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Les routes migratoires par le Sénégal

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Academic year: 2021

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HAL Id: ird-00499361

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Submitted on 9 Jul 2010

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Nelly Robin, Gonin Patrick

To cite this version:

Nelly Robin, Gonin Patrick. Les routes migratoires par le Sénégal. Karthala. Le Maghreb à l’épreuve des migrations susbsahariennes, Karthala, pp.112-139, 2009. �ird-00499361�

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L

ES ROUTES MIGRATOIRES PAR LE

S

ENEGAL

Patrick Gonin : Migrinter, Poitiers

Nelly Robin : IRD, Ceped, UMR196et Migrinter, Poitiers.

L’Afrique est la première région d’origine des étrangers au sein de l’Union Européenne1, elle-même principale destination des migrants ouest africains en dehors de l’Afrique. Cette dernière décennie, la dynamique des échanges entre les deux zones s’est profondément modifiée. Aux relations bipolaires initiales (pays d’origine / pays de destination) se sont substitués une diversification des itinéraires et un usage multifonctionnel des territoires (tout à la fois pôle d’émigration, d’immigration ou de transit).

Ces mutations, associées au renforcement des contrôles aux frontières des pays européens, favorisent la construction de nouvelles routes migratoires ou de nouveaux pôles de transit. Dans ce contexte, le Sénégal est perçu par les émigrants ouest-africains comme l’une des portes de l’Afrique ouverte sur les « Nords » via le Maghreb, notamment. Ce rôle stratégique du territoire sénégalais est le fruit d’une évolution récente : il y a peu de temps encore, nombre d’émigrants ouest-africains transitaient par Dakar dans l’espoir de rejoindre l’Europe ou les Etats-Unis par avion. L’aéroport Léopold Sedar Senghor est effectivement l’un des plus grands aéroports internationaux de l’Afrique de l’ouest et les compagnies qui le desservent relient régulièrement l’Europe, les Etats-Unis et les pays arabes. Mais l’émigration par voie aérienne, soumise à des contrôles stricts, est très contraignante et les voies maritimes et terrestres (re)deviennent des routes obligées2.

Les entrées et les sorties des ressortissants ouest-africains, enregistrées aux postes frontaliers terrestres de Kidira, entre le Sénégal et le Mali, et de Rosso, entre le Sénégal et la Mauritanie, sont révélatrices de ces évolutions récentes. Kidira était un des lieux de passage d’immigration sub-saharienne au Sénégal. Cette situation prévalait jusqu’en 2003 ; en 2005, cette ville frontière est devenue aussi une porte de sortie vers les routes transsahariennes. Quant au poste frontière de Rosso, il s’est affirmé comme un pôle de circulation de proximité, d’émigration internationale et de transit. Ces villes étapes appartiennent à deux routes sub-sahariennes, l’une qui relie l’Afrique Centrale et les pays du Golfe de Guinée au Sénégal, l’autre animée spécifiquement par les ressortissants des pays ouest-africains anglophones. Les migrants qui empruntent ces routes et transitent par le Sénégal, tentent de rejoindre l’Europe par voie terrestre puis maritime soit via le Niger, l’Algérie et la Libye ou le Maroc, soit via la Mauritanie, le Maroc ou les îles Canaries.

1 Si nous ne tenons pas compte de ses migrations internes.

22 Les premiers subsahariens arrivent en France dès la fin des années 1950 et surtout durant les années

1960, le voyage s’effectuant en bateau, dont le Mermoz qui assurait une liaison régulière entre Dakar et Marseille. Voir à ce sujet le roman de Sembène Ousmane, Le Docker noir publié en 1956. Les conditions de navigation ne sont pas comparables entre ces deux périodes.

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La situation sur le front des routes ouest-africaines de l’émigration internationale est très mouvante. Elle évolue au gré, des systèmes de contrôle mis en place au nord comme au sud, à l’initiative des pays européens, et des crises politiques ou économiques qui affectent les pays de départ ou de transit. Les voies récentes de l’émigration ont été d’abord terrestres avant d’être maritimes, elles se situaient au Nord de l’Afrique : au Maroc, en Algérie et en Libye. Certaines d’entre elles se sont progressivement déplacées des côtes méditerranéennes, de Melilla et Ceuta, deux enclaves espagnoles au Maroc, aux côtes atlantiques jusqu’à la pointe Saint-George au Sud du Sénégal puis vers la Guinée-Bissau et la Guinée Conakry.

Ainsi, selon les rapports des services secrets espagnols (CNI), en 2007, «entre 4 000 et

6 000 Asiatiques clandestins sont massés en Guinée Conakry dans l’attente de tenter une traversée vers les côtes espagnoles à bord de navires poubelles. La plupart viennent d’Inde, du Pakistan, du Sri Lanka ou de Birmanie, et ont passé plusieurs années à travailler dans les pays du Golfe persique avant d’être acheminés en Afrique (…). (…) la ville marocaine de Casablanca est aussi une étape importante pour ces immigrants qui se réunissent avant de descendre vers la Guinée Conakry, sur la côte ouest-africaine. »

AFP, 20 septembre 2007

Cette recomposition partielle du système migratoire ouest-africain comprend aussi son lot de morts et de disparus : des pirogues pouvant embarquer de 40 à 180 personnes partent des côtes de l’Afrique, affrontent les courants marins afin d’atteindre les îles Canaries. Elles sont celles des pêcheurs ou elles sont construites spécifiquement pour organiser l’émigration vers ces îles, portes possibles d’une Europe qui se veut “forteresse”. Selon les autorités espagnoles, 30 000 candidats à l’entrée en Europe seraient arrivés aux Canaries en 2006. Cette nouvelle route migratoire a très régulièrement fait la une des journaux sénégalais et européens, qui ont relayé le désespoir des candidats au départ, critiqué les exigences des pays européens (l’Espagne, la France…) à l’égard des pays de départ et rendu compte des naufrages et des conditions de vie difficiles lors des traversées.

Dans ce contexte, les départs des côtes sénégalaises permettent d’interroger les “nouvelles frontières de l’Europe en Afrique”. Notre posture de recherche part des acteurs de la migration internationale, qu’ils soient candidats ou qu’ils participent à la mise en place des filières migratoires. Si les politiques publiques, les décisions des États nationaux ou de l’Union Européenne sont la toile de fond de cette analyse, celle-ci reste centrée sur le migrant acteur afin d’approcher la notion d’autonomie des systèmes migratoires3 et de s’affranchir des thèses dominantes qui se suffisent d’une approche à partir des déterminants des migrations internationales. De ce point de vue, les frontières sont des lieux privilégiés pour observer et comprendre les dynamiques des mobilités actuelles. Lorsque les contrôles aux postes frontières se durcissent, et

3 L’autonomie des migrations est une formule qui entend « indiquer l’irréductibilité des mouvements

migratoires contemporains aux “lois” de l’offre et de la demande qui gouvernent la division internationale du travail, et signifier que les demandes qui s’y expriment excèdent les “causes objectives” qui les déterminent », Mezzadra Sandro, 2005, Capitalisme, migrations et luttes sociales.

Notes préliminaires pour une théorie de l’autonomie des migrations, Multitudes, mise en ligne le samedi 10 septembre.

