Vol 53: noVember • noVembre 2007 Canadian Family Physician•Le Médecin de famille canadien
1845
Saine alimentation et cancer
Efficacité démontrée ou exutoire de nos craintes?
Roger Ladouceur
MD MSc CCMF FCMF, RéDACtEuR ADjOINtL
a plupart d’entre nous croyons fermement aux ver- tus d’une saine alimentation. Fini les chips, les frites et la poutine mais aussi (hélas!) les gros T-bone, les fromages onctueux et le foie gras qui fond dans la bouche. La mode est maintenant aux salades, aux fruits et aux fibres mais aussi (encore hélas!) au lait écrémé 0%et au tofu. Nous espérons, de la sorte, assurer nos vieux jours et prévenir l’apparition de diverses maladies, et par- ticulièrement le cancer. En tout cas, c’est ce que préten- dent Gingras et coll. (page 1905) qui affirment que 30%
de tous les cancers, et même 70% pour le cancer colorec- tal, seraient liés aux habitudes alimentaires. Eux aussi nous suggèrent une diète riche en fibres, en fruits et en légumes. Comme si ce n’était pas suffisant comme cela!
Évidemment, l’idée qu’une saine alimentation puisse contribuer au maintien d’une bonne santé plaît à l’esprit.
Mais de là à prétendre que manger moult fruits, légumes et fibres nous préserve de la maladie et du cancer est exagéré. Ce lien entre l’alimentation et le cancer n’est pas causal. Rien n’indique qu’une saine alimentation réduise de 30% à 70% le risque d’avoir le cancer. Il suffit de parcourir la revue de la littérature, réalisée par Ryan- Harshman et Aldoori (page 1913) pour constater à quel point ce sujet est controversé. D’autant plus que les preuves qui établissent ce lien sont plutôt faibles et indi- rectes. Elles proviennent essentiellement d’observations épidémiologiques auprès de différentes populations, de comparaisons de cohortes d’immigrants ou de jumeaux, et de travaux expérimentaux.
Or, plusieurs autres facteurs peuvent interagir et expliquer les différences observées. Et, une multitude de co-variables viennent mêler les données. Quelle quantité de fruits, légumes et fibres faut-il consommer?
Pendant combien de temps? Qu’arrive-t-il lorsque ces aliments sont pris avec d’autres considérés délétères?
Ajouter un carré de beurre sur ma touffe de brocoli est-il préjudiciable? Prendre un verre de lait avec mon chocolat noir préféré annihile-t-il tous ses bienfaits?
Et qui dit que ces belles tomates ou ces beaux raisins n’ont pas été copieusement sous-poudrés de pesti- cides? Quant à boire du thé vert, je veux bien, mais 6 tasses par jour, n’est-ce pas un peu beaucoup?
En réalité, il y lieu de se demander si cette préoccu- pation à l’égard de notre alimentation ne traduirait pas plutôt notre peur individuelle et collective de mourir et plus particulièrement de celle du cancer. Et, comme médecins, il nous faut reconnaître que la mort et le cancer nous apeurent tout autant sinon plus que nos patients. À preuve, la réponse généralement donnée par les médecins qui participent à l’atelier «L’intensité des soins en fin de vie» du Collège des médecins du Québec et du Collège québecois des médecins de famille, à qui on demande «Comment souhaitez-vous mourir?». La plupart disent qu’ils préféreraient mourir âgés et dans leurs sommeils plutôt que d’un cancer. Pas surprenant que nous soyons si fervents des conseils diététiques.
Moi, le premier, je souhaite de tout cœur ne pas mourir d’un cancer du colon envahissant en occlusion intesti- nale et finir ma vie souffrant, à vomir mes entrailles (Ô Grâce). Mais qui sait?
Comprenez-moi bien. Je n’insinue pas qu’il ne faille pas porter attention à notre diète ou encourager nos patients de manger n’importe quoi. Je nous mets sim- plement en garde contre les interprétations abusives des recherches portant sur l’alimentation et le cancer.
Qu’il existe un lien entre l’alimentation et le cancer.
Soit! Mais de là avancer qu’une mauvaise alimentation soit responsable du cancer, il y a là une généralisation excessive et non démontrée. Car plusieurs mourront d’un cancer, peu importe l’attention qu’ils auront porté à leur alimentation.
En attendant, je fais comme tout le monde, je mange des fibres et pleins de fruits et de légumes. Mais, il m’arrive parfois de tricher, que dise-je, de savourer 1 (ou 2!) petit morceau de tarte au suif que ma mère cuisinait.
Peut-on imaginer gras plus animal et plus saturé? Un vrai péché mignon! J’espère que pendant que mes pap- illes s’en délectent, toutes les cellules pré-cancéreuses de mon corps ne s’activent pas.
Et, à la demande générale, voici donc la recette de cette tarte.
• ½ tasse de suif
• 1¼ tasse de cassonnade • 3 c. à soupe de farine • ¼ tasse d’eau • Essence d’érable
Faire cuire 45 minutes à 350° F. À manger chaude avant qu’elle ne fige …
Allez, un petit thé vert avec ça.
FOR PRESCRIBING INFORMATION SEE PAGE 2042
CFPlus
GOéditorial
The English translation of this article is available at www.cfp.ca. Go to the full text of this article on-line, then click on CFPlus in the menu at the top right of the page.