• Aucun résultat trouvé

en fr

N/A
N/A
Protected

Academic year: 2021

Partager "en fr "

Copied!
15
0
0

Texte intégral

(1)

HAL Id: hal-02940552

https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-02940552

Submitted on 16 Sep 2020

HAL is a multi-disciplinary open access archive for the deposit and dissemination of sci-entific research documents, whether they are pub-lished or not. The documents may come from teaching and research institutions in France or abroad, or from public or private research centers.

L’archive ouverte pluridisciplinaire HAL, est destinée au dépôt et à la diffusion de documents scientifiques de niveau recherche, publiés ou non, émanant des établissements d’enseignement et de recherche français ou étrangers, des laboratoires publics ou privés.

Développement conceptuel et critique en physique : à la

recherche de cohérence

Laurence Viennot

To cite this version:

Laurence Viennot. Développement conceptuel et critique en physique : à la recherche de cohérence. I. Kermen (Ed.). Diversité des approches en didactique des sciences et des technologies, Artois Presses Universite, pp.231-242., 2020. �hal-02940552�

(2)

Développement conceptuel et critique en physique :

à la recherche de cohérence

Viennot, Laurence(1),

(1)Laboratoire Matière et Systèmes Complexes UMR 7057, Université de Paris

Référence : VIENNOT L. 2020. Développements conceptuel et critique: A la recherche de cohérence In I. Kermen (Ed.) Actualité et perspectives des recherches en didactique des sciences et des technologies, Arras : Artois presses université, 231-242.

Introduction

Dans un contexte international de centration de l’enseignement des sciences sur les compétences, la mise en œuvre par les élèves d’une attitude critique, déjà amplement invoquée auparavant, n’en est que plus attendue. Le dernier rapport de la Commission Européenne répercute nettement ce point de vue : “… to develop the competencies for problem- solving and innovation, as well as analytical and critical thinking that are necessary to empower citizens to lead personally fulfilling, socially responsible and professionally-engaged lives” (European Commission, 2015). Mais si cet état de fait ne s’accompagne pas d’une valorisation parallèle de la structuration conceptuelle, il y a risque que les concepts soient implicitement considérés comme devant suivre d’eux-mêmes le développement des compétences. Faute d’une base conceptuelle structurée, le maintien d’une cohérence intellectuelle minimale risque de ne plus être assuré. De récents rapports soulignent d’ailleurs cette éventualité, en France, à propos des élèves parvenant en 2013 à la première année de formation universitaire scientifique (Villain, 2013). On trouve aussi un écho de ce point de vue dans un contexte nordique (Lie, Angell & Rohatgi, 2012). La question se pose alors des liens entre développement de l’esprit critique et structuration conceptuelle. En termes opérationnels, cette question débouche sur celle-ci : peut-on

(3)

développer l’esprit critique en sciences sans développer en parallèle un fonds structuré de compréhension conceptuelle ?

Aborder ce questionnement impose de prendre position à la fois sur les deux termes qu’il implique, à savoir quels développements conceptuel et critique sont envisagés. Ce point n’est pas sans lien avec le présupposé adopté ici, qu’accéder à une certaine satisfaction intellectuelle, éventuellement via une activité critique, constitue une puissante incitation à poursuivre un effort vers la compréhension. Ces éléments de réflexion sont développés ci-dessous et introduisent le résumé et la discussion d’une série d’investigations conduites auprès d’étudiants de physique en fin d’études universitaires.

Développements conceptuel et critique en physique : quelles

références ?

Si ce qu’il est convenu d’appeler « la physique acceptée », celle des experts, constitue la référence première de la recherche sur l’enseignement de la physique, il est très vite apparu que ce contenu devait être repensé en termes de physique pour l’enseignement (voir notamment l’« Educational reconstruction » de Katmann & Duit, 1998). Il est important de souligner la part que l’on décide d’attribuer, dans cette « reconstruction », à la recherche de cohérence. Ici, le point de vue épistémologique adopté rejoint celui exprimé par exemple par Ogborn (1997) ou Jenkins (2007), selon lequel la science vise une description théorique et cohérente du monde où peu de lois rendent compte d’un nombre considérable de phénomènes. Dès lors, le dialogue entre analyse de contenu et connaissance des idées « préscientifiques » des élèves qui constitue la base de l’« Educational reconstruction » doit être médiatisé par cette recherche de cohérence, celle du contenu « accepté » comme celle des idées et raisonnements de ceux qui apprennent.