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rendent ainsi leurs franchissements réguliers trop difficiles, alors le candidat à la migration les contourne. D’octobre 2005 à mai 2006, les lieux possibles de passages se sont déplacés de 3 000 kilomètres : de Melilla et Ceuta à Layoun puis Nouadhibou, de Saint-Louis à Dakar, de la Petite Côte au Sud de Dakar à la Casamance ; depuis, ils ont poursuivis leur redéploiement vers les côtes bissao et guinéenne. Face à cette situation, comment se recompose l’espace migratoire de ceux que nous pourrions qualifier “des orphelins de la migration circulaire”, ceux qui ne sont pas originaires des zones ayant installées des couples migratoires stabilisés à l’image des Soninké ou des Haalpulaar du bassin du fleuve Sénégal ? Ces migrants installés durablement en France notamment, arrivent, malgré les obstacles mis en place, à circuler entre les différents lieux de leur espace de vie. Les données fournies par le registre des postes frontaliers4 ainsi que celles de la chaîne pénale5 du Sénégal, éclairées par les différentes informations fournies par la Croix Rouge, le HCR, l’agence France Presse et les quotidiens sénégalais ou espagnol, nous permettent de formuler de nouvelles hypothèses sur les systèmes migratoires de la sous-région.

Le Sénégal occupe une place particulière dans cette partie du monde. Il sera d’abord question de ce positionnement spécifique afin de pointer les transformations récentes. Ensuite, à partir de deux cheminements distincts ou connectés, par terre via deux villes frontières, ou par mer via les îles Canaries, les reconfigurations en cours des systèmes migratoires de la sous-région seront abordées.

Le Sénégal et la recomposition du système migratoire sous-régional

L’Union Européenne constitue la principale destination des migrants ouest-africains en dehors de l’Afrique. Et, la Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO)6, territoire de fortes mobilités, est un espace de libre circulation pour les ressortissants des Etats membres7 ; dans la pratique, au-delà d’une application stricte du droit8, ils peuvent franchir ses frontières internes sur la seule présentation d’une carte d’identité.

Les migrations internes et sous-régionales sont souvent les premières étapes avant d’imaginer une migration internationale surtout lorsque l’on sait que les perspectives d’avenir, l’espoir d’améliorer ses conditions de vie sont particulièrement limités au sein de la sous région. Il va s’en dire que cette pression à l’émigration internationale, et tout particulièrement en direction de l’Europe, reste forte même si cette contribution

4

Ministère de l’Intérieur du Sénégal.

5

Ministère de la Justice du Sénégal

6 La CEDEAO a été créée par le Traité de la Communauté Economique des Etats de l’Afrique de

l’Ouest, signé à Lagos, le 28 mai 1975. Elle comprend huit pays de la zone du franc CFA, soit le Bénin, le Burkina Faso, la Côte d’Ivoire, la Guinée-Bissau, le Mali, le Niger, le Sénégal et le Togo, et sept autres : le Cap Vert, la Gambie, le Ghana, la Guinée, le Libéria, le Nigeria et la Sierra Leone. La Mauritanie a quitté la CEDEAO en 2002.

7 Protocole sur la libre circulation des personnes et le droit de résidence et d’établissement de la

CEDEAO, conclu à Dakar, le 29 mai 1979.

8 Selon les termes de la mise en exécution de la première étape du protocole de la CEDEAO, « tout

citoyen de la Communauté, désirant entrer sur le territoire de l’un quelconque des Etats membres » y

est autorisé, « par un point d’entrée officiel, sans avoir à présenter de visa », s’il possède « un document

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africaine aux migrations internationales est dérisoire à l’échelle de la planète. Ils ne sont que 3,4 millions de Subsahariens officiellement recensés au sein des pays de l’OCDE, et 1,2 millions d’Africains de l’ouest qui résident dans quelques pays seulement dont les États-Unis (351 000), la France (288 000), le Royaume-Uni (176 000), l’Italie (82 000) et le Portugal (68 000)9.

Trois types de couples migratoires se sont constitués durant ce vingtième siècle : le premier concerne les liaisons entre un pays ouest-africain et un pays européen, par exemple : le Sénégal ou le Mali et la France, le Nigeria et le Royaume-Uni, le Ghana et l’Italie … Un autre type de couple migratoire associe les pays ouest-africains et ceux d’Afrique Centrale dont la République Démocratique du Congo et le Gabon, notamment. Le dernier type regroupe les pays ouest-africains entre eux comme le Burkina Faso et la Côte d’Ivoire ou la Gambie et le Sénégal, par exemple. Si quelques couples migratoires, produits de l’histoire coloniale, résistent malgré tout, ils demeurent fragilisés par l’évolution des dynamiques et des politiques migratoires, internationales, régionales ou bilatérales. La période récente est surtout marquée par une triple diversification, celle des régions d’origine, celle des pays de destination (l’Espagne et l’Italie par exemple) et celle des acteurs de la migration internationale (hommes et femmes, jeunes et moins jeunes, ruraux et urbains, personnes sans qualification ou à l’inverse très qualifiées).

Renforcement des mesures de contrôle des flux au nord, crises politiques ou économiques au sud

D’autres facteurs expliquent l’actuelle l’augmentation du nombre des candidats au départ. Ils ont pour origine les décisions prises par les pays européens de renforcer les contrôles aux frontières de l’espace Schengen10, de limiter les flux migratoires, voire d’accorder les visas d’entrée et les autorisations de séjours en fonction des niveaux de formation des émigrants potentiels et des besoins de main-d’œuvre des pays d’accueil. Or, en la matière, l’histoire nous apprend que lorsque de telles décisions sont prises, les candidats à un départ s’empressent de quitter leur pays, même si leur projet migratoire n’est pas pleinement réfléchi ou abouti.

De même, la crise ivoirienne a modifié en profondeur l’espace migratoire ouest-africain, elle a contraint, d’après les Nations Unies au déplacement de plus de 1 300 000 personnes dont près de la moitié sont soit retournées dans leur pays d’origine, soit ont tenté une migration vers d’autres destinations. La Côte d’Ivoire, pays de destination privilégié depuis de nombreuses années, impliquant des filières migratoires fonctionnelles, est devenue du jour au lendemain particulièrement difficile d’accès. Les candidats à l’émigration, originaires des pays qui ont une longue tradition d’émigration vers ce pays, ont recherché de nouvelles destinations et se sont engagés sur les routes transsahariennes ou maritimes dans l’espoir de rejoindre l’Europe.

Historiquement au Sénégal, les migrations internationales ont d’abord concerné les “gens du fleuve” ; originaires des zones rurales, ils se sont dirigésprincipalement vers

9 Bossard, Gnisci, Robin et Trémolières (2006) p 6 10

Le Pacte Européen sur l’immigration et l’asile a été présenté au Conseil européen, les 7 et 8 juillet 2008 à Cannes ; il devrait être adopté s les 15 et 16 octobre 2008 lors d'un conseil européen à Paris.

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la France11. Depuis le début des années 1980, l’émigration sénégalaise a connu un profond bouleversement provoqué par différentes crises urbaines et rurales. Les zones de départ se sont multipliées et deux nouvelles régions ont largement contribué à ces nouveaux flux migratoires : la capitale, Dakar, et le bassin arachidier, berceau de la communauté mouride, sont ainsi devenus les régions au plus fort taux de départ12. L’exemple de cette dernière communauté illustre ces mutations récentes. Au début du XXème siècle, l’introduction de l’arachide au Sénégal permet le développement d’un nouveau pôle économique : le bassin arachidier. Mais au début de la décennie 1970, plusieurs années de sécheresse entraînent le déclin de la production arachidière. Dès lors, la confrérie mouride, dont l’activité économique était traditionnellement liée à la culture de l’arachide, cherche des solutions alternatives et participe activement à l’émigration internationale sénégalaise. A la fin des années 1960, les Mourides représentaient seulement environ 10 % des Sénégalais émigrés vers les pays du Nord, l’Europe notamment. Depuis le début des années 1980, ils constituent environ 40 % de ces migrants internationaux13. La crise arachidière a généré l’exode rural, lui-même relayé par des mouvements migratoires internationaux. Ainsi, l’émigration internationale récente au départ du bassin arachidier est sans conteste le reflet d’une crise agricole profonde mais elle est aussi l’expression du dynamisme de la communauté mouride. Sans celui-ci, l’exode rural se serait probablement orienté essentiellement vers Dakar et n’aurait pas été aussi rapidement et aussi fortement relayé ou soutenu par l’émigration internationale. Le système confrérique mouride a polarisé l’émigration interne vers un espace symbolique, la ville sainte de Touba, et a défini les modalités d’une nouvelle migration internationale. Le potentiel migratoire de Touba réside donc à la fois dans la crise du bassin arachidier et dans la force de l’organisation sociale de la communauté mouride14.

