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La proportionnalité en entraide internationale en matière pénale : évolution jurisprudentielle

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La proportionnalité en entraide internationale en matière pénale : évolution jurisprudentielle

LUDWICZAK, Maria

LUDWICZAK, Maria. La proportionnalité en entraide internationale en matière pénale : évolution jurisprudentielle. Pratique juridique actuelle , 2017, vol. 26, no. 5, p. 608-612

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:101998

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La transmission de pièces dans le cadre de l’entraide judiciaire inter- nationale en matière pénale est régie par le principe de proportionna- lité. La jurisprudence y relative a considérablement évolué au fil des dernières années. Sa portée s’est élargie au point qu’elle s’analyse désormais sous l’angle de l’utilité potentielle des pièces à transmettre : l’entraide doit permettre de faire avancer voire d’étendre l’enquête étrangère et doit, à cette fin, être la plus large possible. Ce constat est particulièrement marquant en matière de documentation bancaire.

Plan

I. Introduction

II. De l’interdiction de la transmission ultra petita … III. … au principe de l’utilité potentielle

IV. Conclusion

I. Introduction

Le principe de proportionnalité est un des principes es- sentiels régissant la coopération internationale en matière pénale1. Il est ancré, s’agissant en particulier de l’entraide (« Autres actes d’entraide », petite entraide), à l’art. 63 al. 1 EIMP2 d’après lequel l’entraide porte sur les actes paraissant « nécessaires à la procédure (pénale) menée à l’étranger ». Au regard du principe de proportionnalité, ce mode de coopération apparaît comme le moyen per- mettant d’apporter un soutien à l’Etat étranger en lui four-

* MariaLudwiczak, Dr. iur., Maître-assistante à l’Université de Neuchâtel, Chargée d’enseignement à l’Université de Genève, En- seignante à la Haute Ecole de Gestion ARC, Neuchâtel et Jura.

1 En général sur le principe de proportionnalité en entraide interna- tionale en matière pénale, voir notamment andreasdonatsch/ stefan heiMgartner/frank Meyer/MadeLeine siMonek, Internationale Rechtshilfe unter Einbezug der Amtshilfe im Steuer- recht, 2e éd., Zurich/Bâle/Genève 2015, 91 ss ; sabine gLess, Internationales Strafrecht. Grundriss für Studium und Praxis, 2e éd., Bâle 2015, N 333 ; Mauriceharari/corinnecorMin-

bœuf, EIMP révisée : Considérations critiques sur quelques arrêts récents, PJA 1999, 139 ss, 144 ; PeterPoPP, Grundzüge der inter- nationalen Rechtshilfe in Strafsachen, Bâle 2000, 269 ss ; robert ziMMerMann, La coopération judiciaire internationale en matière pénale, 4e éd., Berne 2014, N 717 ss.

2 Loi fédérale du 20 mars 1981 sur l’entraide internationale en ma- tière pénale (Loi sur l’entraide pénale internationale ; RS 351.1).

nissant des éléments qu’il ne peut obtenir lui-même du fait de l’existence des frontières étatiques. Ce soutien se définit à la fois de manière positive et négative, en ce sens qu’il doit, d’une part, porter sur tous les éléments néces- saires à l’Etat étranger et visés par la demande d’entraide et, d’autre part, se limiter à ces éléments.

Le principe de proportionnalité a connu une évolution des plus spectaculaires au fil des années. Tout d’abord restrictif, il devait être combiné avec un autre mode de coopération (la transmission spontanée) et une demande d’entraide complémentaire pour permettre à l’Etat étran- ger de progresser dans son enquête. Désormais, le prin- cipe de proportionnalité est compris de façon large et per- met la transmission de pièces qui auraient, il y a quelques années encore, été considérées comme allant au-delà de ce qui était demandé par l’autorité étrangère et partant, non transmissibles. La présente contribution s’intéresse au revirement ainsi opéré par la jurisprudence.