Des recherches récentes (notamment : Viennot, 2006) amènent à prendre en compte un autre élément dans la réflexion sur ce que l’on décide d’enseigner : il s’agit de ces rituels d’enseignement qui sont en quelque sorte le pendant chez les maîtres des idées et raisonnements communs chez les élèves, et qui se signalent à la fois par leur récurrence, les problèmes de cohérence conceptuelle qu’ils posent et parfois la mise en résonance directe des idées préscientifiques des élèves (l’explication-écho). Parmi les exemples prototypiques, on trouve le consensus consistant à enseigner l’absorption de la lumière par les pigments comme un processus par tout ou rien (Viennot & de Hosson, 2012). Également en bonne place parmi ces rituels, le cas de la montgolfière « isobare » (Viennot,

(4)

2006), hypothèse absurde universellement proposée (par exemple, Giancoli, 2005) pour résoudre facilement un exercice classique sur le théorème d’Archimède. Ce second cas illustre particulièrement bien ce qu’on peut nommer une simplification « toxique », puisque celle-ci contredit frontalement le fondement théorique même de la sustentation hydrostatique, à savoir l’existence d’un gradient de pression dans un fluide en champ gravitationnel.

La Figure 1 récapitule ainsi la structure des éléments qui peuvent servir de référence dans la définition d’objectifs de « développement conceptuel » au sens envisagé ici. Notons que l’élément central qui y figure, lié à la recherche de cohérence, s’enrichit de spécifications relatives à la notion d’« éclairage du contenu » (Viennot, 2002), laquelle renvoie aux choix de concepts clés et de liens conceptuels à mettre en relief.

Figure 1. Références pour la définition du contenu visé par l’enseignement

En bref, définir des objectifs de développement conceptuel peut conduire – et c’est la perspective adoptée ici – à prendre en compte de façon centrale un besoin de cohérence, l’intérêt éventuel d’un nouvel éclairage du contenu à enseigner, la spécification de concepts centraux, les liens conceptuels à souligner, le tout sous la contrainte de parcimonie et d’accessibilité. Le dialogue classiquement invoqué par les tenants de l’ « Educational reconstruction » (ibid.) entre examen des conceptions et analyse de

Cohérence conceptuelle, nouvel éclairage, concepts centraux, liens, parcimonie,

accessibilité Analyse de contenu conceptuel Conceptions et raisonnements courants Rituels d’enseignement Explication-écho

(5)

contenu se fait alors en lien avec ces caractères, pour informer la définition du contenu visé par l’enseignement. Quant aux rituels, ils sont considérés à la lumière de ces mêmes caractères, par exemple la manière dont ils violent la cohérence peut suggérer un objectif de contenu qui en prenne par avance le contrepied. Ce faisant, il est utile de considérer leur relation éventuelle (explication-écho) avec le raisonnement commun.

La référence adoptée ici en matière de développement critique s’articule elle aussi sur l’idée de cohérence. Les définitions de la pensée critique adoptées en recherche peuvent être extrêmement larges. Ici le développement critique envisagé portera sur l’aptitude à détecter une incohérence logique interne à un énoncé, ou un énoncé contradictoire avec une loi en principe bien connue de l’intéressé(e), ou encore une « explication » où manque un maillon crucial pour qu’il s’agisse bien d’un enchaînement explicatif logiquement valide. Ce faisant, nous laissons de côté des éléments de jugement critique pris en compte notamment en sciences sociales, tels la discussion du statut de l’expert et des interférences entre éléments de pouvoir et analyse critique (Jimenez-Aleixandre & Puig, 2012).

