Séance 3 : La séparation des amants
L’amour n’est pas toujours heureux : la séparation des amants est l’un des grands motifs de la poésie amoureuse.
A. Lisez les deux textes suivants et répondez aux questions a. La tirade de Bérénice
Ce premier texte est un extrait de la pièce Bérénice de Racine, écrite en 1670. Elle met en scène Titus, l’empereur de Rome, et Bérénice, reine de Palestine. Ils sont amoureux et Titus a promis à Bérénice qu’il l’épouserait ; mais le peuple romain s’oppose au mariage. Titus, pour éviter une révolte, et au nom de la gloire de Rome, annonce à Bérénice qu’il a décidé de l’abandonner. Voici la réponse de Bérénice.
BÉRÉNICE Eh bien ! régnez, cruel ; contentez votre gloire :
Je ne dispute1 plus. J’attendais, pour vous croire, Que cette même bouche, après mille serments D’un amour qui devait unir tous nos moments, Cette bouche, à mes yeux s’avouant infidèle, 5
M’ordonnât elle-même une absence éternelle.
Moi-même j’ai voulu vous entendre en ce lieu.
Je n’écoute plus rien : et, pour jamais, adieu…
Pour jamais ! Ah, Seigneur ! songez-vous en vous-même Combien ce mot cruel est affreux quand on aime ?
10
Dans un mois, dans un an, comment souffrirons-nous, Seigneur, que tant de mers me séparent de vous ; Que le jour recommence, et que le jour finisse, Sans que jamais Titus puisse voir Bérénice, Sans que, de tout le jour, je puisse voir Titus ? 15
Mais quelle est mon erreur, et que de soins perdus ! L’ingrat, de mon départ consolé par avance,
Daignera-t-il compter les jours de mon absence ? Ces jours si longs pour moi lui sembleront trop courts.
Jean Racine, Bérénice, 1670, acte IV, scène 5
1. Présentez rapidement l’auteur.
2. Quel est le type de vers utilisé ?
3. Qui sont les personnages ? A quel milieu appartiennent-ils ? Quel niveau de langue emploient-ils ?
4. Bérénice est-elle surprise par la décision de Titus ? Justifiez votre réponse en citant le texte.
Selon vous, y a-t-il un espoir pour leur amour ?
5. A partir de vos réponses aux questions 2 et 3, expliquez pourquoi cette scène de rupture est une scène tragique.
6. Quel son est répété aux v. 3 et 4 ? Comment appelle-t-on cette figure de style ? Quel est l’effet produit ?
1 Disputer = discuter, débattre, argumenter.
Vous pouvez aussi retrouver la scène jouée par Carole Bouquet et Gérard Depardieu dans le film de 2000 de Jean-Daniel
Verhaeghe, ici :
https://www.youtube.com/watch?
v=f5cg2v654k0.
7. Essayez de découper ce texte en trois parties. Quel est le sentiment qui prédomine dans chaque partie ? En quoi cela montre-t-il l’étendue des émotions ressenties pendant une rupture ?
8. Au v. 1, avec quel adjectif Bérénice apostrophe-t-elle Titus ? Au v. 17, par quel nom commun le désigne-t-elle ? Expliquez ce qu’elle lui reproche.
9. Si on lisait le texte à voix haute, pourrait-on marquer une pause à la fin du v. 3, comme on le ferait naturellement à la fin des vers qui le précèdent ? Pourquoi ? Comment appelle-t-on cette figure de style ? Pourquoi Racine l’utilise-t-il ici, à votre avis ?
10. Aux v. 9 et 12, comment Bérénice appelle-t-elle Titus, et quelle personne emploie-t-elle pour parler de lui ? Et aux v. 14-15 ? Comment expliquez-vous ce changement ?
11. Que désigne « ce mot cruel », au v. 10 ? Quelles images Bérénice emploie-t-elle pour suggérer concrètement leur séparation et la douleur qui l’accompagne ?
12. Des v. 9 à 15, quels mots sont répétés pour suggérer « l’absence éternelle » des amants ? Quel effet ces répétitions produisent-elles ?
13. Quelle est la figure de style employée dans le derniers vers ? Qu’exprime-t-elle ?
14. Ce texte est-il un poème ? Expliquez pourquoi on peut cependant rapprocher cette scène théâtrale d’un poème lyrique.
b. « Les séparés »
N’écris pas. Je suis triste, et je voudrais m’éteindre.
Les beaux étés sans toi, c’est la nuit sans flambeau.
J’ai refermé mes bras qui ne peuvent t’atteindre, Et frapper à mon cœur, c’est frapper au tombeau.
N’écris pas ! 5
N’écris pas. N’apprenons qu’à mourir à nous-mêmes, Ne demande qu’à Dieu... qu’à toi, si je t’aimais ! Au fond de ton absence écouter que tu m’aimes, C’est entendre le ciel sans y monter jamais.
N’écris pas ! 10
N’écris pas. Je te crains ; j’ai peur de ma mémoire ; Elle a gardé ta voix qui m’appelle souvent.
Ne montre pas l’eau vive à qui ne peut la boire.
Une chère écriture est un portrait vivant.
N’écris pas ! 15
N’écris pas ces deux mots que je n’ose plus lire : Il semble que ta voix les répand sur mon cœur ; Que je les vois brûler à travers ton sourire ;
Il semble qu’un baiser les empreint sur mon cœur.
N’écris pas ! 20
Marceline Desbordes-Valmore, « Les séparés », 1860 1. Présentez rapidement l’autrice.
