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Manifestation de l'expression symbolique en Océanie. L'exemple des bois d'oeuvre à l'île de Pâques

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M a n ifes ta tio n de l'expression symbolique

en

Océa

L'exemple des bois d'œuvre à l'île de Pâques

Catherine Orliac (UMR ArScAn - Ethnologie préhistorique)

Le choix d 'u n e m atière première constitue le to u t prem ier m aillon d 'u n e chaîne op é ra to ire com plexe qui, en Océanie, co n d u it au fa ço n n a g e d 'u n ham eçon, d 'u n e herminette, d 'u n e plate-form e d 'o ffrande, d e l'effigie d 'u n ancêfre ou d 'u n dieu tutélaire. Ce choix revêf une im portance cruciale et le classement du m atériau bois en ta n t que « solide fibreux »' est très réducteur. En effet, en Océanie, les propriétés physiques, m écaniques e t sensorielles d'u n bois d'oeuvre ne suffisent pas à expliquer son em ploi ; les docum ents ethnohistoriques m ontrent clairem ent l'im portance symbolique de la plupart des matières ligneuses.

L'analyse xylologique d e plusieurs centaines d'o bjets océaniens m et en évidence l'existence d 'u n choix spécifique qui n'est pas fortuit mais bien caractéristique de certaines îles ou archipels ; c'est particulièrem ent le cas en Polynésie, notam m ent à l'île d e Pâques, Les raisons d 'u n tel choix s'appuient en partie sur le fa it que la m atière ligneuse est, dans c e tte région du Pacifique, intim em enf liée aux forces de l'a u -d e là com m e le sont, par ailleurs, l'artiste sculpteur e t son outillage.

Le sculpteur polynésien, ses outils et son bois d'œuvre

Autrefois, en Polynésie Orienfale, l'arbre n'était pas considéré com m e un o b je t inerte mais bien

com m e un être vivant qui, par son origine divine et par le truchem ent des oiseaux (messagers des dieux) qui ve n a ie n t y nicher, é ta it considéré co m m e « l'ém anation des dieux e t d e nom breux esprits »2. C ouper un arbre signifiait lui « ôter la vie » ca r « tous les arbres... ava ie n t des âmes qui à l'instant d e la mort... m o n ta ie n t auprès d e la divinité à la q u e lle ses substances s'inco rp o ra ie n t »3. Les spécialistes- sculpteurs ne c o u p a ie n t pas un arbre a va n t d'être allés, l'herminette à la main, « prévenir les dieux et sans leur apporter le premier m orceau enlevé à l'arbre a va n t de l'ab attre en entier »4 ; lorsque l'arbre é ta it c o u c h é sur le sol, les experts observaient bons et mauvais présages ; l'émission d'une grande quantité d e sève moussue « signifiait que l'arbre et les racines p le u ra ie n t l'un pour l'autre e t l'arbre é ta it a b a n d o n n é »5. Lorsque les circonstances é taient favorables, le tronc e t les branches pouvaient être enfin débités.

À Tahiti, les artistes sculpteurs é taient appelés Tahua, c'est-à-dire « créateurs » ; ils se nom m aient Maori ou Tahunga à l'île d e Pâques6 ; c e nom était p o rté par les experts d e c h a q u e profession : médecins, fatoueurs, construcfeurs d e pirogues etc. Ces spécialistes, qui constituaient une classe sociale privilégiée, jouissaient d'une grande considération auprès d e la population. Tahua e t Tahunga étaient organisés en corporations e t leur savoir faire se transm ettait généralem ent d e père en fils. Ce savoir

