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View of Nadja Cohen. Les Poètes modernes et le cinéma (1910-1930).

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Texte intégral

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144 Vol. 15, No. 1 (2014)

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Nadja Cohen. Les Poètes modernes et le cinéma (1910-1930).

Jan Baetens

Résumé

Compte rendu de Nadja Cohen, Les Poètes modernes et le cinéma (1910-1930). Abstract

Review of Nadja Cohen, Les Poètes modernes et le cinéma (1910-1930).

Nadja Cohen

Les Poètes modernes et le cinéma (1910-1930).

Paris : Classique Garnier,2013 ISBN 978-2-8124-1773-3

Le livre de Nadja Cohen sur les rapports entre poésie et cinéma dans les années 1910-30 (soit pour la littérature, grosso modo les années du modernisme, puis du surréalisme, et pour le cinéma tout ce qui surgit entre le cinéma d’attractions des premiers temps et le parlant) s’inscrit dans un mouvement de recherche plus large, qui est celui de la réévaluation médiologique du fait littéraire.1 Ce dernier,

avant d’être un texte éventuellement doté d’un contexte plus ou moins vague ou circonscrit, est d’abord une pratique qui se cherche et se construit à travers un certain médium, traditionnellement le volume imprimé, mais depuis les révolutions technologiques des 19e et 20e siècles, bien d’autres comme, par

exemple, le cinéma. Cette expansion de la littérature au-delà du seul imprimé ne signifie pas, de manière linéaire ou déterministe, la transition d’un médium à l’autre, mais la réélaboration des usages littéraires de la parole dans un ensemble plus divers et en mutation perpétuelle.

S’agissant de la littérature française, ces refontes en série ont fait l’objet de nombreuses études déjà, qu’il s’agisse des transformations hautement visibles comme le mouvement de la caméra-stylo après la Deuxième Guerre Mondiale (voir les travaux d’Antoine de Baecque sur la cinéphilie à la française) ou de changements plus souterrains, comme dans le cas des influences photographiques sur la pensée littéraire (voir les débats autour des publications de Philippe Ortel). Mais comme le fait remarquer très justement Nadja Cohen, sur la réception poétique du cinéma par les poètes français les études existantes, pour stimulantes et fréquentes qu’elles aient été, restent curieusement parcellaires et incomplètes. Une vision d’ensemble manque et Les Poètes modernes et le cinéma (1910-1930) se propose de combler cette lacune. Le livre le fait avec brio et surtout avec une clarté que l’on ne peut que citer en modèle à 1. Cf. la récente publication du recueil programmatique dirigé par N. Katherine Hayles et Jessica Pressman, Comparative Textual Media (Minneapolis : Minnesota University Press, 2013). Voir notre compte rendu dans

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tous ceux qui se pencheront à l’avenir sur ces questions à la fois complexes et interdisciplinaires. L’approche de l’auteur, que l’on retrouve chez d’autres jeunes chercheurs de sa génération comme Anne Reverseau et Céline Pardo, se veut historique au sens très large du terme. Plus particulièrement, la perspective adoptée est anthropologique : le point de départ n’est pas la lecture microscopique des textes, mais la tentative de rendre compte de la manière dont les poètes comprenaient eux-mêmes les grandes catégories qui donnent un sens à l’exercice de la littérature à un moment donné. Qu’est-ce que la modernité, et comment penser une littérature qui se veut à l’écoute de son temps ? Que peut et doit faire la poésie à une époque où la modernité semble passer par d’autres voies et surtout par d’autres médias que celle de l’imprimé ? Quels sont le statut et la signification de cette nouveauté apparemment absolue et révolutionnaire qu’est le cinéma ? L’essentiel du livre de Nadja Cohen, dont la lecture des textes poétiques n’est certainement pas absente, est consacré à ces questions plus générales et on ne peut que souscrire à son parti pris méthodologique. La suite de son exposé montre que la plus-value pour l’interprétation des œuvres en est indéniable.

