M ATHÉMATIQUES ET SCIENCES HUMAINES
M. R EUCHLIN
Formes vides et contenus informes en recherche pédagogique
Mathématiques et sciences humaines, tome 36 (1971), p. 59-77
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FORMES VIDES ET CONTENUS INFORMES
EN RECHERCHE PÉDAGOGIQUE
par M. REUCHLIN 1
1. INTRODUCTION : LE
PROBLÈME
1] y a bien des
façons
depratiquer
la recherchepédagogique.
Letitre,
un peujournalistique,
quej’ai proposé
pour cet entretiensuggère
une dichotomie.Essayons
dedéfinir,
d’abord defaçon
un peu schéma-tique,
les deuxcatégories
de travauxqu’il évoque.
1. LA RECHERCHE FORMALISÉE
La formalisation porte sur la
question
àlaquelle
la recherche va s’efforcer derépondre.
Parexemple,
des
problèmes pédagogiques
lesplus
différents par leur contenu(et
desproblèmes
relevant d’autresdisciplines)
peuvent être mis tous sous la formed’hypothèse
nulle. En ce sens,l’hypothèse
nulleapparaît
comme une forme de
question indépendante
du contenu surlequel
porte laquestion.
On peut direqu’il s’agit
d’une formeabstraite,
si l’on veut d’une forme « vide ».La formalisation porte, en un autre sens, sur les observations
qui
vont servir àrépondre.
Cesobservations sont mises sous forme
numérique.
On ne peutparler
de mesurequ’en
prenant le mot mesure,qui
aplusieurs
sens, dans son sens leplus large :
attribuer des nombres aux choses selon certainesrègles.
L’énoncé de ces
règles
est ici l’instrument de formalisation. Parexemple :
Si A >
B,
on ne peut avoir B > A Si A > B et B >C,
alors A > Csont des
règles
définissant une échelleordinale,
fondée sur la relation > .Mais cette relation > peut
correspondre
aux réalisationsempiriques
lesplus diverses,
dans ledomaine de la
pédagogie
et hors de ce domaine.C’est,
en ce sens, une forme abstraite ou vide.La formalisation porte enfin sur la suite des transformations que l’on est
appelé
à faire subir auxobservations pour atteindre la conclusion. Ces transformations s’effectuent suivant des ensembles de
règles opératoires,
desalgorithmes,
dont chacun est bienspécifié.
Cesalgorithmes
peuventêtre,
euxaussi, qualifiés
de formes abstraites ou vides en ce sensqu’ils
ne sont pas modifiéslorsqu’on
modifiela nature des données sur
lesquelles
ils portent, au sein du domainepédagogique
ou à l’extérieur de cedomaine.
Pour
parvenir
à effectuer des recherches de ce type, la connaissance desrègles
de formalisationaux trois niveaux que nous avons
évoqués
est essentielle. La recherchepédagogique implique
ici néces-1. Université René-Descartes (Paris V). Exposé présenté au Séminaire Européen de Recherche en Éducation, Pont-à-
Mousson, Septembre 1970.
sairement une formation
technique
propre. Par contre, le chercheur de ce type n’est pas nécessairementun
praticien
enexercice,
ni même nécessairement un ancienpraticien.
S’il fallait rechercher les
origines
de cette forme derecherche,
il faudraitévoquer Laplace, Quetelet
et surtout Galton. Il faudrait ensuite peser l’influence desprogrès
del’algèbre
modernequi s’oppose
à certainségards
à lapensée statistique plus ancienne,
maisqui
surtout tend à donner auxmodèles
statistiques
un statutlogique
différent. Il faudraitégalement
peser l’influencequ’a
eu, dansnotre
domaine,
le courant depensée structuraliste, qui
apuissamment
contribué à mettre en honneurl’étude des
formes,
mêmelorsqu’il rejette
la distinction que nous faisons ici entre forme et contenu.Sans
développer
ces considérations relatives à l’histoire desidées,
il convient de se tourner versla seconde
catégorie
de travaux que ma distinction initiale proposed’envisager.
Elle estplus
difficileà définir que la
première.
2. LA RECHERCHE NON FORMALISÉE
Le chercheur ici est nécessairement un
enseignant qui
ne peut chercher que dans la mesure où ilenseigne.
Il n’a pas besoin de formationtechnique spécialisée.
