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GERMAINE RAMOS LA COMTESSE. Du BARRY COLLECTION " LA VIE AMOUREUSE " 142, Rue Montmartre PARIS - 2Q

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GERMAINE RAMOS

LA COMTESSE

Du BARRY

COLLECTION ,

" LA VIE AMOUREUSE "

142, Rue Montmartre

PARIS - 2Q

(3)

PRINTEMPS...

A

SNE RANÇON regardait avec admiration, et presque avec stupeur, la radieuse enfant de quinze ans qui se tenait debout devant elle, toute souriante.

— Seigneur! dit-elle, en essuyant machinalement ses mains à son grand tablier, je me demande ce que je vais faire de toi!... Jeanne Bécu arrivait de l'austère couvent de Sainte-Aure, rue Neuve- Sainte-Geneviève, ses « études » finies, ramenée par une petite sœur ronde- lette et rougissante qui s'était éclipsée au plus vite après avoir dit à la mère : — Notre Jeanne est une très bonne enfant, aimable et docile, et nous l'aimions beaucoup. Ne nous oubliez pas, Jeanne, et venez nous voir souvent. — Oh! oui, sœur Clotilde!...

Et la jeune fille, tout de suite émue, ses grands yeux clairs pleins de larmes, se jetait dans les bras de la petite sœur qui, ayant murmuré « Que Dieu vous accompagne... > et tracé sur le joli front un rapide signe de croix s'était retirée rapide et silencieuse comme une souris. Anne Rançon restait debout, ne pouvant détacher ses yeux de cette merveille qui était sa fille! Tout en elle était rare et exquis : la taille souple et élancée, le pied petit, nerveux, cambré, la main adorable de finesse. Et le visage pur éblouissait : c'était un ovale délicat, encore enfantin, la suavité d'un teint de fleur, un petit nez frémissant, une bouche finement ciselée, dont le sourire puéril aurait damné un saint. C'était la chevelure de fée aux boucles légères, couleur de miel doré, et surtout, sous les fins sourcils, entre les longs cils recourbés et noirs, par un ravissant contraste, le regard bleu, mutin, inconsciemment coquet, troublant de jeunesse, d'innocence, — et déjà voluptueux... — Asseyons-nous, dit la mère, tâchant de se ressaisir, et causons, ma fille. Tu sais que nous ne sommes point riches : mon mari n'est que commis dans les bureaux des Fermes du roi, il ne gagne pas gros!... Et je ne peux pas lui demander de nourrir une grande fille qui n est pas la sienne...

Il faut que tu gagnes ta vie.

— Mais je veux bien, moi, s'écria la jeune fille, pleine d'entrain. Oh!

maman, je suis si joyeuse d'être libre!... Je n'étais pas malheureuse au couvent, mais c'est monotone tout de même!

— Et que sais-tu faire? — Oh! je sais bien des choses... d'abord, en instruction religieuse, j'étais souvent première...

Anne Rançon eut un petit sourire. Elle revoyait soudain le vrai père de Jeanne, frère l'Ange, du tiers ordre de Saint-François, et si bel homme, si persuasif... Ah l lointain péché de jeunesse, si souvent évoqué, sans assez de remords...

— Et j'écris presque sans faute, poursuivit la petite, ce n'est pas si courant, dit-on. Je dessine, — les soeurs affirmaient que je suis très douée!...

Je chante un peu, je joue même, — oh! très peu, - du clavecin... J'aime tant la musique...

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— Mais tout ça, ma fille, c'est bon pour les grandes damesl

— Mais je couds aussi, je brode...

- Ça, c'est plus utile. Je verrai ce que tu sais faire : la couture, c'est mon premier métier. Va ranger ton linge dans l'armoire de ta chambre; elle n'est point grande, mais nous ne sommes pas au large... On causera ce soir avec Nicolas. Jeanne s'éloigna en chantonnant. Elle était gaie comme un oiseau, ravie # - . de vivre, tout lui était plaisir et amusement. Elle se regarda au premier miroir rencontré, se sourit. Quelle joie d'être délivrée de l'habit de pensionnaire, de la rigide robe de serge blanche, des gros souliers de cuir jaune qui lui meurtrissaient les pieds!