En un quart de siècle, le Sénégal a d’abord été un pays d’immigration par l’accueil des ressortissants de pays voisins, dont la Guinée, le Mali et la Mauritanie, puis aussi un pays d’émigration. Les trois destinations principales de ses ressortissants ont longtemps été l’Afrique et plus particulièrement, l’Afrique de l’ouest dont la Côte d’Ivoire, l’Europe puis l’Amérique du Nord. Au cours des vingt dernières années, cette distribution a été profondément bouleversée. Les résultats de l’enquête DEMIS15, réalisée en 2000, par l’IRD avec le NIDI et EUROSTAT, témoignent de cette recomposition de l’espace ouest-africain. Elle révèle qu’au début du XXIème siècle, l’émigration sénégalaise vers les pays africains (Côte d’Ivoire, Mauritanie) a diminué ; et à l’inverse, elle s’est accrue en direction des pays européens et s’est ouverte à de nouvelles destinations, telles que les pays arabes et les Etats-Unis. La répartition entre les pays de destination évolue en Afrique comme dans l’Union Européenne. La France, hier premier pays d’immigration, et la Côte d’Ivoire connaissent une forte baisse. Par

11 De nombreux travaux retracent cette histoire, signalons entre autres Adams (1977), Gonin (1997,

2001, 2005), Lavigne-Delville (1991, 1994), Manchuelle (2004), Quiminal (1991) …

12 Robin, Lalou et Ndiaye (2000) 13 Lalou et al. (1996)

14 Robin (2007)

15 DEMIS : Déterminants de l’émigration internationale au Sénégal, Cette enquête concerne 1 752

ménages des régions de Dakar et de Touba. Parmi les 6 269 questionnaires individuels remplis, 1 866 sont des migrants “actifs” ou de retour.

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contre, l’Italie et la Gambie enregistrent une hausse importante, et deviennent les deux premières destinations des émigrants sénégalais16.

Cependant pour partir dans des conditions acceptables, il est préférable d’avoir accès aux informations concernant les routes possibles, et de disposer d’appuis pour rendre supportable l’arrivée dans un autre pays, dont l’accès à un logement et à un emploi.

L’aventure migratoire, une histoire complexe

De ce point de vue, “l’aventure migratoire” est une histoire complexe qui dépend de nombreux paramètres liés aux opportunités et aux contraintes propres à chaque pays (de départ et d’arrivée, de transit ou de rebond), aux flux de circulations et d’informations véhiculées par les migrants mais aussi par les médias, aux routes migratoires possibles et aux obstacles frontaliers. Face à cette architecture migratoire, il est nécessaire aussi de prendre en compte les projets des candidats au départ, les risques qu’ils sont prêts à affronter, les connaissances accumulées par tous ceux qui circulent : les évolutions récentes perturbent les classifications proposées ces dernières années. Les espaces-contacts (Mauritanie, Mali, Niger), relais (Guinée-Bissau, Nigeria, Côte d’Ivoire et Cameroun) ou redistributeurs (Robin, 1996, p. 73) sont surtout devenus des pôles de contournement face aux difficultés de circuler ou d’arriver dans le pays de destination. Mais, les dispositions prises par les pays européens pour externaliser le contrôle des frontières de l’Espace Schengen limitent les possibilités de cette fonction tremplin et laissent de plus en plus les migrants en panne en des lieux souvent inhospitaliers. Au fur et à mesure, l’espace migratoire de passage s’ouvre à d’autres pays, ceux de l’Afrique du Nord, des îles proches (Cap Vert et Canaries), voire des pays de l’Europe de l’Est ou ceux du Moyen-Orient.

Un pays comme le Sénégal connaît à l’heure actuelle une juxtaposition de systèmes migratoires dont il est possible de dégager trois grandes tendances.

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Un premier système s’apparente aux migrations circulaires traditionnelles de travail, sauf qu’il correspond plus actuellement à une migration de peuplement en Europe qui a maintenu et renforcé les liens avec les villages de départ. Les régions concernées par ce type de migration sont celles du Fleuve et du Sénégal oriental ; les migrants les plus âgés pratiquent des déplacements multi résidentiels. Les plus jeunes souhaitent aussi partir, mais les routes traditionnelles se sont fermées et les réseaux favorisant ces départs se sont partiellement taris. Ces bassins de départ historiques ont d’abord été le fait des Soninké et des Toucouleurs. Cette migration s’est installée dès le début des années 1960, a connu une intensification des départs au début des années 1970 par la combinaison de déterminants variables dont les accidents climatiques, pour ensuite se propager le long des voies de communication. Les villes régionales et pour finir Dakar sont devenues les relais obligés pour organiser ces déplacements. La diffusion de ce système migratoire s’est fait par contagion, gagnant ainsi les régions proches et les villes relais.

Le deuxième système correspond à celui mis en place par les communautés religieuses et principalement les Mourides. D’autres filières s’installent, les pays de destinations se diversifient, notamment vers l’Europe du Sud. Ces migrations commerçantes alimentent aussi les circulations migratoires et contribuent ainsi à la diffusion de l’information sur les avantages financiers que procurent les migrations internationales. Mais le système mouride est très spécifique ; s’il permet d’ouvrir les voies à l’émigration internationale, il installe une dépendance forte vis-à-vis de cette confrérie religieuse. D’autres candidats souhaitent également partir, mais ils ne bénéficient pas forcement des informations nécessaires pour le faire et ils se retrouvent sur les routes sahariennes ou maritimes.

Ce troisième système regroupe les orphelins de la circulation migratoire traditionnelle. Malgré cette diversité de systèmes, trois éléments expliquent les raisons pour lesquelles les candidats à la migration internationale sont toujours aussi nombreux. La notion de “projet migratoire” est centrale pour comprendre les raisons pour lesquelles autant de candidats jeunes et moins jeunes, hommes et femmes, sans formation ou très qualifiés cherchent à partir. Parmi les explications classiques des déterminants des migrations internationales, on trouve l’espoir d’améliorer ses conditions de vie, le rêve d’une vie meilleure ailleurs, le rite de passage pour les classes d’âges les plus jeunes, les mythes. Parmi les facteurs explicatifs récents, il faut aussi tenir compte de la dégradation de l’environnement politique, des pressions sociales qui poussent certains à partir, des crises agricoles et du secteur de la pêche, l’absence d’activités économiques suffisamment rémunérées, mais aussi des effets “euphorisants” des appels téléphoniques par portable signalant l’arrivée à bon port d’un frère ou d’un ami, en Espagne ou ailleurs. « Parce que l’on rêve tous d’une vie

meilleure ! Je rêvais de devenir professionnel. Mais je suis devenu tailleur, à la place,

explique K.N., ancien champion de basket. « Le seul moyen d’arriver à acheter une

maison à ma mère, c’était de partir travailler en Europe … »17, poursuit-il dans sa boutique de Colobane, l’un des quartiers populaires de Dakar d’où nombre de jeunes sénégalais ont tenté l’aventure pour l’Espagne, notamment.