En
effet,
ilprocède
par saisie intuitive immédiate de situationsglobales significatives.
Com-prendre,
pourlui,
c’est essentiellementparvenir
à cette saisie intuitive. Cettecompréhension
peut icis’opposer
à uneexplication,
si ce dernier termeimplique
uneanalyse
en termes de chaînes causales. Oubien,
le vocabulaire étant iciplus flottant,
on dira que l’on aexpliqué lorsqu’on
pensera avoircompris.
Une telle
compréhension
ne peut se définir que par un contenu : le contenu de la conscience del’enseignant,
safaçon
de concevoir et surtout de vivre la relationpédagogique
danslaquelle
il estimpliqué.
Il en résulte que ce contenu est enprincipe
propre à cetenseignant
dans cettesituation,
cequi
n’est pas sans poser de sérieuxproblèmes.
- Problèmes de
généralisation.
Cettefaçon
de penser peut conduire à nier lapossibilité
de toutegéné- ralisation,
donc de toute recherche enpédagogie.
On en vient à admettrequ’il n’y
a pas, enpédagogie,
de loi
générale
à découvrir et àappliquer,
mais seulement des casd’espèce
et un art permettant de les aborder. Oubien,
et defaçon peut-être contradictoire,
onpostule
que cette infinie diversité n’est que desurface,
que la nature humaine est une et que lepédagogue qui
l’atteint par lacompréhension
pro- fonde de l’un de ses élèves en retireun enseignement
fondamentalqui
vaut pour tous.- Problèmes de communication. Comment
communiquer
à autrui le contenu d’uneexpérience péda- gogique qui
estunique (propre
à unenseignant
dans unesituation) ? L’emploi
d’unlangage implique l’usage
de concepts, d’une syntaxe dont les contenus et lesrègles
soient communs. Dans la mesure oùune
expérience
a un contenuunique,
ce contenu est informulable afortiori
informalisable. C’est ici lepoint d’opposition
essentiel entre les deuxcatégories,
c’est ici que l’on peutparler,
en cequi
concernela
seconde,
de « contenus informes». Le seul moyen de communication consiste à essayerd’évoquer,
chez
autrui,
un contenu de conscienceidentique
ou voisin de celui que l’onéprouve.
C’est cequi explique
sans doute la
place
que tient l’art du littérateur dans la recherchepédagogique
ainsicomprise.
Si l’on devait chercher les
origines
de cette secondefaçon
devoir,
on devrait d’abord sans douteévoquer,
defaçon
trèsdiffuse,
une certainephilosophie humaniste,
pourlaquelle
l’homme est unobjet
de connaissance à part dans la nature. De
façon plus spécifique,
on devrait sans doute examiner les apports d’unDilthey distinguant
sciences de la nature pouvant porter sur deslois,
êtrenomothétiques,
et sciences de la culture portant nécessairement sur des faits individualisés selon une méthode
«
idiographique ».
On devrait
également
peser l’influence deBergson
affirmantl’impossibilité
dequantifier
les« données immédiates de la
conscience» ;
l’influence de lalignée phénoménologiste
et existentialiste de Brentano àJaspers,
opposantcompréhension
etexplication,
etc.J’ai présenté jusqu’ici
cette« pédagogie
du contenu» comme une école depensée
ayant une doc- trine et une attitudequelque
peu militante.Je
voudraisajouter
que, dansl’esprit
de chacun de nous, lesproblèmes pédagogiques
ont un certain contenu, cetteexpression
pouvantévoquer,
defaçon atténuée,
unmode de connaissances se rattachant de
plus
ou moins loin àla « pédagogie
du contenuedont j’ai parlé.
En
effet,
nous tirons tous de notreexpérience
individuelled’enseignant
ou de parent une certaine connaissance immédiate de ce dont nousparlons lorsque
nousparlons pédagogie.
