B. Köhler Ballan C. Tran
L. Perrenoud
U. M. Vischer
introductionL’hypoglycémie sévère est une des complications les plus re
doutées du diabète chez la personne âgée. La crainte de l’hy
poglycémie sévère conduit souvent les patients et les soi
gnants à renoncer à un bon contrôle glycémique. Pourtant, l’idée intuitive qu’un mauvais contrôle glycémique protège de l’hypoglycémie n’est pas forcément justifiée. Les comorbidités, la malnutrition, les troubles cognitifs, entre autres facteurs, sont sans doute plus souvent responsables d’hypoglycémies sé
vères qu’un objectif de contrôle glycémique trop strict. Le but de cet article est de passer en revue l’épidémiologie, la pathophysiologie et les facteurs de risque de l’hypoglycémie sévère chez la personne âgée diabétique, avant de proposer une prise en charge tenant compte de ses particularités.
épidémiologie
L’incidence d’hypoglycémie sévère chez la personne diabétique âgée est diffi
cile à déterminer. En effet, les chiffres peuvent varier en fonction des populations étudiées, des définitions utilisées et des structures de soins locales. Selon l’ADA (American diabetes association), l’hypoglycémie est définie comme sévère, avec ou sans signes neurologiques graves, si l’intervention d’une tierce personne est nécessaire, soit pour permettre l’ingestion d’hydrates de carbone, soit l’adminis
tration de glucagon ou de glucose intraveineux.1 D’autres définitions sont pour
tant utilisées dans certaines études épidémiologiques. Peu d’études sont spéci
fiquement consacrées aux populations âgées. Les données des essais thérapeuti
ques sont a priori relativement peu inquiétantes. Dans l’étude UKPDS, l’incidence d’hypoglycémie sévère était d’environ deux épisodes/100 patients/an sous insu
linothérapie.2 Dans l’étude ADVANCE, l’incidence n’était que de 0,4 et 0,7 épi
sode/100 patients/an dans les groupes traités standards et intensifiés respective
ment, alors que le contrôle glycémique était meilleur (dans les deux groupes) que dans l’étude UKPDS.3 En revanche, les chiffres des études de populations sont moins rassurants. L’étude DARTS/MEMO étudiant les hospitalisations pour hypo
Severe hypoglycemia in older patient with type 2 diabetes : what prevention ? Severe hypoglycemia is a feared complica
tion of treatment in older diabetic patients (L 75 years) and a limiting factor for good gly
cemic control. Its real incidence is not well studied and probably underestimated. Cogni
tive impairment, malnutrition and/or cachexia, polypharmacy and a recent hospitalization are risk factors for severe hypoglycemia spe
cific for older patients. Cognitive impairment screening can identify patients unable to ma
nage their treatment. Simplification of treat
ment and/or transferring its execution to rela
tives must then be considered. Prevention also involves the detection of malnutrition and co
morbidities, Ageadjusted therapeutic targets (HbA1c 78%) are important to avoid an ex
ceedingly strict glycemic control. However, giving up on good glycemic control is not an adequate prevention strategy in itself.
Rev Med Suisse 2011 ; 7 : 2166-9
L’hypoglycémie sévère est une complication redoutée du trai- tement chez la personne diabétique âgée (L 75 ans), ainsi qu’un facteur limitant à un bon contrôle glycémique. Son incidence réelle est mal connue et probablement sous-estimée. Les trou- bles cognitifs, la malnutrition et/ou la cachexie, la polymédica- tion et un séjour hospitalier récent sont des facteurs de risque d’hypoglycémie sévère spécifiques à la personne âgée. Le dé- pistage des troubles cognitifs permet d’identifier les patients inaptes à gérer leur traitement. Une simplification du traitement et/ou un transfert de son exécution à l’entourage doivent alors être envisagés. La prévention passe aussi par le dépistage de la malnutrition et des comorbidités, et par le respect des cibles thérapeutiques (HbA1c 7-8%), évitant un con trôle glycémique trop strict. Le renoncement à un bon contrôle glycémique n’est pourtant pas une stratégie de prévention en soi.
