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Comment faire rendre gorge au Docteur Guillotin (1)

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1478

Revue Médicale Suisse

www.revmed.ch

11 juillet 2012

D.R.

on retrouve le corps médical assoiffé, non pas de sang mais bien de corps les moins cada- vériques possible

actualité, info

en marge

Qui dira les mystères des noms propres tombés dans le domaine public. Ainsi celui de Guillotin.

En voilà un qui, depuis deux siècles, a comme une assez fâcheu se tendance à ne plus vou­

loir se pousser du col. L’instru­

ment auquel il a donné son nom n’a pas disparu avec la liquida­

tion de la peine qu’il permettait d’exécuter. Bien au contraire.

L’objet fait joliment florès sur la Toile (http://guillotine.voila.net/).

A Paris, le musée d’Orsay lui con­

sacrait il y a peu une exposition qui n’était pas dénuée de perver­

sité. Et voici que sort aujourd’hui

un livre qui entend remuer au mieux le couteau dans la plaie.

Une assez méchante entreprise : il s’agit de nous raconter en quoi la médecine et ceux qui la servent sont très directement concernés par la mise au point de cette ma­

chine à tuer. De la taylorisation (à la fois tricolore et antalgique) de la décapitation.

Machine à tuer ? Peut­être. Mais en est­on si certain ? Ou, plus pré­

cisément, n’est­ce pas là une vue bien rétrécie sur l’engin ? Car on pourrait, et sans nullement manier le paradoxe, soutenir que cette in­

vention humaine ne pouvait être que d’essence médicale ; et qu’elle ne fut en aucune façon le chef­

d’œuvre sadique d’une époque qui, en France, sut dans ce domai ne atteindre quelques vertigineux sommets. La vérité est que certains se sont déjà employés à une telle soutenance. Mais ils avaient géné­

ralement le grand tort d’être mem­

bres de la peu banale confrérie à laquelle appartint le docteur Guil­

lotin. Or c’est là une sorte de con flit d’intérêt qui, quoique posthume, ne pardonne guère. Tenter de comprendre la généalogie de l’af­

faire, bien évidemment. Trouver le cas échéant quelques maigres circonstances atténuantes ? Pour­

quoi pas ? Mais oser voir en son action une entreprise humaniste, il y a là un pas qu’aucun docteur en médecine ne devrait franchir ; sauf à être séance tenante con­

damné à abjurer devant les médias réunis. L’abjection a ses limites ; et il est bien connu que toute société qui se veut saine doit impérative­

ment tenir le pouvoir médical en lisière. Il n’en va pas de même avec les historiens. Pour l’instant.

Mme Anne Carol est professeur d’histoire contemporaine à l’Uni­

versité d’Aix­Marseille et membre de l’Institut universitaire de France.

A ce titre, elle a autorité pour juger de la vie (passée) des médecins.

Et ce d’autant qu’elle a su entrou­

vrir une porte de l’un de leurs cénacles : consacrant un ouvrage à quelques­uns de leurs rapports à la mort, elle a reçu le prix du

«meilleur livre» millésimé 2004 de la Société française de l’histoire de la médecine, société savante qui fête aujourd’hui son centenaire.a Est­ce la peur d’être un jour accu­

sée de conflit d’intérêt ? Dans le nouvel opus qu’elle publie aujour­

d’hui,1 elle n’est guère tendre avec les médecins qui se piquent de l’histoire de leur art. «Tout le

monde sait, écrit­elle, que la guil­

lotine est le fruit des réflexions d’un médecin, Joseph Ignace Guil­

lotin et d’un chirurgien, Antoine Louis.» Et cette historienne d’ajou­

ter que la question de savoir com­

ment prend forme concrètement cette implication médicale n’est pas, sinon tranchée, du moins épuisée. Mais encore ?

«L’historiographie, de ce point de vue, oscille entre deux positions (…). La première, embarrassée, est généralement celle des médecins qui font de l’histoire de la méde­

cine ; cette gêne les incite à deux démarches, estime Mme Carol.