Cette connaissance immédiate a un caractèreglobal,
intuitif. Nous serions souventincapables
d’enprésenter
un tableauanalytique articulé,
et l’on peutparler
iciaussi,
pour cetteraison,
de contenu informe. Nous serionségalement incapables
de rattacher chacun des éléments de cette connaissance desexpériences empi- riques particulières
surlesquelles
il se fonde. On peutimaginer
que cetteexpérience
commune se fondesur une
statistique implicite
d’observations antérieures. Mais dessystèmes
depondération
très différentspeuvent être utilisés par des personnes différentes. De même dans l’évocation de cette connaissance intuitive commune, la mémoire de chacun de nous
apparaît
comme un mécanisme hautement sélectifet
spécifiquement
sélectif.3. RAPPORTS ENTRE CES DEUX CONCEPTIONS
Voilà sommairement définies deux
façons
de concevoir la recherchepédagogique.
Nous savons que, dans tous les pays dumonde,
elles sont en conflit.Je
ne meprésente
pas ici enconciliateur, disposé
à vanter les mérites propres de chacune des deux attitudes. Ce sont là de bonnesparoles,
propres à maintenir unepaix académique qui,
en la matièreest une
paix
dans la stérilité.Je
me rattache ouvertement à lapremière
des deux attitudes. Je pensequ’elle
seule peut définirune recherche en
pédagogie. J’entends
par là une activité propre àdévelopper
le corps des connaissancesobjectives,
c’est-à-direpubliques, explicitement
transmissibles et par là cumulables.Je
suiscependant
très loin de penser que l’utilisation enpédagogie
de ces méthodes formalisées de recherche ne soulève aucuneespèce
de difficulté.Les manifestations de ces
difficultés,
à mes yeux, ne manquent pas.Ainsi,
il n’est pas douteux que les cas où ces méthodess’appliquent
de lafaçon
laplus
intéressantesont les cas où elles sont utilisées sur des données
numériques artificielles, spécialement
construites pourprésenter
unproblème
dans la forme mêmerequise
par les méthodes dont ils’agit. J’ai
eubeaucoup
de
plaisir
à illustrer un livre surl’analyse
factorielle par des calculs exécutés sur des donnéesnumériques
de ce type.
Ces méthodes apportent
également
degrandes
satisfactionslorsqu’elles
sontappliquées
à desdonnées
empiriques prises simplement
comme matériel d’uncalcul,
c’est-à-dire détachéescomplètement
du contexte dont elles ont été
tirées ;
les résultatsn’ayant
pas nonplus
à être réinsérés dans cecontexte.
Les difficultés
apparaissent
dans les cas où ce contexte ne peut êtreéliminé,
c’est-à-dire dans lescas où les variables
prises
en considération par la recherche ne constituentqu’une fraction,
souventpetite,
de l’ensemble de variablesreprésentant
la situationpédagogique qui
doit êtredécrite,
ouqui
doit être
expliquée,
ou à propos delaquelle
unpronostic
doit être émis.Tout se passe
parfois
comme si les formes vides dont le chercheurdispose
n’avaient pas unecapacité
suffisante pour recevoir tout le contenuqu’on
souhaiterait yinsérer,
comme si leurs structuresétaient trop
simples
pour que ce contenu, tout informequ’il
soit enprincipe,
y trouveplace.
Cela
explique peut-être
pour une part que peu de recherchespédagogiques
formalisées aient eudes
conséquences importantes
sur lapratique
de l’éducation.Cela
explique peut-être
aussi que les méthodes de cette recherchepédagogique
formalisée soient surtoutdéveloppées
dans les ouvragesméthodologiques.
Certains de cesdéveloppements paraissent
constituer des fins en soi. Il y est
toujours possible
deprésenter
une méthode sous une formeréduite, simplifiée
et de laisser au lecteur le soin degénéraliser
à des casplus complexes.
Ces casplus complexes
sont ceux que l’on rencontre concrètement mais la
généralisation présente
malheureusementparfois
des difficultés insurmontables.
Il arrive que les travaux d’un même chercheur comprennent deux groupes :
- Des travaux de
méthodologie
pure d’unecomplexité élevée,
illustrésd’exemples
choisis.- Des travaux de recherche
appliquée
danslesquels
ces méthodescomplexes
ne sont pasemployées.
C’est ainsi que Samuel A.
Stouffer,
dont lacompétence statistique
est établie par de nombreusespublications,
a évolué versl’analyse
intuitive de tables decontingence,
et cetteanalyse
intuitive estégalement préconisée
par un statisticien aussi éminent que Paul F. Lazarsfeld(Boudon, 1967,
pp.157-8).