Mais ce qui lui avait le plus coûté, c'était de porter la triste coiffure mona- cale : une bande de toile cachait les cheveux, et deux voiles d'étamine noire couvraient la tête... C'était un couvent pour filles pauvres : on préten- dait les préparer à une vie difficile et sans éclat... Jeanne fit bouffer ses cheveux d'or. Enfin elle allait vivre, vivre!... Elle ne savait pas exactement ce que signifiait ce mot, mais elle était certaine que le bonheur l'attendait pour la prendre par la main.

Son petit trousseau était plus que modeste. Elle fit la moue en rangeant les chemises de grosse toile, soupira... Aurait-elle jamais du linge de fine batiste, des dentelles, des robes de satin comme celle de Mlle Francesca?...

Elle n'avait jamais oublié la belle fille élégante chez qui sa mère, pas encore mariée, avait été fille de chambre.

La petite Jeanne, alors tout enfant (si jolie qu'elle aussi on l'appelait l'Ange) avait vécu là quelques années, à l'office, ou dans les jupes de cette Francesca. C'était une superbe rousse au teint éclatant, entretenue par plu- sieurs protecteurs, et « renommée, disaient les rapports de police, pour son libertinage au déduit ». C'est dire qu'elle était fort recherchée. par les portes entrebâillées, et les scènes entrevues, les phrases surprises, n'avaient rien d'édifiant! La petite fille trottait à travers l'appartement, glissait sa blonde tête Elle ne quittait pas Francesca quand elle était à sa coiffure, et dans cette atmosphère de luxe et de désordre, respirait, avec une volupté incons- ciente, l'odeur des parfums, de la poudre; elle s'ébahissait des dessous vaporeux et soyeux de la belle courtisane, caressait de ses petits doigts les étoffes précieuses. Elle prenait là, pour toute sa vie, le goût du luxe; parfois on l'avait surprise devant les glaces, se souriant, se faisant des mines, des révérences...

Francesca en riait aux éclats, et adorait la petite, coquette et câline, et s'amusait à la parer. Tout le monde gâtait cette enfant irrésistible par sa gentillesse: le protecteur en titre de Francesca, M. de Monceaux, richissime munitionnaire aux armées, en raffolait et la comblait.

Mais le temps étant venu pour elle d'aller en pension; elle avait alors huit ans. On l'avait mise au couvent de Sainte-Aure.

Elle s'y était accoutumée après quelques jours de larmes. Son heureux caractère s'accommodait de tout. Certes, maintenant, auprès de sa mère et de son beau-père, la vie ne s'annonçait pas bien folâtre. Mais quoi, elle avait quinze ans; tous les miracles étaient permis!

Quand Nicolas Rançon rentra, à l'heure du dîner, il s'arrêta, bouche bée, devant cette radieuse belle-fille dont la blondeur lumineuse éclairait le logis modeste, et qui, dans sa petite robe de linon, premier cadeau de sa mère, avait l'air d'une princesse.

Nicolas était un homme grand, pâle et maigre. Ayant été longtemps domestique, il avait gardé l'air gourmé et glacé des valets bien stylés. Devenu commis, il n'avait pas appris à sourire. Parfois violent, malgré son air compassé, il avait alors la main leste — Anne en savait quelque chose. Mais ce n'était point un méchant homme, et il avait accepté sans protester d'accueillir la fille de sa femme.

— Naturellement, elle travaillera, avait annoncé Anne.

— Cela va sans dire, avait-il répondu.

Mais ce soir, devant cet adorable visage, devant tant de grâce et de charme, il était touché, comme tout homme, même le plus fruste, devant la beauté.

Quand sa femme, redoutant de sa part une rétlexion maussade,

s'empressa d'affirmer : -

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« Dès demain, je chercherai du travail à Jeanne!... », il répondit :

— Ce n'est pas si pressé : on peut bien la nourrir quelques jours. Elle sort du couvent, laisse-la un peu respirer... Jeanne lui adressa un éblouissant sourire.

— Merci, mon père, dit-elle, vous êtes très bon. Mais vous savez, je suis pleine de courage!

Il ne répondit point. Il parlait fort peu.

Mais le soir, quand il fut étendu auprès d'Anne, avant de souffler la chandelle, il déclara :

— Tu feras bien de veiller sur la petite, ma femme; elle est bien trop jolie pour une fille sans un écu! — J'y veillerai, bien sûr, dit-elle en finissant d'attacher son bonnet de nuit; mais je compte surtout sur les bons principes du couvent. Elle a l'air douce, soumise et sage...