1 LeroiG ourhan 1971, p. 174. 2 Henry 1968, p. 394.

3 Anderson, in : Cook 1785, vol. 2 p. 371. 4 M oerenhout 1959, t. 1 p. 438. 5 Henry 1968, p. 233.

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faire consistait non seulement dans une parfaite maîtrise de l'art d e la sculpture mais égalem ent, et surtout, dans une connaissance précise des rites à accom plir, depuis l'a b a tta g e d e l'arbre jusqu'au fa ç o n n a g e e t au polissage final de l'objet. Q uant à l'herm inette du sculpteur, elle é ta it consacrée sur les lieux d e culte où elle é ta it censée acquérir le m ana (force, puissance divine) nécessaire à l'élaboration de l'œ uvre7; C ette fois encore, offrandes, prières e t incantations é ta ie n t indispensables pour rendre les divinités favorables e t conduire la main de l'artiste. Symbolisme et bois d ’œuvre à l’île de Pâques

Le bois de 281 objets océaniens provenant de fouilles archéologiques et de collections muséographiques a été identifié ; parmi ces objets se trouvent 131 œuvres pascuanes issues de musées européens, chilien et russe, e t d e collections privées. Tous ces objets ne présentent pas le m êm e intérêt du point de vue historique, aussi seules les œuvres bien docum entées e t bien datées, le plus souvent collectées par les missionnaires ou les explorateurs européens du d é b u t du XIXe siècle, ont été prises en considération. De plus, ces identifications sont particulièrem ent significatives lorsqu'elles co n ce rn e n t des séries d'objets d e m êm e type ; les séries bien datées sont rares aussi nous ne retiendrons ici q u e cinq ensembles d e caractéristiques fonctionn elles sem blables. Malheureusement, aucun o b je t en bois d e la vie quotidienne n 'a été co lle cté pour les cabinets de curiosités ou les musées du XIXe siècle ; seuls l'o n t été les insignes du pouvoir, les représentations d'esprits ou d'a ncêtres e t autres objets nécessaires aux nombreux rituels qui p o n ctu a ie n t la vie sur l'île. Les œuvres étudiées a p p a rtie n n e n t d o n c à c e corpus ; la déterm ination botanique des ligneux employés à leur fa ç o n n a g e a permis d'identifier deux bois d'œ u vre connus en Polynésie Orientale e t à l'île d e Pâques pour leurs fortes connotations symboliques.

Le Sophora toromiro (lé g u m in e u s e -F a b a c é e ) : Un

« bois d e sa n g » p o u r les m o a i k a v a k a v a , m o a i

ta n g a ta e t les p a g a ie s d e d an se R a p a

Le bois d 'u n e série d e sculptures anthropom orphes appelées m oai kavakava e t m oai

ta n g a ta ainsi que celui d e onze pagaies d e danses Rapa a été déterm iné (Fig. 1).

Les m o a i ka v a k a v a e t les m o a i ta n g a ta c o m p te n t parmi les chefs d 'œ u vre d e l'a rt pascuan. Le te rm e m o a i désigne to u te sculpture anthropom orphe ou zoom orphe ; cependant, dans la légende qui relate l'origine des kavakava, le term e s 'a p p liq u e sans am b ig u ïté aux côtes (nommées

kavakava) des êtres d e l'au -d e là a p p e lé varua ou akuaku selon les versions. Ces statuettes mesurent

entre 27 et 48 cm d e haut, leur dimension étant souvent comprise entre 40 et 45 cm.

Les statuettes kavakava, telles celles du Musée du C inquantenaire d e Bruxelles8 e t du Musée du Louvre, ont un regard pénétran t souligné par des yeux do n t la sclérotique est en os e t la pupille en obsidienne ; elles ont un nez aquilin, d e fortes arcades sourcilières, des pom m ettes saillantes et un m enton pro é m in e n t orné d 'u n e b a rb ic h e ; la b o u ch e g rim açante s'ouvre sur d e petites dents teintées de m atière colorante parfois blanche, souvent rouge ; c e colorant se retrouve é galem en t dans les narines. La fa c e antérieure du cou est renflée e t la nuque porte une loupe proém inente souvent percée d'un trou pour y passer un lien d e suspension. Le corps des

ka v a k a v a présente aussi une m orphologie p articulière leur c a g e th o ra c iq u e est très d éveloppée, les clavicules, les omoplates, la colonne vertébrale e t les ailes du bassin sont particulièrem ent mises en relief.