Je serais mal
placé
pourjuger
que ces évolutions sont dérisoires : mes thèses sont des ouvragesméthodologiques,
maislorsque je
doisdépouiller
uneenquête psycho-socio-pédagogique j’essaie
seule-ment de réfléchir sur des tableaux de pourcentages. C’est ce que nous avons fait notamment dans un
livre
publié
l’an dernier avec F. Bacher.Il semble que ces difficultés
pourraient
être résumées ainsi.Dans
l’application
à des donnéesempiriques,
les méthodes formalisées ne peuvent se suffire àelles-mêmes,
dans l’état actuel des choses. Elles font nécessairementappel
à des connaissances relativesau contenu
auquel
on lesapplique,
connaissancesqui
n’ont d’autre fondement quel’expérience
com-mune, la
compréhension
intuitive.Ce fait
explique
notamment que des chercheurs rompus au maniement des méthodes de la recherche formalisée hésitent àemployer
cesméthodes,
dès lorsqu’ils
ne peuvent le faire sansutiliser, simultanément,
un mode de connaissance dont ils savent combien les fondements sont mal assurés.Je voudrais illustrer de
plusieurs exemples
cette« intrusion» de connaissances intuitives relativesaux contenus
pédagogiques
dans la mise en oeuvre des méthodes formalisées et chercherquelles
consé-quences on peut en tirer sur différents
plans.
A
II.
RÔLE
DES CONTENUS DANS LA FORMALISATION DESHYPOTHÈSES
ET DES OBSERVATIONS A. LA FORMALISATION DESHYPOTHÈSES
Il est bien connu que la nature des
hypothèses
mises àl’épreuve
au cours des recherches formaliséesdépend
des connaissances non formaliséesqui
sontdisponibles
dans le domaine considéré. Il resteraitpeut-être
àpréciser
comments’opère
le passage de cette connaissanceimplicite
àl’hypothèse
formelleexplicite :
cela serait unsujet
de discussion extrêmementimportant,
et d’ungrand
intérêtheuristique.
Mais ce n’est pas notre
sujet :
nous nous limiterons à des remarques portant sur la forme même que l’on choisit de donner àl’hypothèse explicite.
1. L’HYPOTHÈSE NULLE
La forme
classique
est celle del’hypothèse
nulle.Si l’on
s’interroge
sur l’association entre le sexe et les résultats enmathématiques
au sein d’unecertaine
population d’élèves,
on feral’hypothèse
d’une différence nulle entre lesparamètres
décrivantla moyenne des garçons et la moyenne des filles dans cette
population.
On calcule la différence entre les estimations de ces deux
paramètres
et l’on cherche à savoir siune telle différence
peut apparaître
souventlorsque l’hypothèse
nulle est vraie.Quel
intérêtpédagogique présente l’hypothèse
testée(rigoureuse égalité
desmoyennes) ?
Si nous réinsérons un contenu
pédagogique
dansl’hypothèse,
laquestion qui
nous intéresserasera de savoir si une éventuelle différence entre les deux moyennes atteint ou
dépasse
une certaineampli- tude,
àpartir
delaquelle
il deviendra nécessaired’envisager
des mesurespédagogiques (méthodes
diffé-rentes pour
enseigner
lesmathématiques
aux filles et aux garçons,progression plus
lente pour un sexe que pourl’autre, etc.).
La forme del’hypothèse
n’estplus
alors :MG - MF
= 0mais I MG - Mr 1
d.La
difficulté,
bienentendu,
estd’assigner
une valeur à d. On ne pourra le fairequ’à partir
deconsidérations
pédagogiques
tirées sans doute du contenu del’expérience
commune(degré d’hétérogé-
néité souhaitable ou
tolérable).
Laresponsabilité
de définir le critère déterminant laconclusion,
est ainsitransférée du statisticien au
pédagogue.
Certes,
il y aura une part desubjectivité
et d’arbitraire dans la décision queprendra
celui-ci surla valeur de d. Mais on tend à oublier la part d’arbitraire que recèle le choix de
l’hypothèse
nulle.- La valeur 0 pour la différence est une valeur arbitrairement choisie
parmi
une infinité d’autres. Ilen résulte d’ailleurs que la
probabilité
pour que la valeur vraie de d soit exactement 0 est infinimentpetite.
