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Article pp.15-28 du Vol.35 n°194 (2009)

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e numéro spécial RFG-AIMS 2009 regroupe une sélection d’articles retenus suite à la XVIIIeconférence AIMS qui s’est déroulée à Nice en mai 2008. Cependant, nous avons choisi de nous écarter quelque peu de la tradition d’un numéro spécial RFG-AIMS, habituellement centré autour d’un thème fédérateur. Nous avons souhaité que ce numéro spécial 2009 reflète des oppositions, des discussions, des controverses de notre champ en présentant une mise en perspective des débats émer- gents de l’AIMS 2008, pointant chacun la nécessité d’une meilleure inscription des sciences de gestion dans la société. En outre, les articles de ce numéro spécial font appel

à plusieurs autres disciplines et méthodes telles que l’analyse critique, l’analyse fic- tionnelle, l’anthropologie, ou la sociologie.

Ils semblent se répondre entre eux autour d’une même philosophie générale : mieux inscrire les sciences de gestion dans la société implique de revenir sur le rôle de la recherche en gestion, sur la manière dont elle est produite et sur l’utilisation de ses productions par la pratique.

Souhaitant introduire ces débats tout en y participant, nous avons pensé que le moment était venu qu’une tribune en faveur d’un meilleur ancrage des sciences de ges- tion dans la société soit publiée. Bien entendu, le sujet embrasse de nombreuses HEC Paris, GREGHEC

SANDRA CHARREIRE-PETIT Université Paris Sud 11, PESOR VANESSA WARNIER

Université de Lille 1, IAE, LEM, UMR 8179

Tribune

Pour des sciences de gestion en prise avec la société

DOI:10.3166/RFG.194.15-28 © 2009 Lavoisier, Paris

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questions possibles. Nous avons souhaité ici poser avant tout la question suivante : Comment la recherche en gestion est-elle produite aujourd’hui ? S’il n’y a évidem- ment pas qu’une seule façon de conduire une recherche en gestion, une caractéris- tique commune se dégage néanmoins de ces multiples voies : il s’agit de la logique d’emprunt. Pour faire progresser nos connaissances sur les organisations, nous recourons régulièrement à l’emprunt d’hy- pothèses, de modèles, ou de théories sub- stantives issus d’autres champs discipli- naires. L’utilisation de métaphores et/ou des raisonnements analogiques, l’apport d’idées iconoclastes pour notre discipline, participent naturellement au renouvelle- ment des sciences de gestion qui gagnent ainsi à emprunter à d’autres sciences ou, plus modestement, à d’autres champs disci- plinaires au sein même des sciences de ges- tion. Les débats que nous allons vous pré- senter ici sont illustratifs du croisement des sciences de gestion avec d’autres disci- plines et permettent de revisiter le manage- ment stratégique et plus particulièrement la place et le rôle des sciences de gestion dans la société.

Au-delà de cette logique d’emprunt, il nous semble que les sciences de gestion peuvent également apporter quelque chose à la société, aux acteurs et agents qui la consti- tuent. Cette démarche d’emprunt et d’ap- port s’envisage à deux niveaux d’analyse.

Au niveau de l’entreprise d’abord, nous souhaitons insister sur une réflexion, parti- culièrement nécessaire aujourd’hui, sur les marges de manœuvre stratégiques laissées aux organisations dans leurs liens avec leurs environnements concurrentiel et institution- nel. Puis, à un niveau plus individuel, nous nous attachons aux espaces de liberté dont

disposent managers et managés dans les entreprises. Poursuivant cette direction, nous établissons tour à tour les limites de l’expression libre des choix stratégiques des entreprises, et les contraintes pesant sur les rapports humains au sein de l’organisation.

Enfin, nous proposons les prémices d’une

« Charte pour une recherche en gestion ins- crite dans la société » à destination des chercheurs et des dirigeants, managers, et managés.

1. Liberté du choix stratégique de l’entreprise

Au premier niveau d’analyse, la question de la place des sciences de gestion dans la société passe par une réflexion sur la liberté d’influence réelle qu’ont les entreprises sur le monde social. À ce titre, il semble bien que de nombreuses entreprises parviennent à infléchir durablement nos comporte- ments, où que l’on se tourne. Nintendo redéfinit l’espace stratégique du jeu vidéo et introduit la pratique familiale des consoles grâce à la Wii. Apple réinvente le walkman et coordonne les échanges mar- chands de musique au travers de iTune. Des sites sur internet systématisent les relations humaines et permettent à la mémoire col- lective de réinvestir la vie d’individus en réseau, et de générer des rencontres vir- tuelles et réelles. Ces entreprises qui modi- fient nos agissements et créent de nou- veaux habitus ont su définir des stratégies payantes. En effet, la stratégie d’entreprise consiste à formuler un ensemble de propo- sitions cohérentes mises en œuvre par les membres de l’organisation afin de s’oc- troyer des marges de liberté d’action tout en dégageant une performance supérieure à la moyenne d’entreprises comparables.