En revanche, l’idée de critique s’associe dans nos études à toute une série d’aspects psycho-cognitifs. Exprimer un jugement critique n’est en effet pas sans lien avec une vision de ce que c’est qu’apprendre, comme processus d’accès à une vision cohérente du monde. Interviennent alors, au moins, les notions de « rapport au savoir » (Charlot, 2005) et de « learning style » (Vermunt, 1996). Savoir situer où l’on en est sur ce chemin implique des aspects métacognitifs. Oser s’exprimer de façon critique suppose un état approprié en matière d’estime de soi (voir aussi la notion de « self efficacy », Bandura, 2001). Enfin il se peut, et c’est notre présupposé, qu’accéder à une certaine satisfaction intellectuelle constitue une puissante incitation à poursuivre un effort vers la compréhension (Mathé & Viennot, 2009). La formulation d’une critique peut alors se voir comme celle d’une insatisfaction intellectuelle, ou, positivement, comme la recherche d’une satisfaction sur ce plan. Devant ce qui nous est apparu comme un complexe d’éléments imbriqués et difficilement résoluble en ses diverses composantes, nous désignons ce qui s’y rapporte comme aspects « métacognitifs-critiques-affectifs : MCA ». Sur cette base, nous avons cherché à analyser les évolutions parallèles et hypothétiquement imbriquées de la structuration conceptuelle et de l’attitude critique chez des étudiants universitaires. Il est important de souligner que, dans l’étude de ces « dynamiques intellectuelles », l’intérêt se porte sur des processus intellectuels individuels et non sur des corrélations entre aptitudes, telles que souvent rapportées dans la littérature de recherche

(6)

(ainsi : Laukenmann et al., 2003, Rhöneck, Grob, Schnaitmann & Völker, 1998, Pintrich, Marx & Boyle, 1993).

Co-développement conceptuel et critique : une famille d’études

Présentation d’ensemble

Les études brièvement décrites ci-dessous portent sur des thèmes variés de physique : montgolfière (présumée) isobare, datation au carbone 14, couverture de survie, ballon d’hélium en haute atmosphère. À cette dernière exception près (Viennot, 2013), ces investigations reposent sur des entretiens longs (entre 60 et 90 min). Après une première étude concernant des apprentis journalistes scientifiques (Mathé & Viennot, 2009), nous avons centré l’investigation sur des étudiants de master MEEF : Métiers de l’Enseignement, de l’Éducation et de la Formation (Décamp & Viennot, 2015, Viennot & Décamp, 2016). Cette population est particulièrement pertinente pour notre préoccupation du fait des nécessités de leur futur métier et de leur relative facilité à exprimer de façon explicite l’état de leurs réflexions.

Le format adopté pour ces études renvoie aux « Teaching experiments » définies par Komorek et Duit (2004). Plus précisément, l’interaction entre l’enquêteur et la personne interrogée est organisée selon un « parcours conceptuel interactif » (« Concept Driven Interactive Pathway » : Viennot et de Hosson, 2015), à visée conceptuelle et critique, chaque étape servant à construire la suivante à travers des épisodes variés : exploration des idées préalables, questionnement sur la base de documents, expérimentations pratiques, brefs exposés de l’enquêteur, recueil d’impressions, etc. Bien que ce format se rapproche en bien des points d’une séance d’enseignement (ici individuelle mais adaptable à un groupe), la visée est ici de recherche : il s’agit bien d’identifier la dynamique intellectuelle, au sens défini plus haut, de chaque personne consultée.

Le cas de la datation au carbone 14 : la « critique différée »

L’étude sur la datation au carbone 14, ou radio carbone, servira de pivot pour la synthèse présentée, bien qu’elle ne soit pas la première en date. Les éléments de base de la description choisie pour les dynamiques intellectuelles au centre de notre étude y apparaissent en effet de façon particulièrement nette.

(7)

