou répètent.

Nos sociétés sont travaillées depuis plusieurs dizaines d’années par ce que l’on pourrait appeler un impératif identitaire qui s’énonce plus ou moins ainsi : « trouve qui tu es véritablement, la société t’a détourné de ton Moi authentique, vis en harmonie avec ce que tu es vraiment, deviens toi-même ». Cette injonction, hormis le démenti lénifiant qu’elle apporte à la découverte freudienne (démenti d’autant plus problématique qu’il se déploie idéologiquement), assume ouvertement une forme tautologique qui se donne pour relever du bon sens. Or, certains de nos contemporains affirment être eux-mêmes (ou être « entrés en syntonie harmonieuse avec leur Moi véritable »…) et surtout proposent d’aider autrui à faire ce pas qui fantasme de répéter la plongée de Narcisse en son propre reflet. N’est-ce pas justement aux systèmes de pensées qui sous-tendent cette injonction et les dispositifs thérapeutiques qui s’y soumettent que Lacan pensait lorsqu’il parlait « de la débilité mentale des systèmes de pensée qui supposent […] la métaphore du rapport sexuel, non ex-sistant sous aucune forme, sous celle de la copulation, particulièrement grotesque chez le parlêtre, qui est censée « représenter » le rapport que je dis ne pas ex-sister humainement »5 ?

6.

Débilisation de la psychothérapie. Le cas de deux enfants débiles ericksoniens.

5

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10 La psychanalyse risque toujours un peu de se complaire dans une pratique psychothérapique (quand elle entend guérir) ou en thérapie molle (en ne faisant plus cas d’aucune exception sous couvert de neutralité bienveillante ou d’acceptation inconditionnelle).

François Roustang écrit ces lignes à propos de la formation des hypnothérapeutes et qui n’est pas sans évoquer ce que Lacan repérait de l’éducation du débile :

Si vous entrez dans une pièce où un groupe quelconque d’hypnothérapeutes est en train de faire l’apprentissage de la transe, sous la direction d’une voix monocorde qui déroule des truismes, vous aurez l’impression de pénétrer au cœur d’une secte. Ces yeux fermés, ces corps à l’abandon, cette passivité affligeante vous donneront, je l’espère, la nausée. Si encore ils dansaient ! Ce serait peut-être plus inquiétant, mais du moins on n’aurait pas ce spectacle désolant de soumission partagée6.

Précisons déjà, pour qui ne connaît pas Roustang, qu’on ne peut certainement pas le tenir pour un ennemi de l’hypnose. Quoi que l’on pense de ses apports à la psychanalyse puis à l’hypnothérapie, il faut lui reconnaître une liberté de ton et de pensée à l’égard de ses maîtres (pour dire vite : Lacan, puis Erickson).

Que sont au juste les truismes que déroule l’hypnotiseur-formateur ? Il est facile d’en trouver des exemples dans la pratique d’Erickson :

Fermez les yeux, relaxez-vous, et imaginez-vous dans un endroit imaginaire qui vous plaît beaucoup. […] Vous allez vous apercevoir que ce monde est votre propre monde personnel que vous allez beaucoup aimer » dit l’hypnotiseur à sa

patiente.

Erickson et Ernest Rossi commentent ainsi cette induction de la transe hypnotique :

Étant donné ce qui précède, pourquoi n’aimerait-elle pas beaucoup ce monde ? Elle ne lui dit pas de l’aimer, elle ne fait que dire un fait évident. Le sujet n’obéit pas comme un automate. Elle va simplement accepter qu’elle aime en effet cet endroit et ressentir que [l’hypnotiseur] la respecte. […] Il s’agit en réalité d’une tautologie hypnotique : [l’hypnotiseur] met en place une expérience agréable. Cependant Mme L., immergée comme elle est dans l’expérience, ne reconnaît pas la tautologie ; elle se sent simplement bien et respectée, car [l’hypnotiseur] semble décrire de façon très exacte son expérience intérieure.7