Cela a uneconséquence pratique
souventéprouvée
par les chercheurs : il suffit d’accroître suffi-samment les effectifs utilisés pour que toutes les
hypothèses
nulles testées soientrejetées,
sans que celaprésente
le moindre intérêtthéorique
oupratique.
Cet inconvénient n’existeplus
sil’hypothèse
ne porteplus
sur une valeurspécifique
de la différence(0),
mais seulement sur une limite.- Le choix d’un seuil de
signification.
Il est seulement fondé surl’usage.
La part d’arbitraire est ici bienplus grande
que cellequi
entacherait le choix d’une valeurpour d
en se fondant sur des considéra- tionspédagogiques.
Ceci constitue un
exemple
danslequel
laprise
en considération du contenupédagogique peut
conduire à modifier les usagesprésidant
àl’emploi
des méthodes formelles.2. STRUCTURATION DES HYPOTHÈSES
Supposons
que nous fassions subir quatre tests à un échantillon comprenant des filles et des garçons, dans une recherche relative à des différences éventuelles entre les sexes.Dans aucun des quatre tests la différence entre filles et garçons n’atteint le seuil de
signification
choisi. Mais les quatre différences sont de même
signe.
Nous sommes devant une alternative : ou bien nous considérons que les quatre tests corres-
pondent
à quatrehypothèses indépendantes,
et alors aucune n’estvérifiée ;
ou bien nous considéronsqu’il s’agit
de quatre observations relatives à la mêmehypothèse,
et dans ce second cas laprobabilité
d’obtenir par hasard quatre fois le même
signe
nousapparaîtra
sans doute suffisammentpetite
pour quenous
acceptions
derejeter l’hypothèse
d’uneégalité
des garçons et des filles dans la séried’épreuves
utilisée.
Considèrerons-nous que nous sommes dans le
premier
cas ou dans le second ?En
principe,
la formulation deshypothèses
a dû être antérieure à l’observation des résultats.Je doute que l’on
puisse
attribuer un senschronologique précis
àl’expression
apriori.
Aucun chercheurne travaille en scellant
chaque
soir dans uneenveloppe
datée ses réflexions ou résultats de lajournée.
Peu
importe qu’une hypothèse
ait été formuléehistoriquement
à une date ou à une autre. Dansl’expres-
sion a
priori
il y a surtout l’idée d’uneindépendance logique
suffisammentplausible
entrel’hypothèse
et les résultats
qui
la confirment ou l’infirment.Le
problème
est alors de savoir si l’on peut trouver defaçon plausible,
dans notreexemple,
unehypothèse unique
dont les quatre observationspourraient
passer pour des vérifications.Cette
plausibilité
del’hypothèse dépendra
alors de ce que l’on sait communément sur le contenudu
problème
dont ils’agit.
Voilà de nouveau introduites des informationsimplicites,
à proposdesquelles
des
pédagogues
différents ne seront pas nécessairement d’accord. Dans un tel cas, il existe unepossibilité
d’affermir le résultat par récurrence
(nouvelle
recherche pour confirmer ou infirmer laplausibilité
pro- visoirementadmise).
B. LA FORMALISATION DES OBSERVATIONS
1. CONSTRUCTION DES VARIABLES
Les méthodes formalisées de recherche
pédagogique
ne peuvent utiliser que des observations misessous forme de
variables,
c’est-à-dire sous forme de classes d’éventualités(ou plus précisément
de classesde classes
d’éventualités).
Les
règles qui
sontadoptées
pour établir ces classes et ces classes de classes ont pour toute la suite de la recherche uneimportance décisive, puisque
leur ensemble constitue le code ou lagrille qui
se trouve « à l’entrée » des
procédures
formelles de traitement dont sortiront lesdescriptions
ouexplica-
tions
qui
constituent lesobjectifs
de la recherche.On remarquera que ces
règles,
que l’on peut considérer comme desrègles
de construction desvariables,
ne sont pasindépendantes
des connaissances antérieures etimplicites
relatives au contenupédagogique qu’elles
vont formaliser.Le mode de définition des variables
qui paraît
leplus
solidement fondé est bien connu : c’est la définitionopératoire
ouopérationnelle.