La chandelle était soufflée. Dans l'ombre, Anne Rançon, les yeux grands ouverts, revivait sa propre jeunesse, à Vaucouleurs, où elle était née. Elle était couturière de son métier, travaillait à la journée, et elle était aussi bien jolie fille. Les garçons le lui disaient assez, et sa taille souple, son buste rond, tentaient leurs mains...

Elle avait eu des aventures cachées; que de jolies promenades, avec des galants, dans la campagne! Elle les recomptait dans sa tête : « Le Jean... le Louis... le François... » Elle continuait la liste, sans être trop sûre de l'ordre chronologique. Elle avait connu l'amour, bien sûr — c'était la gaîté, la fête de sa pauvre vie, après tout!

Et puis, quand elle avait trente ans, était arrivé frère l'Ange, de son nom Jean-Baptiste Gomard de Vaubernier. Ah! qu'il était donc éloquent, — et pas seulement au prêche! Et cette fois elle avait eu un enfant, quinze ans plus tôt — la petite Jeanne... De la honte, bien sûr, elle en avait eu son saoul alors! Les femmes mariées la tenaient à distance, le curé lui faisait la morale, la menaçait du diable, si elle ne devenait pas sérieuse...

Mais comment demeurer sage, quand Il y avait de si beaux hommes, officiers, fournisseurs aux armées, commis du roi, qui traversaient sans cesse la petite ville frontière et savaient si bien parler aux femmes, et rendre une prière irrésistible!

Anne était sans coquetterie, et elle ne savait pas dire non! Et un second enfant était né, le petit Claude, mort maintenant, pauvre chérubin! Qui était son père? Elle se le demandait encore. Il y avait un tel va-et-vient dans Vaucouleurs...

Avoir un enfant c'était, pour les dévotes de la ville, une coupable fai- blesse : un second, du pur dévergondage! Tout le monde lui avait tourné le dos, et ses clientes l'abandonnèrent. Alors, portant dans un vaste mouchoir attaché aux quatre coins ses quelques hardes, Anne était arrivée à Paris avec ses deux bambins accrochés à sa robe. Sa sœur, femme de chambre chez M. Bignon — académicien et bibliothécaire du roi — l'avait recueillie. Et la petite Jeanne vécut là quelques mois à l'office, gâtée par les domestiques.

De là, on était allé chez Mlle Francesca, si généreuse, si facile, et si gaie!... Anne n'avait quitté son service que pour épouser Nicolas Rançon, devenu commis par protection. Et c'était surtout J.-B. Gomard de Vaubernier (qui, entre temps, s'était fait séculariser) qui avait conseillé ce mariage : il n'avait jamais tout à fait perdu de vue son ancienne amie et sa fille.

< Après tout, résuma Anne, qui était humble de cœur, je n'ai pas trop mal réussi! Même si j'y vois été une fille sage, je n'aurais guère trouvé mieux, étant si pauvre, que Picotas Rançon!... Alors, la petite fera comme moi... ... Dans son lit étroit, entouré de lourds rideaux protecteurs, Jeanne dormait depuis une heure, d'un sommeil d'enfant. Dans son rêve, elle se voyait, en grande robe do satin blanc à paniers, entrer dans un salon resplen- dissant... Et un beau jeune homme, superbement vêtu et l'épée au côté, venait à sa rencontre...

Jeanne Bécu. comme toutes les filles de son âge, rêvait au prince charmant...

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PREMIER AMOUR

J

EANNE éprouva un plaisir tout neuf à retrouver Paris : car elle avait, durant toutes ses années de pensionnat, mené une vie de petite nonne. Et Dieu sait si elle était avide de saité et de ioie ! Sans malice, d'ailleurs, mais disposée à jouir de tout, en toute candeur. Elle admirait les étalages des magasins, autour de la rue Saint-Etienne, où habitaient ses parents. Tout était si joli, si tentant, la lingerie, les coli- fichets, les gants, les souliers à hauts talons, les bijoux.- Oh! les bijoux, comme elle en raffolait...

Sa mère, toujours adroite, lui avait fait une nouvelle robe en basin, au corsage bien ajusté sur la charmante poitrine, et qui découvrait la gorge voilée d'un fichu de mousseline. Ses bras ronds et blancs sortaient des manches courtes... Mais elle aurait voulu des paniers, des manchettes ^ en dentelle, des bas blancs brodés, des perles... Et le gentil bonnet blanc qui la rendait si mignonne lui semblait bien trop modeste!