Pour ce faire, l’analyse stratégique propose

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un ensemble d’outils qui permettent d’identifier les ressources stratégiques sus- ceptibles de générer des surprofits. En théorie, à partir de cette cartographie, des décisions sont prises qui redessinent les frontières organisationnelles et redéfinis- sent les industries. Pour être rentables, c’est-à-dire source de rentes, des res- sources mobilisées doivent posséder un certain nombre de propriétés. Dès lors, ayant repéré les ressources stratégiques, une vision peut être élaborée, des actions entreprises, et des résultats mesurés.

Abordés de la sorte, les choix stratégiques des entreprises peuvent sembler discrétion- naires, libres de toutes dépendances : inves- tir dans une nouvelle ligne de produits, s’in- ternationaliser, bâtir une alliance, etc. Dans les faits, de nombreuses contraintes pèsent sur les entreprises et limitent drastiquement leurs possibilités de choix. Dans un contexte ayant favorisé à outrance l’appro- priation de valeur par l’actionnaire, avec les conséquences observées sur les marchés financiers à l’automne 2008, et depuis dans la sphère dite de l’économie réelle, l’entre- prise a logiquement eu de plus en plus de comptes à rendre à ses propriétaires. Mais paradoxalement, elle doit aussi de plus en plus justifier ses actions à l’ensemble des acteurs qui lui portent un intérêt ; ses

« stakeholders » ou parties prenantes.

Actionnaires, salariés, clients, fournisseurs, distributeurs, médias ont cependant des intérêts divergents, quelquefois contradic- toires que l’entreprise doit satisfaire.

À un niveau d’analyse plus collectif, on peut ainsi interroger l’usage qui est fait (ou que les parties prenantes peuvent faire) des pratiques et des outils de gestion que chercheurs et praticiens mettent à disposi- tion des actionnaires, des dirigeants, des

managers. Dans quelle mesure une entre- prise est-elle libre ou non de déployer un outil de gestion alors que celui-ci s’impose dans son secteur ? On peut penser ici aux ERP (Enterprise Resource Planning) mais aussi à d’autres « instruments du manage- ment » comme la charte éthique qui permet le déploiement, notamment en France, des dispositifs d’alerte éthique. Ainsi un dilemme tant pratique que théorique se constitue autour de la question de l’inten- tion stratégique libre de créer de nouveaux espaces concurrentiels et le déterminisme environnemental qui pousse les entreprises à toutes s’imiter les unes les autres. Est-ce donc l’entreprise qui altère le champ social ou les dimensions sociales et sociologiques qui s’imposent aux entreprises ?

À la suite d’autres auteurs (Pfeffer et Salancik, 1978 ; Barney, 1986 ; Dierickx et Cool, 1989 ; Aldrich, 1999), nous envisa- geons l’entreprise comme un réceptacle légal de ressources stratégiques (ou non) qui sont plus ou moins mobiles sur des marchés imparfaits, et dont les propriétés concurren- tielles changent au cours du temps du fait même des actions des entreprises et des corps organisés qui gravitent autour d’elles (par exemple les ONG, des agences d’ac- créditation et de normalisation, des associa- tions de patients et de consommateurs). Ce qui, selon nous, fait la force d’une entre- prise n’est pas seulement sa capacité à déte- nir et retenir certaines ressources uniques, ou valorisables, rares, peu imitables, peu transférables, et peu substituables mais sa capacité à infléchir la définition même des critères qui leur confèrent ces propriétés (Durand, 2006 ; Durand et Vaara, 2009). Par exemple, si une entreprise peut définir les critères indicatifs d’un comportement socia- lement responsable, elle définira par là

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même les propriétés requises des ressources stratégiques nécessaires pour mettre à bien ce type d’actions (Guthrie et Durand, 2008).

De même qu’un consortium technologique définit les normes techniques d’un futur standard, favorisant la diffusion de ses propres recherches aux différents niveaux de leur univers concurrentiel et in finede la société, les entreprises cherchent sans cesse à redéfinir les conditions de sélection de leurs offres par les clients et acheteurs (Durand, 2006). Le projet est cependant davantage celui de disposer d’une position concurrentielle confortable pour assurer des rentes pérennes plutôt que celui de façonner un monde plus « socialement responsable ».

Coincée entre les besoins divergents aux- quels elle doit répondre et les pressions concurrentielle et institutionnelle de son environnement, l’entreprise est-elle encore libre de ses décisions stratégiques ? Cer- tains outils ou dispositifs de gestion appa- raissent ainsi, au fil du temps, comme des moyens de rationaliser a posterioril’action stratégique déjà engagée. C’est peut-être le cas réservé aux pratiques de « développe- ment durable » mises en place dans et par les organisations, et qui constituent le pre- mier débat de ce numéro spécial entre deux articles (Wolff et Rémillard/Philippe et Durand).