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Ainsi, l’enquête DEMIS a démontré qu’avant de partir, le migrant a une charge familiale supérieure à celle du non migrant. Par ailleurs, les investissements immobiliers réalisés par les migrants deviennent le modèle de la réussite sociale pour une large part de la population. Dans ce contexte bien spécifique, les projets migratoires sont à la fois personnels, familiaux et/ou collectifs, et dans bien des situations, ils se précisent durant le temps du voyage et sur les routes migratoires : « Le

projet migratoire se construit en fonction [des] différentes échelles sociales et spatiales, et s’insère dans un champ plus vaste qui est ce que la société se donne comme objectifs à un moment donné, ceux-ci étant appelés à se modifier en permanence. Au-delà de la réponse à des contraintes locales, le projet migratoire renvoie par ailleurs à une diversification des ressources, à une dispersion d’une partie des membres du groupe social, dispersion envisagée plutôt comme un atout, comme la création de nouvelles opportunités que comme un affaiblissement. »18. Mais étant donnée la diversification des zones de départs et les raisons pour lesquelles ces personnes décident de s’engager sur les routes migratoires, leurs projets se différencient selon leur communauté de référence et leur milieu d’origine. Alors que ceux du fleuve s’inscrivent dans une histoire longue de projets villageois, puis intervillageois et communaux de développement collectifs19, ceux de la région de Louga et de Diourbel contribuent fortement au développement des villes moyennes du bassin arachidier et de la ville de Touba, lieu saint de la communauté mouride, qui compte aujourd’hui plus de 300 000 habitants. Par ailleurs, les Dakarois privilégient des investissements, économiques ou immobiliers, plus individuels.

Le “risque migratoire” est intimement lié au projet de celui qui décide de partir ; il

sera fonction de sa destination, des informations à sa disposition et des sacrifices qu’il est prêt à consentir pour conduire à bien son projet. Il serait erroné de penser que ce risque n’est pas connu par ceux qui prennent la route. La presse et les médias dans leur ensemble font largement état des accidents ; parallèlement, des campagnes de sensibilisation, initiées par les pays européens et menées par des ONG locales ou internationales, relaient les récits de ceux qui n’ont pas réussi à atteindre le pays souhaité ou de ceux qui ont été « réadmis », rapatriés le plus souvent par les autorités espagnoles. Ce risque est donc calculé, accepté, il se chiffre tant du point de vue des coûts financiers qu’en vies humaines, et les chiffres sont dans ce domaine inflationniste. “Des sans nom et sans nombre” de Ceuta et Melilla20, aux quelques milliers de disparus en mer, les chiffres restent incertains, mais la voie aérienne était incontestablement plus sûre que la voie maritime. L’obligation d’atteindre les 80 miles, voire de passer par les îles du Cap-Vert pour contourner les contrôles côtiers, notamment le dispositif FRONTEX21, ont induit une augmentation des risques et des

18

Boyer (2005), p 121

19 Cf à ce sujet les réalisations conduites par des associations de migrants ou des ONG, dont le GRDR

(http://www.grdr.org)

20 Migreurop (2006), p 89

21 FRONTEX : Agence européenne pour la gestion de la coopération opérationnelle aux frontières

extérieures (http://europa.eu/agencies/community_agencies/frontex/index_fr.htm). Cette agence a pour mission de coordonner la coopération “entre les États membres en matière de gestion des frontières extérieures,” de les assister “pour la formation des garde-frontières nationaux”, et de leur fournir “l’assistance technique” et “l’appui nécessaire pour organiser des opérations de retour conjointes”.

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coûts ; selon différentes sources, ils sont actuellement de l’ordre de 800 000 à 1 200 000 Frs CFA par personne (ils se situaient entre 250 000 et 500 000 Frs CFA lors des premiers départs par voie maritime). Un autre risque concerne la “prestation” du voyage qui se paye avant le départ, mais ce risque peut paraître atténué par le fait que les capitaines des pirogues sont aussi des candidats au départ qui partagent les mêmes objectifs que les candidats à l’émigration.

“Savoir migrer” et diffusion de l’information. Les différentes sociétés sénégalaises

(rurales et urbaines) ainsi que les groupes qui les composent ont appris à migrer, l’effet mémoire se combinant aux opportunités actuelles. Les liens linguistiques, la présence de Sénégalais de l’extérieur et les multiples réseaux de toute nature sont mis à contribution pour tenter l’aventure. De leurs points de vue, les frontières nationales ne se ferment pas, tout au plus les lieux possibles pour passer se déplacent-ils. La migration par la voie maritime avait disparu dès les années 1970, elle est depuis quelques années ouverte à nouveau mais selon des modalités plus informelles et plus dangereuses. Les pirogues, pour la plupart conduites par des professionnels de la mer, disposent de systèmes de navigation modernes comme les systèmes de positionnement mondial (GPS), de moteurs de plus en plus puissants, et les quelques jours de mer correspondent à la durée des campagnes de pêches, soit entre sept et quatorze jours selon les conditions météorologiques et maritimes rencontrées. Mais le nombre de ceux qui sont capables de piloter ces pirogues tend à diminuer parmi la communauté des pêcheurs dans la mesure où ces voyages sont sans retour. La crise halieutique actuelle ne fait qu’augmenter le nombre de ceux qui sont prêts à partir et en conséquence accentue le désarroi de toute une filière de production. La circulation de l’information participe de ce “savoir migrer”, tout ce qui se passe en Europe ou dans le vaste monde est connu partout au Sénégal en un temps record.

La diversification des itinéraires, les anciennes routes côtoyant de nouvelles, et l’usage multifonctionnel des espaces concernés (pôles d’émigration, d’immigration et de transit) accentuent les mobilités. Le système migratoire se complexifie, certes, mais cela n’a-t-il pas toujours été le cas ? Penser que cela était plus simple avant est certainement en partie inexact.

Par terre : les villes frontières : l’exemple de Kidira et de Rosso

Les statistiques frontalières22 sont une source qui au Sénégal nous apporte des informations particulièrement intéressantes. Elles nous renseignent entre autres sur la nationalité, la date et le lieu de naissance, la profession, la nature du titre de voyage, la provenance et la destination de celui qui passe la frontière. Elles permettent d’appréhender l’intensité des flux, le rythme des entrées et des sorties du territoire sénégalais, mais seuls les mouvements migratoires légaux sont concernés. Par ailleurs, il n’est pas toujours possible d’introduire des distinctions entre les mouvements pendulaires de proximité, les circulations saisonnières et les intentions de migrations internationales23. Le croisement de plusieurs sources s’impose donc pour saisir l’intensité des flux ayant pour objectif les migrations internationales.

22 Il s’agit de l’entrée et de la sortie des personnes aux postes frontaliers du Sénégal. 23

Des passages s’effectuent ailleurs qu’aux postes frontières, on peut estimer qu’ils concernent plusdes mouvements de proximité et moinsdes migrations internationales

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Seules les données de deux postes terrestres sont exploitées dans le cadre de cette présentation : Kidira, à l’extrémité Est du Sénégal, ville frontière sur la Falémé et gare ferroviaire de la ligne Dakar-Bamako, d’une part, et Rosso, autre ville frontière lieu de passage sur le fleuve Sénégal, d’autre part.

Kidira, à l’intersection de deux routes terrestres

Kidira, petite ville, située sur la rive gauche de la Falémé est connue par tous ceux qui ont eu à emprunter le train de Dakar à Bamako, ou inversement. Lieu de passage obligé pour se rendre au Sénégal depuis le Mali, par voie ferroviaire, elle connaît une importante activité commerciale liée à cette fonction frontière. En 2005, plus de 15 000 Maliens sont entrés au Sénégal par ce poste frontière, alors que pour la même année, ils étaient environ 11 000 à le franchir dans l’autre sens (Figure 2). Au-delà des échanges transfrontaliers très actifs dans cette zone, il est possible que certains migrants tentent une aventure migratoire bien plus longue. Ce poste frontière est dans le prolongement de deux routes terrestres qui convergent vers Bamako ; l’une relativement courte, vient du Niger ; l’autre plus longue, relie le Congo, le Cameroun, le Nigeria, puis longe le Golfe de Guinée (Bénin, Togo, Ghana) avant de s’orienter vers le Burkina Faso et le Mali. Précédemment, les migrants qui empruntaient cette dernière route avaient pour objectif principal d’atteindre Abidjan, pôle d’immigration et de transit vers l’Europe. La crise ivoirienne a favorisé une réorientation de cet itinéraire vers le Mali, puis pour certains de ces transmigrants vers le Sénégal. Les contrôles plus stricts à l’aéroport international de Dakar obligent certains d’entre eux à ressortir par Kidira afin d’emprunter les routes transsahariennes et gagner la rive sud de la Méditerranée, en Algérie ou en Libye. Les sorties par nationalité à ce poste frontière sont édifiantes, elles permettent d’introduire de nouvelles hypothèses sur les mobilités de proximité et les intentions de migrer à l’international, même s’il faut garder à l’esprit que certains rentrent aussi tout simplement chez eux.