II. De l’interdiction de la transmission ultra petita …

Le principe de proportionnalité vise à accorder l’entraide à l’Etat étranger conformément à la demande qui est pré- sentée. Il appartient en effet à l’Etat requérant de délimiter les informations et pièces qui sont nécessaires à son en- quête et qu’il souhaite obtenir de l’Etat requis. Ce dernier ne dispose en principe pas des moyens pour déterminer les actes d’instruction à entreprendre dans le cadre de l’en- quête pénale étrangère. Il s’agit, pour l’autorité requise, de se limiter à vérifier s’il existe un lien objectif entre les

Die Übermittlung von Schriftstücken im Rahmen der internationalen Rechtshilfe in Strafsachen unterliegt dem Verhältnismässigkeitsprin- zip. Die Rechtsprechung hat das Prinzip in den letzten Jahren erheb- lich weiterentwickelt. Die Tragweite der Verhältnismässigkeit ist derart ausgeweitet worden, dass sie mittlerweile unter dem Blickwinkel der potenziellen Nützlichkeit der zu übermittelnden Schriftstücke geprüft wird: Die Rechtshilfe soll die ausländische Strafuntersuchung voran- bringen oder gar zu deren Ausdehnung beitragen und muss zu die- sem Zweck möglichst umfassend sein. Besonders ausgeprägt ist diese Entwicklung, wenn es um die Übermittlung von Bankunterlagen geht.

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transmission spontanée8, prévue par l’art. 67a EIMP, dite complémentaire9, visant à informer l’Etat étranger de l’existence de ces éléments10 et lui donner la possibilité de présenter une demande d’entraide complémentaire.

Un tel procédé, couplant la transmission dans les li- mites posées par le principe de proportionnalité compris stricto sensu et une transmission spontanée complémen- taire, permettait d’éviter que des renseignements utiles à une procédure pénale étrangère ne demeurent inexploi- tés11, tout en définissant un cadre clair à l’entraide accor- dée par la Suisse.

III. … au principe de l’utilité potentielle

Au cours des années qui ont suivi, le principe de propor- tionnalité a connu une évolution importante, pour ne pas

8 En général sur la transmission spontanée (art. 67a EIMP), voir fridoLinbegLinger, Rechtshilfeverfahren : Anwesenheit, spon- tane Übermittlung und Zweites Zusatzprotokoll zum Europäischen Rechtshilfeübereinkommen, PJA 2007, 916 ss, en particulier 918 ss ; aLexanderM. gLutzvonbLotzheiM, Die spontane Übermittlung. Die unaufgeforderte Übermittlung von Beweismit- teln und Informationen ins Ausland gemäss Art. 67a IRSG, Zurich/

St-Gall 2010 ; caroLinegstöhL, Geheimnisschutz im Verfahren der internationalen Rechtshilfe in Strafsachen, Berne 2008, 342 ss ; andreashaffter, Internationale Zusammenarbeit in Strafsachen im Spannungsfeld zwischen Denunziation und Verbrechens- bekämpfung : Zur Problematik der spontanen Rechtshilfe (Art. 67a IRSG), PJA 1999, 116 ss ; françoisrogerMicheLi, L’entraide spontanée (art. 67a EIMP). Le contrôle de la transmission spon- tanée d’informations, PJA 2002, 156 ss ; Pierre-doMinique schuPP, La révision de la loi fédérale sur l’entraide internationale en matière pénale (EIMP), RPS 1997, 180 ss, 194 ss ; christian sager, Internationale Rechtshilfe in Strafsachen : Aus der Praxis der Gerichte der Schweizerischen Eidgenossenschaft, in : Chro- nique de droit pénal suisse dans le domaine international (2013), RSDIE 2014, 385 ss, 416 s. ; robertziMMerMann, Communica- tion d’informations et de renseignements pour les besoins de l’en- traide judiciaire internationale en matière pénale : un paradigme perdu ?, PJA 2007, 62 ss, en particulier 65 ss ; ziMMerMann (n. 1), N 413 ss.

