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Les concepts du paysage : problématique et représentations

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Les concepts du paysage : problématique et représentations

BAILLY, Antoine Sylvain, RAFFESTIN, Claude, REYMOND, Henri

Abstract

Le paysage qu'étudient les géographes constitue la résultante d'un système d'échanges complexes entre les individus, inégaux dans leur action sur le paysage, et une réalité matérielle à laquelle ils sont confrontés. Nous cherchons dans cet article à déduire la pratique, et par conséquent le vécu, d'une série de propositions conformes aux mécanismes psycho-sociologiques. Des hypothèses découlent de cette approche, qui peut être considérée corne une réflexion à propos d'une axiomatique future. Puis, à l'aide d'un exemple concret, le paysage belfortain, nous examinons s'il n'y a pas de contradiction entre les axes proposés pour la recherche et les régularités conceptuelles décelées à travers l'extraction des simi-litudes existentielles.

BAILLY, Antoine Sylvain, RAFFESTIN, Claude, REYMOND, Henri. Les concepts du paysage : problématique et représentations. L'Espace géographique , 1980, vol. 9, no. 4, p. 277-286

DOI : 10.3406/spgeo.1980.3575

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:4317

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L'Espace Géographique, nO 4, 1980, 277-286.

Doin, 8, place de l'Odéon, Paris-VIe.

LES CONCEPTS DU PAYSAGE : PROBLÉMATIQUE ET REPRÉSENTATIONS

Antoine BAILLY, Claude RAFFESTIN et Henri REYMOND

Université de Genève, Université de Strasbourg.

ÉPISTÉMOLOGIE ESPACE VÉCU IDÉOLOGIE PAYSAGE PERCEPTION

RESUME. — Le paysage qu'étudient les géographes constitue la résultante d'un système d'échanges complexes entre les individus, inégaux dans leur action sur le paysage, et une réalité matérielle à laquelle ils sont confrontés. Nous cherchons dans cet article à déduire la pratique, et par conséquent le vécu, d'une série de propositions conformes aux mécanismes psycho-sociologiques. Des hypothèses découlent de cette approche, qui peut être considérée corne une réflexion à propos d'une axiomatique future. Puis, à l'aide d'un exemple concret, le paysage belfortain, nous examinons s'il n'y a pas de contradiction entre les axes proposés pour la recherche et les régularités conceptuelles décelées à travers l'extraction des simi- litudes existentielles.

IDEOLOGY EPISTEMOLOGY LANDSCAPE LIFE-SPACE PERCEPTION

ABSTRACT. — Concepts of landscape : problematics and representations. — The landscape which geographers study constitutes the resultant of a system of complex ex changes between individuals, unequal in their action on it, and a material reality with which they are confronted. We attempt in this article to deduce the practices, and by consequence the actual experiences, from a series of propositions consistent with psycho-sociological methods. Hypotheses follow from. this approach which can be considered as a reflexion concerning a future axiomatic. Then with the help of a concrete example, the land around Belfort, we examine whether there is not a contradiction between the axes proposed by research and the conceptual regularities revealed through the extraction of existential similitudes.

INTRODUCTION.

La réflexion épistémologique, dévoilement et maî- trise des processus mobilisés dans une discipline, peut s'ouvrir sur des plages de savoir non encore explorées. Une voie, sans aucun doute légitime, mais peu empruntée encore, est celle de l'axiomatisation.

Il est prématuré de dire si l'axiomatisation est une direction prometteuse pour l'élaboration d'une géo- graphie scientifique de type déductif. A un niveau primaire, le caractère même de l'axiome, certes indé- montrable mais univoque, pourrait fonder un statut scientifique. Ceci dit, un axiome n'échappe pas à des contraintes trop souvent oubliées et que fort oppor-

tunément G. Nicolas (1978) nous rappelle : «Tout axiome a une signification psycho-sociologique et une dimension idéologique ». Si l'axiome est conforme à une « réalité » accessible à tous, sa signification psycho-sociologique est inévitable, même si celle-ci n'est pas aisément démontrable. Quant à sa dimension idéologique, n'est-elle pas également inévitable si l'on définit l'idéologie en tant que projet social (Rossi- Landi, 1978) ? Devant l'incertitude actuelle de la recherche d'une axiomatique de la géographie, nous approcherons le problème en posant tout d'abord une série de propositions destinées à encadrer notre ré- flexion sur les concepts du paysage. Ce n'est qu'en- suite que nous pourrons présenter nos hypothèses de travail.

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Ce paysage qu'étudient les géographes est un dépôt de l'histoire, donc aussi le produit d'une « pratique », entre des individus, inégaux dans leur action sur le paysage, et une réalité matérielle à laquelle ils sont confrontés. En d'autres termes, il s'agit d'analyser et d'expliciter un système d'échanges inégaux — l'ur- baniste n'ayant évidemment pas le même rôle dans la production du paysage que l'agriculteur — et correspondant ainsi à des pratiques, donc des vécus, différents. Est-il possible de définir ou plus exac- tement de déduire cette pratique, et par conséquent ce vécu, d'une série de propositions ? C'est un défi qui ne manque pas d'intérêt ni non plus d'embûches.

Proposer une géographie du paysage, c'est avant tout savoir à quel niveau perceptif se situer. Il en existe au moins deux : l'un qui relève de la production et l'autre de la consommation, aménageur contre usager.