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1 472 7 1 923 692 8 6 7 1 39 1 800 1 608 708 672 444 228 228 120 84 135 602 36 540 552 0 200 400 600 800 1 000 1 200 1 400 1 600 1 800 2 000 Mau ritan iens Gam bien s Gui néen s Nig erie ns Nig eria ns Gha néen s Bur kina bé Bissa u G uiné ens Ivoi riens Togo lais Bén inoi s Sie rra L eona is Année 2003 Année 2005 Figure 2

Kidira : les sorties des Ouest-africains par nationalité

(sans les Sénégalais et les Maliens)

Source : Registre des postes frontaliers 2003 - 2005

Source : Direction des passeports et des titres de voyage, 2003 et 2005, Sénégal

Par comparaison entre 2003 et 2005, le nombre de migrants ouest-africains sortant par Kidira (sans les Sénégalais et les Maliens) est passé de 3 893 à 7 020 personnes (Figure 3). Rien dans la sous-région n’explique cette progression de plus de 3 000 sortants, sauf certainement l’augmentation des candidats à l’émigration. Pour les Burkinabés, les Béninois et les Togolais, d’une part, et les Ivoiriens, d’autre part, l’impact de la crise ivoirienne et la recomposition des routes qu’elle a imposée permettent de comprendre en partie cette évolution ; les premiers cherchent de nouvelles alternatives pour émigrer, les seconds deviennent des émigrants. Pour les Nigériens, l’accord italo-libyen de 2004 est aussi à prendre en compte24. Il a induit un redéploiement des routes migratoires entre l’Afrique de l’ouest et le Maghreb. Plus général, il semblerait que les circulations internationales s’intensifient au sud du Sahara.

Quant aux Gambiens et aux Guinéens, le contexte est différent. On peut estimer que jusqu’en 2003, ils tentent la voie aérienne par l’aéroport international L. Senghor de Dakar, mais la décision unilatérale de la France de mettre en place un visa de transit aéroportuaire, limite les possibilités d’embarquer pour l’Europe. Dès lors, certains sont tentés d’emprunter la route transsaharienne de l’intérieur, ce qui expliquerait l’augmentation du nombre de sorties par Kidira.

Pour les Mauritaniens, la situation est toute autre : l’augmentation du nombre de sortant entre 2003 et 2005 s’explique essentiellement par des circulations de proximité et une activité commerciale liée à un réseau de marchés hebdomadaires dans la région

24 Le 12 août 2004, Italie et Libye concluent un accord pour endiguer l’immigration clandestine. La

collaboration comprend la formation du personnel libyen ainsi que la mise en place de patrouilles italo-libyennes, comprenant des unités navales, aériennes et terrestres, chargées d’intercepter les départs de clandestins. En décembre 2007, le processus a été renforcé par un nouvel accord italo-libyen de coopération.

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du Sénégal oriental. Aucune information ne nous permet d’affirmer qu’elle est due à une intention de rejoindre l’Europe.

Les migrants ouest-africains sortis par le poste de Kidira sont pour la plupart de jeunes hommes sans profession ; s’ils ont une activité professionnelle, ils sont principalement artisans, chauffeurs, voire footballeurs ou artistes ! Les Mauritaniens sont essentiellement des commerçants.

Rosso, sur la route transsharienne de la côte poursuivie par la voie maritime

L’autre ville est Rosso sur la rive gauche du fleuve, à la frontière entre le Sénégal et la Mauritanie. Sa population est estimée à plus de 9 000 habitants en 2002. Cette ville connaît une évolution démographique importante du fait des accroissements naturels et migratoires, et des opportunités économiques favorisées par les échanges frontaliers. Chaque jour des centaines de Sénégalais et de Mauritaniens transitent par cette ville. Le transport s’effectue par les pirogues ou par le bac. Mais d’autres nationalités franchissent cette frontière dont 4 à 5 000 ouest-africains (Figure 4). L’évolution du nombre des personnes qui sont sorties du Sénégal par ce poste frontière, entre 2003 et 2005, révèle surtout des circulations de proximité : si on constate une légère diminution des Maliens et des Guinéens, le nombre de Gambiens et de Bissau-Guinéens augmentent entre ces deux dates. Pour ces derniers, il est possible d’introduire la même hypothèse que celle émise pour le poste de Kidira : le visa de transit aéroportuaire (VTA)25, imposé au départ du Sénégal depuis 2002, par plusieurs

25 Les Etats membres de l’UE établissent, en 1996, le visa de transit aéroportuaire (VTA) : par ce

dispositif, il leur est donné de déroger au principe de « libre passage en transit par la zone

internationale des aéroports », établi par l’annexe 9 de la Convention de Chicago. Seuls les

ressortissants des pays tiers sont soumis à ce principe d’exception et les visas de transit aéroportuaires sont délivrés par les services consulaires des Etats membres.

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pays européens, inciterait les candidats à l’émigration à tenter la route goudronnée passant par Nouakchott, Nouadhibou et Layoun pour rejoindre le Maroc. Il y aurait donc un redéploiement de la voie aérienne vers la voie terrestre ; en outre, le fait que cette voie terrestre se soit poursuivie par la voie maritime constitue aussi en soi un facteur d’appel, les départs s’effectuant de différents ports situés tout au long de cette route côtière. 1 392 240 72 1 144 48 36 12 12 648 480 72 72 1 1 596 60 348 312 24 24 36 60 84 96 1 248 1 476 0 200 400 600 800 1 000 1 200 1 400 1 600 1 800 Mal iens Gui néen s Gam bien s Bis sau Gui néen s Gha néen s Ivoi riens Nig erie ns Sie rra L eona is Nig eria ns Bén inoi s Bur kina bé Togo lais Libe riens Année 2003 Année 2005 Figure 4

Rosso : les sorties des Ouest-africains par nationalité

(sans les Sénégalais et les Mauritaniens)

Source : Registre des postes frontaliers 2003 - 2005

Source : Direction des passeports et des titres de voyage, 2003 et 2005, Sénégal

Ces statistiques frontalières sont à utiliser avec prudence, elles ne peuvent que suggérer de nouvelles hypothèses qui devront être vérifiées à partir d’entretiens avec des candidats à l’émigration internationale. Mais l’augmentation du nombre des sorties s’inscrit dans une période marquée par trois événements régionaux majeurs : la crise de la Côte d’Ivoire26, les difficultés économiques au Sénégal et en Gambie et l’instabilité politique de la Guinée Bissau27.

Par mer : la maritimisation de l’émigration

Le contrôle renforcé des circulations transsahariennes, sous l’impulsion, voire l’exigence des pays européens, conduit à un redéploiement des circulations subsahariennes ; dans ce contexte, la voie maritime se révèle être une solution possible pour les nouveaux candidats au départ, orphelins des routes migratoires habituelles.

26 Tentative de coup d’Etat, le 19 septembre 2002. 27

Depuis plusieurs années la Guinée Bissau a été confrontée à plusieurs coups d’Etat ou tentatives de coup d’Etat.