9 ATF 125 II 238 c. 4a ; 125 II 356 c. 12b ; TPF, RR.2009.190, 26.8.2009, c. 2 en particulier c. 2.1.

10 Cette forme de transmission n’est soumise à aucune exigence de forme et doit simplement être consignée dans un procès-verbal (art. 67a al. 6 EIMP ; ATF 139 IV 137 c. 4.6.1 ; TPF, RR.2009.190, 26.8.2009, c. 2 ; TPF, RR.2013.203-204, 28.2.2014, c. 2.3.2) ; en ce sens, il s’agit d’une forme de coopération particulièrement souple qui doit toutefois être utilisée avec réserve et dans le respect des conditions légales, afin de ne pas permettre un flux incontrôlé d’in- formations vers l’étranger (Message du 29 mars 1995, FF 1995 III p. 1 ss, p. 25). En particulier, des moyens de preuve touchant au domaine secret ne peuvent être transmis par cette voie, voir TPF, RR.2009.190, 26.8.2009, c. 2.

11 ATF 125 II 238 c. 4a et les références citées ; TPF, RR.2009.190, 26.8.2009, c. 2.1.

actes sollicités et l’enquête pénale étrangère3, le but étant d’éviter les cas de fishing expedition, ou recherche indé- terminée de moyens de preuve.

Cependant, afin de satisfaire à l’interdiction de la transmission ultra petita, ou Übermassverbot, l’entraide devait se cantonner à ce qui était expressément demandé par l’autorité étrangère. Les quatre exemples qui suivent illustrent les limites posées par le principe de proportion- nalité. Dans un cas datant de 1985, l’Etat requérant sou- haitait connaître la date d’ouverture et l’identité des titu- laires d’un compte bancaire et savoir si des mouvements liés au prévenu avaient été opérés sur ce compte. Le Tri- bunal fédéral a considéré que la documentation bancaire relative au compte concerné, s’étendant sur une période de deux ans et faisant apparaître notamment les mouve- ments en question, n’avait pas à être transmise en tant qu’elle dépassait le champ de ce qui était demandé4. Dans un autre cas, datant de 1989, dans lequel les autorités alle- mandes avaient requis le séquestre de la documentation bancaire relative à un compte en particulier, le Tribunal fédéral a considéré que la transmission de pièces relatives à un autre compte bancaire, pourtant lié, ainsi que le blo- cage d’un safe dépassaient le cadre posé par le principe de proportionnalité5. Dans un arrêt datant de 1995, face à une demande visant à obtenir des informations sur l’existence d’un compte bancaire et des précisions quant à un trans- fert suspect, le Tribunal fédéral a qualifié de conforme au principe de proportionnalité la transmission de la docu- mentation d’ouverture et de l’extrait de compte portant la mention du débit en question, caviardé de tous autres mouvements6. Finalement, dans un arrêt datant de 1993, le Tribunal fédéral a laissé entendre que la transmission de la documentation saisie auprès d’une société dont les autorités étrangères ignoraient l’existence nécessiterait une demande d’entraide complémentaire, portant expres- sément sur ces pièces7.

L’entraide visait ainsi à répondre à la demande d’en- traide étrangère, sans aller au-delà, et le principe de pro- portionnalité permettait de s’assurer du respect de cette limite. Si l’autorité requise suisse disposait d’autres infor- mations, non expressément demandées, pouvant intéres- ser l’Etat étranger, elle devait procéder par le biais d’une

3 Voir TPF, RR.2010.92, 19.1.2011, où un tel lien a été nié ; ziMMer-

Mann (n. 1), N 19 et note 1447.

4 ATF 111 Ib 129 c. 4.

5 ATF 115 Ib 373, JdT 1991 IV p. 151, c. 7.

6 ATF 121 II 241 c. 3a.

7 TF, 1A.281/1993, 2.3.1994, c. 5 ; ziMMerMann (n. 1), N 722 et note 1500.

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la demande d’entraide – il est peu vraisemblable que la réponse du Tribunal fédéral serait la même aujourd’hui qu’en 1985 et 1989 respectivement.

Par conséquent, en parallèle à cet élargissement de la portée du principe de proportionnalité, la transmission spontanée complémentaire a perdu du terrain : ce qui, il y a quelques années, aurait dû être porté à la connaissance de l’Etat étranger par le biais de la transmission prévue à l’art. 67a EIMP peut maintenant être transmis dans le cadre de l’exécution – comprise au sens large – de la de- mande. L’existence de ce mode de coopération a pourtant été rappelée par le Tribunal pénal fédéral en 2014 encore19. L’on peut se demander quelle place est aujourd’hui laissée à la transmission spontanée complémentaire. Il est pro- bable que la transmission spontanée se limite désormais à celle dite anticipée, soit celle, véritablement spontanée, intervenant en l’absence d’une demande d’entraide.