Les kavakava s'individualisent grâce à des figures sculptées en léger relief ou incisées sur le crâne : tê te humaine barbue, homme-oiseau, oiseau, lézards, poisson, pieuvre, langouste, porcelaine, étoile d e mer ; certaines de ces figures existent, to u t à fait identiques, sous form e d e pétroglyphes9. Ces objets é taient exhibés lors des fêtes communautaires, au m om ent des récoltes, lorsqu'on offrait au dieu le premier fruit ; ils pouvaient être tenus en main ou portés suspendus autour du cou, parfois au nombre d 'u n e vingtaine. Les k a v a k a v a é ta ie n t soigneusement conservés dans les habitations et lorsqu'ils é ta ie n t ôtés d e leurs enveloppes protectrices, les Pascuans récitaient des incantations en les b e rça n t com m e des enfants.

Les m o a i ta n g a ta n 'o n t rien d e com m un avec les m o a i kavakava. Les plus classiques d e ces statuettes se c o m p te n t sur les doigts d 'u n e main ;

7 Henry 1968, p. 394.

8 Sculpture d a té e par AMS d e 1390-1480 AD. 9 Orliac C., Orliac M. 1995, p. 39-41.

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elles mesurent en général entre 33 e t 45 cm . Le m odelé des ta n g a ta du musée d'ethnographie de Saint Pétersbourg e t du musée de l'hôpital maritime d e R ochefort'0 est très naturaliste, d 'u n e grande souplesse qu e souligne un léger fléchissement des membres. À c e m odelé sensuel du corps s'oppose la fixité du regard e t la rigidité d e l'expression du visage ; du co lo ra n t rouge est p la cé dans les narines e t dans la bouche. Le crâne des m o a i ta n g a ta est décoré d 'u n e pieuvre ou d e trois têtes à barbe e t chevelure longue e t ondulée. Un trou est percé dans l'épaisseur du co u pour y passer un lien.

Le term e ta n g a ta signifie l'être humain, mâle ou femelle, mais dans le cas d e ces statuettes il s'agit toujours d e représentations masculines. La tradition orale n'évoque jamais les m o a i ta n g a ta mais il est fort p ro b a b le q u e ces statuettes représentent des ancêtres tutélaires.

Onze pagaies d e danse ra p a a p p a rte n a n t à la collection des Pères d e Picpus à Rome, au musée d'e th n o g ra p h ie d e Cologne, à la collection Barbier Muller d e G enève e t à la collection André Breton ont é té déterminées. Ces objets en form e d e rame constitués d e deux pales réunies par une ham pe sont des accessoires d e danse ; ils mesurent entre 53 cm et 81 cm d e long. La pale supérieure est dé co ré e d 'u n visage humain très stylisé où seuls sont représentés l'a rê te du nez, les sourcils e t le lobe distendu des oreilles muni de son ornem ent cylindrique. La pale inférieure se term ine par une petite excroissance renflée en son milieu. Ces pagaies, que les chanteurs e t danseurs te n a ie n t en m ain par la ham pe, virevoltaient au rythme d e chants cadencés. Selon A. Métraux, elles é taient aussi utilisées par les chefs militaires lorsqu'ils exécutaie nt des danses guerrières d e v a n t l'ariki (roi).

Les m o a i kavakava, m o a i ta n g a ta et pagaies d e danse ra p a q u e nous avons étudiés sont sculptés dans le bois du Sophora toromiro. Ce petit arbre, qui est endém ique d e l'île d e Pâques e t a p p a rtie n t à la famille des légumineuses-Fabacée, ne dépassait sans d o u te pas 5 m d e hauteur ; il a disparu d e son h abitat naturel dans les années 60 e t il ne pousse plus aujourd'hui q u e dans quelques rares jardins botaniques au Chili, en Australie e t en Europe.