D’abord une démarche de réhabi­

litation qui s’exerce surtout à l’égard de Guillotin ; celui­ci a fait l’objet de nombreuses biographies qui s’efforcent à la fois de minimi­

ser son rôle, de le replacer dans un contexte philanthropique plus que médical, et de décrire son chagrin d’avoir contribué à instaurer pareil instrument de mort. Mais aussi une démarche d’élision, d’euphé­

misation : en miroir, peu d’études sont consacrées à Louis, pourtant (– ou parce que ? – ) impliqué plus directement dans la conception technique de l’objet. Dans ce mo­

dèle historiographique la part du médical est presque contingente, ou diluée dans un humanisme qui serait propre aux hommes des Lumières, davantage qu’aux mé­

decins.»

Passons vite fait sur la seconde posi­

tion qui, toujours selon Mme Carol,

est à chercher du côté des philo­

sophes dans la postérité de Foucault.

On imagine sans mal que la part des médecins y bascule du hasard à la nécessité. Où l’on retrouve le corps médical assoiffé, non pas de sang mais bien de corps les moins cadavériques possible. Ouvrir coûte que coûte. Ouvrir pour voir, voire pour saisir la divine intimité des rouages articulaires, celle des essences humorales, celle de l’âme qui, le moment venu ou le cas échéant, retourne vers les Anges.

Et comme, médecin, on est géné­

ralement passionné par son sujet on n’hésitera pas, si nécessaire et dans les tempêtes, à (aider à) tuer pour être mieux approvisionné.

Plus besoin de voler alors, plus besoin de quémander, quand on a la tête toujours plus proche des gros bonnets. Une telle lecture est certes facile ; mais, flattant l’opi­

nion, elle fait idéalement recette.

Nous y reviendrons, en toute confraternité.

En 1789, médecin tenant le très haut du pavé, savant reconnu, le Dr Joseph Ignace Guillotin (1738­

1814) est âgé de 51 ans. Dans L’Œuvre au Noir Marguerite Yourcenar situe la mort de Zénon un peu plus d’un siècle aupara­

vant. On aime tuer, déjà. Et depuis un certain temps. A Bruges, con­

vaincue de mille et un péchés, la jeune et trop belle Idelette doit à son tour passer sous la main des hommes. «En bonne règle, Idelette eût dû brûler vive pour infanti­

cide, mais sa noble naissance lui valut d’être décapitée. Par malheur le bourreau, intimidé par ce cou délicat, n’eut pas la main sûre : il dut s’y reprendre à trois fois et s’échappa, justice faite, hué par la foule, poursuivi par une grêle de sabots et une averse de choux ra­

massés dans les paniers du mar­

ché.» Ce n’est qu’un demi­siècle plus tard que naîtra à Saintes, sur le flanc ouest de la France, Joseph Ignace. Il fut le neuvième des treize enfants de Joseph­Alexandre Guillotin, avocat girondin et de Catherine­Agathe Martin. Etudes théologiques chez les jésuites de Bordeaux ; médecine à Reims puis à Paris où il devient pupille de la Faculté. Il y enseigne l’anatomie, la physiologie et la pathologie, effectue des expériences scientifi­

ques sur le vinaigre et la rage.

Le vinaigre monte brutalement aux nez de ses contemporains et la rage prend bientôt de nouvelles dimensions dans la France de

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Revue Médicale Suisse

www.revmed.ch

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a Fondée en 1902, cette société a son siège au 12, rue de l’Ecole de médecine, dans le sixième arrondissement de Paris.

www.bium.univ-paris5.fr/sfhm/

Bibliographie

1 Carol A. Physiologie de la veuve. Une histoire médicale de la médecine. Seys- sel : Editions Champ Vallon 2012. www.

champ-vallon.com 1006249

Guillotin. C’est alors que se dres­

sera bientôt sa Veuve rouge dans le ciel de Paris. Elle protégera no­

tamment des choux volés et des sabots perdus les bourreaux qui sont des hommes comme les autres. Parfois intimidés par des cous féminins décidément bien trop délicats.

(A suivre)

Jean-Yves Nau jeanyves.nau@gmail.com

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