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17-
Original t Anglais
LA BATAILLE DES MATIERES PREMIERES
par
GAMAM COREA
AOtJT 197e?
LA BATAILLE DES MATIERES PREMIERES
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La "bataille des matières
premières",
qui se dérouleactuellement a essentiellement abouti à la transformation déci¬
sive qui s'opère dans l'histoire du commerce international et dans l'histoire même de l'homme. Il est presque banal, semble- t-il, aujourd'hui de -dire que les matières premières qui autre¬
fois,
dans
les années 1950 et196O,
semblaientêtre
abondanteset inépuisables, se sont finalement révélées rares. L'industrie
moderne a entraîné le gaspillage irréfléchi de ces ressources
non renouvelables, au détriment des générations présentes et futures.
Le gaspillage le plus flagrant peut être - parmi tant d'autres - résulte de l'utilisation "d'énergie bon marché" qui
a été la base de l'expansion soutenue des principales nations
industrialisées après la guerre. Certains défenseurs de la crois¬
sance pensaient que l'expansion s'étendrait aussi largement au monde sous-développé et y revêtirait les mêmes formes socio-
économiques que dans les économies développées. On a feint d'igno¬
rer ou on a délibérément nié le fait que cette croissance avait pris une forme métastatique se développant comme un cancer dans un
organisme vivant. Dans la recherche de la "croissance économique",
aucune différence n'a été faite entre croissance et développement
et l'on ne s'est pas. posé la question de savoir pour qui et pour
quels objectifs humains plus largos il fallait rechercher le développement et la croissance.
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l'issue en fut que toute la théorie de ce que l'on appelle la "prospérité" d'après guerre
(dont
a largement étéexclue la
périphérie)
a été bâtie sur l'hypothèse fausse selon laquelle dans un univers aux ressources limitées, la croissancene pouvait pas être infinie. On a également supposé que la divi¬
sion subtile du travail entre le centre et la périphérie, fixée
au dix-neuvième siècle, prendrait un caractère permanent.
Les pressions révolutionnaires auxquelles la périphérie sous-privilégiée a soumis le monde, depuis 1945 l'unité qui
s'est établie entre les producteurs de pétrolej ces deux derniè¬
res années ont détruit l'idée de fixité
(sans
en modifier lecontenu).
Ce que l'on appelle la "bataille des matières premiè-res"(je
préférerais parler de distribution inégale et irration¬nelle des matières
premières)
est le problème crucial de l'éco¬nomie internationale. Mais ce n'est là qu'une victoire partielle parce que sans transformations internes profondes dans les pays
périphériques cette restructuration externe serait sans effet.
Le déséquilibre de l'utilisation des matières premiè¬
res apparaît dans la structure de la consommation globale de céréales. En effet la consommation des pays à revenus élevés
(31%
de la populationmondiale)
représentait51%
de la consom¬mation totale de céréales, en
1962/71.
Cela ne veut pas dire quecette structure de la consommation de céréales des pays riches résulte de leur propension spéciale a consommer du pain et de la pâtisserie. Au contraire,avec l'élévation des revenus par habi¬
tant, les populations des pays riches préfèrent consommer plus de viande. Les céréales sont donc, dans leur plus grande partie, utilisées pour alimenter le bétail. Bien
sûr,
les 370 millionsde tonnes de graine utilisées chaque année comme aliment du bé¬
tail
(dans
les paysriches)
représentent beaucoup plus que laconsommation totale de céréales des habi tants de.la Chijne. .et.
de l'Inde réunies. Ces structures de consommation sont égale¬
ment valables pour une large gamme d'autres matières premières.
A cet égard les Etats Unis offrent un exemple caractéristique.
En effet, bien que ne regoupant que 5
$
ûe la population mon¬diale, ils consomment un tiers des approvisionnements
mondiaux
en énergie.
