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La forêt dans les débats publics au Québec : le cas du documentaire militant L erreur boréale

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Texte intégral

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Revue de communication sociale et publique

17 | 2016

Varia 2016

La forêt dans les débats publics au Québec : le cas du documentaire militant L’erreur boréale

Forests in public debates: the case of the documentary L’erreur boréale Isabelle Paré

Édition électronique

URL : http://journals.openedition.org/communiquer/1956 DOI : 10.4000/communiquer.1956

ISSN : 2368-9587 Éditeur

Département de communication sociale et publique - UQAM Édition imprimée

Date de publication : 1 décembre 2016 Pagination : 59-85

Référence électronique

Isabelle Paré, « La forêt dans les débats publics au Québec : le cas du documentaire militant L’erreur boréale », Communiquer [En ligne], 17 | 2016, mis en ligne le 01 décembre 2016, consulté le 01 mai 2019. URL : http://journals.openedition.org/communiquer/1956 ; DOI : 10.4000/communiquer.1956

© Communiquer

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Certains droits réservés © Isabelle Paré (2016) Sous licence Creative Commons (by-nc-nd).

ISSN 2368-9587 communiquer.revues.org

du documentaire militant L’erreur boréale

Isabelle Paré, Ph. D.

Professeure, Département de langues, linguistique et traduction Université Laval, Canada

Résumé

La gestion des forêts soulève régulièrement des controverses. Pour les créer ou les alimenter, le documentaire militant fait partie des armes de choix. Cette étude de cas s’attarde à L’erreur boréale pour évaluer en quoi la communication autour d’une controverse permet de saisir la complexité d’un enjeu environnemental. Pour ce faire, nous avons développé un devis de recherche mixte qui combine une analyse de similitude à une analyse de contenu thématique, appuyées sur la théorie de représentations sociales (RS). Les résultats suggèrent une évolution manifeste des conceptions de la forêt des suites de la controverse. Avant la controverse se dégagent cinq RS, la plupart ancrées dans l’univers du travail. Après, seuls les contours préigurant d’éventuelles RS se laissent deviner. La forêt semble plutôt conçue pour les problèmes qu’elle soulève. Les résultats suggèrent que l’analyse de la couverture d’une controverse environnementale permet d’en comprendre plus inement la complexité.

Mots-clés : communication environnementale, controverse, documentaire, L’erreur boréale, représentations sociales.

Forests in public debates: the case of the documentary L’erreur boréale Abstract

Forest management stirs up controversies. To create or feed those controversies, the documentary ilm can be a weapon of choice. This case study focuses on L’erreur boréale (Forest Alert) to assess how communication around a controversy can help capture the complexity of an environmental issue. Hence we developed a mixed research design that combines a similarity analysis to a thematic content analysis, both relying on social representations (SR) theory. The analysis suggests a clear transformation in the conceptualizations of forests as a result of the controversy. Before L’erreur boréale, ive SRs emerged, mostly anchored in a work universe. After, only the foreshadowing of possible SRs seems to appear, as forests are conceived based on the problems they raise. The results suggest that analyzing the coverage of an environmental controversy makes it possible to better understand its complexity.

Keywords: environmental communication, controversy, documentary, L’erreur boréale, social representations.

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C’est la façon dont on « [communique] ses idées à propos de l’environnement et non l’état de détérioration de ce dernier […] qui explique […] l’émergence d’un discours public sur l’environnement » (Eder, 1996, cité dans Cox, 2006, p. 57). Cette étude s’attarde expressément à cerner comment se déploient, dans l’espace public, les enjeux forestiers contemporains. Plus particulièrement, nous souhaitons évaluer en quoi la controverse crée une dynamique communicationnelle féconde qui permet de saisir les enjeux forestiers dans toute leur complexité. Pour ce faire, nous scruterons la couverture de presse entourant la diffusion d’un documentaire militant, L’erreur boréale, à l’aide des outils conceptuels que propose la théorie des représentations sociales.

La controverse : catalyseur de la communication publique

La forêt et sa gestion sont des enjeux sociaux et politiques (Baldwin, 2009 ; Guay et Gagnon, 1988 ; Marty, 2000). Elles sont source de débats et de controverses (Ananda, 2007 ; Beland Lindahl, Baker et Waldenstroöm, 2013 ; Dupré, 2007 ; Richardson et al., 2011). Déjà, en 1995, des chercheurs afirmaient que la gestion contemporaine des ressources naturelles était une gestion des valeurs et des conlits sociaux (Kennedy et Thomas, 1995, cités dans Konijnendijk, 2000). Ces conlits, tant physiques que conceptuels, sont articulés autour d’éléments législatifs (Nie, 2004), politiques, économiques et moraux, entre autres (Meisner, 2003).

La ligne qui sépare les enjeux scientiiques et techniques des questions sociales est aussi loue que mouvante (Callon et al., 2001), et la controverse surgirait dès que le social est évacué de l’évaluation de la problématique, entre autres lorsque la valeur symbolique de la nature est boudée (Aumeeruddy-Thomas, 2003). Les analyses répertoriées de controverses forestières peuvent se diviser en deux catégories (Niemlä et al., 2005). Les premières envisagent la controverse forestière en amont, se concentrant sur les éléments qui les alimentent (par exemple : Edwards et Bliss, 2003 ; Hunt et al., 2009 ; Keskitalo et Lundmark, 2010 ; Nie, 2004 ; Ribe, 2006 ; Yasmi et al., 2009), alors que les secondes s’attardent plutôt aux controverses en soi et à leurs différentes facettes (entre autres : Buijs et Lawrence, 2013 ; Niemlä et al., 2005 ; Huybens, 2011 ; Satterield, 2002 ; Speece, 2010).

La communication – ou son absence – est considérée comme étant un élément central de la foresterie contemporaine (Janse, 2007) et est souvent pointée comme catalyseur de controverses forestières (Edwards et Bliss, 2003). D’ailleurs, la recrudescence des controverses forestières correspondrait aussi, le plus souvent, à des sommets de couverture médiatique (Webb et al., 2008). Pourtant, les études se consacrant aux enjeux forestiers canadiens dans une perspective communicationnelle sont rares (par exemple : Huot, 1985 ; Schoenfeld et al., 1980). Cela dit, la communication entre les représentants du secteur forestier et les autres partis concernés est généralement considérée comme étant problématique (Dragio et al., 2011 ; Janse, 2007 ; Kleinschmit et al., 2008 ; Shanley et López, 2009), la perception courante étant que les controverses sont le résultat d’un déicit du point de vue de la communication et de l’information.

On ne peut pas s’en sortir : « les divergences et les conlits représentent une donnée constitutive de toute société » (Windisch, 1987, p. 19). On peut toutefois envisager la controverse comme une occasion à saisir, à la manière de Callon et al. (2001). Ces derniers abordent les controverses sociotechniques en accordant une place centrale au débat public comme moteur d’échange d’information, ce qui permettrait d’échapper à une logique du

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conlit qui conine les acteurs dans leur univers de pertinence déjà constitué (Limoges et Doray, 1994). Dans cette perspective, la controverse, loin d’être la conséquence indésirable d’un déicit d’information, peut s’avérer une occasion fertile parce qu’elle permet d’explorer une situation polémique et d’en apprendre davantage.

En mode exploration, la controverse permet un inventaire triple : celui des acteurs, des problèmes et des solutions (Callon et al., 2001). En effet, elle permet un portrait plus précis des groupes concernés, anciens ou émergents, de leurs intérêts et de leur identité. La controverse facilite aussi l’inventaire des problèmes soulevés, parce que les débordements occasionnés permettent de cerner des effets imprévus et de multiplier leurs dimensions. La controverse boniie également l’inventaire des solutions potentielles. En gros, elle permet d’enrichir le sens d’une situation.

En mode apprentissage, la controverse donne lieu à un échange croisé de savoirs et à l’évolution des perceptions mutuelles, améliorant ainsi l’intelligibilité d’une situation (Callon et al., 2001). Cet échange croisé permet d’aboutir à des solutions plus robustes, qui intègrent toutes les dimensions d’un problème, ce qui est rendu possible grâce à la confrontation des savoirs qui s’enrichissent mutuellement. Les diagnostics sont ainsi plus ins, l’éventail des solutions, plus riche.