Les deux niveaux sont pertinents mais d'une manière différente puisque pour l'aménageur il faut développer des propositions qui rendent compte des moyens et pour l'usager des propositions traduisant des attitudes, des désirs. Dans le cadre de cet article nous nous limiterons au problème de la perception du paysage par l'homme habitant pour vérifier si nos propositions n'entrent pas en contradiction avec ce qui semble accepté en psycho -physiologie. Nous procéderons en trois étapes. Dans la première nous élaborerons des propositions conformes le plus possible aux méca- nismes psycho-physiologiques ; des hypothèses décou- leront de cette approche, qui peut être considérée comme une réflexion à propos d'une axiomatique future. Dans la deuxième, nous résumerons à l'aide de deux schémas de travail les bases du fonctionne- ment de la perception. Dans la troisième nous exami- nerons, à l'aide d'un exemple concret, le paysage belfortain, s'il n'y a pas contradiction entre les axes proposés pour la recherche et les régularités concep- tuelles décelées.

I. PROPOSITIONS ET HYPOTHÈSES.

Appréhender la variété des processus d'échange entre les individus et leur environnement constitue la base de notre analyse du paysage. Ceci implique que nous explicitions propositions et hypothèses aussi clairement que possible.

1. Les propositions.

Tout comme les axiomes, les deux propositions que nous allons présenter ne sont pas démontrables géographiquement. Sans que l'on puisse pour le mo- ment savoir si elles répondent à des définitions axio- matiques, elles peuvent néanmoins contribuer à guider la recherche géographique.

Proposition 1 : l'expérience cognitive est suscep- tible d'être étudiée scientifiquement puisqu'elle reflète une intentionnalité.

Cette proposition générale résulte à la fois de données héritées, biologiques et sociales et de l'expé- rience individuelle : toute transmission, d'une infor- mation provient d'un message émis sur une longueur d'onde et reçu par une personne qui le perçoit, l'or- ganise, le mémorise. Cette action traduit l'intention du receveur d'aller au-delà du message pour l'iden- tifier par rapport à son vécu personnel et social. Ainsi l'individu interprète-t-il au travers des codes sa perception propre du monde. A la suite de ses expé- riences cognitives successives et intentionnelles, il possède des relations émotionnelles uniques, des significations spatiales, des sentiments à l'égard du cadre de vie. Analyser l'individu et ses codes permet d'appréhender l'intériorité perceptive liée aux sti- muli et ce qu'on appelle l'intériorité volontaire, qui suppose que l'individu manifeste un intérêt dans l'expérience. Connaître son environnement, c'est se connaître soi-même, puisque nos décisions s'articulent autour des images introspectives d'un monde subjectif.

Le problème scientifique devient alors celui des liens entre les significations du vécu et l'objectivisme néces- saire des codes utilisés par l'homme et les sciences.

Proposition 2 : le réel objectif n'existe pas en dehors de nos construits.

Il ne peut exister de définition objective du réel. La science ne dispose pas d'objets tout faits, elle les construit. « C'est le point de vue lui-même qui fait la chose ; il s'agit donc de la connaissance d'une connaissance mais aussi d'une praxis dans la mesure où connaissance et praxis sont inséparables » (C. Raf-festin, 1978, p. 2). La géographie a pour but d'éclairer les points de vue, individuels ou de groupes, et pour objet d'évaluer les relations reconnues qui rendent les groupes d'individus inégaux.

Paysage et milieu physique ne sont ainsi pas à confondre, car le paysage n'existe que par le groupe humain et l'homme, en particulier à travers la rela- tion phénoménologique entre le je et le milieu. Alors que les éléments du milieu physique sont donnés, ceux des paysages, les artefacts, sont construits : ils illustrent une intention préexistante qui leur ont donné naissance et leurs formes s'expliquent par les résultats qui étaient attendus.

Il faut pourtant être conscient que ce corpus de départ fait problème selon le référentiel choisi. Deux exemples seront rapidement esquissés à partir de la lecture par un marxiste et par un positiviste des deux premières propositions.

Un marxiste n'acceptera ni l'une ni l'autre ; la deuxième parce que ce sont les conditions de la vie matérielle, socialement construites, qui expliquent la génèse permanente de la conscience ; ainsi un réel objectif, sous la forme du paysage dans ce cas,

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Les concepts du paysage

existe, héritage d'un milieu physique et de l'histoire, transmis par la société à travers ses codes. La pre- mière, parce q ue l 'i nten tion nalité renvo yant au p ri- mat de l'individu et à la phénoménologie contredit l'interprétation la plus admise de la VIe thèse sur Feuerbach (Sève L., 1972) (1) d'après laquelle les individus sont les produits des rapports sociaux. La conn aissan c e pa r a c cès di re ct à l 'indivi du est do nc une illusion idéaliste, une démarche empirique, une limitation naturaliste, puisqu'elle ne peut atteindre l'ex plication, située d'abord en « dehors » des indi- v i d u s , d u c o m p o r t e m e n t d e c e u x - c i ; e l l e n e p e u t servir de point de départ, d'axiomes à une théorie marx ist e de l 'i ndiv id u con cret (2).

Un néo-positiviste trouverait la deuxième propo- sition parfaitement inutile ; une catégorie telle que le

« réel objectif » ne permet pas plus d'expliquer les p h é n o m è n e s o b s e r v é s q u e d e s e n t i t é s t e l l e s q u e l a

« m at i è r e » o u « l ' e s p r it » ; o n n ' a a u c u n b e s o i n d e ces propositions, la règle du phénoménalisme souligne en e ff et q u 'i l n ' y a p as d e d i f fé ren c e ré el l e ent r e l'es sence et le p hén omèn e, qu 'on p eut enregist rer ce q u i s e m an i fes t e à l ' ex p éri e n c e i m m éd i at e, m êm e s i

" l'explication » nécessite une investigation plus pous- s é e ; i c i i l n ' e x i s t e r i e n q u i p e r m e t t e d e t r a n c h e r , la proposition mettant en jeu l'explication finale du monde que nous ne pouvons atteindre. Pour ce néo- positiviste, des phénomènes appelés paysage « exis- tent », car ils sont susceptibles de multiples contrôles e m p i r i q u e s , q u a n t a u x e f f e t s q u 'i l s e x e r c e n t , q u a n t à l eurs coûts économiques ou soci aux, quant à la m a n i è r e d o n t i l s s o n t r e s s e n t i s . La m ê m e r è gl e conduirait notre positiviste à refuser la première proposition, mais à hésiter devant son contenu. Qu'on soit « conscience vers » (intentionnalité) n'ajoute rien à ce qu'on s ait de l 'ex péri ence cogniti ve, ni mêm e à ce qu'on pourrait expérimentalement en savoir ; par contre, les individus sont des phénomènes concrets singuliers dont on peut décrire les qualités de la vie psychique, avec lesquels on peut multiplier observa- tions et expériences ; aussi le néo-positiviste pourrait énoncer la proposition 1 de la manière suivante : les individus peuvent aussi agir d'une manière autonome.