Le principe de l’utilité potentielle doit non seulement être compris comme permettant à l’autorité d’exécution d’aider l’Etat requérant à prouver des faits qu’il connaît déjà, mais également d’en dévoiler d’autres. En ce sens, de jurisprudence désormais constante, il existe un « de- voir d’exhaustivité » pour l’autorité d’exécution consis- tant en l’obligation « de communiquer tous les éléments qu’elle a réunis, propres à servir l’enquête étrangère, afin d’éclairer dans tous ses aspects les rouages du mécanisme délictueux poursuivi dans l’Etat requérant »20. L’autorité d’exécution doit ainsi, selon les termes utilisés par ziM-

MerMann, faire preuve d’« activisme, comme si elle était elle-même en charge de la poursuite »21. S’il avait eu à traiter aujourd’hui du quatrième exemple cité supra22, le Tribunal fédéral ne se serait pas opposé à la transmission de la documentation pour la seule raison que celle-ci a été saisie auprès d’une société dont les autorités étrangères ignoraient l’existence.

Un autre aspect vient encore favoriser une transmis- sion des plus larges : c’est à la personne touchée par la transmission qu’il incombe de démontrer en quoi les documents et informations à transmettre excèderaient le cadre de la demande ou ne présenteraient aucun intérêt pour la procédure étrangère. Il est incontesté que le devoir de procéder au tri des pièces appartient à l’autorité d’exé- cution. Celle-ci « s’appuie » toutefois sur la personne tou-

19 TPF, RR.2014.103, 9.10.2014, c. 2.1.

20 ziMMerMann (n. 1), N 722. Voir notamment TPF, RR.2016.305- 307, 15.2.2017, c. 3.4 ; TPF, RR.2009.320, 2.2.2010, c. 4.1.

21 ziMMerMann (n. 1), N 722. Pour une critique, voir harari/cor-

Minbœuf (n. 1), PJA 1999, 144.

22 Supra, II.

dire une véritable révolution. En effet, la logique consis- tant à ne transmettre que les pièces nécessaires à l’enquête étrangère s’est vue inversée. Il ne s’agit plus de n’accor- der l’entraide que s’agissant du nécessaire, mais de ne pas transmettre les pièces qui ne sont manifestement pas liées à l’enquête menée par l’Etat étranger.

La proportionnalité s’analyse désormais sous l’angle du principe de l’utilité potentielle : doivent être transmis tous les éléments qui pourraient intéresser l’autorité re- quérante, l’autorité requise devant se limiter à s’assurer que les éléments destinés à la transmission ne sont pas

« sans rapport avec l’infraction poursuivie » et « manifes- tement impropres à faire progresser l’enquête », faisant apparaître la demande d’entraide comme une fishing expe- dition12. La demande d’entraide doit être interprétée « se- lon le sens que l’on peut raisonnablement lui donner »13 et l’entraide se doit d’être « la plus large possible »14.

Par ailleurs, la portée du principe de l’interdiction de la transmission ultra petita a été restreinte, quand bien même l’existence de ce principe est régulièrement réaf- firmée15. Le but désormais poursuivi dans le cadre de l’application du principe de proportionnalité est d’éviter qu’une nouvelle demande d’entraide ne soit formulée dès la réception des pièces transmises en exécution de la première demande16. Ainsi, il est possible de transmettre des pièces ou procéder à des actes qui n’auraient pas été mentionnés dans la demande, pour autant que les condi- tions à l’octroi de l’entraide soient remplies17. Dans les deux premiers exemples mentionnés ci-dessus18 – refus de transmission de la documentation bancaire relative à un compte à propos duquel l’autorité étrangère posait des questions précises mais ne demandait pas la documenta- tion dans son ensemble ; refus de transmission de la do- cumentation concernant un compte bancaire et blocage d’un safe tous deux liés au compte directement visé par

12 Jurisprudence constante. Voir p. ex. ATF 136 IV 82 c. 4.1 ; 122 II 367 c. 2c ; 121 II 241 c. 3a ; TF, 1A.150/2005, 8.8.2005, c. 5.1 ; TF, 1A.165/2004, 27.7.2004, c. 3.1 ; TPF, RR.2011.5, 11.5.2011, c. 4.1.