La tradition orale rapporte que le toromiro fut a p p o rté sur l'île par le premier roi m ythique : Hotu M atua ; d'autres légendes suggèrent que c e t arbre aurait été introduit sur terre par l'entremise des dieux

n o tam m ent par l'intervention du dieu Atua M etua et d e la déesse Ki te Vuhi o Atua. L'identification et la d a ta tio n d e pollens fossiles, retrouvés dans les tourbes des lacs d e cratères, p e rm e tte n t aujourd'hui d'affirm er que c e t arbre poussait sur l'île depuis plus d e 38 000 ans.

Le toromiro est un arbre à rhyzobium co m m e la p lu p a rt des légumineuses. La b a c té rie , qui se d é ve lo p p e en symbiose sur ses racines, a la propriété d e fixer l'azote d e l'air e t d e la synthétiser a v e c les m inéraux d e la sève b ru te pour en fa ire des albuminoïdes ; le sol est ainsi enrichi en azote e t sa fertilité en est accrue, Les végétau x plantés dans son voisinage s'y d é ve lo p p e n t a v e c bonheur, c e qui en fa it un arbre « béni des dieux » ; c e c i explique peut- être pourquoi il était planté à proximité du ahu moai, partie la plus sacrée des sanctuaires pascuans.

Les enquêtes effectuées au d é b u t du siècle sur le sens du m ot

toromiro

transcrivent c e nom par « bois épais » ou « bois tordu », en rapport étroit a vec l'a sp e ct général du tro n c souvent noueux e t tourm enté, mais aussi par « bois d e sang », évo q u a n t alors la couleur de son bois. En effet, le bois du

toromiro, très dur e t pesant, prend une couleur rouge

sombre lorsqu'il vieillit ; son grain fin e t son bea u poli mais surtout son imputrescibilité en fo n t le m atériau idéal pour la sculpture des insignes du pouvoir e t des objets à ca ra ctè re sacré qui d e va ie n t se transmettre d e génération en génération. Les traditions orales m entionnent d'ailleurs l'em ploi d e c e bois pour la sculpture des m o a i kavakava : la légende du roi Tu'u ko Ihu, le premier sculpteur d'effigies en bois, évoque clairem enf le choix d e c e matériau, D'après c e tte légende, les premières statuettes furent sculptées à l'im age d e deux esprits, « qui n'a vaient q ue des côtes e t des os », que le roi rencontra alors qu'il se rendait au lieu dit Fiare Koka ; arrivé à destination, il prit deux tisons d e toromiro que l'on retirait d'un four en terre pour sculpter l'im age de ces êtres surnaturels qu'il venait d e croiser en chemin.

Le Thespesia p o p u ln e a (M a lv a c é e ) : Un « bois d e rose » p o u r les ta h o n g a e t les ta b le tte s K au rongorongo

Le bois d 'u n e douzaine de ta h o n g a e t d e cinq

kau rongorongo a été déterm iné (Fig.l). Ces oeuvres

exceptionnelles sont d 'u n e grande rareté.

Les ta h o n g a sont d e petits pendentifs de la taille du poing, d 'u n diam ètre variant de 54 mm à 96 mm. Leur form e rappelle celle de la noix d e c o c o

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mais ils sont habituellem ent divisés en quatre parties alors q u e la noix de c o c o n 'e n c o m p te que trois. L'extrémité du tahonga. fréquem m ent renflée, est p ercée d 'u n trou d e suspension. C ette extrémité est parfois incrustée de deux yeux ra p p e la n t les orifices d e la noix de c o c o (qui en possède trois), parfois ornée d e sculptures représentant des têtes humaines ou des têtes d'oiseaux, ou encore gravée en haut relief d e motifs d o n t certains se retrouvent de fa ço n identique sur le crâne des m o a i kavakava. Ces ornements é taient portés lors des fêtes annuelles par le roi (ariki), les jeunes hommes nouvellem ent initiés et par certaines femmes,

Les tablettes qui ont fait l'o b je t d e c e tte étude c o m p te n t parm i les plus belles e t les mieux conservées des 21 tablettes connues à c e jour. Il s'ag it des deux tablettes de Santiago du Chili, des ta b le tte s Aruku Kurenga e t M am ari d e la C ongrégation des Pères de Picpus à Rome e t de la petite ta b le tte d e Saint Pétersbourg.