Ces deux propositions, bases de l'analyse, corres- pondent donc à un choix philosophique, psycholo- gi que et géographi que et s ervent de cadre à notre

(1) Voir la revue L'homme et la société, no 19, 1971, Adam SCHAFF, « Au sujet de la traduction des thèses de Marx Feuerbach » n° 24-25, 1972; Lucien SEVE, « Réponse à Adam Schaff, sur la traduction et le sens de la VIe thèse sur Feuerbach».

(2) Nous précisons ici que Lucien SEVE pense qu'une théorie marxiste de l'individu concret est possible, à partir et au travers des rapports sociaux et qu'elle est la seule possible; mais il refuse qu'un marxiste ait le droit de prendre l'individu comme point de départ et d'écrire comme A. SCHAFF : « II le peut à condition de considérer l'individu comme l'ensemble des rapports sociaux... », ou encore : «L'homme est l'artisan autonome de son destin, le créateur de son propre monde et son propre créateur ».

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interprétation du paysage. Notre pratique géogra- phique est à l'origine de cette recherche de propo- sitions destinées, en dernier ressort, à préparer une explication du paysage en termes relationnels.

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2. Les hypothèses.

L'hypothèse propose un ensemble de significations tendant à formaliser la réalité ; elle doit être vérifiée par la recherche scientifique. Bien des géographes ont encore l'habitude de travailler sans hypothèse. Nous ne voulons pas, à la manière des « empiristes », atteindre « les problèmes » au bout de l'analyse ; nous les posons comme point de départ. La géogra- phie du paysage va ainsi de l'hypothèse, abstraction, à l'analyse de la relation spatiale. Les deux hypothèses suivantes, dont nous désirons vérifier la validité, orientent notre recherche :

Hypothèse 1 : par suite de la vie en société, de l'expé-rience des lieux, il est possible de dégager des similitudes existentielles. Nos actes sont partagés par d'autres membres du corps social; ainsi apparaissent mythes, images ; communes, cultures locales. Placé éternellement devant le conflit conscience de groupe, conscience individuelle, l'individu opère des choix. Il puise parmi ses schémas logiques, repères, échelles, certains aspects saillants. Mais ceux-ci sont partagés par bien des individus ayant une même culture.

Hypothèse 2 : L'acteur, engagé dans le vécu quoti- dien, attribue des valeurs aux paysages. Comparaison, dis- tinction dans le cadre de l'expérience sensible permettent de définir les traits communs des objets. Ces constructions sont susceptibles d'être appréhendées, mesurées par des techniques objectives ; « il s'agit de générer des relations formelles logiques ou mathématiques indépendantes des contenus particuliers... » (Cassirer, p. 27, 1977) donc des concepts.

Ce n'est qu'une fois ces principes généraux et ces hypothèses posés (ou bien d'autres clairement expli- cités) que nous pouvons nous permettre des études de cas. Sans ces précautions scientifiques, le géographe risque d'ignorer les biais de son approche. Pourtant cette recherche des thèses et hypothèses n'est pas encore suffisante pour passer aux applications ; encore nous faut-il approfondir les mécanismes de la perception humaine responsables de notre subjectivité.

II. VERS UNE CONNAISSANCE DE LA PER- CEPTION. SIMILITUDES EXISTENTIEL- LES ET PROBLÉMATIQUE GÉOGRAPHI- QUE.

Dès 1925, dans sa morphologie du paysage, C. Sauer donnait comme champ d'étude à la géographie l'orga- nisation systématique du contenu du paysage et de

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ses causes. Mais cette géographie causale n'était pas, comme certains l'ont interprété, une véritable science positive. Même si la méthode morphologique devait opérer dans les strictes limites de la science, son paysage n'excluait pas l'imagination, les images intro- spectives d'un monde subjectif (Relph, 1976). Cette double orientation, reflétant les problèmes des choix méthodologiques et conceptuels, illustre deux orien- tations philosophiques majeures dans l'analyse du paysage, positivisme et phénoménologie. Peut-on se contenter de l'étude des objets tels qu'ils sont (si le paysage est un objet...) ou doit-on chercher à com- prendre dans les forces qui ne sont pas directement observables, celles qui sont clairement subjectives ? Les mécanismes du processus cognitif, eux-mêmes, nous obligent à intégrer la subjectivité. En effet, si le filtre physiologique transmet un signal, si le filtre social lui donne une signification dans un code appris, le filtre personnel, seul, en assure la structuration immédiate, donc à la limite oriente la signification sociale héritée. Voyons cela plus en détail à partir de la figure 1.

1. Image et perception.

Le filtre physiologique (pour le visible) est constitué semble-t-il par le circuit suivant : une modification chimique provoquée par une longueur d'onde lumi- neuse sur les cellules rétiniennes entraîne une modi- fication chimique des fibres nerveuses qui les joignent au cerveau, ce qui induit enfin un schéma électrique dans ce dernier. Comme il n'est pas prouvé que ce schéma soit isomorphe à l'objet de départ, et qu'il resterait|, si cela était, à savoir comment le sujet arrive à l'identifier, on admet que le filtre physiologique indispensable pour la transmission (il suffit de le supprimer pour en avoir la preuve), est insuffisant, seul, pour l'interprétation.