Dix étudiants de master MEEF en première année ont fait l’objet d’entretiens individuels (entre 75 et 90 min) dont le but était d’éclairer, à propos de la datation au carbone 14, la question suivante : dans quelle mesure la manière dont ces étudiants critiquent une explication très incomplète est-elle liée à, et se développe-t-elle avec, leur compréhension du sujet? Ils ont en effet été confrontés à cinq textes (T1 à T5) proposant des explications de moins en moins incomplètes du procédé de datation en question, puis à une explication simplifiée mais cohérente que nous avons construite (T6), faute d’en avoir trouvé sur internet. À chaque étape, l’intéressé(e) était amené(e) à donner son avis sur l’explication, et à demander éventuellement des compléments. Enfin, un avis était demandé sur l’ensemble de l’entretien avec un bilan de satisfaction intellectuelle. Pour apprécier l’incomplétude des textes utilisés, on peut noter que le premier indiquait bien la décroissance radioactive exponentielle intervenant dans l’organisme mort, mais affirmait sans justification que la concentration à la date de la mort, dont la connaissance est nécessaire pour effectuer la datation, était celle de l’atmosphère actuellement : on ne savait pas pourquoi ceci était légitime. Certes, les échanges biologiques pouvaient justifier que, vivant, l’organisme partage la composition en 14C de l’atmosphère, mais, depuis la mort de celui-ci, n’y avait-il pas eu de décroissance radioactive dans l’atmosphère ? Et au quatrième texte, on savait qu’il y avait à la fois décroissance radioactive et formation de 14C dans l’atmosphère, mais rien ne venait expliquer que les taux temporels de disparition et de formation de cet isotope s’équilibrent, assurant ainsi une composition stable au cours du temps. On savait encore moins comment cette égalité apparemment fortuite ne l’était pas du tout et pouvait se reconstituer après perturbation, par exemple après une éruption volcanique. Tous ces éléments explicatifs étaient finalement présentés dans notre proposition finale (pour plus de détail : Décamp et Viennot, 2015).

Les réactions des étudiants, rapportées ici seulement sous l’angle des aspects MCA, font apparaître les points saillants suivants.

C’est à partir d’une durée variable mais importante (le plus souvent entre 13min et 28min) que les étudiants posent leur première question « cruciale », c’est-à-dire portant sur un véritable nœud explicatif. Auparavant les questions posées sont relativement anecdotiques (par exemple : « Comment marche le détecteur ? »). Mais surtout, ce que l’on observe très majoritairement est une acceptation conciliante de l’explication proposée (« oui, cela indique bien le principe »). L’apparition d’un élément nouveau d’un texte à l’autre est saluée par une remarque anodine exprimant plutôt la satisfaction (« J’avais oublié », « Oui,

(8)

c’est ce qui me manquait »). Mais après qu’elle a posé une première question critique, la personne consultée change du tout au tout d’attitude. Il n’y a plus d’expression d’accord sur l’explication, les seules questions posées sont cruciales au sens défini ci-dessus, et c’est presque exclusivement l’insatisfaction qui s’exprime : « Je voulais une explication, ça n’apporte rien, ça pose plus de questions que ça n’en résout ! ». Les critiques et autocritiques s’enchainent alors jusqu’à ce que l’explication que nous proposons vienne satisfaire leur besoin (tout récent) de comprendre, comme ils nous le confirment explicitement.

Il y a ainsi une entrée dans une sorte de crise critique, l’étudiant(e) passant du souci de se remémorer à celui de comprendre. On peut interpréter cette transition comme le fait que l’intéressé(e) a alors atteint un seuil de compréhension qui lui était nécessaire à cet effet. Ce résultat peut sembler évident, étant donné qu’il faut bien savoir de quoi l’on parle avant de critiquer quoi que ce soit. Mais en fait les personnes interrogées avaient d’emblée les connaissances nécessaires pour poser cette question toute simple : « N’y a-t-il pas de décroissance radioactive dans l’atmosphère ? ». Le seuil de compréhension à atteindre pour exprimer une critique ou une insatisfaction semble donc, dans les cas discutés ici, supérieur à celui qu’impose la seule nécessité logique. En d’autres termes, il est admis que l’aptitude à s’interroger sur le fait que le radiocarbone se désintègrerait dans l’organisme mort et pas dans l’atmosphère relève d’une compétence logique présente d’emblée chez l’étudiant participant à l’entretien et d’une connaissance tout à fait minimale de ce qu’implique une désintégration radioactive. Cela suppose que d’autres facteurs sont intervenus pour bloquer l’activation effective d’une attitude critique de ce type. L’expression « critique différée » désigne, dans la suite, cette dynamique intellectuelle particulière consistant à attendre de mieux comprendre avant d’exprimer une réaction d’insatisfaction devant une explication, alors même que la simple logique suffirait à y conduire.