Les Kau rongorongo (littéralem ent « ca n n e de c h a n tre ») sont couverts sur les deux faces d e glyphes11, disposés en lignes, gravés à l'a id e d 'u n é c la t d'obsidienne ; ils représentent des éléments de la faune e t d e la flore locale, des objets d e la vie quotidienne, des parties du corps humain ou des motifs géométriques, Ces glyphes, qui sont identiques d 'u n e ta b le tte à l'autre, peuvent se com biner entre eux ; la lecture, en « boustrophédon inversé », s'effe ctue de bas en haut e t d e g a u ch e à droite ; toutefois, les signes é ta n t inversés une ligne sur deux, la ta b le tte d o it être retournée à 190 ° à la fin de ch a q u e ligne.

La petite e t la grande ta b le tte d e Santiago ont é té remises en 1870 par le Père Roussel aux officiers d e la corvette chilienne O'Higgins. La petite ta b le tte mesure 32 cm d e long sur 12,1 de large e t 1,8 cm d'épaisseur, et porte 720 glyphes. La grande ta b le tte mesure 44,5 cm de long, 11,6 cm d e large e t 2,7 cm d'épaisseur ; elle est co u ve rte d e plus d e 1500 glyphes ; une d e ses faces présente un profond sillon c a lc in é in d iq u a n t qu e l'o b je t fu t utilisé postérieurement com m e frottoir dans un dispositif d'o btention du feu par friction.

La ta b le tte Aruku Kurenga mesure 41 cm de long, 15,2 cm d e large e t 2,3 cm d'épaisseur ; elle est

couverte sur les deux faces de 1290 glyphes e t elle provient de la collection d e Monseigneur Jaussen, co lle cté e par les Pères Roussel e t Zumbohm à l'île de Pâques, en 1870. La ta b le tte Mamari mesure 29 cm de long sur 19,5 cm de large et 2,5 cm d'épaisseur ; elle est couverte d'un millier d e glyphes et elle aurait apparten u à l'ariki Nga'ara, roi de l'île vers 1840 ; elle aurait été acquise par le Père Zumbohm à la fin de 1869 ou au d é b u t d e 1870.

La petite ta b le tte d e Saint Pétersbourg mesure 44 cm d e long, 9 cm d e large et 2,3 cm d'épaisseur ; co lle cté e par Miklukho-Maklai, à Tahiti, en 1871, elle est couverte sur les deux faces d'environ 900 glyphes,

Ces cinq tablettes Kau rongorongo ainsi que neuf des douze ta h o n g a étudiés (Fig. 1) sont taillés dans le bois du Thespesia p o p u ln e a connu à Rapa Nui sous le nom d e makoi. C et arbre, qui peut atteindre 15 m d e hauteur, a p p a rtie n t à la famille des M alvacées ; il pousse en Polynésie orientale sur le littoral des atolls e t des îles hautes. D 'après le botaniste G. Zizka, le m akoi aurait sans d oute été a p p o rté à Rapa Nui par les premiers migrants qui s'installèrent sur l'île aux environs du VIII* siècle de notre ère. La tradition orale rapporte qu'il voyagea sur la pirogue du premier roi m ythique : Hotu Matua.

Le bois du Thespesia populnea est légèrem ent rosé, parfois d e couleur rouge fo n cé a ve c des reflets fauves ; on le nom m e « bois d e rose d'O céanie », parce que lorsqu'un artiste sculpte du bois vert celui- ci d é g a g e une odeur poivrée caractéristique ; ce m atériau au grain fin, d e densité m oyenne, se travaille bien e t se polit facilem ent.