Débat 1. Réalités et légitimation des pratiques de développement durable Les observations des pratiques de dévelop- pement durable (DD) sont de plus en plus nombreuses dans les recherches en sciences de gestion et donnent lieu à une interroga- tion sur les motivations des entreprises à leur mise en œuvre. Rémillard et Wolff observent ainsi l’évolution de la convention actionnariale et son recadrage dans la

convention de développement durable. En se centrant plus particulièrement sur la manière dont cette convention s’opération- nalise dans les entreprises du secteur de la construction, les auteurs observent l’ambi- valence du comportement des entreprises.

Soumises à la pression institutionnelle exer- cée par cette nouvelle convention, elles ne semblent pas réellement avoir le choix de la contourner et investissent donc dans des pratiques de DD. Cependant, l’émergence lente et la diffusion progressive de ces pra- tiques révèlent autant leur caractère straté- gique que leur dimension légitimatrice, répondant ainsi à la nécessité d’avoir quelque chose à exprimer face à cette demande sociale et politique.

Alors que Rémillard et Wolff montrent que l’instrumentalisation et la légitimation du DD permettent de répondre aux problèmes de coordination des intérêts des acteurs d’un secteur, Philippe et Durand approfon- dissent l’instrumentalisation et la légiti- mation du DD par et pour l’entreprise. En observant comment la communication envi- ronnementale contribue à la réputation de l’entreprise, les auteurs révèlent l’instru- mentalisation de la dimension légitimatrice du DD par l’entreprise. Soumise aux forces institutionnelles et concurrentielles, celle-ci peut à la fois y adhérer par obligation, légi- timant a posteriorila mise en œuvre de pra- tiques de DD et par intention stratégique en jouant des signaux émis sur ces pratiques.

Un résultat important concerne le fait que les entreprises ayant déjà une réputation importante bénéficient plus de l’émission de nouveaux signaux de conformité que des acteurs moins réputés.

Ces deux contributions discutent finalement de la marge de manœuvre dont les entre- prises disposent vis-à-vis de la convention

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de DD. Celle-ci réside dans le sens qu’elles vont donner à leurs pratiques de DD et dans la façon dont elles vont les légitimer. Sa liberté de choix stratégique, l’entreprise peut aller la chercher dans les valeurs qu’elle communique et dans la façon dont elle les utilise pour se distinguer. Plus elle se conforme aux attentes de son environne- ment, plus l’entreprise améliore sa réputa- tion et gagne la confiance des stakeholders, et plus sa liberté de choix s’étend avec sa marge de manœuvre. Se plier aux attentes des diverses parties prenantes serait alors une soumission nécessaire à la liberté de choix des organisations. Ce type d’ap- proche est cohérent avec Meyer et Rowan qui mentionnent dès 1977 dans American Journal of Sociologyque les organisations sont plus légitimes et acquièrent plus de ressources lorsqu’elles adoptent des struc- tures et des systèmes de contrôle cohérents avec les attentes de l’environnement institu- tionnel plutôt qu’avec leurs besoins internes. Le second texte du débat (Philippe et Durand) montre que la marge de liberté laissée à l’entreprise et l’écho que ses actions rencontrent, dépendent finalement de sa position sociale préalable.

En outre, définir le périmètre de liberté des organisations conduit à définir aussi celui des acteurs avec lesquels elles interagis- sent. « La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui : ainsi l’exer- cice des droits naturels de chaque homme n’a de bornes que celles qui assurent aux autres membres de la société la jouissance de ces mêmes droits. » (article 4 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen). En appliquant cette définition de la liberté aux organisations, des citoyens et des clients de mieux en mieux informés, de plus en plus méfiants, s’interrogent sur la

véracité de l’intégration progressive des valeurs et des pratiques du développement durable dans la gestion des entreprises. Ils agissent alors en conséquence. Les fréné- tiques logiques de consommation à crédit et de financiarisation de l’économie, ont mené de nombreux consommateurs à leur perte.

Jamais la société n’a autant parlé d’éthique dans les affaires et jamais la manipulation du consommateur (et plus généralement de l’acteur, voire du citoyen) semble n’avoir été aussi criante dans certains secteurs. Dès lors, la responsabilité sociale de l’entre- prise risque d’apparaître, pour beaucoup comme un simple geste de communication, comme un moyen d’échapper ou de retar- der des effets négatifs sur la réputation de l’entreprise.

À mesure que les entreprises cherchent à façonner les critères de sélection qui leur permettront de valoriser au mieux leurs res- sources stratégiques, les consommateurs semblent peu à peu perdre leur liberté de choix. Les industries leur imposent certains types de produits en inondant le marché. Le client voit son pouvoir de négociation se réduire fortement. Par exemple, il devient difficile de choisir d’acheter des jouets ou des vêtements qui ne soient pas fabriqués en Chine. La baisse générale du pouvoir d’achat conjointe aux prix bradés des fabri- cations asiatiques, n’autorise plus certains consommateurs à agir en cohérence avec leurs valeurs. La prise en otage du client se généralise à de nombreux secteurs, opéra- teurs téléphoniques, banques et organismes de crédit, compagnies aériennes ou ferro- viaires, etc. En somme, les pratiques de manipulation du consommateur se banali- sent sous prétexte d’une meilleure person- nalisation de l’offre et du respect du besoin des consommateurs.