Le filtre social, résultat de l'apprentissage culturel, implique « que l'on va plus loin que ce qui est donné ».

Le processus mène « de la configuration d'une acti- vité électrique dans le cerveau » au niveau physiolo- gique à «l'expérience subjective de la catégorisation socialement communicable de cet objet donné là ».

« It's impossible to explain fully the fact that what is experienced is not a further series of biochimical events but an object » (Roth, 1976). On rappellera ici, d'abord l'absence des illusions perspectives, caracté- ristiques du monde de la lecture, dans les cultures exclusivement orales, ensuite et surtout les conclu- sions tirées de l'étude des enfants sauvages quant au rôle incontestable du social dans la formation de la perception communicable. La matrice culturelle trans- met par le langage un codage interpersonnel signi- fiant ; dans ce sens, elle « extériorise » dans le même sens les impressions reçues et construit un monde qui paraît objectif ».

Cette « objectivité » correspond à la distribution statistique normale du perçu social, elle n'explique pas l'existence des interprétations personnelles con- traires de schémas à messages dichotomiques. « L'ob- jectivisation » sociale ne rend pas compte, en effet, de notre saisie particulière du monde ; en tous les cas, elle ne l'organise pas plus que le filtre physio- logique. Pour la gestalt-psychologie, la personne structure et organise son univers d'une manière qui n'est pas imposée par les objets culturellement réper- toriés : selon notre histoire psychologique personnelle, nous voyons soit une belle jeune femme soit une malheureuse vieille dans cet extrait connu d'un tableau de Toulouse-Lautrec. Ainsi, l'image ne pro- pose jamais l'interprétation, mais c'est nous qui l'imposons, malgré nous. Les deux lectures sont physi- quement et socialement possibles, puisque ensuite, nous pouvons consciemment apprendre à distinguer et l'une et l'autre, alors qu'inconsciemment nous en avions ignoré une. Cette dimension inconsciente de l'acte de perception impose la prise en compte de la subjectivité qui en est ainsi constitutive.

La complexité du processus cognitif explique que sur la figure 1 le « je » soit constitué de l'interaction des trois filtres et de « l'image s> qui en résulte ; image simplifiée, différente de l'ensemble des impressions physiologiques reçues. Ce schéma présuppose aussi que les propositions suivantes soient épistémologique- ment et philosophiquement valides.

1. — Cette présentation de la perception implique l'accep- tation d'une distinction physique socialement créée du moi et du non-moi. La suppression d'un non-moi entraîne sa disparition pour le moi comme l'absence physique d'un sens entraîne l'absence des perceptions correspon- dantes (3).

(3) On sait qu'il existe une différence fondamentale entre les aveugles par accident et les aveugles de nais- sance. Pour ces derniers, Nounours à la télévision, ne peut être un ours, mais uniquement le vieux Monsieur dont ils entendent la voix (Gilbert SABOUN,Les couleurs de la nuit).

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Les concepts du pays age

2. — Le non-moi est à la fois ce qu'il est (en soi) et ce qu'il m'apparaît, sans que je sache si l'un coïncide avec l'autre; il n'existe pour moi que subjectivement, comme

« intériorité interne » immédiate.

3. — Ce qu'il m'apparaît, apparaît aussi ainsi sociale- ment. Il existe objectivement, non « en soi » mais « pour nous » dans une « intériorité externe » immédiate. Dans la plupart des cas, les construits « subjectifs » et le construit social «objectif» correspondent; ils sont géné- ralement stables parce que le même projet lie le « per- sonnel » au « social » à chaque signal du transmetteur physiologique. Ce problème d'intériorité et d'extériorité a d'ailleurs été abordé depuis longtemps par la philosophie des sciences.

1. Codification et durée.

Il est nécessaire de différencier les sciences sociales (Geistwissenschaften) orientées vers l'intériorité (in- ternes et externes) des sciences naturelles (Natur- wissenschaften) attachées au monde, sans intégration de l'homme (excentricité pure). On retrouve cette opposition, entre la théorie de l'apprentissage selon Piaget, qui insiste sur le rôle de l'acquis — le constructivisme — et l'environnementalisme d'un Skinner qui insiste sur l'action sélective du milieu (4).

L'activité du sujet peut-elle être réduite à la simple construction d'images conformes au milieu ? A l'évi- dence non ; les facteurs endogènes et l'apprentissage modifient en permanence notre idée du monde. Il ne s'agît donc pas seulement de chercher à compren- dre l'internalisation des expériences du vécu à la différence d'un "Weber ou d'un Husserl, mais de s'interroger plutôt sur la relation entre les deux référentiels, c'est-à-dire entre les codifications inter- nes et externes dont la vie sociale réclame la sta- bilisation.

L'image issue des stimuli externes est stabilisée dans un premier temps par l'interaction des filtres

(4) Voir aussi Arthur KOESTLER, 1968.