Hypoglycémie sévère chez
le patient diabétique de type 2 âgé : quelle prévention ?
synthèse
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glycémie sévère en Ecosse rapporte une incidence d’environ douze épisodes/100 patients/an chez les patients diabéti
ques traités par insuline !4 Même si ce chiffre paraît peu vraisemblable, d’autres études de populations rapportent des chiffres proches de trois épisodes/100 patients/an, clai
rement plus élevés que ceux des essais thérapeutiques.5 L’importance de la problématique est sousestimée par ces études, ne considérant que les hypoglycémies nécessitant une hospitalisation. De plus, l’incidence d’hypoglycémie sévère augmente nettement avec l’âge.5 L’hypoglycémie sévère est donc un risque bien réel pour le patient diabé
tique âgé.
physiopatholoigieetfacteursderisque Une hypoglycémie sévère peut s’expliquer par l’absen
ce de symptômes, par leur mauvaise identification ou par un traitement inadéquat. Sur le plan physiologique, le seuil de perception de l’hypoglycémie, environ 3,8 mmol/l chez le sujet sain, est diminué chez le sujet diabétique âgé. Lors d’une hypoglycémie provoquée, les patients diabétiques âgés présentent moins de symptômes tant adrénergiques que neuroglycopéniques.6 Cette perte de symptômes pour
rait s’expliquer soit par l’âge luimême, soit par la plus lon
gue durée du diabète. Il est probable que certains médi
caments, tels que les bêtabloquants ou certains psycho
tropes, empêchent la survenue de symptômes ou perturbent leur identification. La mauvaise connaissance de l’hypogly
cémie, due à un enseignement insuffisant et/ou à des trou
bles cognitifs, ou des limitations fonctionnelles empêchant les patients de se traiter adéquatement, pourrait aussi jouer un rôle. De nombreuses situations à risque ont été décrites.
Facteurs de risque classiques
Plusieurs facteurs de risque «classiques» d’hypoglycémie sévère ont été identifiés de longue date, et retrouvés dans la quasitotalité des études, indépendamment de l’âge.5,79 Les plus évidents sont :
• l’âge et la durée du diabète.
• Les antécédents d’hypoglycémie sévère.
• L’insuffisance rénale, peutêtre par le retard d’élimination de l’insuline injectée ou des antidiabétiques oraux.
• Un indice de masse corporelle (IMC) bas, peutêtre par le biais d’une plus grande sensibilité à l’insuline.
• La polymédication (M 5 médicaments prescrits).
• L’apport alimentaire, notamment l’oubli de repas.
• L’exercice physique par une consommation accrue de glucose par le muscle et une sensibilité accrue à l’insuline.
Troubles cognitifs
Plusieurs études longitudinales, avec plus de deux dé
cennies de suivi, ont démontré que le diabète de type 2 est associé à un risque élevé de troubles cognitifs ou de démence.1013 Ce risque serait lié en partie aux facteurs de risque associés, tels que l’obésité et l’hypertension.10,14 L’hypoglycémie sévère pourrait jouer un rôle dans la pro
gression des troubles cognitifs, mais cette question reste très controversée.15,16 En revanche, plusieurs études récen
tes ont finalement clairement démontré que les troubles cognitifs sont un facteur de risque important d’hypoglycémie
sévère.17,18 Cette association pourrait s’expliquer par la déstructuration de l’horaire et des repas, l’incapacité à faire ou à interpréter les autocontrôles glycémiques, et l’oubli ou au contraire les doubles doses de traitements. Le dépis
tage et la prise en charge des troubles cognitifs sont donc des aspects importants de la sécurité du traitement anti
diabéti que.
Malnutrition et comorbidités
A tout âge, la diminution ponctuelle de l’apport alimen
taire («spontanée» ou liée à une maladie intercurrente) est une cause évidente d’hypoglycémie. Chez la personne âgée, il convient en plus d’envisager la présence et les consé
quences de diverses modifications plus durables de l’ali
mentation. La prise calorique diminue progressivement avec l’âge, même chez les personnes en bonne santé, menant à une perte pondérale et une diminution de la prévalence de l’obésité.19 De plus, la situation peut se compliquer d’une malnutrition ou d’une cachexie. En pratique, il est souvent malaisé de distinguer ces deux entités. La malnutrition se définit par un apport insuffisant de calories, de protéines et de micronutriments. La cachexie est la réaction systémi
que aux maladies organiques, se caractérisant par une ano
rexie, une asthénie, une perte pondérale et/ou une fonte musculaire. Cette réaction est secondaire à un processus inflammatoire cliniquement reconnu ou non.20,21 Dans le premier cas, la réduction de la prise alimentaire est la cause primaire du problème, alors que, dans le deuxième cas, la perte pondérale est secondaire au processus inflammatoire.