Le Thespesia p o p u ln e a a le statut d 'u n arbre sacré en Polynésie orientale. À Tahiti, il était planté dans l'e n ce in te des sanctuaires où il se nom m ait a m a e e t noho ahu qui signifiait « séjourner, installer sur (ou près) d e l'ahu » partie la plus sacrée du m onum ent ; on l'a p p e la it aussi toromiro, nom vernaculaire porté à l'île de Pâques par le Sophora

toromiro do n t il vient d 'ê tre question. À Tahiti, le Thespesia p o p u ln e a é ta it le plus sacré de tous les

arbres des sanctuaires c a r il éta it indispensable en ta n t qu'ém anation du dieu Roro'o qui inspirait les prêtres dans leurs dévotions12 ; parmi les arbres des

marae. il était « le plus sacré... celui qui sanctifie »13.

Son bois, mais aussi ses feuilles e t ses branches,

11 15 021 signes connus d o n t 597 signes d e base.

12 Henry 1968, p. 394. D'après S. Parkinson, co m p a g n o n du ca p ita in e Cook, c e t arbre é ta it consacré au dieu Tane (1797 p. 79). 13 Henry 1968. p. 158.

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é taient utilisés lors d e nombreuses cérémonies. Les feuilles appelées rau a v a ]A étaient placées sur le bord des plates-formes d'o ffrandes e t « les prêtres nom m aient par roulem ent le dieu à qui une des feuilles é ta it destinée »15 ; sous les piliers d e ces plates- formes é ta it enterrée une pierre enveloppée d 'u n e ou deux feuilles d e Thespesia « a ppelé e iho]ô de l'au tel sacré »17. Les feuilles d e Thespesia étaient égalem en t indispensables lors des sacrifices humains, pour la cé ré m o n ie du m aria g e ou pour la préparation des cochons offerts au sanctuaire18. Des ram eaux d e c e t arbre, appelés m o a 19, étaient nécessaires lors de la cérém onie du deshabillage du dieu a p p e lé e p a i'a tu a mais aussi pour l'inauguration d 'u n sanctuaire royal, lors des rites célébrés après un c o m b a t ou une b a ta ille n a va le e t pour la consécration d 'u n souverain20 ; le fare ura —- la maison de plumes rouges — érigé sur le sanctuaire pour un héritier d e sang royal, é ta it fait de ta p a (écorces battues) placés sur des perches arquées de

Thespesia p o p u ln e d 21.

Éléments de conclusion

L'analyse xylologique d e séries d e kavakava,

ta n g a ta , rapa. ta h o n g a e t d e kau rongoron go

m ontre que les bois du Sophora toromiro e t du

Thespesia p o p u ln e a ont é té exclusivement employés

pour leur fa çonna ge. Le choix d e ces bois pour sculpter ces objets à c a ra c tè re sacré n'est pas anodin e t ne répond pas à d e simples critères plastiques ou m écaniques, Ces arbres étaient plantés dans l'e n ce in te des sanctuaires, à proximité des ahu

moai, partie du m onum ent dévolue aux divinités. Par

ailleurs, ces deux ligneux sont souvent, dans la tradition orale, associés aux dieux et à l'an cêtre m ythique Hotu M atua. Enfin, ces arbres portent des fleurs jaunes e t produisent un bois rouge ; or en

Polynésie orientale, et notam m ent à l'île de Pâques, les couleurs des dieux sont « invariablem ent le rouge e t le jau n e »22.

S'il nous semble impossible de com prendre les raisons du choix respectif d e cha cu n d e ces ligneux pour la fa b ric a tio n d 'u n ty p e précis d 'o bjets, il a p p a ra ît c e p e n d a n t cla ire m e n t q u e la m atière ligneuse jo u a it à l'île d e Pâques, co m m e ailleurs en Polynésie orientale, un rôle symbolique important. Dans c e sens, la connaissance des critères d e choix des bois d'oeuvre perm et une meilleure a p p ro c h e de l'univers m ental des sociétés polynésiennes et des relations que l'hom m e entretenait a v e c la nature, to u te entière habitée par les dieux.

Éléments bibliographiques

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18 iho signifie l'essence, la force anim ant toute chose ; à M angaia, aux îles Cook, il est com m u n é m e n t utilisé pour désigner Dieu e t il signifie é g a lem ent « la m oelle » ou « le cœ ur » d 'u n arbre.