281 sociaux, personnels et physiologiques. Subsiste une image résiduelle (Bailly, 1977, p. 30), ressentie à tra- vers des motivations et des contraintes, qui va servir de catalyseur ou de blocage au comportement. Dans certains cas (fig. 2), l'image est mise en mémoire et partiellement oubliée ; dans d'autres cas, elle affecte un nouveau processus cognitif qui, par son intention- nalité, devient objet d'étude. La personne projette son image, soit de manière interne (rêve, illusion), soit de manière externe sur le monde perçu (actes). Vouloir percevoir c'est agir dans le temps et dans l'espace ; non pas dans le temps cosmique du milieu naturel ou dans le temps conventionnel de nos sociétés, mais dans celui de la durée subjective d'un acte particulier (de 0—> XX) avec son extension spatiale. Temps cos- mique et conventionnel serviront à une étape ulté- rieure de stabilisateurs. La durée n'est pas une simple série linéaire et continue, elle n'existe que par le changement. Ainsi, la relation intériorité-extériorité varie-t-elle d'une étape du processus cognitif à une autre (5). L'approche requiert à chaque instant une projection de l'image vers le futur engagé et procède ainsi par rétroactions continuelles ; le savoir subjectif est lié à la relation temporelle entre intériorité interne (le Moi), intériorité externe (correspondant au tissu de relations du Moi avec l'Autre) et extériorité (monde qu'on ne peut appréhender directement).

Suivant que le géographe donne la primauté à la conscience individuelle, aux faits sociaux, au paysage, son analyse de la relation pourra diverger : l'idéa- lisme, le behaviorisme en ordonnant certains concepts, proposent des voies de recherche qui passent d'abord par l'homme ; le matérialisme en posant l'hypothèse de la réalité des faits implique une voie d'étude qui passe d'abord par l'élucidation du rôle du réel, du fait historique et social (marxisme), de l'hérédité génétique (sociobiologie...). Si la clarification des axiomes et des hypothèses de ces divers courants de

(5) C'est une des raisons pour laquelle l'étude des processus séquentiels et des probabilités subjectives et conditionnelles est essentielle en géographie.

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pensée, devient l'indispensable point de départ de recherches sur le concept de paysage, une leçon se dégage de cet examen rapide des bases expérimen- tales de la perception : il est nécessaire de proposer une méthodologie qui à travers la prise en compte de la subjectivité personnelle débouche sur les grou- pes de similitudes existentielles créatrices des paysa- ges. Cette méthode joint la théorie aux études de cas.

III. LA REPRÉSENTATION DU PAYSAGE.

1. Le concept.

Le concept, représentation mentale, généralement dégagée de l'expérience, constitue une définition opé- ratoire qui prend son sens dans le cadre d'une pro- blématique. Il s'agit d'un processus relationnel dans une aire ; nous nous attachons donc aux éléments et aux flux dans le système paysage : l'ensemble des relations similaires entre les éléments constitue le concept de paysage. C'est par l'intermédiaire de ces concepts implicites et explicites que nous pourrons élaborer dans une étape ultérieure des théories géo- graphiques. Dans les sciences humaines bien souvent

« la répétition est purement conceptuelle » (G. Nicolas, 1978).

Comment certains auteurs (C. Grateloup, 1978), arrivent-ils à considérer concept et paysage comme deux mots antithétiques, allant jusqu'à affirmer que

« le concept de paysage n'existe pas en géographie » ? Le seul fait que le mot paysage ait été forgé, illustre sa nature notionnelle ou conceptuelle. Les analyses de l'école allemande (de Ritter à Banse et Passarge), l'interprétation du sens du lieu de Strabon à Vidal de la Blache, et plus proche de nous « L'homme et la terre » de Dardel (1952), montrent la permanence de la représentation mentale du paysage. Des dis- cussions sur le concept de beauté du paysage se rencontrent chez Von Humboldt (1849, vol. II) et Sauer (1925). Appleton dans son « expérience du paysage » (1975) bénéficie de cet apport multiple : la possibilité de connaissance du paysage suppose l'interdépendance entre vécu (Erkenntnis) et expé- rience (Erfahrung). Cette relation permet la projection de la pensée dans notre expérience. Il existe ainsi des concepts dans toutes les analyses de paysage : genre de vie, distance, activités, rôles.

Ces concepts recouvrent des significations variées :

« il n'y a pas de concept définitif, pas de concept éternel, puisque, s'il est essentiellement de nature relationnelle, les choses peuvent s'enchaîner différem- ment et par conséquent les relations se modifier... >

(C. Raffestin, 1978, p. 6). Un concept est un faisceau de possibilités, inscrites dans le temps, l'espace et le vécu.

2. Méthodes et outils.

Les concepts, en eux-mêmes, sont déjà « outils » puisqu'ils sont représentation des relations société- paysage. Indiquons cependant qu'il ne peut exister d'outils sans concepts. Mais, pour les dégager, encore faut-il faire appel au volet technique des sciences sociales, c'est-à-dire aux divers outils possibles, pour mesurer, exprimer. Ces codes, liés au développement des sciences, facilitent la découverte des arrangements spatiaux (« géochorotaxologie », H. Reymond, 1977) q u i p e r m e t t r a a l o r s a u v o l e t c r i t i q u e ( «g é o p r a x é - ologi e project uel le ») de proposer des construct ions qui ne soient pas seulement reproduction sociale ou critique empirique.

Gomment croire encore à la restitution géogra- phiqu e d 'u n p a ys age « ens em ble uni qu e et ind isso - ci abl e » (G. Bertrand) ? Ne traduit -il pas s eul em ent des régularités relationnelles exprimées par nos atti- tudes, n os int entio ns, nos act es, c 'e s t-à -dir e un e structure ? (6). Seules des méthodes non directives permettent d'atteindre cette connaissance : la cons- t r u c t i o n d ' u n c o r p s d e c o n c e p t s r e n d a n t c o m p t e d e la relation au paysage passe par l'utilisation d'enquêtes ouvertes et de tests comparatifs (Rep), la discussion, l'interprétation de photographies et de dessins ; un ensemble de documents où l'homme peut librement s'exprimer, sur le paysage de sa ville par exemple. Par « effraction », nous essayons au travers des réponses, . de saisir les associations privilégiées par le(s) vécu(s). Si la géographie aborde l'étude des concepts du pay-sage comme un processus, elle doit faire appel à l'ex- périmentation ; sinon elle s'oriente vers des thèses philosophiques plutôt que vers des résultats scienti- fiques . La vérit é d'un énoncé ne peut êt re ét abli e que par recours à l'expérience, c'est-à-dire par la véri- fication des concepts. Cette expérimentation ne porte pas s ur l e «fait pays age » (7), m ais sur le s ens des concepts (8) du paysage.