Dans les deux cas, il faut s’attendre à une diminution de la prise alimentaire, une perte pondérale et peutêtre une diminution de la résistance à l’insuline. Ainsi, les comorbi
dités, la cachexie et la malnutrition peuvent s’accompagner d’une amélioration paradoxale du contrôle glycémique et d’une réduction des besoins en traitements antidiabéti
ques (figure 1).22,23 Cette situation mène à une augmenta
tion du risque d’hypoglycémie. Le traitement antidiabéti
que doit être ajusté à la situation métabolique, qui peut évoluer avec le temps ! Un séjour hospitalier récent est un facteur de risque important d’hypoglycémie sévère.5 Cette observation s’explique sans doute par l’ajustement du trai
tement antidiabétique à l’alimentation hospitalière, plus abondante et plus régulière qu’à domicile pour beaucoup de personnes âgées. L’hypoglycémie survient alors si le trai
tement n’est pas adapté, par anticipation, à la diminution de la prise alimentaire lors du retour à domicile.
hypoglycémie etmortalité
L’hypoglycémie sévère peut entraîner des séquelles, voire le décès.24 Elle pourrait causer des événements car
diovasculaires en engendrant une ischémie myocardique, du moins en cas de coronaropathie préexistante.25 Les séquelles traumatiques, notamment liées à la circulation routière sont aussi à redouter. La mortalité directe liée aux hypoglycémies sévères semble toutefois modeste. En revan
che, les patients ayant présenté une ou plusieurs hypogly
cémies sévères constituent un groupe à risque de compli
cations ultérieures. Cette notion découle d’analyses secon
daires des études ACCORD et ADVANCE, qui ont investigué
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l’impact du contrôle glycémique strict sur le risque d’évé
nements cardiovasculaires (CV).7,8,26 Ces études ont claire
ment montré qu’un traitement intensifié est associé à un risque d’hypoglycémie sévère augmenté. D’autres obser
vations importantes sont pourtant à relever :
• les hypoglycémies sévères surviennent tout au long du suivi, leur incidence augmente même avec le temps. Elles ne sont donc pas la conséquence directe de l’intensifica
tion du traitement.
• L’âge, la durée du diabète, l’insuffisance rénale, un IMC bas et les troubles cognitifs sont des facteurs de risque, au même titre que l’intensification du traitement en tant que telle.
• La mortalité directe liée aux hypoglycémies est prati
quement inexistante.
• L’hypoglycémie sévère est un facteur de risque non seu
lement de mortalité CV et globale, mais aussi de maladies cardiaques, respiratoires, digestives et même cutanées.
Ces observations suggèrent que l’hypoglycémie sévère survient chez des patients présentant des comorbidités ou une malnutrition, présentes à l’inclusion ou survenant au cours du suivi. Ainsi, ces complications seraient à la fois les causes de l’hypoglycémie sévère et les véritables détermi
nants du mauvais pronostic ultérieur.
sulfonylurées ethypoglycémies
Le risque d’hypoglycémie sévère est généralement moins élevé sous sulfonylurées que sous insuline.4,5,27 L’insuffi
sance rénale, perturbant leur élimination, est un facteur de risque important.5 Le risque est surtout élevé avec les sul
fonylurées de très longue durée d’action (notamment le glibenclamide, dont l’utilisation est sur le déclin).28,29 Une
étude rétrospective récente a démontré un âge moyen élevé (77,5 w 9,4 ans), une haute prévalence de comorbidi
tés et un contrôle glycémique souvent trop strict (HbA1c moyenne 6,6 w 1,3%) chez ces patients.27 A nouveau, il est probable que l’hypoglycémie sous sulfonylurées soit en grande partie attribuable au mauvais ajustement au déclin des besoins en traitement antidiabétique. Les inhibiteurs de la dipeptidylpeptidaseIV (gliptines), qui stimulent la sécrétion d’insuline de façon glucodépendante et n’engen
drent donc théoriquement pas d’hypoglycémies, pourraient constituer une alternative intéressante aux sulfonylurées.30
commentprévenirl
’
hypoglycémie sévère chezle patientdiabétique âgé?
La prévention de l’hypoglycémie occupe une place cen
trale dans la sécurité du traitement antidiabétique. Elle passe par le choix d’objectifs thérapeutiques appropriés et l’identification des situations à risque.