Elle trottait par les rues, son petit nez en l'air, souriante et provocante.

Tous les hommes se retournaient, et elle était fière de son succès.

Elle offrait toujours de faire les courses pour être dans les rues. Que de bruit, que de gens, quelle perpétuelle gaîté après le silence du couvent! Sur les quais, les marches, aux halles, c'était le tumulte d'une grande ville où les fiacres, les carrosses, roulaient avec fracas, au milieu des cris des cochers et des valets accrochés aux portières. A tous les coins de rue on trouvait un chanteur ambulant, un joueur d'orgue de barbarie, les badauds s'attroupaient, et Jeanne s'arrêtait, ravie...

Et par-dessus tout ce tapage, sonnaient les carillons de toutes les églises qui appelaient les fidèles, célébraient un saint, et les cloches des innom- brables couvents avertissant des offices, ou des repas...

Qu'il faisait bon être dans ce bruit, dans ce désordre joyeux; des gens de toutes classes la coudoyaient, des gens de robe et d'église, en petit collet, des gens de qualité aussi, en habits élégants et l'épée au côté. Et tous les regards, tous les sourires, lui disaient : « Que vous êtes jolie! > Certains proposaient de le lui dire de plus près. Elle riait, haussait les épaules et s'éloignait, rose et moqueuse. — Maman, Implora-t-elle un jour, ne pourrais-je me faire coiffer? Au moins une fois! Je ne sais comment arranger mes cheveux... — Mais relevés sous ta coiffe, comme tout le monde, ma fille! — Oh! maman, la modiste d'à côté — Mme Lametz, tu sais — elle a un fils qui est coiffeur : il paraît qu'il coiffe les dames de la cour!... Il ne me prendra pas cher du tout...

Elle savait même, la futée, qu'il ne lui prendrait rien — du moins pas d'argent! Car, depuis des semaines, elle le rencontrait sans cesse, et le gentil garçon ne cherchait point à lui cacher son admiration. Il n'était pas très hardi, mais il avait osé quand même lui dire qu'elle était la plus jolie du monde, et qu'il ne rêvait que d'elle. Elle riait des compliments, n'avait aucune peur des hommes. Elle avait déjà oublié toutes les recommandations des bonnes religieuses, répétant à leurs élèves de ne jamais rester seules avec les garçons, et de les tenir toujours à distance respectueuse!

La vieille supérieure, qui s'appuyait sur une canne, prenait toujours celle-ci pour achever sa démonstration.

— Ne laissez jamais un homme s'approcher de vous en deçà de la longueur de ma canne! disait-elle.

Les jeunes filles, plus ou moins averties, se glissaient des regards sour- nois, et serraient les lèvres pour ne pas rire.

Jeanne ne voyait pas du tout ce que les hommes avaient de si dangereux!

Tous étaient si aimables, si galants avec elle! Ils ne cherchaient qu'à lui plaire... A quoi bon faire la prude et la farouche?

Le fils Lametz pénétra donc dans le logis de Jeanne, le coeur battant, les mains tremblantes d'émotion. Le jeune loup était dans la bergerie. Il y revint plusieurs fois par semaine, essayant toutes les nouvelles

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coiffures sur Jeanne, dont les cheveux avaient, disait-il, une souplesse mer- veilleuse! Il accourait dès qu'il n'avait plus de cliente à parer. Anne Rançon, malgré son expérience, était incapable de garder sa fille, qui pour elle était encore une enfant. Elle oubliait qu'elle-même, à cet âge, avait cessé de l'être I Elle profitait donc de la présence du fils Rametz pour aller papoter avec ses voisines. Son mari, quasi muet, détestait les bavardages. Mais elle, justement, avait besoin de parler. Elle n'était point méchante, mais maintenant que l'âge venait et qu'elle était une petite bourgeoise, il lui plaisait assez de criti- quer les épouses de conduite douteuse... C'etait bien son tour:

Seule avec l'aimable coiffeur, Jeanne fut sans défense. Elle n'avait guère envie de se défendre, d'ailleurs, et, voluptueuse et douce, était tout le contraire d'un dragon de vertu. Peu à peu les baisers légers devinrent plus tendres, les étreintes plus amoureuses, plus éperdues. Le garçon perdait la tête, était fou d'amour.