13 ATF 136 IV 82 c. 4.1 ; 121 II 241 c. 3a ; TF, 1A.259/2006, 26.1.2007, c. 2.1 ; TF, 1A.201/2005, 1.9.2005, c. 2.1 ; TF, 1A.98/

2004, 15.6.2004, c. 2.1 ; TPF, RR.2011.5, 11.5.2011, c. 4.1.

14 TPF RR.2008.84, 8.10.2008, c. 7.1, en rapport avec l’art. 1 CEEJ.

Voir aussi TPF 2009 161 c. 5.1.

15 Pour des exemples récents, voir ATF 136 IV 82 c. 4.1 ; TPF, RR.2016.305-307, 15.2.2017, c. 3.4 ; TPF, RR.2016.121, 25.1.2017, c. 3.1.

16 ATF 136 IV 82 c. 4.1 ; TPF 2009 161 c. 5.1 ; TPF, RR.2016.305- 307, 15.2.2017, c. 3.4 ; TPF, RR.2016.121, 25.1.2017, c. 3.1.

17 Voir ATF 121 II 241 c. 3a ; TF, 1A.259/2006, 26.1.2007, c. 2.1 ; TF, 1A.201/2005, 1.9.2005, c. 2.1 ; TF, 1A.98/2004, 15.6.2004, c. 2.1 ; TPF, RR.2011.5, 11.5.2011, c. 4.1.

18 Supra, II.

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rant de vérifier la nature de chacune de ces transactions32. La solution retenue par le Tribunal fédéral dans le troi- sième exemple cité supra33 relève certainement du passé : est désormais révolu le temps où des pièces bancaires devaient être caviardées pour ne laisser apparaître que le transfert incriminé à l’étranger et satisfaire ainsi au prin- cipe de proportionnalité34.

La documentation bancaire à transmettre peut porter sur une période « relativement étendue »35. En pratique, lorsque la demande d’entraide vise l’éclaircissement d’un transfert de fonds suspect, sera transmise toute la docu- mentation bancaire relative au compte en question, y com- pris les documents d’ouverture – indiquant l’identité des ayants droit économiques et des signataires autorisés36 – jusqu’au jour de la demande ou, cas échéant, jusqu’à la clôture du compte, le but étant de permettre à l’autorité re- quérante de « vérifier que les agissements qu’elle connaît déjà n’ont pas été précédés ou suivis d’autres actes du même genre »37. La transmission de la documentation bancaire complète s’inscrit dans l’optique de révéler des faits que l’autorité requérante ignore : elle doit être infor- mée de toute transaction susceptible de s’inscrire dans le mécanisme mis en place par les personnes sous enquête38 et reconstituer ainsi les flux financiers entourant, en amont et en aval, les faits auxquels elle s’intéresse39.

Corollairement, il est donné suite à des demandes d’entraide très larges, qui ne sont pas considérées comme fishing expeditions40. Ainsi, le traitement favorable des demandes s’inscrivant dans le cadre d’une procédure pé- nale au chef de blanchiment d’argent et visant l’ensemble de la documentation d’un compte plus ou moins précisé-

32 TF, 1A.88/2006, 22.6.2006, c. 5.3 ; TF, 1A.40/2002, 5.4.2002, c. 2.2 ; TPF, RR.2015.20-36 du 22.4.2015, c. 5.8.2 ; TPF, RR.2007.29, 30.5.2007, c. 4.2.

33 Supra, II.

34 Pour un cas dans lequel le caviardage des pièces, demandé par le recourant, a été refusé, voir TF, 1A.259/2006, 26.1.2007, c. 2.2.

35 TPF, RR.2015.300, 7.6.2016, c. 3.3.2 ; TPF, RR.2014.103, 9.10.

2014, c. 3.2 ; TPF, RR.2014.187-188, 18.2.2015, c. 4.4 ; TPF, RR.2009.142-147, 5.8.2009, c. 2.3.