Donc, la controverse, comme dispositif d’exploration et d’apprentissage alimenté par les débats publics, est un outil diagnostique qui « favorise la reconiguration progressive des problèmes » (Callon et al., 2001, p. 59).

Le documentaire comme activité communicationnelle militante Alors que la recherche en communication environnementale s’intéresse généralement aux médias dans une perspective de communication du risque (Grifin et Dunwoody, 2008), un nombre limité d’études s’attardent au documentaire militant comme outil communicationnel pour créer, alimenter ou ranimer une controverse et le débat public qui s’ensuit (Paré, 2012).

Pourtant, quand un acteur lutte pour créer un espace de délibération publique à propos d’un enjeu, le documentaire militant peut être une arme de choix (Whiteman, 2003, 2004). Le documentaire est un « document politique sérieux grâce auquel les cinéastes communiquent leurs vues concernant la nature, certes, mais aussi à propos d’enjeux qui ne sont pas strictement environnementaux » (Vivanco, 2002, p. 1202). Depuis les années 1970, le ilm documentaire s’avère incontournable pour témoigner des menaces à l’égard de l’environnement, capturant sur pellicule des histoires que les médias traditionnels n’auraient ni pu ni voulu couvrir (Hirsch, 2007). Là réside d’ailleurs sa grande valeur : le documentaire arrive à présenter un enjeu social ou politique de façon à en proposer une interprétation que les autres canaux d’information ne rendent pas disponible (Nisbet, 2007). Le documentaire militant sert essentiellement aux groupes de pression à attirer l’attention du public pour, par la suite, maintenir ce soutien et stimuler le sentiment d’appartenance (Whiteman, 2004).

La motivation qui anime le documentariste militant est le désir d’un changement social (Whiteman, 2004). Dupont (2011) ajoute que, tout particulièrement dans le cas du documentaire écologiste, « le caractère militant du ilm se traduit généralement par une volonté de sensibiliser son public à un enjeu environnemental, de l’informer par rapport à une réalité méconnue, ou encore de l’instruire de solutions existantes » (p. 26). Cependant, cette volonté ne s’accomplit pas isolément. En effet, rarement le documentaire est un électron libre ; plutôt, « la grande majorité des répercussions du documentaire sont le résultat de l’attention reçue dans les médias et non du visionnement direct » (Feldman et Sigelman,

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cités dans Whiteman, 2004, p. 53). Alors que nous nous intéressons à ce que la controverse révèle de la complexité des enjeux forestiers, analyser la portée d’un documentaire sans scruter également sa couverture médiatique apparaît donc limité. Comment faire, donc, pour explorer cette complexité ?

Stratégie de recherche

Ain d’élaborer cette cartographie de la communication publique entourant une controverse forestière, nous proposons une étude de cas suggestif de la diffusion du documentaire militant L’erreur boréale. L’approche méthodologique retenue, mixte à visée explicative, combine des résultats quantitatifs et qualitatifs analysés à l’aide des outils conceptuels que fournit la théorie des représentations sociales.

Cadre conceptuel : les représentations sociales

La théorie des représentations sociales (RS) permet de cerner comment un enjeu « est diffusé dans une culture donnée, comment [il] est transformé au cours de ce processus et comment [il] change à son tour la vision que les gens ont d’eux-mêmes et du monde dans lequel ils vivent » (Farr, 1998, p. XIII). Les RS sont déinies comme une forme de connaissance « de sens commun » (Jodelet, 1991), qui capturent la façon dont sont compris et appropriés des objets par les groupes sociaux (Callaghan et al., 2012). En gros, la théorie des RS permet de comprendre comment le nouveau, l’inconnu, devient familier par l’intermédiaire de la communication (Moscovici, 1986).

Les représentations sociales sont doubles : elles sont à la fois produit et processus. Le processus de représentation sociale est celui par lequel toute connaissance circule dans un milieu qui la reçoit. Sensible à la dynamique intellectuelle et collective du milieu récepteur, le processus de représentation sociale opère en deux temps, par la combinaison de deux procédés solidaires (Dumas et Gendron, 1991) : l’objectivation et de l’ancrage.

L’objectivation est une opération qui structure et donne une image à l’objet de la RS (Jodelet, 1991). Ce procédé permet de rassembler des éléments triés, sélectionnés et dissociés de leur contexte d’origine, puis de les intégrer de façon cohérente et acceptable au contexte culturel et social du groupe d’accueil (Rouquette et Rateau, 1998). Par exemple, nous verrons plus loin que le caractère productif de la forêt a été retenu dans l’édiication d’une forêt matière première.

L’ancrage, c’est l’enracinement de l’objet dans un système de pensée préexistant (Jodelet, 1991). À la manière d’un raisonnement analogique, des liens sont tissés, des correspondances sont établies entre le fruit du processus d’objectivation et le bagage préexistant. C’est par l’ancrage que « les connaissances maîtrisées d’un domaine vont guider le travail cognitif dans l’autre » (Moliner, 2001, p. 21). Par exemple, nous verrons plus loin que plusieurs représentations de la forêt s’ancrent dans l’univers du travail.

La théorie des RS est un cadre théorique qui déploie toute sa richesse conceptuelle dans des situations où la compréhension de vues divergentes ou conlictuelles sur l’utilisation d’une ressource est centrale (Anderson et al., 2013 ; Devine-Wright, 2009). L’approche chronologique des représentations sociales telle que la décrit Moliner (2001) est justement conçue pour saisir le caractère dynamique, évolutif et souvent contradictoire des RS.

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Approche chronologique des RS

Selon Moliner (2001), l’évolution des représentations sociales est dynamique. Chacune d’elles émerge, se stabilise puis se transforme. Ces trois phases sont associées à des indicateurs contextuels, quantitatifs et qualitatifs qu’il est possible d’observer.

Quand une RS émerge, un objet nouveau et inconnu prend forme. Cette nouveauté stimule la communication, qui se fait intensive entre des groupes sociaux, nouveaux ou en voie de formation. La variété des thèmes abordés et la divergence des opinions sont caractéristiques. Une belle part est accordée au raisonnement analogique, stratégie discursive qui permet d’ancrer ce nouvel objet dans la réalité sociale.

La dynamique propre à la phase de stabilité diffère. Les échanges entre les groupes sociaux, anciens et igés, sont peu fréquents et portent sur des thèmes ou des opinions qui sont connexes, voire consensuels. La RS est bien constituée, elle subit peu d’attaques.

Comme les remises en cause et l’expression du doute sont rares, les traces discursives typiques de cette phase consistent en l’explication.

La phase de transformation permet d’assister à la modiication des groupes en présence ou à l’émergence de nouveaux collectifs qui chercheront à modiier ou à protéger une RS, dans un contexte où la communication est bouillonnante. Encore une fois, la variété des thèmes abordés et la divergence des opinions sont caractéristiques. Cependant, les stratégies discursives typiques sont le déni, la réfutation ou la rationalisation, témoignant de la cohabitation des nouveaux et des anciens savoirs.

L’étude de cas suggestif

L’étude de cas suggestifs décrit exhaustivement un objet sélectionné pour « son caractère atypique […] [Dans ce type d’étude,] des cas exemplaires ou même exagérés sont sélectionnés pour étudier ou illustrer un phénomène » (Roy, 2006, p. 166). L’idée est de s’attarder à un exemple particulièrement révélateur. Le cas du documentaire militant L’erreur boréale présente des caractéristiques qui laissent croire à son potentiel instructif.

Le cas de L’erreur boréale

Le débat sur la forêt n’est pas unique au Québec (Filion, 2011), mais la façon dont il a été initié l’est. Contrairement à la situation qui prévalait dans les années 1990 sur la côte nord- ouest du Paciique, où des mouvements environnementalistes bien organisés s’employaient à articuler le débat public sur la gestion des forêts anciennes, le débat québécois, lui, s’est déplacé dans l’arène publique à la suite de la diffusion du documentaire militant L’erreur boréale (Nobert, 2008 ; Sandberg et al., 2004).