Elle se suffit enprincipe
àelle-même,
et n’a besoin d’aucune référence à une connaissance antérieure du domaine.Il est
cependant
tout à fait clair que l’on ne nommera pasn’importe quel assemblage
dequestions
«
épreuve
defrançais»,
ou que l’on ne combinera pasn’importe quelles
observations pour établir une« mesure du niveau
socio-économique
de la famille».Ce sont des
préconceptions plus
ou moinsexplicites qui
dictent le choix d’un certain type dequestions
ou d’un certain type d’observations et les regroupements en classes et classes de classes des éventualités observées. Les définitionsopératoires
etl’usage
que l’on en faitapparaissent
donc commedes moyens de
préciser
les concepts du sens commun, d’enapprécier
la cohérence et la valeur heuris-tique.
Ces concepts du sens commun sont lespoints
dedépart
d’uneprocédure
de formalisationqui
permettra
d’épurer
leur contenu de cequ’il
peut avoir d’incohérent ou de stérile et éventuellement de l’enrichir.Ce
qui
vient d’être dit de la constitution des variabless’applique également
à la constitution de groupes de variables. Il est rare que l’on se fondeuniquement
sur une méthode formelled’analyse
dimensionnelle comme
l’analyse
factorielle pour établir ces groupes. C’estplus
souvent une évidencefondée sur connaissance antérieure non formalisée
qui
nous conduit àdistinguer
lescaractéristiques
culturelles de la famille de ses
caractéristiques économiques,
les aspects du milieu scolaire et le groupe descaractéristiques
individuelles.2. FONDEMENTS DE LA MESURE
Ce
qui précède
concerne lafaçon
dont sont constituées ces classes de classes d’éventualités que l’onappelle
variables.Mesurer
c’est,
dans le sens leplus large,
fairecorrespondre
un nombre à chacune des classes d’unevariable,
selon certainesrègles.
Cesrègles
concernent lacorrespondance
entre les relations quel’arithmétique
établit entre les nombres et les relations que l’observateur constate oupostule
entre sesclasses d’observations.
Par
exemple,
au niveau des échellesnominales,
les nombres sontpris
comme dessymboles
différents. Les
classes,
à ceniveau,
doivent seulement êtredisjointes
et c’est lacharge
de l’observateur de faire en sortequ’il
en soit ainsi.Au niveau des échelles
ordinales,
les nombres sontpris
comme dessymboles ordonnés,
et il incombeà l’observateur de définir une relation ou
opération empirique >
dont lespropriétés empiriques
soientisomorphes
à celles de la relationalgébrique,
etc.Les connaissances
implicites
sur le contenupédagogique
devant constituerl’objet
de la mesurejouent
un rôleimportant
dans le choix d’un fondement àl’opération
de mesure.a)
Niveau de l’échelle de mesureAux différentes classes d’une échelle nominale peuvent être associées des moyennes dans une variable
dépendante (ex. :
moyennes dans un test des différentes écoles d’uneville).
Ces différences peuvent être suffisamment faibles pour n’être passignificatives.
Mais si nous trouvons un moyen d’ordonner les classes de l’échelle
nominale,
et que nous consta-tions que les moyennes sur la variable
dépendante
s’ordonnent de la mêmefaçon,
la conclusion du chercheurchangera :
il diraqu’une
association existe entre cette ordination des écoles et le test.Or ce passage du niveau nominal au niveau ordinal peut se faire en fonction de ce que nous
savons de
façon implicite
etglobale
sur le contenu des classes de l’échelle nominale(différences
dans lescapacités « éducogènes»
de milieuxsocio-professionnels différents,
de la ville et de la campagne,etc.).
b) Définition
des classes d’une échelle nominaleIl arrive
fréquemment
que le chercheur enpédagogie
soit amené àopérer
des regroupements portant sur les classes d’une échelle nominale(profession
dupère
parexemple).
Pour illustrer formellement
l’importance
de cetteopération
il suffit de considérer une table decontingence
entre deux variables dont l’une est l’échelle nominale enquestion.
On calcule un coefficient decontingence (C)
ou unequantité
d’information transmise(R)
en utilisant successivement deux regrou- pements différents des classes de la variablenominale,
l’autre variablegardant
la même forme. Ons’aperçoit
engénéral
que le coefficient decontingence
ou laquantité
d’information transmise varie suivant le regroupementadopté.