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D’octobre 2005 à mai 2006, les routes migratoires se sont déplacées du Sahara à l’Atlantique. Le chronographe, présenté ci-dessous, est particulièrement édifiant sur la capacité d’adaptation, voire de réactivité des candidats à la migration internationale.

Octobre 2005,



Renforcement par les autorités marocaines et espagnoles de la surveillance du détroit de Gibraltar et des enclaves de Ceuta et Melilla

Avril 2006,



(El Païs, 11 avril) 2 500 immigrés arrivés aux Canaries depuis la Mauritanie



Mesures prises par les autorités mauritaniennes qui annoncent une baisse de 75 % des flux au cours du mois d’avril



1 500 subsahariens interceptés en Mauritanie et expulsés entre 1er janvier et 18 avril 2006 (source : Ministère de l’Intérieur de Mauritanie)

Mai 2006,



Emigration par voie maritime depuis les plages de St Louis et de Dakar

« le Sénégal a supplanté le Maroc et la Mauritanie » (autorités espagnoles, 21.05.06)

Août / Septembre 2006



Emigration dite clandestine depuis la Petite Côte et la Casamance

Selon les autorités espagnoles, fin décembre, 30 000 candidats à l’immigration seraient arrivés aux Canaries au cours de l’année 2006

(en 2002 = 9 924 candidats à l’immigration arrivés aux Canaries)

Sources : AFP et les autorités espagnoles, janvier-décembre 2006

Cette émigration de “sans document” pour reprendre la terminologie appropriée en Espagne n’est pas récente, elle avait déjà cours depuis quelques années. Par contre, la pression migratoire était moins forte et ne concernait que quelques milliers de personnes par an. Les dépêches de l’AFP croisées avec les informations diffusées par les autorités espagnoles permettent de retracer l’évolution du nombre de candidats africains à l’émigration, arrivés aux îles Canaries entre janvier et décembre 2006 (Figure 5). Avec une moyenne de plus de 3 000 personnes par mois, elle ne fléchit pas, même en décembre et janvier, la période la plus difficile pour la navigation dans cette zone.

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Figure 5 : Evolution du nombre de candidats d'Afrique sub-saharienne arrivés aux Canaries entre avril 2006 et janvier 2007

0 5 000 10 000 15 000 20 000 25 000 30 000 35 000 1 1 /0 4 /2 0 0 6 2 5 /0 4 /2 0 0 6 0 9 /0 5 /2 0 0 6 2 3 /0 5 /2 0 0 6 0 6 /0 6 /2 0 0 6 2 0 /0 6 /2 0 0 6 0 4 /0 7 /2 0 0 6 1 8 /0 7 /2 0 0 6 0 1 /0 8 /2 0 0 6 1 5 /0 8 /2 0 0 6 2 9 /0 8 /2 0 0 6 1 2 /0 9 /2 0 0 6 2 6 /0 9 /2 0 0 6 1 0 /1 0 /2 0 0 6 2 4 /1 0 /2 0 0 6 0 7 /1 1 /2 0 0 6 2 1 /1 1 /2 0 0 6 0 5 /1 2 /2 0 0 6 1 9 /1 2 /2 0 0 6 Effectifs cumulés 2 500 5 000 7 500 9 494 15 500 21 500 27 000 30 000 11 avril 2006 10 mai 2006 21 mai 2006 1 juin 2006 10 août 2006 5 septembr e 2006 15 octobre 2006 01-janv-07

Sources : Dépêches AFP et autorités espagnoles avril – janvier 2007.

La courbe de l’évolution du nombre de candidats d’Afrique subsaharienne arrivés aux Canaries entre avril 2006 et janvier 2007 témoigne effectivement du maintien du nombre de candidats à l’émigration, malgré les mesures de contrôle des côtes du Sénégal, prises ou annoncées par les autorités espagnoles et sénégalaises. Ainsi, selon les autorités espagnoles les candidats à l’immigration arrivés aux Canaries au cours de l’année 2006 étaient surtout de nationalité sénégalaise, soit 75 à 90 % selon les évaluations faites en fonction de la langue parlée par ces candidats à l’immigration lors d’entretiens réalisés dans les camps d’accueil espagnols par des policiers sénégalais.

De « nouveaux migrants », candidats potentiels à l’émigration depuis longtemps déjà

Cette maritimisation de l’émigration ne témoigne pas uniquement d’une augmentation des candidats au départ ; elle traduit aussi un rapprochement de l’offre de départ, des lieux de résidence ou de travail de femmes et d’hommes en quête d’opportunités depuis longtemps déjà. Désormais, la possibilité d’embarquer leur est offerte aux “portes de la ville” et ce à un moindre coût : l’émigration par voie aérienne était estimée à 2 000 000 de Frs CFA, par voie terrestre à environ 1 500 000 de Frs CFA ; par la voie maritime, “seuls” 250 000 à 500 000 Frs CFA étaient nécessaires, au moment des premiers départs. Cette offre de proximité, assortie d’une baisse du coût du voyage, expliquent en partie l’importance du phénomène et la rapidité avec laquelle il s’est diffusé.

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Par ailleurs, la détermination des candidats au départ, symbolisée par l’expression

“Barça … walla Basakh”28, semble peu infléchie par les contrôles des côtes, qui ont

donné lieu à environ 2 000 interpellations sur les plages sénégalaises entre avril et décembre 2006, ou par les rapatriements de ressortissants sénégalais depuis l’Espagne29.

Dès le 30 mai 2006, les premiers « réadmis » arrivent à l’aéroport de Dakar. Toutefois, face aux protestations de la population sénégalaise, pour plus de discrétion, les autorités orientent les rapatriements suivants vers l’aéroport de Saint-Louis, au nord du pays. En octobre 2006, on dénombrait 2 500 africains reconduits au Sénégal par les autorités espagnoles, fin janvier 2007, ils étaient environ 5 000. Malgré ces reconduites, les départs se poursuivent. Selon les autorités espagnoles, 1 000 candidats à l’émigration seraient arrivées aux îles Canaries au cours du seul mois de janvier 2007. A la même période, un lieutenant colonel de la marine sénégalaise qui participe à l’opération FRONTEX, aux côtés d’officiers de la Guarda Civil, craignait « qu’avec le

retour des beaux jours les départs ne reprennent »30.Ce fut effectivement le cas dans les mois qui suivirent.

Pourmieux apprécier le profil socio-démographique et économique de ces candidats à l’émigration par voie maritime, nous disposons d’une base de données, composée de l’ensemble des personnes présentées devant les parquets du Sénégal pour des infractions liées à l’émigration “clandestine” depuis les côtes sénégalaises. Quatre parquets sont concernés : Saint-Louis, Dakar, Thiès et Ziguinchor. Entre les mois de mars et décembre 2006, ils ont traité 143 affaires concernant 1 149 personnes31. Cet échantillon offre une certaine représentativité des personnes émigrées par voie maritime d’une part, parce qu’il couvre l’ensemble de la période et des zones concernées et d’autre part, parce que l’arraisonnement des pirogues ou l’interception des personnes sur les plages au moment de l’embarquement sont totalement aléatoires. Plus de 95 % de ces candidats dont le voyage a été interrompu sont des hommes. Ils sont âgés de 28 ans en moyenne ; 60 % d’entre eux ont entre 25 et 39 ans et un tiers entre 18 et 24 ans. 93 % exerçaient une activité professionnelle avant de partir, essentiellement dans les secteurs de la pêche, du commerce, de l’artisanat et des transports. Parmi les personnes qui résidaient au Sénégal32 avant d’émigrer, 14 % vivaient en milieu rural et 86 % en milieu urbain ; de plus 73 % des personnes résidant dans l’agglomération dakaroise avant de partir sont nées en milieu urbain. Globalement, en 2006, la majorité des candidats à l’émigration par voie maritime sont nés en milieu urbain.