L’erreur boréale est un documentaire militant réalisé par Richard Desjardins et Robert Monderie. Il a été projeté une première fois lors du 17e Rendez-vous du cinéma québécois en février 1999. Il sera ensuite télédiffusé le 28 mars 1999 à Télé-Québec, attirant un auditoire de 344 000 personnes (Sandberg et al., 2004). Ce documentaire, qui a récolté plusieurs mentions d’honneur et prix tant au Canada qu’en France, est « considéré comme un des premiers ilms signiicatifs dans le genre documentaire écologiste » au Québec (Dupont, 2001, p. 31).

Le ilm de Desjardins et Monderie pose un diagnostic sévère sur l’état des pratiques d’aménagement et d’exploitation de la forêt boréale au Québec (Sandberg et al., 2004), synthétisant une critique à la fois de l’exploitation forestière et des sciences forestières (Houde et Sandberg, 2003 ; Sandberg et al., 2004). Environnementalistes, anticapitalistes, nationalistes et prosyndicaux (Nobert, 2008), Desjardins et Monderie y dressent la critique

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virulente d’une industrie forestière dominée par de grandes compagnies qui exploitent une forêt monocultivée à leur seul avantage, impunément, sous l’œil bienveillant du ministère des Ressources naturelles 1.

L’amplitude de la vague qu’a soulevée ce documentaire n’a d’égale que l’importance de l’intérêt suscité (Hagan, 2010 ; Sandberg et al., 2004). D’ailleurs, il est considéré comme étant l’action environnementale québécoise la mieux publicisée (Houde et Sandberg, 2003).

De plus, « il n’y a guère de débats sur les enjeux forestiers au Québec qui ne font pas mention du ilm à un moment ou à un autre » (Sandberg et al., 2004, p. 71), et ce, même encore près de 20 ans plus tard (par exemple : Gendron, 2015 ; Guénette et Desrochers, 2014 ; Lefebvre, 2014). Le contenu du ilm n’y est que pour une part : Richard Desjardins, son statut, son charisme ont contribué pour beaucoup à l’attention qu’a reçue le ilm. Certains iront jusqu’à dire que l’homme est passé devant le message (Sandberg et al., 2004). Desjardins, personnage principal de son documentaire, puise à même son propre lien avec la forêt, exploite des anecdotes de sa vie personnelle, le tout contribuant au succès populaire du ilm (Nobert, 2008).

L’erreur boréale suscitera aussi des remous auprès du grand public. Le ilm a reçu beaucoup de sympathie de la part d’un auditoire très vaste, majoritairement urbain (Houde et Sandberg, 2003 ; Nobert, 2008 ; Sandberg et al., 2004). Le rapport de la vériicatrice générale, publié en 2002 2, légitimera les doléances exprimées par les cinéastes, ajoutant aux arguments de ceux qui exigent la tenue d’une enquête indépendante sur le régime forestier québécois (Sandberg et al., 2004). La tenue de la Commission d’étude sur la gestion de la forêt publique québécoise, mieux connue sous le nom de Commission Coulome, découle directement des pressions qu’a exercées le documentaire (Sansfaçon, 2004, cité dans Dupont, 2011 ; Hagan, 2010).

Le cas de la région de Québec et du quotidien Le Soleil

La presse écrite est perçue comme offrant une perspective unique sur les enjeux environnementaux (Eilders, 1997 et Wilkins, 1993, cités dans Nitz et West, 2004). De plus, les journaux et les quotidiens offrent un accès privilégié aux discours publics et aux débats sociaux au sujet de la forêt, de son aménagement et des politiques qui l’encadrent (Webb et al., 2008). Le choix de la presse écrite comme vitrine d’expression des controverses forestières est aussi justiié par le cadre conceptuel : « Avec la presse, on découvre une forme de communication collective qui peut avoir un impact considérable sur la formation des représentations sociales […] parce que la presse est régulièrement à l’origine de l’intérêt suscité par un objet ou un événement nouveau » (Moliner, 2001, p. 23).

Le statut particulier de la région de Québec dans le domaine forestier québécois ajoute au caractère suggestif de cette étude de cas. En effet, cette région se démarque par sa concentration unique des centres décisionnels, d’emplois et d’associations en lien avec la forêt et le bois au Québec (Lessard et al., 2008). La ville de Québec se distingue aussi comme pôle technologique et scientiique : elle propose la plus grande concentration de maisons d’enseignement offrant des programmes en foresterie à tous les niveaux de scolarité et elle regroupe la plus importante concentration de chercheurs dans ce domaine en Amérique du Nord (AF2R, s.d.).

Pour toutes ces raisons, nous avons choisi de préciser notre questionnement : nous souhaitons nous attarder aux représentations sociales entourant la diffusion de L’erreur

1. La gestion des forêts était une responsabilité du ministère des Ressources naturelles lors de la première diffusion de L’erreur boréale. Au moment de publier, ce secteur se trouve au sein du ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs.

2. Le chapitre concernant la foresterie est disponible au

http://www.vgq.gouv.qc.ca/fr/fr_publications/fr_rapport-annuel/fr_2001-2002-T2/fr_Rapport2001-2002-T2-Chap04.pdf

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boréale, tel qu’elles sont véhiculées dans le quotidien Le Soleil. Pour ce faire, nous avons récupéré dans la base de données Eureka.cc 3 des articles qui contenaient dans le titre ou le premier paragraphe les mots forêt ou forestier et leurs déclinaisons, publiés entre le 1er janvier 1997 et le 31 décembre 2001 4 dans le quotidien Le Soleil. Après n’avoir retenu que les articles qui traitent effectivement de forêt, et non de « jambon forêt-noire » ou de

« Louise Forestier », un total de 723 articles ont été préparés pour l’analyse (Tableau 1).

Tableau 1. Intensité de la communication sur la forêt dans le quotidien Le Soleil, pour les périodes précédant et suivant la diffusion initiale de

L’erreur boréale

AVANT L’ERREUR BORÉALE

(1er janvier 1997 au 31 janvier 1999) APRÈS L’ERREUR BORÉALE (1er février 1999 au 31 décembre 2001) Nombre

d’articles 267 456

Approche méthodologique mixte

Pour évaluer ce en quoi la couverture médiatique des débats publics entourant la diffusion de L’erreur boréale est une vitrine révélatrice de la complexité des enjeux forestiers, de même que pour cerner comment ont évolué les représentations sociales dans le discours public après cette diffusion, nous avons développé un devis de recherche mixte, combinant méthodes quantitative et qualitative, plus précisément un devis de recherche explicatif séquentiel (Creswell, 2009 ; Creswell et Plano Clark, 2011). Dans ce type de devis, la stratégie de recherche se décline en deux étapes distinctes, mais étroitement liées. D’abord, on réalise la collecte et l’analyse des données quantitatives. Ensuite, la collecte et l’analyse des données qualitatives viennent enrichir les résultats de la première étape. Ainsi, « le chercheur interprète de quelle façon les résultats qualitatifs contribuent à expliquer les résultats quantitatifs initiaux » (Creswell et Plano Clark, 2011, p. 71). Concrètement, la première étape, l’analyse de similitude, est la portion quantitative de cette recherche. La seconde étape, l’analyse thématique du contenu, constitue sa portion qualitative.

Analyse de similitude

L’analyse de similitude est « une technique utilisée pour classer des objets ou des cas dans des groupes relativement homogènes » (Malhotra, 2007, p. 636) que nous avons nommés

« grappes ». Plusieurs chercheurs (par exemple : Doise et al., 1992 ; Moliner, 2001 ; Roussiau et Bonardi, 2001) la suggèrent pour mettre en évidence l’univers sémantique d’une représentation sociale. Particulièrement bien adaptée à l’étude des RS, l’analyse de similitude permet de « simpliier un ensemble complexe d’éléments pour ne retenir que la structure la plus signiicative » (Roussiau et Bonardi, 2001, p. 127).