Or,
engénéral,
ce regroupement se fonde seulement sur ce que l’on sait apriori,
defaçon
intuitiveet non
formalisée,
sur le « contenu» des échelons à regrouper. On peut substituer à cette connaissance du contenu des considérations purement formelles telles parexemple
que le désird’égaliser
autant quepossible
les effectifs des deux classes d’une dichotomie. Ces considérations peuvent êtredépourvues
detout intérêt
pédagogique
si elles conduisent à deux classesqu’une
connaissance apriori
permet dejuger hétérogènes
quant à leur contenu.L’interprétation
d’une telle dichotomie et de ses liaisons avec d’autres variables peut devenirimpossible.
Il serait
plus
intéressant d’utiliser les variations de C ou de R en fonction des regroupements pour essayerd’apprendre quelque
chose sur la structuration « naturelle» des échelons de la variable nominale.c) Passage
d’une échelle ordinale à une échelle d’intervallesL’un des
procédés
consiste àimposer
une forme à la distribution de l’échelle d’intervalles. On aparfois
imposé
une formerectangulaire (décilage, « percentilage») ;
d’autres fois une forme « normale».Le choix peut être considéré comme indifférent par le mathématicien à
qui
il suffira que lesutilisations ultérieures de l’échelle d’intervalles ne lui supposent pas une distribution différente de celle
qui
lui a été donnée parconstruction ;
ou bienqui
utilisera desstatistiques indépendantes
de la forme de la distribution.Il n’en va pas ainsi au
point
de vue dupédagogue.
Une échellerectangulaire
accorderaplus d’importance
aux facteursqui
différencient lessujets
moyensqu’aux
facteursqui
différencient lessujets
extrêmes, et l’on ne peut être assuré que ces deux groupes de facteurs soient les mêmes.
Pratiquement,
le
changement
de forme pourra setraduire,
parexemple
par le fait que le mêmepronostic
de réussitesera fait pour deux
sujets
si l’on utilise une forme dedistribution,
alors que deuxpronostics
différentsseront émis avec une autre forme.
Or les informations
qui
permettent dejuger
que telle forme de distribution convient mieux à la réalitépédagogique
que telle autre forme(question dépourvue
de sens pour lemathématicien, répétons-le,
et
qui
neprend
un sensqu’au
niveau de la rechercheempirique)
sontuniquement
de natureintuitive,
et ne relèvent que d’une connaissance non formalisée. On
jugera,
parexemple, qu’il
y a« dans la nature»davantage
desujets
moyens que desujets extrêmes,
que les différences entre deuxsujets
sont moinsimportantes
auvoisinage
de la moyennequ’aux
extrémités de la distribution. On constateraqu’il
estfacile d’obtenir une distribution
grossièrement
normale avecn’importe quelle
série dequestions
à peuprès adaptées
au niveau de lapopulation,
alorsqu’une
distributionrectangulaire
ne s’obtientjamais
directement. Les
praticiens
feront mention de la commodité relative des deux typesd’échelles,
etc.III.
RÔLE
DES CONTENUS DANS L’EMPLOI DESMÉTHODES FORMALISÉES
DE DESCRIPTIONDes considérations fondées seulement sur la forme des données traitées ne suffisent pas non
plus
àguider l’emploi
des méthodesdescriptives
formalisées.L’ANALYSE DE VARIANCE
a)
L’interactionsOn sait que
lorsqu’une
interaction estprésente
entre deux facteurs declassification,
iln’y
aplus
de sensà déciire l’effet de chacun d’eux pour la
population globale.
Si dans un test la différence entre filles etgarçons n’est pas la même à la ville et à la campagne, il
n’y
aplus
de sens à décrire cette différence pour lapopulation
nationale. Il faut l’estimer pour chacun des deuxmilieux,
ville et campagne,séparément,
ce
qui
entraîne la même remarque pour la différenceville-campagne.
Pour savoir à
quelle
échelle unedescription
a un sens nonambigu,
il faut donc connaître les interactionssusceptibles
d’exister entre le facteur considéré et d’autres facteurs.Cette connaissance peut être
explicite
pour les facteurs introduits dansl’analyse.