(6) II n'existe d'ailleurs pas encore de véritable géo- graphie de la perception, c'est-à-dire de multiples impacts reçus par nos systèmes sensoriels. II existe par contre une géographie des attitudes et surtout des comportements.

Cette dernière consacrée à l'action, matérialisable, est d'un abord plus facile que celle des attitudes, impalpables directement. Nous nous consacrons le plus souvent à la phase terminale du processus cognitif, du niveau des intentions à celui de l'action.

(7) Nous voulons éviter une discussion sans issue du type de celles qu'entretenaient platonistes et nominalistes;

précisons simplement qu'un nominaliste dirait que les paysages n'ont rien en commun sauf qu'ils sont qualifiés de paysage, qu'un réaliste dirait que les paysages ont quelque chose en commun, autre que leur nom de paysage.

Une troisième interprétation serait donnée par Wittgens- leîn : les paysages n'ont rien en commun sauf qu'ils sont des paysages.

(8) Pour certains philosophes, comme B. RUSSEL, le concept est transcendant, ce qui signifie que même s'il est

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Les concepts du paysage

Arriverons-nous ainsi à élaborer des théories, c'est- à-dire un système explicatif, d'un ensemble de phéno- mènes reliés logiquement par des principes internes ? Certainement pas avec une seule étude de cas. Il convient non seulement de définir la méthode d'ap- proche, mais aussi un ensemble suffisant d'observa- tions. Nous n'avons réalisé qu'une seule analyse sur la ville de Belfort ; notre corps de concepts ne concerne donc qu'un échantillon représentatif de la population belfortaine et un type de paysage.

Les outils pour l'interprétation restent encore sim- ples : mesure des distances subjectives sur les dessins, répétitions de mots, de propriétés ou d'ensemble de mots, amplification des surfaces... Les données recueil- lies ont été classées, quantifiées parfois (Bailly, 1977), ce qui permet l'interprétation des résultats, ainsi que leur discussion. Leur confrontation avec d'autres ana- lyses du comportement humain complète cette pre- mière étape de la recherche.

Pour comprendre ce qui est responsable des dif- férenciations spatiales nous ne pouvons plus nous contenter d'utiliser les résultats agrégés du recense- ment qui ne reflètent que des moyennes. Il nous faut chercher, au travers de la subjectivité personnelle, les similitudes existentielles qui fondent nos paysages.

Afin de dégager en milieu urbain la diversité des points de vue individuels, comprendre comment le cadre de vie influence les attitudes, nous faisons appel au paradigme cognitif. Se pencher sur le problème du passage de l'attitude au comportement exige du géographe une révolution psychologique : plutôt que de chercher des communautés dans les comporte- ments, nous mettons l'accent sur la multiplicité des attitudes qui permettent de saisir les forces antago- nistes qui modèlent les configurations spatiales.

En cherchant à obtenir des données individuelles sur les attitudes dans des quartiers de dimensions réduites, nous privilégions les logiques liées à la perception et à l'expérience personnelle du milieu.

En identifiant les lieux mentionnés par certaines per- sonnes nous introduisons dans l'analyse géographique les systèmes territoriaux et symboliques. Sont par contre laissés au deuxième plan les mécanismes géné- raux susceptibles d'expliquer les comportements de groupe, les références à la reproduction sociale. On ne s'interroge pas sur la façon dont la demande est créée par la société, mais sur la marge de liberté que pos- sède l'individu dans le milieu urbain. Les relations entre personnes forment la structure des échanges sociaux et par analyse des fréquences des réponses

objet de connaissance, il ne peut être expérimenté. Nous refusons cette interprétation, et pensons, comme Feigl, que les concepts sont des signes, des représentations de symboles exprimés en fonction des règles sémantiques.

Ils s'expriment au travers des propriétés du langage.

283

(9)

et des régularités dans les attitudes, nous pouvons identifier la complexité des systèmes de significations.

L'enquête sur le paysage urbain belfortain destinée à comprendre les liens entre images mentales et structures spatiales, à travers l'extraction des simi- litudes existentielles, repose ainsi sur les deux pro- positions et les deux hypothèses présentées précédem- ment.

3. Les concepts du paysage belfortain.

Par suite des interprétations personnelles du pay- sage belfortain et des intentionnalités différentes, l'ex- périence cognitive devrait se traduire par une grande variété des concepts (proposition 1). Dans les réponses, les relations à l'espace sont effectivement explicitées au travers du vécu quotidien, lignes de désir, aires d'activités et de résidence. C'est le long des axes de déplacement habitat-travail que l'on effectue ses achats, que l'on note certains repères saillants. Ainsi apparaissent un ensemble de propriétés topologiques, relations de proximité, d'identité, de symétrie, tra- duisant la relation directe au milieu urbain (vécu du quartier pour les ménagères, flux visuels linéaires pour les automobilistes). Il ne peut exister de défi- nition objective du paysage (proposition 2) car notre connaissance se situe au travers du moi dans le temps et dans l'espace. Les propriétés projectives et tempo- relles illustrent la perception de la durée dans le paysage : images de l'évolution historique par l'in- terprétation du cadre bâti, perspectives de transforma- tion (projection d'éléments dynamiques), mythes historiques et religieux font partie intégrante des concepts du paysage belfortain. Quant aux propriétés symboliques, liées à la représentation de l'espace, elles traduisent le magnétisme du centre, l'opposition centre-périphérie, les différenciations spatiales (ar- chitecturales et socio-culturelles).