Ces résultats quantitatifs ont été obtenus à l’aide du module WordStat6 du logiciel QDAminer 4. L’analyse de similitude a porté sur des syntagmes, identiiés à l’aide de la fonction « Phrase inder » du logiciel. Cette fonction permet de scanner la totalité du corpus et de relever les combinaisons de mots les plus fréquentes. Ces combinaisons ont été soumises à une analyse de cooccurrences de second ordre, qui considère à la fois la

3. Eureka.cc est une base de données dans laquelle sont recensés des articles en texte intégral à partir de plus de 2000 sources imprimées, francophones et anglophones.

4. Rappelons que la première diffusion de L’erreur boréale s’est tenue en février 1999. Le corpus comprend donc les articles publiés dans les deux années civiles précédentes (1997, 1998) et les deux années civiles suivantes (2000, 2001), en plus de ceux publiés l’année de la première diffusion du documentaire (1999).

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cooccurrence classique et l’occurrence dans des environnements lexicaux similaires. La similitude est calculée à l’aide d’un indice d’inclusion, qui permet de « détecter des relations asymétriques de dépendance, d’inclusion ou de subordination parmi les [syntagmes], [et pas que leurs] occurrences mutuelles » (Péladeau et Stoval, 2005, p. 17). Dans le cadre que fournit la théorie des représentations sociales, cet aspect est particulièrement intéressant, puisque la fréquence de la présence mutuelle des syntagmes liés n’est pas déterminante de l’organisation de la représentation sociale ; un indice plus sensible aux relations asymétriques ou insoupçonnées est donc des plus appropriés dans ce contexte. Nous avons choisi de relever ces similitudes au niveau du document, donc à l’intérieur de chaque article du corpus, parce que cette sélection permet de se concentrer sur la similitude du sujet (topical similarity), c’est-à-dire sur les phénomènes, les personnes et les actions qui sont mentionnées au cours du même évènement (Péladeau et Stoval, 2005). Les résultats sont organisés en dendrogrammes 5 de similitude, un graphique dont la forme rappelle celle d’un arbre.

Pour nous concentrer sur les grappes potentiellement les plus signiicatives, nous avons éliminé, dans un premier temps, tous les liens dont la force est inférieure à 0,6, de même que toutes les grappes à syntagme unique. Après l’analyse préliminaire, nous avons relevé le seuil de signiication à 0,8 pour la période postérieure à la première diffusion de L’erreur boréale 6.

Analyse thématique de contenu

Ain d’approfondir les résultats obtenus grâce aux dendrogrammes, nous les avons soumis à une analyse thématique de contenu. Cette étape est d’autant plus pertinente que l’analyse de contenu et l’étude des représentations sociales sont historiquement liées (Negura, 2006).

L’analyse de contenu permet une compréhension nuancée des documents qui y sont soumis (Picard, 2013), plus particulièrement parce qu’elle systématise le traitement de l’information et la description de sa signiication (Bardin, 1993). Nous envisageons le thème comme « une reformulation du contenu de l’énoncé sous une forme condensée et formelle [obtenu par] le repérage des idées signiicatives et leur catégorisation » (Negura, 2006, p. 4).

L’analyse thématique de contenu s’est concentrée sur les articles qui ont servi de base à chaque grappe des dendrogrammes ; le logiciel d’analyse en donnait directement l’accès.

Puisque l’analyse vise à laisser émerger des univers sémantiques, et non à découper le contenu en catégories prédéterminées, la catégorisation du contenu s’est déroulée de façon inductive, itérativement, en y intégrant une rélexion sur les données, sur les questions que ces données soulèvent et sur les interprétations dégagées (Creswell, 2009). Les préoccupations découlant du cadre conceptuel, comme la convergence des opinions ou l’intensité de la communication, de même que les éléments du contexte non linguistique, au sens de Kerbrat-Orecchioni (2006), ont fait l’objet d’une attention particulière.

Avant L’erreur boréale: des relations nécessaires avec une forêt multiple

L’analyse du dendrogramme de similitude permet de dégager cinq RS (Figure 1). Une particularité de ce dendrogramme est le nombre et la variété des termes puisés au domaine

5. Le dendrogramme est construit d’éléments regroupés un à la suite de l’autre. La longueur de la feuille qui relie deux éléments, sur l’abscisse, témoigne de la force du lien entre eux. Plus la feuille est courte, plus le regroupement a été rapide, plus la similitude est grande. Ainsi, le dendrogramme offre une vue d’ensemble de l’organisation d’une RS. Il permet de visualiser les regroupements créés, de même que d’illustrer les liens entre les différents éléments (Bouriche, 2003).

6. Ce choix est discuté à la section « Après L’erreur boréal » de cet article.

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forestier professionnel, que ce soit la présence de jargon technique, d’éléments normatifs et législatifs, ou encore la mention d’acteurs typiques du secteur.

Figure 1. Dendrogramme de similitude, Le Soleil (Québec), 1er janvier 1997 au 31 janvier 1999

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Parce que le processus de RS permet de bâtir la relation avec l’objet (Jodelet, 1997), l’analyse des dendrogrammes rend saillants les liens qui se tissent avec la forêt. Ces liens sont variés et complémentaires. Ils évoquent sa vulnérabilité (la forêt ravagée), mais également au monde du travail (la forêt gagne-pain et la forêt entreprise). La forêt interpelle également le cœur (la forêt ierté) et la raison (la forêt matière première) 7.

Commençons par examiner trois RS : la forêt gagne-pain, la forêt entreprise et la forêt matière première. Un élément intéressant est l’imbrication apparente de ces trois représentations sociales de la forêt. Les deux premières RS concrétisent l’objet forêt respectivement comme un gagne-pain et une entreprise, la troisième présente ses aspects productifs. L’employé, celui qui gagne sa vie grâce au travail en forêt, est le moteur de la chaîne de production. L’employeur, lui, est responsable de cette chaîne ; il doit s’assurer de son eficacité. On le constatera, l’indépendance statistique de leur grappe respective n’empêche pas que ces trois représentations sociales soient sémantiquement liées.

Une forêt où gagner son pain laborieusement

Cette première RS incarne une forêt conçue comme la clé de voûte d’enjeux inanciers qui nuisent à l’emploi et, donc, au salaire des protagonistes. Elle soulève les aspects problématiques de la forêt comme lieu de travail, soulignant à la fois la dépendance et de lutte perpétuelle de cette relation, ancrée dans le monde du travail.

Cette RS est composée de sept syntagmes, exceptionnellement répartis en deux grappes, dont l’indice de similitude est de 0,587. Cette grappe combinée commence par le syntagme ACTIVITÉ_FORESTIER, en rouge dans la Figure1, et se termine avec TRAVAILLEUR_

FORESTIER 8, en bleu dans cette même igure.

Assise sur l’expérience, la représentation sociale contribue à justiier les pratiques et permet de maintenir ou de renforcer les positions sociales dans un groupe (Abric, 1994). C’est dans cet esprit que l’analyse de contenu thématique met de l’avant une relation hiérarchique employeur-employés où les salaires et la stabilité de l’emploi sont des soucis importants. La forêt est un gagne-pain (ACTIVITÉ_FORESTIER), mais il est dificile d’y gagner de bons revenus, stables. La logique qui s’installe est celle d’une négociation : le TRAVAILLEUR_

FORESTIER doit constamment lutter pour conserver ses acquis. Les travailleurs touchés négocient avec le ministre en poste, MINISTRE_CHEVRETTE 9, ain qu’il intercède en leur faveur, comme en témoigne cet extrait : « Les traditionalistes ont forcé le ministre des Ressources naturelles 10, Guy Chevrette, à trouver des arrangements pour presque doubler le volume de travail offert et porter le nombre d’emplois saisonniers liés aux activités forestières de 65 à 110 » (no 582 11).