Le cas de la datation au carbone 14 : l’« anesthésie experte »

Il est à noter que, pour majoritaire qu’elle soit (dans un effectif limité), la dynamique de critique différée ne représente pas l’ensemble des réactions des interviewés. Deux étudiants s’en écartent. Ceux-ci témoignent à la fois d’une très bonne connaissance du sujet et d’une absence totale de critique sur les explications proposées, ceci même dans le cas des premiers textes dont le pouvoir explicatif est tout à fait limité. Nous parlons dans la suite d’« anesthésie experte » pour désigner cette dynamique intellectuelle d’une personne

(9)

qui est « experte » relativement au sujet traité et reste totalement passive devant des explications très incomplètes ou incohérentes à son propos. Notons que ces deux étudiants répondent aussi à la question finale concernant leur satisfaction intellectuelle à la fois très positivement et en termes d’autoévaluation (« Je suis très content de mes réponses »). Cette interprétation de l’état de « satisfaction intellectuelle » est à garder en mémoire lors de toute étude sur ce thème. Ici, elle peut contribuer à interpréter une « anesthésie » du jugement devant un texte par une centration sur soi-même de la personne consultée lorsqu’elle est en situation d’expertise. Il se peut aussi que celle-ci complète plus ou moins consciemment le texte, ajoutant les éléments qui manquent pour que l’explication proposée soit acceptable.

Confirmations et compléments : trois autres études

Il serait hasardeux d’appuyer la caractérisation précédente sur une étude impliquant un seul thème de physique. En fait, plusieurs rapprochements sont maintenant disponibles.

Critique différée : un cas récurrent, à côté de rares cas de « critique précoce »

L’idée même de critique différée fut amenée par l’étude de Mathé et Viennot (2009) impliquant quatorze étudiants journalistes scientifiques en formation (Troisième année universitaire : L3). Ces étudiants ont été consultés individuellement à propos d’un article de vulgarisation prétendant expliquer le fonctionnement d’une montgolfière. Il leur était demandé de s’exprimer sur ce qu’apportait ce texte et ce qu’il faudrait éventuellement y changer. Au cours de cette longue interaction, l’enquêteur apportait progressivement des éléments de questionnement et d’information. Or ce texte comportait, bien en évidence, l’hypothèse d’une pression partout égale à « la pression atmosphérique ». Les personnes consultées ont réalisé plus ou moins vite ce qu’il y avait d’absurde à envisager une situation isobare alors même qu’il s’agissait d’expliquer une sustentation hydrostatique. Mais le plus frappant est que cette étape, une fois franchie, n’a nullement suffi à rendre des étudiants critiques vis-à-vis de l’article. Seuls deux d’entre eux ont rapidement mis le texte en cause, les autres ont attendu de comprendre mieux le phénomène pour exprimer leur critique. La dynamique intellectuelle de « critique différée », proposée pour interpréter les résultats de l’étude ultérieure sur le radio carbone, semble donc déjà émerger de ces résultats anciens.

(10)

D’autres études plus récentes en confirment aussi la pertinence. Il s’agit d’une étude (Viennot & Décamp, 2016) sur le bon usage d’une couverture de survie lorsqu’il faut se protéger du froid. Sachant que le côté argenté est plus réfléchissant que le côté doré, lequel a un pouvoir émissif supérieur, la question est de savoir quel côté doit être mis à l’intérieur. La réponse unanime des personnes consultées (20 doctorants) et des textes trouvés sur internet (25 explications et/ou modes d’emploi, y compris de produits labellisés « Croix Rouge ») est qu’il faut mettre l’argent à l’intérieur pour renvoyer la « chaleur », ou le « rayonnement infra-rouge », vers soi. Or, le côté doré se trouve alors en situation d’émettre plus de rayonnement que ne le ferait le côté argenté à la même température tourné vers l’extérieur. Il y a donc dilemme, la réponse courante doit être mise en cause : cette idée constituait la cible des entretiens menés avec six étudiants de master MEEF, deuxième année. D’ailleurs le bon usage en question dépend de la météorologie : par temps froid et sec il faut mettre l’argent à l’extérieur (ibid.). Outre le fait qu’une dynamique majoritaire est encore celle de critique différée, on observe un cas intéressant de « critique précoce ». L’une des personnes interrogées, d’ailleurs très peu avancée sur les propriétés radiatives de la matière, a su très vite mettre sa première réponse en cause - « J’ai un problème! » -, ceci sur la seule information que le côté doré était plus émissif que l’autre. On est là devant un cas limite de la critique différée, celui où, justement, le seuil de compréhension associé à l’activation d’un potentiel de critique est très bas. En d’autres termes, alors qu’elle avait encore une très faible maitrise conceptuelle du domaine en cause, cette personne a su exprimer que deux de ses propres arguments étaient contradictoires. On peut désigner ce cas, qui s’observe rarement dans nos études, comme un objectif de formation souhaitable.