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Par conséquent, selon la conception que nous défendons ici d’une recherche en ges- tion mieux en prise avec la société, l’aide au décryptage des situations de gestion et leur mise en perspective avec d’autres phéno- mènes sociétaux doivent inciter le chercheur à envisager les conséquences de sa production scientifique à l’aune de chaque partie prenante. L’énonciation d’un discours sur la production scientifique par les artisans de cette même production appa- raît aujourd’hui non seulement légitime mais nécessaire, voire urgente. Cela devrait se traduire notamment par la production d’une réflexion systématique sur la finalité de la recherche et les conséquences des résultats produits pour chacune des parties prenantes principales : l’actionnaire, le client, l’employé, et la société. Une telle section embrassant ces différentes perspec- tives pourrait se situer à la fin de chaque tra- vail de recherche. Cette exigence pourrait constituer le premier article d’une charte visant à contribuer à l’imbrication plus sen- sible entre les problématiques de recherche en gestion, les intérêts qu’elles servent, et la société au sens large.

Cependant, les choses ne sont pas si simples qu’elles ne paraissent. La manipu- lation du consommateur peut aussi dans certains cas se faire avec son « consente- ment ». L’analyse du phénomène de mode montre ainsi qu’une industrie peut volontai- rement créer un consensus sur la mode à venir et de cette façon mieux répondre à la demande. En définissant les tendances qui feront la mode de demain dans de nom- breux secteurs tels que prêt-à-porter, l’automobile, la décoration ou le jouet, les bureaux de tendance génèrent, diffusent et institutionnalisent une mode en créant et en

matérialisant, à l’aide des fameux cahiers de tendances, des prophéties autoréalisa- trices (les modes) autour desquelles les acteurs vont se fédérer. Ces bureaux de tendances ne se contentent pas de jouer un rôle de traducteur entre la demande et l’offre, ils influencent les besoins des consommateurs et les homogénéisent pour mieux les satisfaire. La mode peut alors être perçue comme un outil de gestion permet- tant de prendre en compte et de satisfaire les intérêts de nombreux stakeholders. Son institutionnalisation présente par exemple de nombreux avantages aux offreurs tels que le remplacement massif des anciens produits, une standardisation permettant la production en circuit court, une baisse des coûts de transaction, une meilleure réponse à la demande et finalement une augmenta- tion de celle-ci (Warnier, Lecocq, 2006).

Pour les consommateurs la mode permet de satisfaire son besoin de nouveauté et d’assouvir ses désirs contradictoires de conformité et de différenciation. La mode tout comme le développement durable sont finalement des institutions servant à fédérer les acteurs d’un champ et à légitimer leurs choix et leurs actions. Les pratiques de ges- tion concourantes au développement de ces institutions peuvent à la fois s’établir dans une asymétrie d’information et de pouvoir des acteurs, mais peuvent aussi de façon plus ambivalente être le fruit de leur connivence.

Les consommateurs souhaitent que les entreprises intègrent concrètement dans la gestion de leurs activités les préoccupations de DD, mais ces dernières se servent aussi de cet argument pour valoriser stratégique- ment leurs ressources et améliorer leur réputation. En intégrant les critères du

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développement durable pour la satisfaction de ses consommateurs, l’industrie de la mode présente aujourd’hui un étonnant paradoxe. Faire du développement durable une mode n’est-il pas un non sens ? Com- ment les valeurs du DD pourraient-elles cautionner sincèrement un phénomène dont l’essence même est de générer l’obso- lescence des produits mis sur le marché. La responsabilité sociale des acteurs contri- buant à l’émergence de la mode peut alors légitimement être remise en question. Dans le cas présent, le rôle du chercheur n’est-il pas ici de mettre au jour les comportements paradoxaux d’organisations capables à la fois d’alimenter un phénomène de surcon- sommation et de prôner les valeurs du déve- loppement durable ?

L’évolution des pratiques d’une gestion durable des entreprises ne peut se faire, selon nous, sans la réintégration du regard critique du chercheur en sciences de gestion sur la réalité des pratiques des organisa- tions. En synthèse, la place et le rôle du développement durable dans la société nous semblent emblématiques d’un questionne- ment plus générique sur la place des acteurs économiques et le rôle des outils de gestion dans la société. La position sociale des acteurs économiques (telle qu’exprimée par exemple par la réputation préalable des entreprises dans l’article de Philippe et Durand) influence la manière qu’ont les parties prenantes de recevoir certains mes- sages et d’adopter certaines pratiques. Afin de mieux comprendre ces effets, il convient ainsi de s’attacher à distinguer spécifique- ment les positions stratégiques occupées par les acteurs économiques des discours qu’ils véhiculent. C’est ce à quoi nous convie le deuxième débat de ce numéro spécial.