7. Deux grappes ont été retirées du corpus. D’abord, l’association entre COMMISSION_SCOLAIRE et

GROUPEMENT_AGROFORESTIER_DE_LE_RISTIGOUCHE ne renvoie qu’à un seul article du corpus, limitant le potentiel d’analyse. De plus, la grappe de trois syntagmes contenant MILIEU_FORESTIER s’avère peu pertinente, parce que chacun des syntagmes réfère au même programme d’aide inancière, dénommé de façon inconstante dans le corpus, ce qui a pu introduire un biais dans l’extraction des syntagmes.

8. L’indice de similitude qui rejoint ces deux grappes est de 0,587. Initialement, ces deux grappes sont scindées parce que leur lien n’atteint pas le seuil de signiication ixé à 0,6. Bien que ce seuil mette en lumière les relations les plus solides entre les syntagmes dégagés lors de l’analyse, Doise et al. (1992) rappellent que sa ixation doit d’abord et avant tout faire sens théoriquement. Ainsi, après examen, ces deux grappes apparaissent renvoyer à une même représentation sociale de la forêt, dont le noyau serait le travail et les revenus qui en découlent. Cet exemple illustre bien en quoi une lecture rigide des indices de similitude doit être évitée ain de proposer une analyse plus riche du corpus étudié.

9. MINISTRE_CHEVRETTE et ses variantes GUY_CHEVRETTE, MINISTRE_UN_RESSOURCE_NATUREL et RESSOURCE_NATUREL

10. Dans tous les exemples, les passages en gras sont soulignés par l’auteure.

11. Pour alléger la lecture, les références aux extraits d’articles cités en exemple sont numérotés et listés à la in du texte.

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Une forêt-entreprise chancelante

Les RS se distinguent par leur visée pratique et leur apport à la construction de la réalité sociale commune à un ensemble social donné (Jodelet, 1997). Dans celle-ci, la forêt est construite comme une entreprise en dificulté, et le geste à poser est d’investir pour assurer le soutien de sa région. Cette grappe est composée de dix syntagmes, en vert foncé dans la Figure 1, commençant par AMÉNAGEMENT_FORESTIER et se terminant par MISE_EN_

VALEUR. L’indice de similitude à l’intérieur de cette grappe est égal ou supérieur à 0,652.

L’analyse thématique de contenu révèle une RS ancrée dans l’univers de l’entreprise.

Cet ancrage apparaît très proche de celui de la forêt gagne-pain. La nuance est dans le point de vue adopté. La RS de la forêt gagne-pain se cristallise autour du point de vue du travailleur, alors que la forêt entreprise, elle, laisse plutôt place aux normes, aux attentes, aux déinitions et aux descriptions propres à l’employeur.

La forêt, à l’image de l’entreprise physique, est d’abord un lieu réservé aux activités productives. Pour y arriver, l’entreprise doit combler ses besoins de main-d’œuvre ; cette objectiication permet donc de concevoir la forêt dans un contexte où l’offre de travail est essentielle, comme quand on afirme que « Plus de 900 emplois saisonniers dans l’aménagement forestier seront créés dans les régions du Bas-St-Laurent, de la Gaspésie-Les Îles-de-la-Madeleine et de la Côte-Nord » (no 0085).

Selon Moliner (1994), la représentation sociale de l’entreprise va habituellement de pair avec les notions de croissance et de proitabilité. La description qui est faite de la forêt- entreprise s’appuie effectivement sur ces éléments, mettant en valeur le contexte peu favorable à ces deux notions, comme cet extrait l’illustre : « Les dirigeants d’organisme de gestion forestière en commun de la Gaspésie s’unissent pour stopper la décroissance de leurs entreprises »(no 0193).

Une forêt matière première

La représentation sociale se compose d’éléments qui lui confèrent un sens en lien avec les conduites à adopter (Martin Sanchez, s.d.). Cette troisième RS met l’accent sur une conduite particulière, dont découle une conception de la forêt comme de la matière à couper selon des procédures déterminées. Ces règles sont tant à respecter qu’à redéinir. Les données suggèrent que la coupe de la matière ligneuse est centrale et qu’elle est soumise à des mesures législatives et normatives restrictives.

Composée de 16 syntagmes, cette grappe rose dans la Figure 1 commence par COMPAGNIE_FORESTIER et se termine par PÂTE_ET_PAPIER. Le lien le plus faible entre les syntagmes s’élève 0,601. L’analyse thématique de contenu révèle que cette RS s’ancre dans un univers de production, production qui se doit d’être la plus eficiente possible. Ainsi, on veut, par exemple, éviter le gaspillage (no 0186), minimiser les coûts d’exploitation (no0489) et les redevances à l’État (no0418).

Le processus de RS en est un de sélection et d’amnésie ; cette RS n’échappe pas à cette dynamique : la forêt est sélectivement construite comme productrice de bois ou de matière ligneuse, et rien d’autre, comme quand on mentionne que « quatre compagnies forestières bénéicieront du volume annuel de 20 000 mètres cubes de la coupe » (no0489) ou que « [q]uand on parle de ce concept, on pense à l’exploitation de la matière ligneuse » (no0048). Dans cette grappe, jamais on ne mentionne les autres ressources de la forêt, comme la faune, le paysage ou la récréation.

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De plus, cette RS combine, d’une part, une conception de la forêt basée exclusivement sur ses qualités de matière première dans un cycle de production et, d’autre part, la volonté d’offrir à la population la possibilité de se réapproprier sa gestion, comme en fait foi, entre autres, le syntagme RÉGIME_FORESTIER. Cela illustre bien en quoi les RS sont porteuses des attentes et des craintes du groupe : on souhaite une forêt habile à fournir la matière ligneuse requise, tout en redoutant la mainmise exclusive de l’industrie sur le territoire forestier.

Une forêt source de ierté

La forêt est aussi présentée dans Le Soleil comme un objet qui suscite un sentiment d’appartenance. Liée à hauteur de 0,721, cette grappe jaune composée des trois syntagmes inclus entre GROUPEMENT_FORESTIER et SYNDICAT_UN_PRODUCTEUR_DE_BOIS est la seule qui fasse référence à la forêt privée. Cette RS de la forêt comme source de ierté est ancrée dans la communauté, c’est-à-dire qu’elle s’enracine socialement dans un groupe dont les membres partagent une organisation, des caractéristiques et des intérêts communs.

L’analyse thématique de contenu appuie le très fort sentiment de communauté qui se dégage de cette RS. Alors que l’ancrage contribue au positionnement social, l’inscription de la forêt dans un contexte de communauté « permet [donc] de comprendre comment la RS intervient dans les rapports sociaux » (Jodelet, 1991, p. 670). Les partis impliqués sont présentés de façon manichéenne : il y a des bons et des méchants, des gens engagés et d’autres indifférents, comme quand est rapporté que « [l]es coupes ont été faites par des personnes qui ne se posent aucune question sur le potentiel de la forêt. Elles se disent “il y a de l’argent à faire, on coupe” » (no0404).

Les RS orientent les comportements et concourent également à positionner les acteurs (Jodelet, 1997). On le constate de nouveau en observant la virulence avec laquelle sont dénoncées les pratiques qui ne répondent pas aux standards de cette communauté :

« En plus de faire i des règles élémentaires d’exploitation forestière, la coupe abusive […] ne respecte aucunement les règles de mise en marché du Syndicat des producteurs de bois » (no0404).

Une forêt vulnérable qu’il faut défendre

Dans cette RS, la forêt est construite comme espace délimité qui subit les attaques d’un ennemi à abattre : le feu. Elle s’appuie sur la grappe bleue de six syntagmes entre FEU_DE_

FORÊT et INCENDIE_FORESTIER. Ces syntagmes sont tous très fortement reliés, l’indice de similitude le plus faible reliant les éléments de cette grappe s’établissant à 0,812.

De l’analyse thématique du contenu, c’est l’aspect du feu de forêt rendu concret par sa supericie qui est proéminent. Les dommages sont comptés, leur étendue est mesurée. Le syntagme HECTARE_DE_FORÊT apparaît d’ailleurs comme crucial à cette RS, puisque dans chacun des articles analysés, une dimension est évoquée pour illustrer l’ampleur de l’incendie. La forêt est donc vulnérable, et l’intensité des ravages est rendue concrète à l’aide de mesures de sa dimension.