Le profil socio-démographique de ces “nouveaux migrants” mérite d’être comparé à celui des “migrants récents », analysés dans l’enquête « Déterminants de l’émigration

28 « Barcelone ou la mort »

29 environ 5 000 entre juillet et janvier 2007 d’après les autorités espagnoles 30 Op.cit L’Express, 8.03.2007

31 Données fournies par l’Observatoire de la Justice, Ministère de la Justice-IRD-UCAD. 32

6 % des candidats à l’émigration vivaient à l’étranger (Gambie, Guinée Bissau, Guinée, Ghana) et étaient de « passage au Sénégal » selon leur propre expression.

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internationale au Sénégal » (DEMIS), publiée en 200033. L’enquête DEMIS concernait les migrants dont les ménages résidaient dans l’agglomération dakaroise ou dans la ville de Touba. Pour établir une comparaison entre les migrants par voie maritime (que nous appellerons les “nouveaux migrants”) et les “migrants récents” de l’enquête DEMIS (que nous appellerons les “migrants de 2000”), nous avons donc choisi de retenir pour les premiers, uniquement ceux qui résidaient dans l’agglomération dakaroise avant de partir, et pour les seconds, ceux dont le ménage résidaient dans l’agglomération dakaroise. Un parallèle peut alors être établi.

Les “nouveaux migrants” sont plus âgés que les “migrants de 2000”. Ainsi, plus de 60 % des premiers ont entre 25 et 39 ans contre seulement environ 40 % des seconds. Le rapport est inverse pour les 18-24 ans : à peine 1/3 des premiers appartiennent à cette tranche d’âge contre la moitié des seconds.

Tableau 1 : Répartition par tranche d’âges des « migrants de 2000 » et des « nouveaux

migrants »

Age "Migrants de 2000" dont le ménage réside à Dakar (en %)

"Nouveaux migrants" résidents à Dakar (en %)

18-24 ans 49,7 31,6

25-39 ans 43,7 61,4

40 ans et + 6,6 7,0

Total 100,0 100,0

Sources : DEMIS (2000) et Ministère de la Justice (2007)

Mais les différences les plus significatives apparaissent au niveau des secteurs d’activité dans lesquels travaillaient les migrants avant leur départ. Les secteurs de la pêche, du commerce et de l’artisanat réunissent 75 % des “nouveaux migrants” contre 50 % des “migrants de 2000”. Mais surtout, ces derniers ne travaillaient pas dans le secteur de la pêche alors que celui-ci constitue aujourd’hui une des activités importantes des “nouveaux migrants”. Des différences sont à noter également dans les secteurs du commerce et de l’artisanat ; aujourd’hui, deux fois plus de candidats à l’émigration proviennent du commerce (28 % contre 14 % avant 2000). La tendance est inverse dans le domaine de l’artisanat qui réunissait 34 % des candidats à l’émigration et n’en réunit plus que 16 %. A noter aussi, l’émergence du transport comme secteur d’activité d’origine des “nouveaux migrants”. Les spécificités démographiques et économiques des “nouveaux migrants” montrent que le phénomène migratoire s’est élargi à des hommes plus âgés appartenant à de nouveaux secteurs d’activités. Les départs par voie maritime méritent donc d’être lus à la lumière de l’évolution de la demande sociale des populations sénégalaises, au cours des 10 dernières années.

En 2000, la dégradation persistante des conditions de subsistance, en milieu rural, l’érosion des revenus et l’augmentation du chômage, en milieu urbain, participent à

33 DEMIS considérait comme « migrants récents » les personnes parties pour la première fois au cours

des 10 dernières années, c’est-à-dire au cours des années 1990. Le nombre de Dakarois appartenant à la catégorie « Migrants de 2000 » était plus 6 000 (Robin, Lalou, Ndiaye, 2000)

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l’avènement de l’Alternance34. Ce changement de régime politique est l’expression

d’une forte demande sociale. Mais depuis, la crise urbaine s’est accentuée, la production arachidière a diminué de plus de moitié (1 000 000 de tonnes en 2001, 400 000 tonnes en 2005) et le secteur de la pêche a périclité.

Ces évolutions sont autant de facteurs de diffusion du phénomène migratoire dans l’ensemble de la société sénégalaise, et concernent la plupart des régions (figure 6). Comme d’autres secteurs d’activité, le transport urbain et le commerce sont en crise ; les “taximen” subissent l’augmentation des produits pétroliers et les difficultés de circulation au sein de l’agglomération dakaroise, asphyxiée par une série de « grands travaux ». De leur côté, les commerçants sénégalais doivent faire face à la concurrence des commerçants chinois35. Simultanément, ces professionnels du transport ou du commerce sont confrontés à une baisse du pouvoir d’achat de la population. N’apercevant pas d’issue possible à court ou moyen terme, artisans, commerçants ou “taximen” vendent leur outil de travail afin de réunir la somme requise pour partir en pirogue. Le secteur de la pêche leur offre une « facilité technique » et devient le catalyseur de cette nouvelle migration ; quelques mareyeurs font circuler l’information sur les opportunités de départ, les armateurs construisent des pirogues pour le “grand voyage” et les capitaines de pêche qui conduisent les pirogues sont eux-mêmes candidats aux départs.

Une réponse paradoxale et périlleuse : du répressif à l’ “humanitaire”

Face à ces départs, animés par de nouveaux réseaux sociaux, familiaux ou villageois, le choix d’une réponse répressive, suggérée voire imposée aux autorités sénégalaises par les pays du nord, conduit à traiter la migration, expression d’une forte demande sociale, comme un acte criminel et le migrant comme un délinquant ; ainsi 80 % des personnes poursuivies en 2006 devant le Tribunal régional hors classe de Dakar pour des infractions liées à « l’émigration clandestine » ont été placées en détention préventive.

Cette gestion erronée du phénomène migratoire a entraîné de vives réactions de la part des populations sénégalaises, migrantes ou non. Et, l’analyse du profil de ces nouveaux migrants a très vite conduit les autorités sénégalaises à traiter différemment les organisateurs et les candidats à l’émigration. S’ils sont interceptés en mer ou sur les plages, les premiers sont poursuivis et emprisonnés, les seconds ne font l’objet d’aucune poursuite.

Simultanément le gouvernement sénégalais s’est efforcé de rassurer les populations en annonçant la signature de plusieurs accords, notamment avec le gouvernement espagnol, prévoyant le développement de quatorze pôles de compétitivité et le recrutement de 4 000 à 5 000 Sénégalais par an par des sociétés espagnoles. Dans les

34 L’Alternance correspond à l’élection du Président Abdoulaye WADE, leader charismatique de

l’opposition et chef du Parti démocratique Sénégalais. Depuis 1962, année de l’Indépendance, Leopold Sedar SENGHOR et son dauphin, Abou DIOUF, tous les deux représentants du Parti Socialiste Sénégalais, avaient été élus successivement à la Présidence de République du Sénégal.

35

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faits, à ce jour, seul un pôle agricole a réellement été initié pour la culture du melon36 et l’offre des sociétés espagnoles suscitent plus de polémiques que de réels espoirs. En mars 2008, environ 640 femmes sénégalaises ont été recrutées pour effectuer des travaux agricoles dans le cadre d'un accord sur l'immigration légale signé entre les deux pays ; au terme de leur contrat, 70 d'entres elles ne se seraient pas présentées au moment du retour vers le Sénégal37. Depuis, ces accords de main-d’œuvre semblent figés.

Parallèlement, pour faire accepter malgré tout, le dispositif mis en place pour contrôler les côtes, notamment l’opération FRONTEX, les autorités européennes ont fait basculer ce qu’elles appellent la « crise de l’émigration clandestine » dans le domaine humanitaire ; dès lors les mesures de contrôle sont présentées comme des mesures préventives face à une « crise humanitaire » qui conduit « des milliers de jeunes à

périr en mer ».