17 Henry 1968 p. 142. 18 Henry 1968 p 307, p. 290, p. 308. 19 Davis 1984 p. 144. 20 Henry 1968 p. 169, p. 144, p. 321, p. 324, p. 199 21 Henry 1968 p. 193. 22 Henry 1968 p 396.

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T ype d'ob|et Fam ille botanique Espèce botanique Date de collecte N °inventaire Musées, collections privées kavakava Légumineuse, Fabacée Sophora torom iro 1841, Col. Fritz Favf V .2 1 3 Musée d'ethnoqraphie, Neuchâtel kavakava Légumineuse, Fabacée Sophora torom iro 1841, Col. Fritz Favf V .2 1 5 Musée d'ethnoqraphie, Neuchâtel kavakava Léqum ineuse, Fabacée Sophora torom iro 1871, R.P Leonard Schm eddinq ET 4 8.63 Musée d'Art et d'H istoire, Bruxelles kavakava Légumineuse, Fabacée Sophora torom iro inconnue ET 45.64 Musée d'Art et d'H istoire, Bruxelles kavakava Léqumineuse, Fabacée Sophora torom iro 1804-1828, Col. Lisjanski N -7 3 6 -2 0 3 Pierre le Grand, St Pétersbourq kavakava Léqumineuse, Fabacée Sophora torom iro 1804-1828, Col. Lisjanski M AE-3701-1 Pierre le Grand, St Pétersbourg kavakava Légumineuse, Fabacée Sophora torom iro 1894, don M r Frank 9 4 .2 7 .1 Musée de l'Homme kavakava Léqumineuse, Fabacée Sophora torom iro 1842, Col C ollet, Louvre 53 2 88 L 20421 Musée arts Afrique Océanie kavakava Légumineuse, Fabacée Sophora torom iro 1842, C o l Collet 53 2 90 L 20422 Musée arts Afrique Océanie kavakava, double téte Léqumineuse, Fabacée Sophora torom iro 1860, médecin de marine Gilles H .1529 Muséum d'Histoire naturelle, La Rochelle

kavakava Léqumineuse, Fabacée Sophora torom iro 1830-1832, C apitaine Thébaud H .614 Muséum d'Histoire naturelle, La Rochelle kavakava Légumineuse, Fabacée Sophora torom iro inconnue D 32.53.1 Collection Gaffé kavakava Léqumineuse, Fabacée Sophora torom iro inconnue ss n° Collection privée Q.L kavakava Légumineuse, Fabacée Sophora torom iro acquis au C hili en 1921 1 7 3 7 4 /2 0 0 0 0 6 Collection privée Q.L kavakava Léqum ineuse, Fabacée Sophora torom iro inconnue 1 7 6 7 8 /2 0 0 0 3 8 Collection privée Q.L kavakava Légumineuse, Fabacée Sophora torom iro inconnue 1 7 6 1 7 /2 0 0 0 3 5 Collection privée Q.L kavakava Légumineuse, Fabacée Sophora torom iro inconnue 1 7 6 7 9 /2 0 0 0 3 9 Collection privée Q .L kavakava Léqum ineuse, Fabacée Sophora torom iro inconnue 1 7 6 1 4 /2 0 0 0 3 2 Collection privée Q.L kavakava Légum ineuse, Fabacée Sophora torom iro 1872, Col. P. Loti 8 9 L 2 5 3 Collection privée Q .L

tangata Légum ineuse, Fabacée Sophora torom iro entré au musée début XIX éme 4 0 2 -2 Pierre le Grand, St Pétersbourg tan q ata Léqum ineuse, Fabacée Sophora torom iro Louvre, C o l Aze 1872 39 EX 28 D Musée de l'Hôpital de la marine, Rochefort tangata Légum ineuse, Fabacée Sophora torom iro inconnue n°2 Collection privée U.