36 TPF, RR.2015.300, 7.6.2016, c. 3.3.2. Voir toutefois TPF 2011 97 c. 5.3, où seule la transmission des documents d’ouverture et de clôture a été jugée conforme au principe de proportionnalité.

37 TF, 1A.259/2006, 26.1.2007, c. 2.2 ; TF, 1A.75/2006, 20.6.2006, c. 3.2 ; TPF, RR.2016.8, 5.4.2016, c. 5.3 ; TPF, RR.2015.300, 7.6.2016, c. 3.2.2. Voir aussi TF, 1A.79/2005, 27.4.2005, c. 4.2 ; TF, 1A.59/2005, 26.4.2005, c. 6.2.

38 TPF, RR.2013.96-99, 6.9.2013, c. 5.1.

39 TF, 1A.218/2002, 9.1.2003, c. 4.3 ; TF, 1A.75/2006, 20.6.2006, c. 3.2 ; TPF, RR.2016.8, 5.4.2016, c. 5.4. Voir aussi TF, 1A.216/2001, 21.3.2002, c. 6.3.

40 Pour une critique, voir gstöhL (n. 1), 322 ss ; PoPP (n. 1), N 409 ; schuPP (n. 8), 186.

chée23, qui a un « véritable devoir de collaboration »24 dé- coulant du fait que le détenteur des documents en connaît mieux le contenu que l’autorité25. Laisser l’autorité d’exé- cution procéder seule puis lui reprocher une violation du principe de proportionnalité relève, d’après la juris- prudence, d’un comportement contraire à la bonne foi26. Concrètement, la personne touchée doit « démontrer, de manière claire et précise » quels documents ne devraient pas, selon elle, être transmis et pour quels motifs, et plus particulièrement « en quoi les documents et informations à transmettre excéderaient le cadre de la demande ou ne présenteraient aucun intérêt pour la procédure étran- gère »27. En effet, « il ne suffit pas de dire, de manière gé- nérale et indifférenciée, que les documents ne concernent pas la procédure étrangère, mais bien de l’indiquer préci- sément, pièce par pièce »28. Imposer à la personne touchée l’obligation de se déterminer sur chacune des pièces à transmettre lui rend la tâche difficile et est propre à favo- riser une transmission des plus larges, quand bien même un délai qualifié de « suffisant » doit lui être imparti pour ce faire29.

L’étendue de ce qui est désormais transmissible au regard du principe de proportionnalité est particuliè- rement flagrante s’agissant de la documentation ban- caire. Lorsque l’entraide porte, comme souvent dans les demandes adressées à la Suisse, sur des informations bancaires, la transmission doit s’étendre à tous les docu- ments qui « peuvent avoir trait au soupçon exposé » dans la demande d’entraide30. Ainsi, lorsqu’elle vise à éclair- cir le cheminement de fonds d’origine délictueuse, l’Etat requérant doit obtenir une documentation bancaire com- plète et être informé de « toutes les transactions opérées au nom des sociétés et des comptes impliqués dans l’af- faire »31, même si certaines, voire toutes ces transactions, ne concernent pas la réception du produit d’infractions ou des virements illicites : il s’agit de transmettre tant les pièces à charge qu’à décharge et permettre à l’Etat requé-

23 ATF 130 II 14 c. 4.3.

24 ATF 130 II 14 c. 4.3 ; TF, 1A.216/2001, 21.3.2002, c. 3.1 ; TPF, RR.2013.214, 26.11.2013, c. 4.1.3. Voir aussi TF, 1A.52/2006, 8.2.2007, c. 2.5.

25 ATF 126 II 258 c. 9b/aa.

26 ATF 130 II 14 c. 4.3 ; 126 II 258 c. 9b/aa.

27 TPF, RR.2011.5, 11.5.2011, c. 4.1.

28 ATF 126 II 258 c. 9c.

29 ATF 130 II 14 c. 4.3. Voir aussi ATF 126 II 258 c. 9b/aa.

30 Jurisprudence constante du Tribunal pénal fédéral. Voir p. ex. TPF, RR.2011.5, 11.5.2011, c. 4.2.2 ; TPF, RR.2016.24, 27.4.2016, c. 5.2.