— Non, ne m'embrassez plus, c'est mal, disait parfois la petite, écartant du sien le visage passionné du jeune homme. Je ne dois pas, c'est un péché!

Elle le disait, mais n'y croyait guère! En quoi des baisers, si doux à recevoir et à donner, pouvaient-ils offenser le bon Dieu? Ah! les bonnes sœurs ne savaient pas de quoi elles parlaient... Et elle se laissait aller contre le jeune cœur ardent qu'elle sentait, à grands coups, battre contre le sien.

Comme ce vertige était enivrant!... Il était jeune, délicat, tendre; il suppliait, il embrassait à ravir... si bien qu'un jour elle fut à lui!

Ensuite, épouvantée de ce qu'elle avait laissé faire, elle pleura un peu.

Alors il protesta de son amour sincère :

— Ne crains rien, promit-il, tu es ma femme, et tu le seras bientôt devant tous!

Elle le crut. De fait, il parlait selon son coeur; tellement que huit jours plus tard, il avoua son amour à sa mère, et ses projets matrimoniaux. Mme Lametz était fort habile modiste, mais c'était une matrone vive, prompte à la colère, et forte en gueule. Le sang ne lui fit qu'un tour. — Epouser la fille Rançon! cria-t-elle, es-tu fou?

— Elle est si jolie, mère... et je l'adore!

— Grand benêt! Il y en a plein Paris, des jolies filles comme elle! Elle n'a pas le sou, et ça sort on ne sait d'où. Rançon n'est pas même son père!

C'est pour en arriver là que tu auras travaillé des années pour devenir maître coiffeur, et que j'aurai économisé toute ma vie pour te laisser du bien?... Ahl elles t'ont mis le grappin dessus, ces deux malignes!... Tu as couché avec la fille, pour sûr. Ne dis pas non en rougissant jusqu'aux oreilles!

Je le sais! Tu ne comprends pas que c'est la Rançon qui a manigancé tout ça?

Elle n'est pas folle. Mais elle va avoir affaire à moi! Comme elle courait vers la porte, son fils tenta de l'arrêter, éperdu :

— Maman, je vous en prie, je l'aime!

Elle haussa furieusement les épaules.

— Tu n'es qu'un pauvre sot! Je te défends de me suivre. Je vais leur dire leurs vérités, à ces intrigantes! Et, laissant le garçon effondré, sa forte poitrine soulevée par l'indigna- tion, Mme Lametz s'en fut au logis des Rançon. Et, pour que nul n'en ignore, elle apostropha Anne dès le seuil :

— Ah! c'est vous qui débauchez les jeunes gens? C'est vous qui les mettez dans le lit de votre fille?

— Qu'est-ce qui vous prend? riposta l'autre, tout de suite au fait et au diapason, vous êtes bien placée pour parler de la vertu des autres! Tout le monde sait que, pour de l'argent... — En tout cas, de l'argent, j'en ai, coupa la Lametz, et vous point. Vous avez cru que mon fils allait épouser votre drôlesse qui n'a pas même de père? La « drôlesse > était debout au fond de la pièce, toute pâle, collée au mur, stupéfaite et humiliée. Personne, jusqu'ici, ne lui avait fait de mal.

Elle recevait les coups en plein cœur. La virago l'aperçut, l'apostropha : — Ah! mais la belle est ici! Voyez le beau museau pour être la femme d'un maître coiffeur! Ça n'a ni sou ni nom!... Et ça guette les garçons pour se faire épouser... Car mon fils n'est sûrement pas le premier! — Oh! protesta Jeanne.

Et c'était à la fois une plainte et un reproche.

— Vous n'êtes qu'une chipie et une avare, clama Anne Rançon.

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JEANNE TROTTAIT PAR LES RUES, SON PETIT NEZ EN L'AIR, SOURIANTE ET PROVOCANTE...

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— Et vous une maquerelle! Je sais que c'est vous qui avez conseillé la petite, et monté ce beau coup! Mais faites bien attention: si ça ne cesse pas, je fais arrêter votre fille, et on l'enfermera avec les femmes de la rue. Parce que, des filles comme elle, c'est un danger pour les honnêtes familles! D'affreuses injures furent encore échangées, et la Rametz se retira enfin, soulagée, ayant tranché dans le vif. Des commères s'étaient attroupées devant la porte, tout heureuses d'être aux premières loges, dégustant la scène avec délectation.