Le choix des cibles de contrôle glycémique chez la per
sonne âgée est une discussion qui dépasse le cadre de cet article. En bref, la tendance actuelle est de proposer une HbA1c cible entre 7 et 8% chez la quasitotalité des patients L 75 ans, en l’absence de preuve d’efficacité d’un contrôle plus strict.22,31,32 Le renoncement à un bon contrôle glycé
mique n’est pourtant pas une stratégie de prévention en soi. Une HbA1c trop haute (L 88,5%) est volontiers asso
ciée à des symptômes d’hyperglycémie souvent difficiles à identifier, et n’est pas une garantie contre la survenue d’hypoglycémies symptomatiques ou non.33 Une étude de population australienne semble d’ailleurs indiquer que les patients présentant une hypoglycémie sévère ont une HbA1c plus haute que la moyenne de la population.18
Audelà des facteurs de risque classiques, les facteurs suivants propres aux patients âgés doivent être considérés :
• le dépistage des troubles cognitifs permet d’identifier les patients potentiellement inaptes à gérer leur traitement.
Dans ce cas, une simplification du traitement et/ou un transfert de son exécution à l’entourage doivent être envi
sagés.
• La polymédication (M 5 médicaments) doit mener à une réévaluation du traitement. Cette réévaluation diminue aussi potentiellement le risque de chute.34 Le respect des cibles thérapeutiques est sans doute un moyen simple de limiter ce problème.
• La malnutrition, survenant dans le contexte de comorbi
dités ou non, doit être dépistée avec un outil approprié, tel que le Mini nutritional assessment (MNA, www.mnaelderly.
com). A défaut, une perte d’appétit et une perte pondérale doivent systématiquement être recherchées. Une malnutri
tion ou des comorbidités non identifiées doivent, en parti
culier, être suspectées en cas d’HbA1c basse (l 7%), qui n’est pas toujours la seule conséquence des traitements prescrits.
• Les semaines suivant une hospitalisation sont une pé
riode à risque élevé.
• En cas de contreindications aux antidiabétiques oraux, le recours à une insulinothérapie n’est pas une garantie de sécurité ! Il s’agit de privilégier les schémas d’insuline sim
ples, d’assurer une surveillance soigneuse et de fournir aux
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9 novembre 2011Figure 1. Mécanismes sous-jacents à l’association entre le contrôle glycémique et la mortalité
Les comorbidités, la cachexie et la malnutrition peuvent mener à une amélioration paradoxale du contrôle glycémique, et par conséquent à une augmentation du risque d’hypoglycémie si le traitement n’est pas adapté. Ainsi, l’hypoglycémie sévère serait un marqueur de mauvaise santé plutôt qu’une cause directe de décès. Ce phénomène de causalité inverse complique l’interprétation de l’HbA1c, qui devient un marqueur de mau- vaise santé et non plus un simple critère de qualité du traitement antidia- bétique.
Comorbidités
Cachexie (Inflammation)
Prise alimentaire Poids Résistance à l’insuline
Glycémie moyenne (HbA1c)
Complications à long terme Malnutrition
Mortalité
Traitement antidiabétique -
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+ +
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Drs Bettina Köhler Ballan et Christel Tran Service d’endocrinologie, diabétologie et nutrition HUG, 1211 Genève 14
Bettina.Kohler@hcuge.ch Christel.Tran@hcuge.ch Luz Perrenoud Dr Ulrich M. Vischer
Département de médecine interne, réhabilitation et gériatrie
Hôpital des Trois-Chêne HUG, 1226 Thônex luz.perrenoud@hcuge.ch Ulrich.Vischer@hcuge.ch
Adresses
Implications pratiques
Les troubles cognitifs, la malnutrition, la polymédication, un séjour hospitalier récent ainsi que les comorbidités sont des facteurs de risque d’hypoglycémie sévère chez la personne âgée diabétique
La prévention passe par le dépistage de la malnutrition et des comorbidités, et par le respect des cibles thérapeutiques (HbA1c 7-8%), évitant un contrôle glycémique trop strict Le renoncement à un bon contrôle glycémique n’est pas une stratégie de prévention en soi
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>
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patients les explications nécessaires à la compréhension du traitement. L’enseignement du patient âgé est volontiers frustrant, mais n’est pas une cause perdue : il doit simple
ment plus souvent impliquer l’entourage, que ce soit la fa
mille, les amis proches ou les soignants professionnels.
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* à lire
** à lire absolument
Bibliographie
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