Cette séquence et le commentaire qui la suit illustrent ce qu’il en est de l’usage non-strictement sui-référentiel de l’holophrase : peut-on en effet imaginer un endroit qui ne soit justement pas imaginaire ? Mon propre monde peut-il être autre chose que mon monde personnel ? Pourrais-je ne pas aimer un endroit qui me plaît ?, etc. Le sujet a certes loisir de mobiliser les représentations telles qu’elles lui viennent et selon sa singularité, mais elles demeurent sans effet car prises dans les rets des truismes. En effet, ceux-ci qualifient par avance les manifestations du sujet comme se valant toutes, c’est-à-dire en disqualifiant la propriété différentielle des signifiants et du même coup, le principe même

6

Qu’est-ce que l’hypnose ?, Paris, Minuit, 2003, p. 92.

7

Erickson, Rossi, Rossi, Traité pratique de l’hypnose, la suggestion indirecte en hypnose clinique, Paris, Grancher, 2006, p. 221-222.

(11)

11 de la parole. Par ailleurs, raffinement supplémentaire, l’hypnotiseur pourra qualifier préalablement toute manifestation (imprévisible) du sujet comme congruente avec ce qui lui est suggéré – façon de ratifier par avance les manifestations singulières du désir-objectant au savoir comme autant d’effets de l’hypnose. Voilà sans doute ce qui rend la « technique » psychothérapique de l’acceptation inconditionnelle si antinomique avec la psychanalyse, qu’en acceptant par avance tout ce que le sujet dira, le thérapeute suggère que nulle singularité ne sera susceptible de faire la différence.

Parenthèse : D’une certaine manière, deux enfants débiles qu’évoque Pierre Bruno et qui se

prémunissent contre la manifestation du sujet sont ericksoniens à leur façon :

« Hem répond à toute question que je pose en séance en la coupant par un « oui » avant qu’elle n’arrive à son terme. Le « oui » neutralise la question avant qu’elle puisse boucler sa signification et délivrer un effet de sens (un autre garçon débile, L., a coutume de me demander à chaque fin de séance : « tu seras là jeudi ? », puis du même souffle : « tu seras pas là jeudi ? » Tous les cas de réponse sont ainsi anticipés [ce qui chez Erickson se nomme suggestion couvrant toutes les

possibilités de classes de réponses], ce qui neutralise cette fois toute réponse de ma part, pour autant qu’elle pourrait

justement avoir un enjeu pour lui dans le transfert). »

Le recours par l’hypnothérapeute à des truismes et banalités rend d’ailleurs possible et efficiente la pratique de l’hypnose de groupe : un même énoncé étant adressé à tous et chacun est invité à l’entendre comme il le désire pour autant qu’il ne le dialectise pas outre mesure. L’emploi de truismes ou de lieux communs dans la psychothérapie hypnotique ericksonienne constitue ce que l’on pourrait appeler avec Pierre Bruno une « dogmatique des généralités » (2004, p. 53).

7.

Pour en revenir à la Politique :

7.1. A ce stade de ma réflexion, j’en viens à vous livrer cette question : débiliser, est-ce dépolitiser ? (et réciproquement ?) Au sens aussi où dépolitiser reviendrait à détisser (ou, renoncer à tisser) ce qui lie à l’Autre (le sinthome).

7.2. La politique, si elle est affaire d’orientation du désir à des fins d’obéissance et d’accaparement du plus-de-jouir, est adossée à la force de suggestion que recèle le signifiant en tant qu’il donne consistant au fiduciaire. (Legendre nomme ainsi fiduciaire notre confiance et notre croyance dans l’ordre langagier comme support de notre existence. Exemple : je m’identifie aux signifiants qui me représentent, nom, prénom, etc.). La suggestion véhiculée par l’holophrase est débilisante (c’est-à-dire ericksonienne) au sens où elle ne paraît plus s’arrimer au désir – une suggestion qui semble indifférente à la singularité du sujet et de ses signifiants. Par-là, la suggestion par l’holophrase diffère de celle à l’œuvre dans l’hypnose traditionnelle (celle de Bernheim, de Freud, de Ferenczi, etc.) qui est référée au complexe œdipien (pour le dire avec Freud, on n’accepte jamais que ce que l’on veut bien au regard du complexe familial). Cette distinction que je fais entre suggestion par l’holophrase et suggestion par l’Œdipe (par le signifiant) traverse-t-elle le champ politique entre une politique authentique (disons, respectueuse de la parole – toute option politique confondue) et la politique pragmatique postmoderne, celle que Jacques Rancière, par exemple, qualifie de post-politique ? Une remarque en passant :