Jeanne pleurait. Son premier amour s'achevait de façon lamentable. Elle découvrait en même temps la dureté implacable des inégalités sociales, et qu'elle n'était pas, malgré sa beauté, de celles qu'on épouse! La vie normale de toutes les femmes n'était pas pour elle, bâtarde et pauvre...

Sa mère demanda aussitôt conseil à ceux qui l'avaient toujours aidée, à M. Dumonceau, à M. Bignon, au père de Jeanne. On fut d'accord qu'il fallait au plus tôt l'éloigner du malencontreux coiffeur, qui ne donnait plus signe de vie, et filait en rasant les murs! Sa mère le terrifiait. Et tout de suite on trouva pour la jeune fille une place de dame de compagnie, au château de La Courneuve, auprès de Mme de La Garde.

PREMIERS FAUX PAS

M baleines, avait encore la prétention de plaire et de recevoir des hommages. Si l'on ne riait pas devant elle de ses minauderies et de ses coquetteries ridicules, c'est que cette veuve de fermier général était très riche. qui empruntaient à ceux-ci, des écrivains et des beaux esprits. Car la dame se piquait de philosophie à ses heures. fille si son aïeul avait fait les croisades avant de la fêter! La jeune fille . outrancièrement au rouge vif, serrée à l'extrême dans son corset à Alors tout cédait devant la beauté, et on ne demandait point à une belle ME DE LA GARDE, haute, chevaline et desséchée, mais toujours élégante Elle recevait beaucoup, des gens du monde, des financiers, des nobles Dans ce milieu raffiné, Jeanne fut parfaitement accueillie. et habillée magnifiquement de robes de satin trop claires, fardée

retrouva, avec délices, cette atmosphère de luxe, de bon ton, qu'elle avait connue autrefois, étant toute jeune, chez les maîtres de sa mère. Inconsciem- ment elle en gardait la nostalgie. Là, elle apprit à se tenir, à écouter, à répondre avec grâce, sinon avec esprit. Elle n'en eut jamais beaucoup, mais elle était spontanée et espiègle : c'etait cette fraîcheur qui pouvait le mieux séduire ces hommes et ces femmes blasés par trop de plaisirs, et trop de luxe. On ne lui demandait que d'être elle-même, d'aller et venir avec naturel : sa voix était musicale, son rire harmonieux. Et elle savait user de ses yeux, clairs et transparents, plus éloquents que sa bouche, pour faire rougir ou pâlir ses admirateurs. Et cette grâce juvénile, sans apprêt, qui la faisait unique au milieu des autres femmes parées, fardées et magnifiques, fut, jusqu'à la fin, le secret de son charme. Mme de La Garde se prit de passion pour cette jolie enfant; elle l'habillait de robes ravissantes, la faisait divinement coiffer, car ses cheveux soyeux se prêtaient aux modes les plus compliquées. Elle voulait même parfois, la lecture du soir achevée, dormir avec elle, ce qui faisait sourire certains. Mais ce qui compliqua la situation, ce fut que les deux fils de Mme de La Garde tombèrent amoureux de la demoiselle de compagnie! L'un était fermier général, marié à une femme rechignée, d'une austérité décourageante : avec elle le devoir conjugal devenait une insupportable épreuve. Le cadet, maître des requêtes, avait épousé une demi-folle qui trouvait les hommes sans intérêt et ne cachait pas ses sentiments et ses goûts. Et tous les deux, sans se le dire, jugèrent qu'avec Jeanne ils avaient sous la main la consolatrice idéale.

L'aîné attaqua vivement : il savait comment on vient à bout de la vertu des filles pauvres. Il offrit un bracelet d'or, tout simple, mais dont Jeanne s'exclama :

— Mais c'est bien trop beau, monsieur, je n'ai rien fait pour mériter un

tel cadeau!

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— Mais vous ferez, j'en suis sûr, ce qu'il faudra pour mériter bien d'autres choses encore!

Il l'avait surprise alors qu'elle sortait de sa chambre, a une heure ou tout le monde était déjà au salon. — Savez-vous que je suis très amoureux de vous, ma belle enfant? dit^

le fermier général avec assurance, — et que je suis prêt à faire pour vous toutes les folies?