Rapa Léqum i neuse- Fabacée Sophora torom iro 1870, Col évéque Jaussen P 027 Pères de Picpus SSCC, Rome Rapa Légum ineuse-Fabacée Sophora torom iro 1870, Col évêque Jaussen P 028 Pères de Picpus SSCC, Rome Rapa Légum ineuse-Fabacée Sophora torom iro 1870, Col évêque Jaussen P 029 Pères de Picpus SSCC, Rome Rapa Léqum ineuse-Fabacée Sophora torom iro 1870, Col évêque Jaussen P 030 Pères de Picpus SSCC, Rome Rapa Légum ineuse-Fabacée Sophora torom iro 1870, Col évéque Jaussen P031 Pères de Picpus SSCC, Rome Rapa Léqum ineuse-Fabacée Sophora torom iro 1870, Col évéque Jaussen P 03 2 Pères de Picpus SSCC, Rome Rapa Légum ineuse-Fabacée Sophora torom iro 1870, Col évêque Jaussen P 03 3 Pères de Picpus SSCC, Rome Rapa Légum ineuse-Fabacée Sophora torom iro 1870, Col évêque Jaussen P 034 Pères de Picpus SSCC, Rome Rapa Léqum ineuse-Fabacée Sophora torom iro inconnue 3 2 6 0 2 Musée ethnoqraphie, Coloqne Rapa Légum ineuse-Fabacée Sophora torom iro inconnue ss n° Collection A. Breton, Paris Rapa Légum ineuse-Fabacée Sophora torom iro inconnue MG 5702 Collection Barbier Muller, Genève tahonqa Indéterm iné Indéterm iné 1870, Col évêque Jaussen P011 Pères de Picpus SSCC, Rome tahonga Indéterm iné Indéterm iné 1870, Col évêque Jaussen P 019 Pères de Picpus SSCC, Rome tahonqa Gym nosperm e Indéterm iné 1870, Col évêque Jaussen P021 Pères de Picpus SSCC, Rome tahonqa Légumineuse, Fabacée Sophora torom iro 1870, Col évêque Jaussen P 0 18 Pères de Picpus SSCC, Rome tête de moai Matvacée Thespesia populnea 1870, Col évêque Jaussen P 010 Pères de Picpus SSCC, Rome tahonqa Malvacée Thespesia populnea 1870, Col évêque Jaussen P012 Pères de Picpus SSCC, Rome tahonga MaJvacée Thespesia populnea 1870, Col évêque Jaussen P 0 13 Pères de Picpus SSCC, Rome tahonqa Malvacée Thespesia populnea 1870, Col évêque Jaussen P 0 14 Pères de Picpus SSCC, Rome tahonqa Malvacée Thespesia populnea 1870, Col évêque Jaussen P 016 Pères de Picpus SSCC, Rome tahonga Malvacée Thespesia populnea 1870, Col évêque Jaussen P 017 Pères de Picpus SSCC, Rome tahonqa Malvacée Thespesia populnea 1870, Col évêque Jaussen P 02 0 Pères de Picpus SSCC, Rome tahonqa Malvacée Thespesia populnea (?) 1870, Col évêque Jaussen P 015 Pères de Picpus SSCC, Rome ro n qo ro nq o /sm all MaJvacée Thespesia populnea M iklukho-M aklai, 1871 4 0 2 /1 3 - 1 Piene le Grand, St Pétersbourg rongoronqo/ A ruku Kurenqa Malvacée Thespesia populnea 1870, Col évêque Jaussen P002 Pères de Picpus SSCC, Rome

rongoronqo/ Maman Malvacée Thespesia populnea 1870, Col évêque Jaussen P 003 Pères de Picpus SSCC, Rome ronqoronqo/sm all Santiaqo Malvacée Thespesia populnea O'Fliqqins, Roussel 1870 3 1 4 Musée national d'H istoire naturelle, Santiaqo rongorongo/large Santiago Malvacée Thespesia populnea O'H iggins, Roussel 1870 3 1 5 Musée national d'H istoire naturelle, Santiago

Figure

Fig.  1.  Détermination botanique du bois de 51  objets de l'île de Pâques principalement collectés au cours du XIX’ siècle

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