(12)

12 débiliser/dépolitiser/saper-le-sinthome semble(nt) bien se faire au bénéfice de l’ordre dominant (le capitalisme).

7.3. Quelques philologues remarquables ont apporté des lumières précieuses sur ce que les dérives totalitaires de la politique font à la langue. À ce propos, on lira avec intérêt l’essai sur la résistance au langage totalitaire de Jacques Dewitte, Le pouvoir de la langue et la liberté de l’esprit (2007), qui donne consistance aux apports d’Orwell, de Victor Klamperer, de Dolf Sternberger et d’Aleksander Wat sur les langues aux prises avec le totalitarisme. J’en retiens que dépolitiser la langue, c’est la débiliser en sorte qu’elle ne renvoie à rien d’autre qui fasse la différence. Se débarrasser de la différence comme telle, n’est-ce pas le même geste qui rabat le signifiant phallique en une affaire de sexologues, entre pénis et vagin ?

7.4. La psychanalyse est antinomique avec la secte ; la psychanalyse « politise ». Ne pas lâcher le fil de l’analyse : c’est-à-dire parler, courir le risque de la parole, pour que le sujet se manifeste et s’installe dans les discours qui le lient à l’autre sans en passer par le « flottement inter-discursif ou pré-discursif ». Pour autant, risque de la parole adressée à ces figures intimes avec quoi l’on a affaire et que l’expérience du transfert permet d’animer – autrement dit, l’auto-analyse ne garantit pas que l’on puisse « s’installer solidement » dans un discours (sauf à solidement délirer). Ou, pour le dire avec Sauret : « on ne sort pas de la débilité tout seul ». J’entends dans sa proposition que le psychanalyste est la chance offerte au psychanalysant de s’extraire de la débilité et que le psychanalysant (par la trouvaille de son symptôme) est la chance du psychanalyste – et de la psychanalyse ! – de repousser la résistible débilisation des discours.

Références bibliographiques :

Allione, Claude, La haine de la parole, Les liens qui libèrent, 2013. Bruno, Pierre, La passe, Toulouse, Presse Universitaire du Mirail, 2003.

Dewitte, Jacques, Le pouvoir de la langue et la liberté de l’esprit. Essai sur la résistance au langage

totalitaire, Paris, Michalon, 2007.

Erickson, Rossi, Rossi, Traité pratique de l’hypnose, la suggestion indirecte en hypnose clinique, Paris, Grancher, 2006.

Freud, Sigmund, « l’hypnotisme » Gori, Roland, La dignité de penser, 2011

Lacan, Jacques, allocution précédant le séminaire RSI du 17 décembre 1974, Ornicar ?, 2, 1975. Lacan, Jacques, Le séminaire…

Legendre, Pierre, Argumenta & Dogmatica : le fiduciaire suivi de Le silence des mots, Paris, Fayard, Mille et une nuits, 2012.

(13)

13 Mary, Arthur, « Analyse psychopathologique du signe linguistique dans la névrose et la psychose »,

Journées toulousaines des sciences du langage, Toulouse, 16-17 mai 2013.

Rancière, Jacques, La haine de la démocratie, Paris, La Fabrique, 2005. Roustang, François,Qu’est-ce que l’hypnose ?, Paris, Minuit, 2003.

Sauret, Marie-Jean, « Sortir de la débilité », Psychanalyse, n° 27, 2013.

Žižek, Slavoj,Que veut l’Europe ? Réflexions sur une nécessaire réappropriation, Paris, Flammarion,

2011.

Références

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