2. Combien de strophes comporte ce poème ? Quel est le type de vers principalement employé ?
Michel-Martin Drolling, Portrait de Marceline Desbordes, vers 1808, musée de la Chartreuse de Douai
3. Qu’est-ce qui revient dans chaque strophe ? Quel est l’effet produit par cette répétition ? Comment appelle-t-on la figure de style qui consiste à répéter le même mot ou groupe de mots en début de vers, de phrase ou de strophe ?
4. Quel est le type de rime choisi par la poétesse ? Pourquoi, à votre avis ?
5. Quel est le thème de ce poème ? A quelle personne est-il écrit ? A quels temps ? Expliquez pourquoi on peut dire de ce poème qu’il est lyrique.
6. Expliquez le titre de ce poème.
7. Dans les deux premières strophes, quelles sont les images employées par la poétesse pour montrer que la relation ne peut plus continuer entre les deux amants ? Comment appelle-t-on cette figure de style ? Quel champ lexical exprime la douleur de la séparation ?
8. Dans les strophes 3 et 4, quels sont les pouvoirs de l’écriture, selon la poétesse ? Justifiez en citant le texte. En quoi cela explique-t-il l’impératif « N’écris pas ! » qu’elle ne cesse de répéter dans le poème ?
9. Cherchez qui est Tantale. A quel moment la poétesse fait-elle allusion au supplice de Tantale dans le poème ? Pourquoi ?
B. Synthèse
1. Des héroïnes de la séparation
L’expression de la douleur de la séparation ou de la rupture est un grand thème de la poésie amoureuse.
- Dans ces deux textes, quels points communs pouvez-vous trouver dans le discours des deux femmes, quand elles expriment la douleur de la rupture ?
- Ont-elles la même attitude envers leur amant ? 2. La séparation, entre tragique et lyrisme
Essayez, à partir de ces poèmes et des réponses à vos questions, de proposer une définition : - du registre tragique
- du registre lyrique
Pourquoi ces deux registres peuvent-ils montrer des facettes différentes de la douleur de la séparation amoureuse ?
3. Récapitulatif des figures de styles vues dans cette séance
Proposez une définition pour les figures de style suivantes, qu’on peut trouver dans ces deux poèmes :
L’anaphore : L’épiphore : L’allitération : L’enjambement :
C. Histoire de l’art : poésie et musique
« Les feuilles mortes » est une chanson que le poète Jacques Prévert a écrite, sur une musique de Joseph Kosma, pour le film de Marcel Carné Les Portes de Paris (1946). Elle est interprétée par l’acteur et chanteur Yves Montand : https://www.youtube.com/watch?v=gPJ9ZvPMf-Q
Et voici une chanson de Serge Gainsbourg, intitulée « La chanson de Prévert », parue en 1961 dans son album L’Étonnant : https://www.youtube.com/watch?v=5DeA8FPqWwc
1. Quel grand thème lyrique ces deux chansons reprennent-elles ?
2. Quel est le lien entre la chanson de Gainsbourg et celle de Prévert et Kosma ?
3. Quels sont les points communs entre les chansons et les textes de cette séance ? Quelles images et quelles figures de style reviennent dans les deux ?
4. Par quelle image la fuite du temps est-elle évoquée dans les deux chansons ? Pourquoi ? 5. Comment appelle-t-on la douleur éprouvée à l’évocation d’un passé qu’on regrette ? En quoi
ce sentiment est-il prédominant dans ces deux chansons ?
6. Vers quelle attitude Gainsbourg prédit-il que ses sentiments vont évoluer ? A votre avis, les sentiments de Bérénice ou Marceline Desbordes-Valmore connaîtront-ils la même évolution ? Pourquoi ?
7. La musique et l’interprétation des paroles vous semblent-elles convenir aux sentiments évoqués ? Pourquoi ?
D. Rédaction
1. Atelier d'écriture : apprendre à intégrer des métaphores dans un texte à Utiliser un groupe nominal attribut du sujet
Inventez une phrase dans laquelle vous rapprocherez les deux éléments donnés en utilisant une métaphore. Pour construire cette métaphore, le deuxième élément sera l'attribut du sujet du premier.
Ex : yeux / îles sereines à Tes yeux sont/semblent/paraissent/deviennent/restent/demeurent… des îles sereines où je me réfugie après la tempête.
a. Peau / étoffe b. Cœur / maison c. Voix / baume
à Utiliser un groupe prépositionnel complément du nom
Inventez une phrase dans laquelle vous rapprocherez les deux éléments donnés en utilisant une métaphore. Pour construire cette métaphore, le deuxième élément sera le complément du nom du premier.
Ex : île sereine / yeux > Je m'échoue sur l'île sereine de tes yeux comme un naufragé après la tempête.
a. Mer / cheveux b. bouche / rose
c. cou / ruban de velours à Utiliser une apposition
Inventez une phrase dans laquelle vous rapprocherez les deux éléments donnés en utilisant une métaphore. Pour construire cette métaphore, le deuxième élément sera apposé au premier.
Ex : yeux / îles sereines > Tes yeux, îles sereines dans un océan de malheurs, sont le refuge que je préfère.
a. Visage / bijou b. rire / cascade c. paupières / voile
2. Rédaction : à rendre pour le 11 mai Objectif
Rédigez un poème amoureux dans lequel vous décrirez l’être aimé (fictif) et où vous exprimerez les différentes émotions que cet amour fait naître en vous (elles ne seront pas nécessairement toutes positives).
Consignes
Longueur du poème : le poème doit faire au moins trois strophes de quatre vers. Choisissez le type de rimes que vous voulez.
Vous vous exprimerez de façon lyrique, à la première personne, en utilisant des métaphores et les figures de style étudiées dans les différents poèmes que nous avons vus (antithèse, anaphore, hyperbole, allitération, enjambement...). Chaque strophe devra comporter au moins une métaphore.
Attention à l'orthographe et la syntaxe.