Il lui prit le menton, baisa sa bouche charmante, et s'esquiva, entendant un pas dans l'escalier. Jeanne saisie — et ravie — était rentrée dans sa chambre. Elle y admira le bracelet finement ciselé, et le cacha dans son armoire. Elle ne pouvait l'arborer tout de suite, ne pouvant dire de qui elle le tenait.

Le lendemain, presque à la même heure, ce fut le maître des requêtes qu'elle trouva devant elle. Il était sensiblement plus jeune et plus coquet que son ainé, très mince alors que l'autre avait déjà du ventre. Jeanne admirait toujours ses boucles de jarretière en or, ornées d'énormes diamants, et l'élégance stricte de sa cravate noire, nouée en avant. C'était la nouvelle mode.

— Jeanne, dit-il hâtivement, en lui glissant un écrin dans la main, je suis fou de vos beaux yeux! Parbleu, vous êtes bien la plus jolie fille de France... et si vous m'écoutez, vous serez la plus heureuse du monde! Demain, je m'arrangerai pour vous entretenir. Et, moins hardi que son frère, il se contenta de prendre la petite main blanche de Jeanne, et parcourut le bras frais de baisers pressés... De nouveau revenue à elle, fière, mais perplexe, Jeanne ouvrit l'écrin : une bague ornée d'une turquoise y brillait, et elle se mit à rire de joie. La bague alla rejoindre le bracelet. Quelle désolation de ne pouvoir s'en parer! Et maintenant, que faire de ces deux soupirants, visiblement pressés? Ils n'étaient pas hommes à se laisser lanterner. Elle tenta de réfléchir, grave- ment. Lequel choisir?... Elle n'aimait ni l'un ni l'autre, mais elle avait déjà compris : sans un homme pour la protéger, une femme n'arrivait à rien! Oui, mais celui qu'elle évincerait deviendrait forcément un ennemi, et il la ferait chasser, par dépit et jalousie...

Bien sûr, il y avait aussi la voie de la vertu! Elle pouvait rendre ces bijoux à ces messieurs, le prendre de haut, dire : « Je suis honnête et sage, je ne me donne pas pour des bijoux! »

C'était une très noble attitude, mais... Mais d'abord elle adorait les bijoux!

Et ensuite cette attitude aboutirait sûrement à se faire mettre à la porte d'une maison où elle vivait comme en paradis.

Et d'ailleurs, elle n'avait point de vertu à défendre; le premier garçon qui lui avait plu l'avait lâchement abandonnée aux fureurs de sa mère...

Alors? Alors, écouter le fermier général, et le maître des requêtes...

et essayer de maintenir entre eux la balance... sans rien céder, peut-être?... Mais elle avait affaire à des hommes décidés. Ils n'entendaient ni l'un ni l'autre être bernés par une coquette, et donner des bijoux sans contre- partie. Ils voulaient bien être généreux, mais donnant donnant! Et Jeanne n'était guère rouée...

C'est ainsi que, pressée par l'un, harcelée par l'autre, sans force pour refuser les bijoux offerts, et sans force pour repousser ses amoureux entre- prenants, elle finit par céder aux deux, chacun croyant être l'heureux élu!

Situation bien délicate! Car les rendez-vous ne pouvaient avoir lieu que dans le château, et dans sa propre chambre, située un peu à l'écart des pièces principales. C'était d'ailleurs une fort jolie chambre, tendue de soie bleu pâle, meublée au goût du jour, avec une ravissante coiffeuse, un petit bureau en marquetterie, et un lit aux rideaux de satin, bleu comme la ten- ture... Un charmant nid d'amoureux, d'autant que Mme de La Garde avait eu soin d'offrir à sa jeune protégée des robes de nuit translucides, et un déshabillé de soie rose brochée...

Jeanne fit l'impossible pour maintenir la balance, avec justice, entre ses deux amoureux, soucieuse avant tout de leur laisser ignorer la situation ne manquant point de se moquer de l'un avec l'autre. Mais ce qui devait arriver arriva!

Une nuit que le fermier général était enfermé avec Jeanne, le maître des requêtes éprouva soudain, sans l'avoir prévenue, le désir de sa ravis-

(11)

I COLLECTION

\ U W AMOUREUSE

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