Débat 2. Découplage entre position et discours stratégique dans l’espace institutionnel

Cet enjeu est particulièrement bien illustré à travers la question de l’institutionnalisation des fonctions organisationnelles, des outils de gestion ou bien encore des discours managériaux au sein des organisations.

Nous avons retenu trois articles qui, chacun à leur manière, montrent le découplage entre la position occupée et le discours des acteurs dans l’espace institutionnel.

Ben Slimane étudie les stratégies utilisées par des entreprises dans le contexte institu- tionnel du déploiement de la TNT (télévision numérique terrestre) en France. Il montre que la position des acteurs dans le champ est déterminante dans le façonnage des stan- dards technologiques retenus et y voit une dimension politique de la ressource techno- logique. En particulier, le soutien incondi- tionné de TF1 à la technologie de compres- sion MPEG-4 avait pour but d’influencer la structure concurrentielle du paysage audiovi- suel français et de retarder la diffusion la plus large possible de la TNT. S’opposant à la tentation de concevoir le discours straté- gique et la communication comme les vec- teurs principaux du changement institution- nel, Ben Slimane revient à une vision plus matérialiste, centrée sur les capacités effec- tives des ressources (en termes de puissance technique notamment) pour asseoir une vision de l’influence sociale des acteurs éco- nomiques centrée sur les actifs qu’ils détien- nent et les services qu’ils peuvent rendre (Penrose, 1959 ; Durand, 2006). L’utilisation de discours prônant les avantages qualitatifs, technologiques, et économiques n’apparais- sent que comme des habillages de réalités plus substantielles.

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Brulé et Audebrand prennent le contre-pied de cette position. Ces auteurs nous invitent à considérer les stratégies discursives des acteurs favorables et opposés à l’introduc- tion des OGM en France au milieu des années 1990 dans le secteur de l’agroali- mentaire. Distinguant deux phases précises dans l’apparition d’une innovation radicale, l’ancrage et l’objectivation, Brulé et Audebrand s’attachent à distinguer les couples d’opposition discursive « banalisa- tion contre exotisation » et « réification contre abstractisation » au sein de dialogues portant sur les enjeux de définition, de droit, et de profit engendrés par l’apparition et l’usage des OGM. Les marges de manœuvre des acteurs économiques se situeraient dès lors autant dans les straté- gies discursives qui sont employées, forçant les opposants à répondre en trouvant de nouveaux arguments et de nouveaux dis- cours stratégiques. Selon les enjeux (défini- tion de ce dont on parle – ici les OGM –, enjeux légaux et économiques), les promo- teurs et les opposants s’engagent dans une bataille discursive qui bien qu’obéissant à certains principes (les oppositions banalisa- tion/exotisation et réification/abstractisa- tion) n’est pas figée.

Ce hiatus entre position dans le champ et discours produit par les acteurs est égale- ment pointé d’une autre manière dans le texte de Guérin, Pigeyre et Gilbert. Ces auteurs se penchent sur le discours porté sur et par une profession (les « ressources humaines » ou RH) et la réalité plus crue de sa position fonctionnelle dans l’entreprise.

Levant le voile sur ce qu’ils appellent une forme d’illusion que représenterait une tra- jectoire alliant professionnalisation crois- sante, expertise, et valeur stratégique de la fonction RH, les auteurs s’attachent à

démontrer que les évolutions récentes contraignent les RH à demeurer ce qu’elles sont : une fonction parmi d’autres de la ges- tion, avec ses pratiques et ses outils, acces- sibles à de nombreux agents au sein et hors de l’entreprise. Le rôle de réflexion de chercheur est ici tourné vers son propre champ professionnel et tend à démonter la structure d’emboîtement qui existe entre le discours théorique sur des fonctions de l’en- treprise et la réalité de son positionnement.

Le débat entre position et discours straté- gique au sein d’un espace institutionnel nous semble, pour toutes ces raisons, cen- tral. En effet, de nombreuses situations tra- duisent quotidiennement l’affrontement entre logiques d’efficacité productive et de respect du client ou du manager. Par exemple, des pratiques de gestion telles que le yield managementse répandent dans les organisations cherchant à maximiser les sources de revenus au prix d’une logique tarifaire insaisissable. En effet, le client est dans l’impossibilité de comprendre aujour- d’hui comment évoluent les prix des billets en fonction de l’horaire du vol ou encore du moment de sa réservation. La logique qui prévaut préconisée aux dirigeants des com- pagnies (le prix du billet fixé en fonction du taux de remplissage de l’avion en temps réel) n’est pas perceptible par le consom- mateur. Que dire, par ailleurs, de la respon- sabilité des recherches favorisant l’intro- duction de la pratique du neuro-marketing dans les entreprises ? Ce type de recherches n’enfoncent-elles pas la porte déjà ouverte sur la manipulation du consommateur ? L’origine louable de la démarche marketing permettait, en prenant en compte les besoins et le profil du consommateur, d’évi- ter le hard selling et finalement de mieux vendre tout en écoutant le consommateur.