Le chercheur tente ainsi de classer, au travers de ses filtres personnels et sociaux, les répétitivités dans l'ensemble des relations homme-paysage. Notre for- mation géographique nous pousse à compléter cette typologie par un ensemble de propriétés géographi- ques dans la variété des images : apparaissent axes structurants, relations d'axes (nœuds) et de repères, volumes marquants (bâtis et non bâtis), coordonnées (orientation, axes forcés comme les ponts) et limites (visuelles et administratives). Nous organisons ainsi les concepts du paysage belfortain en caractères to- pologiques, projectifs, symboliques et géométriques.

Loin de la pseudo-objectivité des typologies « natu- relles », notre construction subjective de concepts reflète à la fois nos codes et la variété des vécus du paysage belfortain.

Implicite dans ces concepts, nous pouvons sentir la perception des continuités et discontinuités : la distance vécue, les schémas logiques, les repères, les échelles, le temps, les relations centre-périphérie,

tout un ensemble d'attributs, de relations en deux et trois dimensions (surface et volumes), reposant sur la perception subjective et symbolique de la distance et de la durée. A partir de ces représentations mentales, nous pouvons nous attacher aux relations entre les éléments du système de référence du paysage belfortain en vue d'une problématique d'aménagement (ici pour l'élaboration du Plan d'Occupation des Sols).

Parmi les réponses se dégage une orientation égo- centrique avec des systèmes de références variables suivant les aires vécues. Le réseau spatial connu constitue un prisme perceptif. L'analyse comparative des perceptions des habitants de divers quartiers permet la vérification des concepts de hiérarchie, de différenciation qualitative. L'espace perçu, loin d'être euclidien, varie en liaison avec l'éloignement du centre et des secteurs vécus : tout le « biais spatial » apparaît ici, en terme de distance-durée subjective. La conceptualisation logico-statistique permet de dépasser l'empirie des faits pour exprimer la signification mentale du paysage.

C'est en tenant compte des secteurs clefs dans l'évaluation symbolique des distances (axes struc- turants, nœud central, ponts...) qu'on peut prévoir le découpage (mesure) en secteurs homogènes dans lesquels les règlements de « plan d'occupation des sols » seront établis. A partir des concepts de distance subjective et de biais spatial, nous pouvons dresser la carte des cadres de référence signifiants et prévoir la distribution des services et infrastructures com- muns.

Par un effort de dépassement des insuffisances conceptuelles d'une géographie quantitative par trop liée à une statistique inférentielle, nous intégrons à la fois les biais spatiaux et les similitudes existen- tielles. En identifiant les lieux privilégiés de certains groupes, nous lions image spatiale, héritage social et comportement. L'agrégation de personnes éprou- vant les mêmes attitudes peut se traduire par l'appa- rition d'organisations et d'actions communes (9).

Cette approche nécessite la prise en compte, non seulement des perceptions du milieu, mais également du symbolisme accepté par les habitants. Il s'agit du passage de la « surface d'indifférence » des économis- tes néo-classiques aux « surfaces d'aspiration » des groupes d'individus partageant des valeurs communes.

Le principal intérêt d'un concept étant d'être opéra- tionnel, rassembler les informations dans un champ conceptuel, c'est intervenir pour classer, ordonner, préparer un projet. C'est en ce sens que nous avons mené l'enquête sur Belfort : propriétés de l'espace, conceptualisation, découpage en secteurs.

(9) H reste à savoir si ces similitudes traduisent la liberté personnelle ou au contraire les contraintes impo- sées par le milieu. Ce problème est plus du ressort de la psychologie que de la géographie.

(10)

Les concepts du paysage

CONCLUSION : VERS UNE THÉORIE.

Cette analyse conceptuelle, reposant sur un exemple unique, ne constitue en rien une théorie, et encore moins un modèle (10). Notre système « paysage » unique ne prétend pas expliquer un ensemble de phé- nomènes reliés par des principes internes. Le con- trôle expérimental du concept « distance subjective et biais spatial » sur de nombreuses études de cas permettrait, seul, d'aboutir à une telle théorie suscep- tible d'être confrontée à la réalité. Une construction intellectuelle méthodique et organique suppose la répétitivité de l'expérimentation pour qu'il soit pos- sible d'effectuer ensuite des prédictions plus générales.

Nous avons pourtant, sur un cas particulier, vérifié la validité des hypothèses sur les similitudes existen- tielles et la classification des constructions subjectives.

Certes, mesure et typologies se font au travers du

« je », de la question que je pose au monde ; notre principe phénoménologique permet de l'accepter et de ne pas prétendre au savoir objectif. Rendre compte, ne serait-ce que partiellement, des problèmes tels qu'ils sont vécus dans la ville, tel est le premier objectif de cette analyse conceptuelle.

Il nous reste ensuite à proposer une définition, même provisoire, du paysage. Loin des « faits » des positivistes, notre paysage est formé par les relations en deux et trois dimensions (surface et volume) entre . les individus et l'environnement (vécu et non vécu), relations caractérisées par des propriétés géomé- triques, topologiques, projectives, temporelles et sym- boliques. Si nous acceptons comme C. Sauer de définir la géographie comme une science dont le champ d'action est le paysage, notre discipline devient centrée sur l'étude des relations à l'espace. Elle ne peut plus regarder naïvement les choses comme elles sont, classer de simples régularités et corrélations, et se contenter des manifestations externes de certains facteurs, elle doit appréhender les forces non direc-tement observables.

Seule la démarche scientifique nous permet à partir d'axiomes, d'hypothèses, de proposer une explication à caractère relatif de l'ex-périence du vécu. C'est dans cette direction que nous procédons car « la géographie a besoin d'être repensée conceptuellement » (C. Raffestin, 1978).

Manuscrit prêt en octobre 1979.