Mais peu d’éléments permettent d’apprécier ce que l’on appelle « l’effet FRONTEX » sur l’intensité des départs. Par contre, l’annonce de ces mesures de contrôle a eu un effet direct et immédiat : le redéploiement des départs le long des côtes sénégalaises de Saint Louis à la Casamance. Ce glissement vers le sud est accompagné d’une diversification des candidats à l’émigration ; les passagers des pirogues parties de cette zone ne sont plus seulement Sénégalais ; ils sont aussi Ghanéens, Ivoiriens, Libériens, Sierra Léonais, …. . Parallèlement, le coût de la traversée a été revu à la hausse par les organisateurs ; 800 000 à 1 200 000 Frs CFA sont requis contre 400 000 Frs CFA en moyenne depuis les côtes dakaroises.

36 Pôle agricole implanté dans la région de Mbour, sur la Petit Côte, à environ 70 km au sud de Dakar.

Localement, ce projet suscite quelques réactions et le scepticisme des populations environnantes car il se situe dans une zone de pâturage qui a été en partie réquisitionnée à cet effet.

37

Source : Commission nationale de gestion et de suivi des offres d’emploi du Ministère de la Jeunesse et de l’Emploi des jeunes du Sénégal.

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(22)

En outre, à bord au large des côtes mauritaniennes, partie de Guinée, les passagers étaient non seulement Sénégalais mais aussi Bangladeshi, Indiens et Pakistanais. Rappelons qu’en 2004 déjà, l’analyse d’un groupe de vingt-six Bangladeshi, poursuivis pour séjour illégal au Sénégal, illustrait l’entrée du pays dans la dynamique mondiale des réseaux de trafic illicite de migrants.

« Ces Bangladeshi étaient accompagnés de Rwandais poursuivis pour la même infraction. Simultanément, deux Bangladeshi, un Camerounais et un Nigérian, appartenant au même groupe, ont été poursuivis pour escroquerie, c’est-à-dire pour vente de faux documents de voyage. Les données (du Ministère de la Justice) dont nous disposons indiquent le lieu de naissance des personnes poursuivies ; les zones concernées correspondent aux bassins de recrutement pour le trafic des êtres humains, situés principalement dans les régions de Dhaka, Barisäl et Khulna38.

De nouvelles routes de trafic, dont les Bangladeshi sont les victimes, ont été découvertes récemment 39: depuis le Bangladesh, les personnes trafiquées sont dans un premier temps conduites à Calcutta en Inde, puis traversent le Pakistan avant de rejoindre l’Iran où elles travaillent quelque temps pour rembourser « leur dette ». Ensuite, elles franchissent la péninsule arabique et entrent en Afrique par Djibouti pour atteindre la Zambie ; là, elles sont réceptionnées par des Pakistanais, très implantés dans le commerce et les structures bancaires. En dernier lieu, elles sont acheminées vers le Nigeria où elles sont prises en charge par les gangs nigérians pour regagner l’Europe (Espagne et Italie principalement), leur destination finale. L’itinéraire africain des Bangladeshi rappelle aussi les routes de la drogue qui en provenance d’Afrique de l’Est transitent par le Sénégal, devenu depuis quelques années une plaque tournante du trafic de stupéfiants dans lequel sont fortement impliqués les gangs nigérians. Or, on sait que les routes de la drogue précèdent ou accompagnent celles du trafic des migrants ou des êtres humains. »40

Conclusion

Traversé par des migrations de transit, originaires d’Afrique ou d’Asie, le Sénégal est aujourd’hui pris en étau entre l’espace de libre circulation de la CEDEAO et celui de Schengen, l’un permettant la libre circulation de ses ressortissants au sein des pays membres, l’autre cherchant à limiter les arrivées en renforçant ses contrôles aux frontières ou en les déléguant à des États tiers, devenus États tampons suite aux exigences européennes. Cette situation illustre les enjeux contradictoires auxquels sont confrontés certains Etats ouest-africains entre souveraineté nationale et coopération internationale. Transférer l’application des mesures de contrôle de l’espace Schengen aux frontières des pays du Sud ne permet pas de répondre aux besoins économiques et sociaux dont témoignent ces mouvements de population. Par contre, cela contribue à faire entrer les migrants dans une « clandestinité juridique », y compris dans les pays du Sud.

38 ECPAT international : ECPAT est un réseau international d'organisations travaillant à éradiquer la

prostitution enfantine, la pornographie enfantine, et le trafic d'enfants à des fins sexuelles.

39 Source : EGPAT, Organisation internationale pour les migrations (OIM), UNICEF.

40 ROBIN (N), 2007, L’émigration internationale à Dakar : au cœur des nouveaux trafics mondiaux. La

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Cette évolution repose la question de la participation des migrations internationales au processus d’intégration régionale en Afrique de l’ouest, où les flux migratoires internationaux ont longtemps été structurés par une demande de main-d’œuvre émanant des pôles économiques, telle que la Côte d’Ivoire, et les différences de niveau de vie entre les pays de la zone.

De nouveaux acteurs de la migration internationale sont apparus en un temps record : les armateurs et les capitaines de pêche. Leur apparition traduit les difficultés actuelles du secteur halieutique. Ces départs sans retour des professionnels de la mer ne feront qu’accentuer cette crise et, par voie de conséquence, la crise urbaine de plus en plus aiguë, notamment dans l’agglomération dakaroise.

L’émigration originaire du fleuve Sénégal s’est engagée dans des investissements positifs pour le développement des villages d’origine et des communes de rattachement. Ces migrants l’ont fait au nom du développement local, mais surtout face aux absences de l’État sénégalais dans ce domaine. Les “nouvelles migrations”, celles des gens des villes, des artisans et des commerçants s’inscrivent dans le désarroi actuel de ces populations face à l’absence de changement tant espéré lors des dernières élections présidentielles en 2000. De nouveaux réseaux migratoires se mettent en place, dont ceux de la filière halieutique ; ils attirent les “orphelins de la migration circulaire”, ceux qui ne peuvent plus espérer circuler à la manière de leurs aînés. Mais, la généralisation du dispositif FRONTEX41, des côtes africaines de la méditerranée à celles de l’atlantique, ne risque-t-elle pas de conduire les embarcations toujours plus loin, tant pour naviguer dans les eaux internationales que pour leurs destinations, voire conforter d’autres routes, en direction du Proche-Orient ?

Si l’architecture migratoire évolue, s’adapte aux nouvelles politiques de contrôle des frontières de l’Union Européenne, rappelons aussi que d’autres systèmes migratoires perdurent, dont ceux appartenant à la circulation migratoire, aux va-et-vient des populations installées durablement en Europe et originaires de ce pays. Il est aussi nécessaire de compter avec la charge symbolique et les mythes véhiculés par les systèmes migratoires mis en place depuis plus d’un demi-siècle. Et en la matière, les mythes sont plus forts que toutes les frontières du monde.

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En juin 2006, à la demande de l’Espagne, Frontex étend son « dispositif de contrôle de l’émigration

clandestine » aux eaux de l’Atlantique nord, au large de la Mauritanie, d’abord, puis du Sénégal, ensuite.

L’accord avec le Sénégal est reconduit en 2007 puis en 2008, année au cours de laquelle, l’Espagne a également signé trois nouveaux accords avec la Gambie, la Guinée-Bissau et la Guinée.

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Figure

Figure 5 : Evolution du nombre de candidats d'Afrique sub-saharienne  arrivés aux Canaries entre avril 2006 et janvier 2007
Tableau 1 : Répartition par tranche d’âges des « migrants de 2000 » et des « nouveaux  migrants »

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