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Seulement lorsque connaître le consomma- teur revient à décortiquer sa vie et sa consommation pour lui forcer la main, est- on dans une démarche de marketing mora- lement responsable ? Le chercheur est-il socialement responsable en livrant ainsi à quelques-uns des connaissances pour le contrôle du plus grand nombre ? Il semble que l’utilité sociale des connaissances pro- duites par le chercheur en gestion passe aussi par une réflexion sur les conséquences probables de l’utilisation de ses résultats de recherche.

Ne nous y trompons pas cependant. Il ne s’agit pas ici de défendre l’idée qu’une recherche mieux ancrée dans la société serait une recherche que Robin des bois aurait pu faire sienne. Il s’agit plutôt de défendre l’idée qu’il y a une responsabilité du chercheur associée à la mise à disposi- tion de tous, via les publications, des connaissances produites. À défaut de pou- voir contrôler l’utilisation qui sera faite par les stakeholders des connaissances qu’il diffuse, le chercheur peut, et selon nous, devrait, respecter une exigence minimale de positionnement sociétal de sa recherche : à qui est-ce que je m’adresse en tant que chercheur ? Suis-je en accord avec les usages qui pourraient être faits de mes tra- vaux ? Qu’est-il utile de dire à ce sujet au moment où je diffuse mes résultats ? Ce débat articulé autour des marges de manœuvre libérées par les acteurs écono- miques, à la mesure tant des ressources stratégiques qu’ils actionnent que des stra- tégies discursives qu’ils produisent renvoie donc le chercheur à s’interroger sur sa fonc- tion propre, en tant lui-même que ressource actionnable ou bribe de discours. Dès lors, un deuxième principe à la charte pourrait être l’exigence d’une réflexion sur les

conséquences probables, les utilisations, et les interprétations que les acteurs écono- miques pourraient actionner à partir des résultats de la recherche de gestion. Cette interrogation sur le rôle du chercheur, qui lui-même participe aux discours tenus par d’autres sur la réalité qu’il étudie, apparaît salutaire.

2. Le choix individuel dans l’entreprise : une liberté symbolique ?

Le second niveau où nous portons notre analyse se situe à l’intérieur même de l’en- treprise. En regard du dilemme auquel se trouve confrontée l’entreprise dans son environnement concurrentiel mouvant, les managers et les managés sont également face à la question de leur liberté d’action et de pensée. La gestion « performante », pour autant qu’il soit possible de la définir, s’éta- blit autour d’une conception de l’entreprise en tant qu’ensemble coordonné de res- sources dont il faut favoriser et valoriser les propriétés concurrentielles. Ce faisant, le rôle et les marges de manœuvre du manager s’articulent autour de l’individu en tant que ressource. Mais l’exercice est périlleux. En mobilisant le paradoxe d’Icare pour analy- ser les éléments obscurs qui conduisent au succès, souvent difficiles à distinguer de ceux qui mènent à l’échec, Dany Miller (1992) montrait déjà les limites du modèle de la recherche de l’excellence, y compris individuelle. Celle-ci prend régulièrement appui sur l’ingéniosité et la créativité de l’acteur, incarnées autant que faire se peut par des pratiques et/ou des outils de gestion.

Ces derniers apparaissent dès lors comme une traduction du comportement optimisa- teur de l’organisation. Cela n’est, certes, pas nouveau et la société s’interroge d’ailleurs régulièrement sur les pratiques

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qui visent à définir les règles institution- nelles, concurrentielles, et sociales qui déli- mitent les comportements des entreprises.

En revanche, les interrogations en retour sur le statut de cet « outil optimisateur » et sur sa capacité à altérer ou non la liberté d’ac- tion de l’acteur, voire son libre arbitre, sont moins souvent posées par les chercheurs en gestion. Or, nous pensons qu’il est indis- pensable aujourd’hui que les outils de ges- tion qui guident (pour ne pas dire enca- drent) les acteurs soient critiqués et évalués au plan de l’éthique qu’ils véhiculent plus ou moins explicitement et au plan de la liberté qu’ils laissent à l’acteur. Contri- buent-ils à l’expression des acteurs en situa- tion de travail ? Ou bien restreignent-ils, à l’inverse, leurs marges de manœuvre en standardisant à l’excès les réponses à don- ner aux situations de gestion ? Il nous semble que les chercheurs en gestion gagneraient à inscrire leurs réflexions et propositions en la matière en apportant des réponses à ce genre d’interrogations.