Le feu, l’ennemi à abattre, est appuyé par des alliés sur lesquels l’humain ne peut espérer avoir un contrôle, comme la foudre ou la météo (no 0225 ou no0110). La forêt prend le rôle passif du terrain de bataille. La lutte est envisagée à la manière d’une guerre à mener ou d’une maladie virulente dificile à soigner. On peut ainsi considérer que son ancrage est soit médical, soit militaire. On parle d’éclosion (no0408), de ravage (no 0157) ou de sauvetage (no 0566), par exemple.

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La controverse entourant L’erreur boréale ne semble pas avoir eu raison du consensus autour de cette RS. Cette grappe extraite du dendrogramme de la période pré-L’erreur boréale est quasi identique à la suivante, à un syntagme près (Figure 2, page suivante).

Ainsi, non seulement le ravage causé par les feux de forêt n’est pas un problème diagnostiqué des suites de la diffusion du ilm de Desjardins et Monderie, mais ce problème n’a pas été reconiguré sous l’impulsion de la controverse. On peut donc parler de la représentation sociale d’un objet en phase de stabilité. Cependant, c’est la seule RS qui a été épargnée par la diffusion du documentaire.

Après L’erreur boréale : les aspects bigarrés d’un problème complexe

Au premier coup d’œil, la force des liens relevés entre les très nombreux syntagmes est la transformation la plus saillante du dendrogramme. En effet, en ixant le seuil de signiication à 0,6 comme pour la période précédente, le dendrogramme présente 68 syntagmes répartis en cinq grappes, dont une grappe regroupant à elle seule près du trois quarts des syntagmes.

Cependant, pour l’analyse, il est conseillé de rechercher une coniguration des grappes qui permette une lecture signiicative des données (Malhotra, 2007). Il faut donc pondérer la rigidité des barèmes statistiques avec le caractère informatif de la classiication déinitive (Malhotra, 2007).

Dans cette optique, le rajustement du seuil de signiication à 0,8 apparaît stratégique.

Le dendrogramme ainsi remanié propose plutôt une douzaine de grappes (Figure 2, page suivante), dont six, prises individuellement ou après regroupement, sont considérées comme étant signiicatives, au sens de Malhotra (2007), des suites de l’analyse. Des grappes souffriront de ce changement et ne seront pas traitées dans cette section : par exemple, la grappe concernant les feux de forêt, déjà discutée, perd en cohérence parce qu’elle est maintenant divisée. Cependant, ce choix permet d’équilibrer la taille des grappes articulées autour des syntagmes ERREUR_BORÉAL et RICHARD_DESJARDINS, mettant l’accent sur le cœur de notre questionnement.

Trois éléments suggèrent une métamorphose importante du portrait brossé en cette période post-L’erreur boréale : premièrement, la force des liens entre les syntagmes formant une grappe 12 ; deuxièmement, l’intensité de la communication, évaluée tant en nombre d’articles publiés qu’en proportion d’articles publiés par rapport à la période antérieure à la diffusion du documentaire (Tableau 1) ; troisièmement, l’éclatement et la diversiication du dendrogramme, qui passe de 47 à 61 syntagmes à la suite de la diffusion du documentaire, malgré le resserrement du seuil de signiication.

Cette réorganisation se serait déroulée sur une très courte période 13, alors que, pourtant,

« toute représentation sociale stabilisée est dotée d’une forte inertie » (Moliner, 2001, p. 35). En ce sens, l’évolution vers de nouvelles RS devrait être longue et dificile. Gardant en tête le cadre théorique, trois facteurs nous empêchent de considérer chacune de ces grappes comme autant de RS : d’abord, le caractère dificilement mutable de la RS ; ensuite, l’intensité du mouvement des syntagmes dans le dendrogramme, sur une si courte période ; inalement, la diversité apparente des discours sur la forêt. Ces éléments suggèrent que les grappes dégagées préigurent plutôt les contours, nécessairement lous à ce stade, de représentations sociales en voie de transformation ou d’émergence.

12. Rappelons que l’indice de similitude a dû être rehaussé à 0,8 pour permettre une lecture signiiante des dendrogrammes.

13. La période comprise entre le 1er février 1999 et le 31 décembre 2001 compte 35 mois.

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Ainsi, la controverse entourant la diffusion de L’erreur boréale permet plutôt de formuler un problème en rendant possible l’inventaire de ses différents aspects : économique, législatif, spécialisé, collusoire, émotif et d’image. Chacun de ces aspects puise à même les RS antérieures tout en laissant percevoir l’arrivée éventuelle de façons renouvelées de les aborder.

Figure 2. Dendrogramme de similitude, Le Soleil (Québec), 1er février 1999 au 31 décembre 2001, seuil de signiication ixé à 0,8

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La forêt conçue comme un problème économique

La première grappe, en rose dans la Figure 2, s’articule autour d’aspects économiques. La forêt y est concrétisée comme un volume de bois à couper dans une perspective de croissance et de rentabilité.

Cette grappe, en rose, commence avec COUPE_DE_BOIS et se termine par VOLUME_

DE_BOIS. Le lien minimum entre les syntagmes est de 0,814. On y distingue deux pôles : une pointant directement vers le gouvernement, comme l’illustrent, par exemple, les syntagmes GOUVERNEMENT_DU_QUÉBEC, ou encore MINISTRE_BRASSARD, tout en les associant très fortement au syntagme COUPE_DE_BOIS. Le deuxième regroupement cristallise les problèmes liés à l’allocation du bois comme en témoigne, par exemple, GESTION_FORESTIER ou DROIT_DE_COUPE.

Dans cette grappe, la forêt est décrite comme une ressource abondante qui se mesure, s’évalue, se chiffre ; sa valeur est exprimée en dollars. Les nombres sont impressionnants, donnant à l’enjeu une ampleur conséquente, comme en témoigne cet extrait : « Le bois, il est là en grande quantité. […] [Sauf que] le CAAF d’Uniforêt, qui est de 1,5 million de mètres cubes, est trop élevé pour la capacité de l’usine à Port-Cartier. » (no 1587.)

Que la forêt soit considérée comme étant un volume de bois alimentant l’activité économique est analogue à d’autres RS, par exemple la forêt matière première, entre autres.

Cependant, elle apparaît ici désincarnée, en ce sens que l’accent est mis exclusivement sur la forêt comme élément d’une dynamique économique. Tout l’aspect contributif à l’expérience humaine, comme le revenu qu’elle procure pour vivre ou le déi de la gérer eficacement, est purgé du problème. L’aspect social du problème économique a laissé toute la place à son côté comptable.

Cela dit, les indices ne pointent pas vers une stabilisation de cet objet. Ils suggèrent plutôt sa transformation. D’abord se superposent des discours diversiiés présentant des opinions juxtaposées. Par exemple, tant la possibilité forestière 14 que les droits de coupe 15 sont discutés à la fois en termes de problème et de solution, avec optimisme et pessimisme.

Le discours est optimiste quand, par exemple, le ministre Brassard afirme que « la forêt québécoise est loin d’être aussi détériorée qu’on le prétend » et que « nous n’avons pas à avoir honte de la foresterie québécoise » (no 1735). Les discours véhiculent un pessimisme évident quand, plutôt, on afirme que « la réduction à la baisse de la capacité forestière publique pour cinq ans fait craindre la perte de centaines d’emplois dans la transformation, la récolte, la sylviculture, le transport et le mesurage de bois » (no 1714). Bref, dans cette grappe, pour chaque opinion relevée, un avis contraire peut être observé.

La RS propose une vision fonctionnelle du monde. L’ancrage économique, ici, n’est pas anodin. Quand la forêt est un volume de bois à gérer, la solution aux problèmes que soulève sa gestion est d’ajuster les différents ratios qui inluenceront l’offre et la demande de bois.

En ce sens, l’évaluation de ce que la forêt peut offrir (la possibilité forestière), les volumes récoltés et les droits de coupe qui y sont associés deviennent des facteurs décisifs, excluant du même coup d’autres éléments, comme la création d’aires protégées ou le choix de la méthode d’exploitation.