Les Poètes modernes et le cinéma (1910-1930) est divisé en trois grandes parties. Dans un premier

temps, Nadja Cohen relit de manière très détaillée les idées contemporaines sur le « moderne », afin d’expliquer la rencontre inévitable du cinéma et de la poésie, celui-là apportant à celle-ci ce que la littérature conventionnelle ou dominante de son époque n’était plus capable de lui offrir, notamment en termes de vitesse, d’émotion, de collectivité, de sens du réel et, en un mot, de goût de la vie dans ses formes les moins platement esthétiques. La seconde partie se concentre sur ce qui se passe dans les salles de cinéma, le spectacle n’étant pas toujours celui qui se déroule à l’écran. Au moyen d’une série de témoignages et de documents d’époques, Nadja Cohen met très bien en valeur le caractère violent et dangereux des projections, et elle les rapproche utilement de ce qu’on appellera plus tard, il est vrai dans un tout autre contexte, la contreculture. Une troisième partie, enfin, examine l’impact de la modernité médiologique sur l’écriture poétique, tous genres confondus (la dernière section du livre propose ainsi une classification très intelligente d’une production quasi anarchique où voisinent des formes poétiques déjà répertoriées et des amorces de formes radicalement inédites mais pas pour autant promises à un long avenir).

Ce qui ressort de l’analyse de Nadja Cohen, c’est l’impossibilité de réduire les pratiques culturelles des années modernistes et surréalistes à un modèle unique. Tant le cinéma que la poésie de l’époque se révèlent d’une diversité étourdissante et les alliances et alliages les probables sont mis à jour par l’enquête historique de Les Poètes modernes et le cinéma (1910-1930). On connaissait bien le goût des surréalistes pour les mauvais mélodrames, on découvre ici leur opposition farouche au « cinéma pur », souvent presque abstrait, qui représentait dans ces années la pointe la plus avancée de l’avant-garde . Nadja Cohen suggère de manière convaincante que le trait commun à tous ces jugements et ukases est moins la priorité donnée à l’éthique (l’impact, l’effet, le choc) au détriment de l’esthétique (le comment, la manière, le style) que le refoulement de tout ce qui touche au médium (en cela, elle rejoint les idées de Jean-Pierre Bobillot sur les rapports entre surréalisme et poésie sonore). Des analyses tout aussi fines concernent Apollinaire, le poète qui rêvait de cinéma sans jamais cesser de faire de la poésie, Cendrars,

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le poète qui a voulu troquer la poésie pour le cinéma sans jamais y parvenir, et des surréalistes non canoniques tels Soupault et Artaud, deux poètes qui se sont heurtés à leur tour à la difficulté de concilier les mots et les images.

Les Poètes modernes et le cinéma (1910-1930) est un livre essentiel, qui s’imposera rapidement comme

une référence tant par la richesse de ses lectures que par l’étendue de sa documentation. Les véritables lacunes sont rares, et faciles à corriger : qui s’intéresse à l’importance du journalisme pour Mallarmé ne tardera pas à débusquer les travaux de Pascal Durand, par exemple, et c’est un peu la responsabilité des chercheurs de la modernité de faire le lien avec les études anglo-saxonnes sur le même sujet (on pourrait commencer par Richard Abel, mais il faudrait citer ici des dizaines de noms).

Un gros regret quand même : comme toutes les thèses françaises, l’excessive fragmentation thématique de la bibliographie la rend hélas inutilisable. Espérons qu’un jour le Ministère donnera des instructions pour mettre un terme à cet archaïsme agaçant et contreproductif. Dès les années 30, le journal Mickey nous a libérés des formules de politesse alambiquées dans la correspondance. Il est temps aujourd’hui de prendre acte du pragmatisme anglo-saxon dans le domaine des classements bibliographiques aussi. Jan Baetens is editor in chief of Image (&) Narrative.

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