L'écart économique entre les pays riches et les pays pauvres ira donc grandissant et il faut s'attendre également
à oe que dans ces conditions, sur le plan-de la consommation
de matières premières par habitant, l'écart entre ces pays s'accentue. Le fait frappant de notre époque, c'est que les
pays de la périphérie ont pris conscience du développement
de leur sous-développement. Le cercle s'est maintenant fermé,
en ce sens que ces pays se sont rendu compte que le
centre,
producteur de biens manufacturés, continue d'importerà
faiblecoût des matières premières en échange de ses exportations
de biens manufacturés dont les prix grimpent sans cesse. Cette perturbation des rapports de prix est cependant inhérente au mécanisme d'accumulation de capital à l'échelle globale. La formation de capital au centre a donc'été en partie financée
par les pays pauvres, il s'agit en quelque sorte donc d'une
aide êoonomique à l'envers. Le tableau suivant est révélateur.
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Evolution des? prix des exportations et des importations"
et des termes de l'échange des pays en voie de développement
1954
"à
1973~ ~
Pays exportateurs de pétrole Autres pays en voie de develop™
pement
Prix des Prix des Terme de
0/
exporta— importa— de l'é- / exporta- importa— l'échange"
change
2!
tionsPrix des Prix des Termes
impor
tions tions
(jL)
1954-56 à 1968-70 + 2 + 13 . - 10 — 1 + 12 - 12
1968-70 à 1972 + 39 + 17 + 19. + 12 + 17 - 5
1954-56 à 1972 + 42 + 33 + 7 H- .11 : + 32 - 16
1972
*
a 1973 + 30 + 18 + 10 + 29 + 21 + 6—
Source : Estimations du secrétariat de la CMJCED
a/
En termes de dollars des Etats-Unisb/
-J
Basé sur l'évolution des recettes (redevances et taxes
comprises)
par baril de pétrole brut exporté»Rapport prix des
exportations/-
des importations.Du milieu des années 1950 à la fin des années
1960,
soit _une décennie et demie, les termes de l'échange des. pays en voie de dévelop¬
pement
considéré,
en tant que groupe, se sont dégradés d'environ 10fo.
Labaisse des prix de leurs exportations survenue à la fin des années 1950 et
au début des tannées 1-960 a été en gros compensée pour une hausse à la fin
des années
1960,
alors que tout au long de cette période les prix de leurs importations se sont élevés, à la suite de la pression inflationnistecontinue dans les pays développés. Les pays exportateurs de pétrole,
grâce
a leur action commune au sein de l'OPEP, sont arrivés à accroître leurs recettes unitaires en 1971» puis en 1972, si bien que leurs termes de l'échange s'étaient quelque peu améliorés par rapport au ; ''.lieu des années 1950* Les termes de l'échange dos autres pays en voie de développement, pris en tant que groupe, se sont encore dégradés entre la fin dos années
i960 et 1972 ; à cette dernière date les termes
de l'échange de
ces pays s'étaient dégradés d'environ 15
$
parrapport
aumilieu
des années 1950, ce qui
représente
uneperte de
quelquesdix
milliards de dollars rien qu'en 1972, soit plus de 20
$
de lavaleur globale des exportations d'e ces pays et plus que le montant
de l'aide publique reçue par ces pays. J1/
Mais les termes de l'échange sont des indicateurs globaux insuffisants puisqu'ils ne donnent aucune
idée
du cadre-historico—institutionnel dans lequel se situe le commerce inter¬
national. Les "coûts" supportés par -les producteurs du Tiers-Monde
sont beaucoup plus importants, car il faut y inclure les portes
encourues par les propriétaires des
chaînes
de commercialisationet de distribution qui ne sont pas des ressortissants du- Tiers-
Monde et les problèmes associés de prix de transfert,.
Conscients
(bien
qu'à des degrésdifférents)
del'existenoe de ces forces, les pays du Tiers—Monde
cherchent
ac¬tuellement à étendre de façon permanente leur
contrôle
sur ces matières premières envoie d'épuisement rapide, notamment surcelles qui ont un caractère stratégique. L'émergence récente
d'associations de producteurs est la preuve de la volonté de ces pays de modifier les structures de la division internationale
du travail dont ils ont hérité. Outre'1'exemple classique du pétrole, un cas nouveau, caractéristique d'une vaste gamme
d'autres produits primaires a été récemment mis en lumière dans
une étude du secrétariat de la CMJCED - il s'agit cette fois d'un produit périssable. L'analyse de la formation du prix de détail
dans le commerce bananier—
2/
a montré que la part revenant aux"1
/
AlfredMaizels,
A new international strategy forprimary
commodities, Université d'Uppsala,Août
1974*2/ The Marketing
andDistribution System
for Bananas,CMJCED,
Décembre 1974*
Mî/'l
Page
6
»,%
pays producteurs de banau.es était d'environ 11
%
et celle des entreprises étrangères d'environ88,5.%*
Cette situation peut s'expliquer en termes historiques1et elle-reflète le rapportdominant entre le.centre et la périphérie au cours dos 100 derniè¬
res années et lès conséquences néfastes qu'il a entraînées sur le plan de développement.