L’anesthésie experte : des échos multiples

Le second grand type de dynamique intellectuelle que nous avons caractérisé en matière de co-développement conceptuel et critique, l’anesthésie experte, n’est illustré que rarement dans nos études par entretiens résumées ci-dessus. Il se trouve que, pour les thèmes traités, les populations concernées étaient tout sauf expertes. Aucun des étudiants journalistes scientifiques en formation consultés n’avait d’acquis conceptuels très assurés en physique, quant aux études sur le radio carbone ou la couverture de survie, elles impliquent des thèmes de physique nullement évidents. C’est donc du fait d’un petit nombre d’experts pour ces thèmes que l’on observe peu d’anesthésie experte.

(11)

En revanche, on peut se souvenir des 61 enseignants de physique-chimie du secondaire consultés sur un exercice à base de montgolfière prétendue isobare, et qui omettent unanimement de discuter cette hypothèse (Viennot, 2006). Plus largement, on pourrait créditer du statut d’expert les auteurs de ces nombreux manuels ou exercices de travaux dirigés qui s’alignent sur cette hypothèse au motif (explicite) que la montgolfière est ouverte à sa base et (inavoué) que l’exercice se résout de manière satisfaisante de cette manière. De manière certes conjecturale, on peut donc rapprocher ces cas de tolérance vis-à-vis d’une hypothèse « toxique » de ce que nous analysons comme constituant une anesthésie experte.

Un dernier exemple appuie ce point de vue. Il s’agit d’une activité suggérée par la DGESCO (Direction générale de l’enseignement scolaire)1 pour le programme 2010 de physique en seconde générale en France2. Les élèves sont invités à commenter un texte de vulgarisation sur un projet de record du monde de chute libre :

Pour réaliser cet exploit, il sera équipé d'une combinaison pressurisée proche de celles utilisées par les astronautes (…) équipée d'un parachute. Il atteindra l'altitude de 40 000 mètres en trois heures environ, à bord d'une nacelle, elle aussi pressurisée, et tirée par un ballon gonflé à l'hélium. (…). En l'absence de pression atmosphérique, Fournier dépassera la vitesse du son (1067 kilomètres/heure) trente secondes environ après son départ (…). D’après l’édition Internet du vendredi 12 Juillet 2002 du Quotidien Québecois « Le Devoir ».

Le but de l’activité étant que les élèves tirent le meilleur profit intellectuel de ce texte, des questions à leur poser sont suggérées pour les y aider. Consultés sur ce point par questionnaire, 23 doctorants et 6 enseignants universitaires en exercice ont unanimement omis de pointer l’étrange situation de ce ballon à hélium en sustentation « en l’absence d’atmosphère » (Viennot, 2013). Les questions proposées par le site de la DGESCO n’en font pas davantage état. Il parait donc approprié de parler, ici aussi, d’anesthésie experte.