Ainsi, sous contrainte d’environnements complexes, encastrés et incertains, la ques- tion de la liberté des acteurs se répercute à de multiples niveaux : individuel, collectif ou organisationnel et sociétal. Le déploie- ment d’une pratique (l’alerte éthique) qui nous vient des États-Unis suite à la loi Sarbanes Oxley (2002) est illustratif du dilemme dans lequel se trouve le chercheur en gestion. L’alerte éthique apparaît comme un moyen de garantir l’intérêt de ceux qui font appel à l’épargne publique pour capita- liser leurs entreprises. Le Whistleblowing (littéralement « souffler dans le sifflet ») devait permettre d’agir en amont de la fraude comptable et financière en permet- tant, à ceux qui sont témoins d’agissements

qu’ils pensent illicites ou contraires à l’inté- rêt de l’entreprise, de prévenir, d’alerter, de dénoncer… Outre le succès très relatif de cette mesure à l’échelle du système finan- cier mondial aujourd’hui (voir l’affaire Madoff aux États-Unis), Charreire-Petit et Surply (2008) montrent que les principaux enjeux managériaux du déploiement dans le contexte français de cette pratique de contrôle interne d’inspiration américaine sont de trois ordres. Ils ont trait à la redistribution des pouvoirs, aux sources de légitimité distinctes de l’alerte et du contrôle, et au glissement sémantique qui requalifie une pratique de contrôle interne en une pratique « d’alerte éthique ». Les auteurs (2008, p. 119) soulignent un pre- mier enjeu : « Avec le dispositif de whistle- blowing, le pouvoir devient bidirectionnel.

En effet, au pouvoir de contrôler pour cer- tains, s’ajoute celui d’alerter pour tous ».

La base des contrôleurs potentiels s’en trouve, de fait, élargie. Ceci révèle un deuxième enjeu ayant trait à la légitimité de détenir un pouvoir et à celle de l’exercer. En effet, avec le déploiement des pratiques d’alerte, le droit du travail côtoie, dans l’en- treprise, celui de l’émergence d’une norme sociale (Soft Law), notamment parce que la pratique est installée via des chartes dites

« éthiques », lesquelles relèvent de la Soft Law. Or, si le droit du travail est une source externe de droits et d’obligations qui s’im- pose aux acteurs (managers et managés), la norme sociale constitue une source bien distincte, qui s’appuie sur des valeurs et sur une idéologie qui définissent, in fine, la légitimité de recourir ou non à l’alerte. En France, les actions de mise en conformité à la loi Sarbanes Oxley se sont traduites par la mise en place de dispositifs appelés

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« alerte éthique ». Là réside le troisième enjeu. Charreire-Petit et Surply (2008) montrent que ce glissement sémantique est important, le caractère « éthique » de l’alerte posant réellement question. Éthique par rapport à une application du droit ? Par rapport à une morale ? Ces considérations sur le déploiement de l’alerte éthique sont directement liées à la question de la liberté de l’acteur au travail et, plus généralement, aux dimensions réelles et symboliques des actions individuelles et organisationnelles.

Ainsi, la question de la liberté de l’acteur, de son libre arbitre face aux outils et pra- tiques de gestion dont on le dote et dont il s’empare est d’une actualité grandissante dans nos sociétés en crise profonde. Les débats et controverses sur le statut des outils de gestion sont salutaires au sens où ils interpellent ensemble chercheurs et prati- ciens sur les dimensions techniques, écono- miques, sociales et politiques de leur déploiement. Ils permettent d’aller plus loin et de réfléchir aussi à l’hypothèse que cer- taines pratiques (alerte éthique, responsabi- lité sociétale, développement durable, etc.) ne seraient, in fine, que symboliques ou symptomatiques d’autres maux. C’est ce sur quoi nous ouvre notre troisième et der- nier débat.

Débat 3. Pratiques réelles et pratiques symboliques

Bah dans son article sur le phénomène de cession d’une PME s’inspire de la théorie du processus de deuil. Cultivant l’analogie entre la disparition d’un être cher et la ces- sion d’une entreprise, il éclaire de manière vive les différentes étapes par lesquelles passent le cédant et le repreneur. Au final, la capacité au deuil du cédant s’avère détermi-

nante. Le détour par une analyse psycholo- gique du processus de reprise d’entreprise est illustrative du regard décentré que peut adopter le chercheur et des emprunts à d’autres disciplines qui sont autant de révé- lateurs complétant les analyses tradition- nelles de gestion. Ainsi, le succès des déci- sions de céder et de reprendre ne sont pas essentiellement fondées sur la liberté de vendre et d’acheter des titres, mais condi- tionnées par un cheminement psycholo- gique. L’auteur soulève la similitude entre les passages obligés du deuil et de la trans- mission, les différentes phases où mots et attitudes peuvent sceller le destin de ce genre d’opérations.

S’interrogeant également sur la manière dont un nouvel arrivant intègre l’entreprise au prix de l’abandon d’un pan de sa liberté indivi- duelle, Lamendour passe au crible de l’ana- lyse fictionnelle la trame d’une œuvre ciné- matographique, réalisée par J.-M. Moutout,

« Violence des échanges en milieu tempéré ». Elle montre les épreuves pro- gressives que le mentor impose à son jeune collègue : les séquences de présentation et de prise de contacts précédent celles de l’énonciation de la mission et de l’évalua- tion où la nouvelle recrue doit faire face à un dilemme : quitter l’entreprise et recon- naître son échec ou imiter le mentor et accepter d’en devenir sa création au prix du reniement de certains principes. Dans un collectif où les hiérarchies traditionnelles sont bouleversées, les nouveaux entrants deviennent un matériau que les anciens modèlent à leur image, qu’ils poussent à faire des choix parfois à l’encontre de principes naïfs, propres au débutant, au non-initié. La posture de Lamendour inter- pelle ainsi les chercheurs et les praticiens de

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la gestion à partir de représentations propo- sées par des récits, des fictions.