Le centre contrôle non seulement la production de ces matières premières stratégiques et non stratégiques, mais il on eo trôle surtout la.commercialisation, le transport et la
distributee.
Bien qu'un certain progrès ait été enregistré en ce qui concerne»
tamment les industries pétrolières et autres industries extractive
soumises, à un contrôle plus étroit de l'Etat, les fonctions de
commercialisation de distribution et de transport échappent encoro à ce contrôle. Bans les années 1570 et
I98O,
la politique en ma¬tière de commerce et de développement devra donc être centrée sur
ces problèmes.
• .% )
Toutefois, le
contrôle
desmatières premières n'est
qu'un aspect du problème de l'échange inégal entre le centre al¬la périphérie. Môme dans le cas dos pays de l'OPEP,
qui ont fait
les progrès les plus considérables en
matière
do participation,les fonctions do commercialisation et de distribution
(qui
sontextrêmement
lucratives)sont
encore largement le monopole exclusifdo 7 —
8
sociétés transnationales» C'est ce concours de forces, qui explique la vulnérabilité des producteurs primaires. Ainsi,aussi paradoxal quo cela puisse
paraître,
la situation des paysde l'OPEP n'est pas très différente
dé"colle
des pays producteursde bananes, dont 75
%
aos exportations sur le marché internationalsont contrôlées par trois sociétés transnationales.
Une autre phase fondamentale de la "bataille des
mati-èP6s--pî>ôm.ièresf-,
-après-.c-elis-Joa—transfert de "lapropriété
et du contrôle est celle de 1'acquisition .de connaissances sur les méthodes d'exploitation de ces ressources dans l'intérêt dos
ressortissants dos pays de la périphérie. .C'est dans cette phase
que l'on perçoit le lien fondamental
qui existe
entre la produc¬tion, la commercialisation et la
distribution des produits d'une
part et les coûts extrêmement élevés du transfert de la technolo¬gie d'autre part. Le contrôle très
oligopolistique
de la produc¬tion, de la commercialisation et
de
la distributiondes produits
de base va de pair avec un contrôle tout aussi oligopolistique
de la science et de la technologie par le centre. Bref, la
recher¬
che d'une plus grande participation à la commercialisation et à
la
distribution,
l'undes cléments
actuelsdo
lastratégie globale
de la
CMJCED,
ost undes objectifs
d'unensemble de politiques
visant à régler le problème du transfert de technologie et de
science qui a lieu actuellement
(si
vraiment il a jamais eulieu)
non pas oonformémont aux règles du "système simple de la liberté naturelle", du libéralisme économique, mais par la manipulation
du marché part à peine une douzaine de grandes sociétés multina¬
tionales, opérant notamment dans l'industrie chimique et
l'indus¬
trie de construction mécanique qui sont les piliers de l'indus¬
trialisation moderne.
Ces coûts directs du transfert de technologie englo¬
bent les payements au titre de l'utilisation des brevets, des li¬
cences, des techniques de transformation et des marques de fabri¬
que, ce qui représentait en devises une somme de 1,5
milliards
dedollars en 1968. Ce chiffre devrait s'accroître annuellement de 20
'fo
et atteindre 9 milliards de dollars avant la fin des années 1970 — soit le sextiple du chiffre de 1968. Outro ces coûts di¬rects, il existe des coûts indirects, résultant notamment de la surévaluation des produits intermédiaires et de l'outillage.
C'est la persistance de cet ensemble de
conditions,
-latentes au dix neuvième siècle, qui explique l'uniquité fondamen¬
tale do l'économie internationale. Ce sont tous cos défis complexe dont l'établissement d'un contrôle national sur les matières pre¬
mières n'est qu'un aspect important, que le nouvel ordre économi¬
que international proclamé par l'Assemblée Générale de l'ONU et la déclaration de Dakar doit relever.