14. La possibilité forestière représente le volume annuel de bois maximum que l’on peut prélever à perpétuité sur un territoire donné, sans en diminuer les capacités de production (plus de détails à http://www.mffp.gouv.qc.ca/forets/

amenagement/amenagement-planiication-possibilites.jsp).

15. Les droits de coupe sont des redevances perçues par l’État auprès des compagnies forestières en échange du privilège de s’approvisionner en bois dans la forêt publique (plus de détails à https://bmmb.gouv.qc.ca/

publications-et-reglements/tariication-forestiere/).

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La forêt conçue comme un problème législatif

Deux grappes se combinent pour construire l’objet « forêt », encore une fois comme un volume de bois à récolter, mais pour l’ancrer cette fois-ci dans un univers législatif.

La première grappe, en bleu dans la Figure 2, est composée des syntagmes évoquant ASSEMBLÉE_NATIONAL jusqu’à ASSOCIATION_UN_MANUFACTURIER_DE_BOIS_

DE_SCIAGE. La deuxième grappe, elle aussi en bleu, se compose de BAIE_JAMES et ENTREPRISE_FORESTIER. Le lien entre les syntagmes est égal ou supérieur à 0,810.

L’analyse thématique de contenu conirme l’ancrage législatif des éléments de cette grappe. Ici incarné par le syntagme ASSEMBLÉE_NATIONAL, l’ancrage constitue le terreau dans lequel s’enracinent tous les autres éléments, ce qui permet l’intégration cohérente des connaissances. Ainsi, la forêt est conçue selon des lois votées par les parlementaires québécois : on développe et on révise des projets de loi qui la déinisse et la régisse, on souhaite les soumettre à une commission parlementaire (no 0862 et no1740).

Les RS orientent les décisions : elles permettent d’expliquer l’environnement social (Moliner, 2001). L’ancrage législatif, associé au syntagme ASSEMBLÉE_NATIONAL, permet de comprendre les raisons qui poussent les élus à vouloir conserver le processus de mise à jour du régime forestier en commission parlementaire, donc à l’interne, plutôt que de poursuivre ces démarches par une enquête publique. Dans cette grappe, les problèmes relatifs à la forêt sont des dificultés relatives à une législation déiciente ; or les lois, elles, sont votées par les élus. Une tension est palpable : oficiellement, la mise à jour du régime vise une participation accrue d’acteurs variés. Pourtant, la solution favorisée a pour effet d’exclure le public. Cette conception est contestée, en témoignent les opinions contraires à propos de cette option.

Donc, cette grappe permet de concevoir la forêt comme du bois à récolter, mais, contrairement aux grappes associées à l’univers économique, les solutions proposées pour rajuster la situation diffèrent : plutôt que de mieux contrôler les mécanismes de l’offre et la demande, ce sont des modiications législatives qui sont proposées, mettant en lumière le rôle de l’ancrage dans la conception de solutions aux problèmes relevés.

La forêt conçue comme un problème spécialisé

La forêt peut également être conçue comme un problème spécialisé, qui doit être résolu par des experts. Cette grappe s’articule autour des syntagmes MILIEU_FORESTIER, MISE_

EN_VALEUR et RESSOURCE_FORESTIER, en brun dans la Figure 2, dont l’indice de similitude s’élève à 0,807.

Le syntagme MILIEU_FORESTIER pointe tant vers l’environnement physique que vers l’ensemble des personnes qui relèvent du domaine. Les deux se superposent, comme dans les deux exemples suivants : « Assurer la protection de l’ensemble des ressources du milieu forestier et la compatibilité des activités qui s’exercent sur le territoire » (no 0822) ;

« Le ilm L’erreur boréale a été reçu comme une véritable gile dans certains milieux forestiers » (no 0817).

Que le milieu forestier (physique) se superpose au milieu forestier (humain) est évocateur. L’emprise, effective ou souhaitée, du milieu forestier (humain) sur le milieu forestier (physique) prend ainsi forme. À la manière d’une métaphore d’orientation 16

16. La métaphore d’orientation confère une orientation spatiale à un système entier de concepts et les organise les uns par rapport aux autres (Lakoff et Johnson, 1985). Par exemple, si on lit qu’une politique « s’inspire des grands principes d’intervention reconnus », le principe n’est pas littéralement plus grand que ses semblables. Le producteur du discours lui confère sa légitimité en fonction d’une hypothétique hauteur physique.

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(Lakoff et Johnson, 1985), l’emploi de l’expression « milieu forestier » par le milieu forestier (humain) positionne l’un et l’autre des « milieux » au cœur de l’univers forestier, au milieu d’une coniguration dont elles sont le centre de gravité. Une double concentration se présente dans cette grappe : c’est elle qui contient le plus de textes rédigés par des acteurs du milieu forestier, et aussi le plus grand nombre de textes d’opinion. Ce constat suggère une communication qui s’approche du mode « propagation » avancé par Moscovici (1976).

Le discours de ce type permet d’abord de renforcer l’identité et la cohésion d’un groupe idéologique en « proposant une évaluation de l’objet adressée à des catégories de public forcément sensible à l’argumentaire utilisé » (Roussiau et Bonardi, 2001, p. 183), comme en témoigne cet extrait : « Des progrès énormes ont été réalisés au cours des dernières années dans la gestion des ressources forestières au Québec et ces progrès, dont bénéicie l’ensemble des Québécois, ont été rendus possibles grâce au travail et à la concertation des autorités gouvernementales et des professionnels de la forêt » (no 0862).

En présentant l’environnement social sous une forme qui légitime et encourage l’action du groupe, ce mode de communication permet de « [mettre] de l’avant [un objet] dans un cadre référentiel qui existe déjà » (Roussiau et Bonardi, 2001, p. 183). Comme l’objet est coniné à son cadre d’origine, le processus menant à la représentation dudit objet ne peut pas se déclencher. En effet, les thèmes relevés dans cette grappe suggèrent que la forêt peut être envisagée comme un problème spécialisé, certes, mais ils ne permettent pas de tracer ce qui constituerait les contours de l’émergence ou de la transformation d’une RS. L’absence d’ancrage vient appuyer cette constatation. L’ancrage contribue à faciliter l’intégration d’un nouvel objet en le raccrochant à des éléments connus. Ainsi, « les connaissances maîtrisées d’un domaine vont guider le travail cognitif dans l’autre » (Moliner, 2001, p. 21). Ici, le discours spécialisé n’est pas intégré dans une autre catégorie de savoir, il se sufit en lui- même. Cependant, il permet tout de même le positionnement social des professionnels de la forêt.

La forêt conçue comme un problème d’image

Cette grappe, en vert dans la Figure 2, mène au cœur des enjeux soulevés par le documentaire, ce que suggère la présence des syntagmes RICHARD_DESJARDINS et ERREUR_

BORÉAL. La grappe se divise en deux pôles. D’un côté, on retrouve en quelque sorte le résumé de la thèse du ilm, avec les syntagmes COMPAGNIE_FORESTIER, COUPE_À_

BLANC, ERREUR_BORÉAL, RICHARD_DESJARDINS et FORÊT_BORÉALE. De l’autre côté, on retrouve les cibles du ilm : PRATIQUE_FORESTIER, INDUSTRIE_FORESTIER, RÉGIME_FORESTIER, FORÊT_QUÉBÉCOIS et INGÉNIEUR_FORESTIER. Le lien de similitude entre ces éléments est de 0,821 ou plus.

Cependant, l’analyse de contenu thématique ne soulève pas d’enjeux liés à l’exploitation de la forêt boréale en soi, mais plutôt les problèmes d’image de cette industrie, comme l’illustre cet extrait : « L’image que laisse le ilm, c’est la dévastation […] Mais dans l’industrie, on sait bien qu’un ilm comme L’erreur boréale, fait par une personne connue et crédible, peut faire énormément de tort à son image. On va encore passer pour des sauvages, a regretté M. Gauvin » (no 0838).