1 MEN-DGESCO (Ministère de l’Éducation Nationale, Direction Générale de l’enseignement scolaire), 20 Juillet 2010

http://cache.media.eduscol.education.fr/file/SPC/92/8/LyceeGT_Ressources_2_Commun_SPC_Sport_14992 8.pdf

(12)

Remarques finales

Notre question de recherche est celle des liens entre développement de l’esprit critique et structuration conceptuelle. Les résultats obtenus avec ces quelques investigations peuvent s’inscrire dans un cadre interprétatif cohérent. La proposition de Willingham (2008, p. 22) - Critical thinking is not a set of skills that can be deployed at any time, in any context – est compatible avec nos observations. Plutôt qu’une aptitude installée ou non chez un individu donné, on est plutôt tenté d’évoquer un potentiel de critique que divers éléments permettent ou non d’activer. Atteindre un seuil de compréhension conceptuelle apparait, dans trois études analysées plus haut, comme une condition nécessaire chez nombre de personnes consultées qui, compte tenu du sujet traité, se trouvaient en début d’entretien en situation d’insécurité sur ce plan. Le fait remarquable est que, sauf dans le cas limite et peu fréquent de « critique précoce », ce seuil est plus élevé que la seule nécessité logique. En d’autres termes, ces personnes auraient pu, d’un point de vue logique, réagir plus tôt devant des énoncés problématiques, même sans avoir tout compris sur le sujet abordé. On peut souhaiter que tel soit le cas si l’on vise véritablement une formation à la critique, d’autant que la consultation de textes sur internet, par exemple, se fait justement la plupart du temps à propos de sujets que l’on ne connait pas bien. Mais il faut sans doute mettre alors en œuvre des leviers de formation sur les plans métacognitif et affectif.

Nos analyses font par ailleurs apparaître de manière convergente une dynamique très différente chez des personnes se sentant d’emblée en sécurité intellectuelle pour le sujet traité, telles des enseignants s’intéressant au fonctionnement d’une montgolfière. En fait de dynamique intellectuelle, il s’agit plutôt d’une permanence dans l’absence de critique et l’affirmation de connaissances déjà-là. Ce cas, observé massivement à propos de contenus d’apparence simple pour les sujets interrogés (montgolfière et ballon à hélium en atmosphère raréfiée), pourrait aller avec le fait que ceux-ci complètent inconsciemment le texte en cause pour le rendre acceptable. Un tel phénomène pourrait contribuer à expliquer la persistance de certains rituels d’enseignement, au-delà de la simple évocation de l’habitude. Il se peut aussi qu’une tendance à l’auto-centration éloigne la personne consultée du texte lui-même, comme le suggèrent certaines proclamations de « satisfaction intellectuelle » en fait très tournées vers l’autoévaluation. On voit donc, là aussi, qu’une approche purement cognitive de la formation se révèlerait probablement trop limitée pour comprendre ce qui se passe et influer sur le cours du développement intellectuel visé.

(13)

Cette prise en compte simultanée d’aspects cognitifs et d’autres métacognitifs-critiques-affectifs dans la formation ne va certes pas de soi. Elle appelle à la fois une poursuite de recherches centrées sur les processus du développement intellectuel, au-delà des seules études de corrélation entre caractéristiques psycho-cognitives, et des expérimentations évaluées de divers types d’interventions visant la recherche critique de cohérence conceptuelle.

Références bibliographiques

Bandura, A. (2001). Social cognitive theory: An agentic perspective. Annual review of psychology, 52 (1), 1-26.

Charlot, B. (2005). Du rapport au savoir : éléments pour une théorie. Paris : Anthropos. Décamp, N., & Viennot, L. (2015). Co-development of conceptual understanding and critical attitude: analysing texts on radiocarbon dating. International Journal of Science Education, 37, 2038–2063.

European Commission, (2015). Science Education for Responsible Citizenship, Report EUR 26893 EN, chair Hellen Hazelkorn, Brussels.

Giancoli, D.C. (2005). Physics (6th ed): Instructor Resource Center CD-ROM, Upper Saddle River: Prentice Hall.

Jenkins, E. W. (2007). School science: A questionable construct? Journal of Curriculum Studies, 39, 265–282.

Jimenez- Aleixandre, M. P., & Puig, B. (2012). Argumentation, evidence evaluation and critical thinking. In B.J. Fraser, K. Tobin, & C. McRobbie (Eds.), Second international

handbook of science education (1001–1015). Dordrecht: Springer.

Kattmann U. & Duit R. (1998). The model of educational reconstruction. Bringing together issues of scientific clarification and students’ conceptions. In B. Bayrhuber (ed): What-Why-How? Research in Didaktik of biology, 253–262.