31 Jurisprudence constante du Tribunal pénal fédéral. Pour des cas récents, voir TPF, RR.2016.305-307, 15.2.2017, c. 3.4 ; TPF, RR.2016.172, 1.12.2016, c. 5.2.

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IV. Conclusion

Le principe de proportionnalité est ancré à l’art. 63 al. 1 EIMP. La teneur de cette disposition n’a pas changé et pourtant le principe lui-même a considérablement évolué au fil des développements jurisprudentiels. Par le passé, sa portée était limitative et visait à encadrer strictement l’en- traide. Depuis quelques années, elle s’est étendue au point où la proportionnalité s’analyse désormais sous l’angle de l’utilité potentielle des pièces à transmettre : l’entraide doit permettre de faire progresser, voire même d’étendre, l’enquête pénale menée à l’étranger et, à cette fin, doit être la plus large possible. En matière de documentation ban- caire, s’agissant de laquelle la Suisse est particulièrement sollicitée, le principe de proportionnalité ne semble plus réellement poser de limites à la transmission : il est don- né suite à des demandes d’entraide des plus larges et le devoir d’exhaustivité incombant à l’autorité d’exécution implique souvent d’aller au-delà des pièces expressément demandées. L’obligation d’opérer un tri méticuleux et précisément motivé des pièces, imposée à celui qui tente de se prévaloir d’une violation du principe de proportion- nalité, ne fait qu’accentuer ce constat.

ment désigné ouvert au nom d’une personne « et de tout autre compte dont [celle-ci] est bénéficiaire économique ou sur lequel [elle] dispose d’une procuration » est désor- mais pratique courante. Dans ce type de cas, le constat selon lequel les faits poursuivis s’étendent sur une période longue ou indéterminée et/ou celui selon lequel des fonds ont suivi des cheminements complexes et tortueux, no- tamment par l’intermédiaire de nombreux comptes ban- caires ouverts à l’étranger, justifie pleinement, d’après la jurisprudence actuelle, de permettre à l’autorité requé- rante de prendre connaissance de l’intégralité de la docu- mentation bancaire de tous les comptes liés aux personnes sous enquête41.

Le bémol apporté à cette transmission particulièrement étendue est le cas où il peut être établi, « d’emblée et de manière indiscutable, que certaines pièces [bancaires] ne présentent aucun lien, de quelque sorte que ce soit, avec les faits décrits dans la demande »42. Ne serait-ce qu’au vu de la tournure restrictive utilisée par la jurisprudence, la portée de ce bémol apparaît limitée. La démonstration de l’absence manifeste de pertinence incombe à la personne concernée par la transmission qui devra, pièce par pièce, voire transaction par transaction, établir l’absence de lien avec l’enquête, tâche qui s’avère particulièrement diffi- cile.

La marge de manœuvre de l’autorité requise agissant en exécution d’une demande d’entraide est très large.

En effet, elle doit exécuter toute mesure « présentant un rapport suffisant » avec l’enquête étrangère43. Ainsi, il lui est notamment possible d’adresser un ordre visant la pro- duction de la documentation bancaire à tous les établis- sements bancaires d’une ville voire d’un canton, lorsque la demande d’entraide ne précise que le nom du déten- teur des fonds, sans mentionner le nom d’une banque en particulier, pour autant que les comptes puissent présenter un lien avec la personne poursuivie44. Elle peut également envisager le blocage de fonds au titre de mesure provi- soire alors même que le blocage n’est pas expressément demandé par l’Etat étranger45.

41 Pour une illustration, voir TPF, RR.2016.24, 27.4.2016, c. 5.3 et

42 5.4.TPF, RR.2014.103, 9.10.2014, c. 3.2.

43 ATF 129 II 462 c. 5.3 ; TPF, RR.2011.5, 11.5.2011, c. 4.1 et les références citées ; TPF, RR.2016.186, 27.12.2016, c. 4.1 ; TPF, RR.2016.119-120, 8.11.2016, c. 3.2.2.

44 ziMMerMann (n. 1), N 719 et les références citées. Voir aussi TPF, RR.2016.24, 27.4.2016, c. 5.3 et 5.4.

45 TF, 1A.87/2002, 11.6.2002, c. 3.

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