Confrontés à d’éventuelles répercussions négatives, les industriels expriment les solutions qu’ils préconisent : faire preuve de plus de transparence, informer correctement la population et, par la bande, s’assurer qu’elle comprenne le bien-fondé de leurs activités en forêt : « les industriels de la forêt veulent à tout prix éviter d’être entraînés dans ce genre de controverse. Ils veulent dorénavant prendre les devants et montrer patte blanche » (no 1553) ; « C’est pourquoi l’industrie propose une politique de « livre

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ouvert » à l’égard de ses pratiques en forêt. En effet, la population s’intéresse de plus en plus à ce qui se passe en forêt et c’est son droit le plus fondamental que d’obtenir des réponses satisfaisantes » (no1564).

Les RS jouent un rôle prédominant dans l’institution d’une réalité consensuelle (Moliner, 2001) et, en ce sens, cette grappe incarne comment un groupe intègre la nouveauté – la controverse suscitée – à son univers sémantique et agit en conséquence, ici en planiiant et en réalisant des interventions publiques visant à réduire le déicit de connaissances présumé et à inluencer l’opinion publique en leur faveur. Les industriels semblent avoir saisi « qu’on doit affronter le tribunal de l’opinion publique, qu’on ne peut pas rester passif » (Dagenais, 1999, p. 28), mais ne remettent toutefois pas en question leurs pratiques.

La forêt conçue comme un problème de collusion

L’objectivation est l’opération qui permet de rendre concret et matériel ce qui est abstrait et impalpable. À sa suite, « les connaissances relatives à l’objet de représentation […]

apparaissent comme des éléments tangibles de la réalité » (Moliner, 2001, p. 21). Dans ce cas- ci, non seulement l’abstrait devient-il concret, mais l’invisible est rendu visible. Le problème soulevé par cette grappe est la promiscuité entre l’industrie forestière et le gouvernement.

Cette grappe est composée de trois syntagmes : AIRE_PROTÉGER, COALITION_ SUR_

LE_FORÊT_VIERGE_NORDIQUE et PIERRE_DUBOIS 17, syntagmes liés à une hauteur de 0,843.

La RS exprime entre autres les souhaits et les craintes d’un groupe donné, ce qu’on peut constater dans cette grappe, où la crainte d’une présumée relation très intime entre l’industrie forestière et le gouvernement québécois soulève d’importantes inquiétudes :

« Pour Pierre Dubois, porte-parole de la Coalition regroupant une douzaine d’organismes, le ministre des Ressources naturelles, Jacques Brassard, est trop collé au lobby de l’industrie forestière pour écouter d’autres points de vue » (no 0961).

La proximité dénoncée placerait les partis en présence en situation de collusion. Les liens de connivence doivent être dévoilés ain de mettre toute la population dans le coup :

« La Coalition sur les forêts vierges nordiques accuse Québec de la tenir à l’écart d’une visite que des parlementaires européens ont entreprise pour connaître l’état de nos forêts.

“On veut déguiser la vérité, encore une fois, a dit le coordonnateur. Pire, on évite de donner la juste information” » (no 1201).

Trois solutions sont proposées pour remédier à la situation : conier exclusivement à l’État la gestion des forêts (no0858), tenir une enquête publique (no 0858) et exclure certaines portions du territoire de la mainmise de l’industrie par la création d’aires protégées (no 0961, no 1050).

La forêt conçue comme un problème émotif

L’objectivation permet de passer d’un savoir spécialisé à un savoir basé sur l’expérience concrète (Jodelet, 1991). Dans cette grappe mauve, l’expérience tangible de la forêt passe par le visionnement du ilm L’erreur boréale. Cette grappe composée des syntagmes FILM_

DE_DESJARDINS et ROBERT_MONDERIE matérialise cette expérience, en témoigne

17. Pierre Dubois est un ingénieur forestier bien connu pour ses positions tranchées relatives à la gestion forestière au Québec. En plus d’avoir collaboré à la recherche lors de l’élaboration de L’erreur boréale, il est l’auteur de l’essai Les vrais maîtres de la forêt québécoise (Dubois, 2002), réédité dans la foulée des débats entourant la sortie du documentaire. Il a été porte-parole de la Coalition sur les forêts vierges nordiques, organisation pour laquelle il a également agi à titre de coordonnateur.

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les réactions intenses qui marquent les discours. La forêt est ainsi construite comme un problème qui soulève les passions.

Les RS se construisent en intégrant, entre autres, les opinions, les attitudes et les valeurs déjà en circulation dans un groupe. Impossibles à observer directement, ces éléments peuvent être déduits (Cerclé et Somat, 2002) par la présence de termes subjectifs (Kerbrat- Orecchioni, 2006), tant affectifs qu’évaluatifs, observés dans les discours. Dans cette grappe, ces termes frappent par leur abondance. Le choix de verbes, de substantifs, d’adjectifs et d’adverbes connotés en dit long sur l’opinion exprimée dans les pages du Soleil. La forêt ne fait pas que disparaître, elle se meurt (no0849) ; on n’y coupe pas d’arbre, on procède à un pillage (no0849) ; l’exploitation est outrancière et outrageante (no 0848). La force des points de vue véhiculés est sans équivoque.

Non seulement les opinions apparaissent tranchées, on observe cette même tendance à l’intensité en ce qui a trait aux émotions et aux sentiments en lien avec la forêt, comme lorsqu’on mentionne : « J’ai d’abord été bouleversée par la férocité inouïe avec laquelle on dévaste, depuis longtemps d’ailleurs, la forêt québécoise » (no 0839), ou encore

« Aimez-vous les arbres ? […] Si vous les aimez, les arbres, et que vous pleurez comme le chien d’Obélix lorsque vous en voyez un se faire déraciner, vous risquez d’avoir le choc de votre vie avec le documentaire L’erreur boréale » (no0848).

Dans ce cas, la communication collective concernant l’objet forêt, bien qu’elle participe évidemment à la construction de la pensée sociale, ne semble pas avoir déclenché le processus de représentation sociale. Il ne faut pas perdre de vue que toute RS est

le produit d’un processus d’objectivation selon lequel les informations disponibles à propos de l’objet de représentation considéré sont sélectionnées, décontextualisées puis intégrées en un schéma iguratif qui fournit le cadre de référence commun nécessaire à l’appréhension de cet objet, et par conséquent, aux communications s’y rapportant » (Mugny et al., 2001, p. 128).

Dans cette grappe, ni le processus d’objectivation ni le processus d’ancrage n’ont pu être observés à la suite de l’analyse.

Discussion

L’analyse des débats publics entourant la première diffusion de L’erreur boréale a permis d’explorer l’évolution des représentations sociales de la forêt dans le quotidien Le Soleil.

Nous avons pu constater que la controverse suscitée par le documentaire militant a permis de rendre saillants de nouveaux enjeux forestiers, comme les problèmes d’image de l’industrie ou les émotions que suscitent les forêts auprès des Québécois, mais aussi d’ajouter des nuances aux enjeux qui prévalaient déjà, entre autres la conception d’une forêt comme l’élément d’une dynamique économique. Nous défendons que chacune des grappes qui composent les dendrogrammes rende tangibles autant d’éléments problématiques liés aux enjeux forestiers, autant de zones d’ignorance sur lesquelles concentrer son attention.

Avant d’aller plus loin, certaines limites relatives au choix du corpus doivent toutefois être posées. Rappelons-le, le choix de s’attarder aux articles publiés dans le quotidien Le Soleil s’est imposé comme cas suggestif en raison des caractéristiques distinctives que possède cette région dans le panorama forestier québécois. Or qui dit acteurs spécialisés dit également emploi d’un discours spécialisé, d’un jargon technique propre à ce milieu.

Dans la période suivant la diffusion de L’erreur boréale, la présence d’un discours spécialisé a ceci de problématique qu’il entrave le processus de représentation sociale, parce qu’il empêche la iguration. Ce vocabulaire ne permet pas de « construire un modèle mental de l’état des choses décrit dans le texte », c’est-à-dire de le « voir dans sa tête » (Labasse, 2004,

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