Komorek, M. & Duit, R. (2004). The teaching experiment as a powerful method to develop and evaluate teaching and learning sequences in the domain of non‐linear systems. International Journal of Science Education, 26 (5), 619–633.

Laukenmann, M., Bleicher, M., Fuller, S., Gläser-Zikuda, M., Mayring, P., & Rhöneck, C. V. (2003). An investigation of the influence of emotional factors on learning in physics instruction. International Journal of Science Education, 25 (4), 489-507.

(14)

Lie, S., Angell, C. & Rohatgi, A. 2012. Interpreting the Norwegian and Swedish trend data for physics in the TIMSS Advanced Study. Nordic Studies in Education, 32, 177–195. Mathé, S., & Viennot, L. (2009). Stressing the coherence of physics: Students journalists' and science mediators' reactions. Problems of education in the 21st century, 11 (11), 104-128.

Ogborn, J. (1997). Constructivist metaphors of learning science. Science & Education, 6, 121–133.

Pintrich, P. R., Marx, R. W., & Boyle, R. A. (1993). Beyond cold conceptual change: The role of motivational beliefs and classroom contextual factors in the process of conceptual change. Review of Educational Research, 63 (2), 167-199.

Rhöneck, C. V., Grob, K., Schnaitmann, G. W., & Völker, B. (1998). Learning in basic electricity: how do motivation, cognitive and classroom climate factors influence achievement in physics? International Journal of Science Education, 20 (5), 551-565. Vermunt J D (1996). Metacognitive, cognitive and affective aspects of learning styles and strategies: a phenomenographic analysis. Higher Education, 31, 25–50.

Viennot, L. (2002). Enseigner la Physique. Bruxelles: De Boeck.

Viennot L. (2006). Teaching rituals and students' intellectual satisfaction. Physics Education, 41, 400-408.

Viennot, L., & de Hosson, C. (2012). Beyond a dichotomic approach, the case of colour phenomena. International Journal of Science Education, 34 (9), 1315-1336.

Viennot, L. (2013). Les promesses de l’Enseignement Intégré de Science et Technologie (EIST): de la fausse monnaie? Spirale 52, 51-68.

Viennot, L. & de Hosson, C. (2015). From a Subtractive to Multiplicative Approach, A Concept-driven Interactive Pathway on the Selective Absorption of Light. International Journal of Science Education, 37 (1), 1-30.

Viennot & Décamp, L. (2016). Co-development of conceptual understanding and critical attitude: toward a systemic analysis of the survival blanket. European Journal of Physics, 37, (1), 015702.

Villain, L. (2013). 61e congrès national de l'UdPPC : comptes-rendus des ateliers nationaux. Bulletin de l’Union des Physiciens, 107, (959), 1211- 1216.

Willingham D T (2008). Critical thinking: why is it so hard to teach? Arts Education Policy Review, 109, 21–32.

(15)

Figure

Figure 1. Références pour la définition du contenu visé par l’enseignement

Références

Documents relatifs

En raison de l’urgence à dispenser un enseignement à distance dans un délai très court, la bibliothèque a construit pour la rentrée 2020 un cycle de formation auprès

Dernières personnes évacuées ou mise en sécurité soit à la salle des Fêtes soit dans les étages des hôtels (hôtel Miramont, hôtel de Provence…). Surveillance de la

Méthode : Calculer la somme des termes d’une suite arithmétique On reprend le contexte de la méthode du paragraphe I..

Chaque année, la banque nous reverse 4% du capital de l’année précédente. On suppose que le placement initial est

En effet, il a été montré qu’un excès de soufre alimentaire est à l’origine à la fois d’une diminution de la synthèse de thiamine dans le rumen et de perturbations

En plus de l’ordre, on peut exprimer une défense / une interdiction (dans ces cas- là, on trouvera une marque de la négation : Ne prends pas cela), mais aussi un

Compétence Comprendre le fonctionnement de la LANGUE  : Construire les notions permettant l’analyse des textes L’ordre fait partie de la grande catégorie!. de l’injonction,

En exploitant les documents, expliquez comment certains nématodes ont pu devenir phytophages en devenant capable de digérer la paroi des cellules végétales... Terminale –