Mais tous nepeuvent l’être,
et leproblème
existe aussi pour ceuxqui
ne sont pas introduits.Pour
ceux-là,
on ne peut se fonder que sur unjugement
de vraisemblance relatif à l’existence età
l’importance
d’éventuellesinteractions, jugement
tiré del’expérience
intuitive non formalisée du chercheur. Lerisque
d’erreur dejugement
estplus grand
si le nombre de variablesexplicitement
intro-duites dans
l’analyse
est très faible : c’est l’une des raisonsqui justifient
le sentiment defragilité
et d’ar-tifice que l’on ressent devant les recherches
portant
sur un nombre très réduit de variables.Cette
démarche,
consistant à fonder sur la connaissance intuitive deshypothèses
concernant les relations entre des variablesexplicitement
introduites dans la recherche et d’autres variablesqui n’y figurent
pas, n’est pas propre auxproblèmes
d’interaction. Nous la retrouverons tout à l’heure à proposdes méthodes formalisées
d’explication.
C’est un des cas où une certaine connaissance
implicite
des contenus constitue une sorte depréalable
à une connaissance formalisée.Un affaiblissement de la remarque
précédente
consistera à remarquer que l’étendue de la popu- lation que l’on décide de décrire par des indicesstatistiques uniques (une
note moyenneunique,
parexemple), dépend
leplus
souvent de ce que l’on saitimplicitement
sur les facteurs de différenciationen
jeu
au sein de cettepopulation.
Ainsi,
S. F. Peaker sedemande,
à propos de laprésentation
et del’analyse
des résultats del’enquête
1 EA,
s’il sera utile deprocéder
à uneanalyse globale
de l’ensemble des résultatsindividuels,
ou s’il vaut mieux fractionner cette
analyse
par pays. Laréponse dépend,
dit-il trèsjustement,
del’importance
relative des conditions communes aux différents pays et des conditions différentes. Cettepondération
de cequi
est « commun » et de cequi
est « différente ne peut sefaire,
à monavis, qu’à partir
d’une connaissance
globale implicite
du contenu desproblèmes pédagogiques
dans les différents pays.J’ajoute
que laquestion
ne se pose pas seulement entre pays. Lesparticipants français
auprojet
1 E A ont par
exemple,
affirmé que l’ensemble des élèvesfrançais
de 14 ans ne constituent pas,d’après
ce
qu’ils
en savaientimplicitement,
unepopulation
suffisammenthomogène
pourjustifier
unedescription globale unique, qui, d’après
eux, aurait étédépourvue
de sens.Une discussion sur ce
point
s’estengagée
entre eux et desresponsables
internationaux ayantune
opinion différente,
discussion difficileprécisément
parce que les arguments ne peuvent être iciexplicites
ni formalisés.b)
Le calcul des «ef fets »
Ma seconde remarque sur
l’analyse
de la variance(A V)
illustrera l’idée que le « moded’emploi »
desméthodes formalisées peut être
guidé
par des considérations de contenu. Ellerejoindra
etgénéralisera
ce
qui
a étésignalé plus
haut à propos del’hypothèse
nulle.Elle portera sur la
façon d’exprimer
les résultats d’une A V comportant 2 ou 3 facteurs de classification.Souvent les résultats
publiés
se limitent au tableauclassique
fournissant les sommes decarrés,
les
degrés
deliberté,
les carrés moyens et les rapports F de Snedecor testant lasignification
des contri-butions attribuées aux différentes sources de variation.
Cet aspect des résultats
répond
sans doute àl’aspect
purement formel duproblème statistique posé
àl’analyste.
Mais si cetanalyste
est unpédagogue,
il devrainterpréter
ce résultat en termes decontenus
pédagogiques.
Pourcela,
il aura bien entendu besoin des moyennes observées pourchaque
éventualité de chacun des facteurs. Ces informations sont assez souvent fournies.
Mais notre
pédagogue
auraégalement besoin,
si des interactions sontprésentes,
d’untype
de résultatsqui
n’est fourni que très rarement. Je veuxparler
deseffets.
On sait
qu’il s’agit
des écarts à la moyennegénérale qui
caractérisent en propre:-
Chaque
éventualité dechaque
facteur declassification,
-
Chaque
combinaison de 2éventualités,
-
Chaque
combinaison de 3 éventualités.La valeur
numérique,
et même lesigne
de ceseffets,
ne sont pas évidents dans une A V à 3 facteurs où certaines interactions sontprésentes,
cequi
vide de tout contenupédagogiquement interprétable
la constatation formelle que telle ou telle interaction est