L’analyse des représentations par d’autres champs culturels est poursuivie par Grimand dans son approche de l’entre- prise et de ses salariés, caricaturés dans la série comique Les Simpsons. Grimand voit dans la fiction proposée par ce dessin animé à succès la mise en évidence des symboles coercitifs que représentent l’en- semble des règles et des outils de gestion imposés aux salariés de l’entreprise – une centrale nucléaire en l’occurrence. Homer Simpson, personnage décalé et transgres- sif, révèle par ses actions maladroites les fondations mouvantes qui permettent à l’entreprise de perdurer dans sa fonction, et de s’inscrire plus largement dans la société. La fiction devient un révélateur puissant de l’appareillage subjectif, psy- chologique, et émotionnel qui sous-tend l’action organisée. Elle met en avant, de manière drôle ou pathétique, l’importance symbolique que revêt différemment selon les individus les règles, les outils, et la hiérarchie.

Au final, le manager et le managé sont sou- mis à des processus psychologiques, des rites, et des règles dont la puissance réside autant dans leur existence concrète que dans les symboles qu’ils expriment : la perte (dans le cas de la cession d’entre- prise), l’initiation (dans le cas du men- toring), et la transgression (dans le cas d’Homer Simpson). Ainsi, au-delà de la mise en perspective théorique et pratique de ses résultats, le chercheur en gestion pour- rait s’interroger sur la portée symbolique des dimensions qu’il étudie, et mettre en perspective les espaces de liberté que ses résultats permettent ou non d’ouvrir.

CONCLUSION.

POUR DES SCIENCES DE GESTION EN PRISE AVEC LA SOCIÉTÉ Un meilleur ancrage des sciences de gestion dans la société implique, selon nous, de considérer à nouveau le rôle des chercheurs.

La neutralité scientifique du chercheur ne peut abolir la conscience et le regard cri- tique qui constituent les fondements de son travail. Envisager différents points de vue sur son travail, prendre des positions dans les débats engendrés par les résultats de sa recherche, clarifier en amont la finalité de sa recherche pour toutes les parties prenantes, préciser en amont les acteurs ou stakehol- dersauxquels ses résultats s’adressent plus particulièrement, sont autant de pistes qui nous paraissent fécondes.

Dans cet esprit, cette tribune a non seule- ment articulé et fait dialoguer des travaux entre eux, mais a permis de s’interroger sur la manière de mieux inscrire les sciences de gestion dans la société. Examinant la ques- tion de la liberté d’action à deux niveaux, ceux de l’entreprise dans son environne- ment concurrentiel et des managers et managés dans leur situation de travail, nous avons pu mettre en évidence trois principes répondant à notre objectif. Ces trois prin- cipes pourraient constituer le socle d’une

« Charte pour une recherche en manage- ment inscrite dans la société ».

Principe 1 : analyse de l’impact des résultats de la recherche

Les productions de recherche devraient sys- tématiquement interroger les conséquences ou les impacts probables de leurs résultats sur les quatre parties prenantes que sont (par ordre alphabétique) : les actionnaires, les clients/fournisseurs, les employés, et la

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société en général. Concrètement, cela pourrait se traduire par des développements dans les productions de recherches y faisant explicitement référence.

Principe 2 : analyse des usages possibles de la recherche

La recherche participe de la construction de ressources stratégiques utilisables par des acteurs et des parties prenantes, et peut être intégrée partiellement ou en totalité à leurs discours de légitimation. Aussi, le chercheur devrait interroger également les usages faits par les acteurs économiques et les parties prenantes des résultats qu’il pro- duit. Notamment, le chercheur pourrait se démarquer de certaines utilisations des résultats de sa recherche ou au contraire prendre position en leur faveur.

Principe 3 : ouvertures et passerelles La recherche en gestion devrait porter attention à la dimension symbolique des

décisions, des pratiques, et des outils qui constituent son objet d’étude. Chercher à établir des ponts avec d’autres analyses – littéraires, historiques, cinématographiques, artistiques, etc. – permettrait de montrer les similitudes et différences des situations de gestion avec d’autres et d’établir les bases d’un dialogue fertile.

Un autre apport de cette tribune introduc- tive est de mettre en évidence que, pour être mieux inscrites encore dans la société, les sciences de gestion doivent se nourrir d’ap- proches transdisciplinaires. En effet, la recherche en gestion s’enrichit des confron- tations à des analyses analogiques diverses, comme en témoignent les articles inclus dans ce numéro, sur l’analyse discursive ou fictionnelle par exemple. Il est maintenant temps aussi qu’au-delà des emprunts ses apports au champ social se manifestent plus clairement et soient revendiqués pour être pleinement assumés.

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