(10) D'ailleurs les géographes ne confondent-ils pas souvent théorie, modèle et typologie ? Classer ne consti- tue pas un système explicatif.

285 BIBLIOGRAPHIE

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Commentaire

Yves GUERMOND

Il n'est pas toujours facile, pour ceux qui ont une forme d'esprit positiviste, de discerner ce qui peut être concrètement retiré d'avantageux pour la recherche, dans un exposé philosophique. On peut admettre aisément les deux propositions introductives. La seconde particulière- ment («le réel objectif n'existe pas en dehors de nos construits») avait déjà été établie avec quelque succès par Platon. Ce qui est dit ensuite de la complexité du processus cognitif peut aussi susciter un large assentiment.

(11)

C'est quand on en vient à l'application de tout cela aux phénomènes géographiques que les choses deviennent moins claires. Il est raisonnable de s'interroger sur cer- taines affirmations présentées en incidentes, telle cette idée que « la possibilité de connaissance du paysage suppose l'interdépendance entre vécu et expérience, cette relation permettant la projection de la pensée dans notre expérience ». En cherchant le sens de cette phrase, il m'apparaît que ce n'est pas ma pensée qui se projette dans mon expérience, mais plutôt mon expérience qui s'intègre à ma pensée, qu'il s'agisse d'ailleurs du paysage ou du reste, mais cette constatation, assez ordinaire, n'est sans doute pas une découverte épistémologiquement significative...

Comme je suis à fond d'accord sur l'idée avancée ensuite selon laquelle « la vérité d'un énoncé ne peut être établie que par recours à l'expérience, c'est-à-dire par la vérification des concepts », je me suis précipité sur l'application au paysage belfortain. J'ai bien sûr accepté sans problème la constatation « d'une orientation égo- centrique (des individus interrogés), avec des systèmes de références variables selon les aires vécues », car c'est ce qu'on nous dit depuis des années à propos de « l'espace vécu», sans aller beaucoup plus loin. J'admets qu'il y a un travail (à faire) sur les « distances subjectives »;

mais qui pourrait être convaincu, au point où nous en sommes, qu'on a maintenant, par cette approche, « dépassé les insuffisances conceptuelles de la géographie quantita- tive, par trop liée à une statistique inférentielle, en intégrant les biais spatiaux et les similitudes existen- tielles »? Là, je ne suis plus, et je demeure tranquil- lement positiviste.

Un dernier mot à propos de la conclusion : je refuse de « définir la géographie comme une science dont le champ d'action est le paysage». Certes il y a le paysage, qui le nierait, mais il y a aussi des choses tout aussi importantes, et qui ne se « voient » pas, qui doivent être intégrées dans nos analyses.

Réponse au commentaire d'Y. Guermond

Peut-on, à propos de notre texte, parler d'exposé philosophique ? Réflexion épistémologique pourrait à la rigueur convenir, car l'un de nos objectifs est de montrer comment des « propositions » (et non des axiomes) abou- tissent à des démarches, donc des résultats, fort différents.

Positivistes, nous l'avons tous été et ne le sommes-nous

pas encore ? Nous ne refusons en rien la démarche scien- tifique, mais ne soyons pas aveugles, relativisons nos résultats à travers nos choix idéologiques.

Lorsqu'on écrit que «le réel objectif n'existe pas en dehors de nos construits », le rapport avec Platon est ass ez lointai n. P ar cett e phras e, on ne veut pas dire qu 'il ex iste l ' Id ée, au sens pl ato ni cien, en deho rs d e nous et à laquelle nous accédons par reflet. Nous disons en fait le contraire de Platon : nous construisons « l'idée » à travers un langage qui détermine, comme écrirait Wittgenstein, les limites de notre monde. Il faut prendre garde aux assimilations analogiques fondées uniquement sur des ressemblances externes. Pour Platon, la réalité idéale existe dans un « ailleurs » inaccessible. Peut-on inférer de notre phrase que nous sommes platoniciens ?

En aucun cas nous ne demandons au lecteur d'être d'accord sur le fond. Nos propositions ne sont pas absolues, elles reflètent un état de réflexion que nous tentons de partager. Sans être phénoménologues, nous pouvons concevoir, comme base de recherche, que la projection de la pensée est essentielle dans l'interdépendance entre vécu et expérience. Que d'autres jugent qu'à l'inverse l'expérience s'intègre à la pensée, c'est qu'ils privilégient le rôle de l'apprentissage social. La querelle est ancienne;

Skinner, Piaget, Merleau-Ponty et bien d'autres ont déjà explicité la multiplicité des orientations possibles. Notre objectif n'est pas de raviver une querelle sans fin, mais de montrer la complexité des fondements d'une simple anal ys e d e pa ys a g e. Où est don c l e pa ys a ge ps eudo -

« objectif» de la géographie traditionnelle?

Le choix des variables prolonge d'ailleurs celui des propositions. En refusant l'univocité du discours à partir des données des recensements, nous cherchons à ouvrir l'horizon des découvertes géographiques. Nous pourrions parler de complémentarité. A chaque échelle ses variables et ses valeurs. Que certains constats soient classiques, heureusement ! Il existe encore des constantes sans les- quelles toute analyse scientifique serait vaine. Mais inté- grons aussi le hasard dans notre réflexion ; les « posi- tivistes » peuvent le faire, pour refuser le déterminisme (ou le possibilisme) des analyses de paysage.

Notre champ d'action devient ainsi le paysage, non pas celui déterminé par le milieu physique, mais la projection des relations humaines multiples sur un support territo- rial. Ce paysage avant tout subjectif est signe, symbole et non seulement trace visuelle. Ainsi le géographe s'attache-t-il à la compréhension des mécanismes rela- tionnels — et non seulement des apparences — et par là même acquiert une pertinence sociale.

A. BAILLY,C. RAFFESTIN,H. REYMOND.

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